Mobilité d’une goutte posée sur une surface

Dans l’expérience commune, une goutte d’eau en contact avec une surface y est en général piégée : malgré le vent à grande vitesse qui les frappe, impossible d’enlever les gouttes de pluie d’un pare-brise sans l’aide des essuie-glaces. La mobilité des gouttes est un problème ayant un grand intérêt pratique. On peut citer dans l’industrie du verre les traitements rendant les surfaces anti-buée, anti-givre ou autonettoyantes. Dans un autre domaine, de nombreuses applications microfluidiques utilisent des gouttes (par exemple en tant que microréacteur) et nécessitent de pouvoir les transporter facilement d’un point à un autre du dispositif.

Gouttes piégées

La capillarité est la science des interfaces. Young et Laplace ont découvert au début du 19ème siècle qu’à chaque interface est associée une énergie proportionnelle à son aire. Le coefficient de proportionnalité est appelé tension interfaciale (nous le noterons σ). C’est l’équilibre des différentes tensions interfaciales ainsi que de la gravité qui détermine la forme d’une goutte posée sur un solide.

On la rencontre lorsque l’on dépose un liquide fortement cohésif sur un solide dont l’énergie de cohésion est faible, par exemple un métal liquide (mercure) sur du plastique. Dans le cas général, l’angle de contact est intermédiaire (fig.1.1, image 1) et est appelé angle de Young. Cependant cet équilibre énergétique ne rend pas compte du piégeage ou non d’une goutte sur une surface. En effet, déplacer une goutte ne change pas l’énergie du système. Pour expliquer le piégeage, il faut prendre en compte les imperfections de la surface à l’échelle microscopique : il existe toujours des inhomogénéités physiques ou chimiques qui constituent des points d’ancrage pour la ligne de contact. Il faut alors franchir une barrière énergétique correspondant au détachement de tous les défauts pour que la ligne soit mise en mouvement [2]. D’un point de vue macroscopique, cela se manifeste par une hystérésis de l’angle de contact. Celui-ci n’est pas précisément défini, il est compris dans un intervalle ∆θ autour de l’angle de Young. L’angle de contact maximal est celui nécessaire pour faire avancer la ligne de contact. L’angle de contact minimal est celui pour lequel la ligne de contact recule.

On peut observer cette hystérésis très simplement en inclinant progressivement une surface sur laquelle on a déposé une goutte en mouillage partiel. Celle-ci reste immobile dans une grande gamme d’inclinaisons et on s’aperçoit que l’angle de contact est différent entre l’amont et l’aval de la pente. La différence de ces deux angles permet alors de compenser le poids de la goutte .

Gouttes libérées

Surfaces texturées

Pour réduire la surface de contact entre un liquide et son support, plusieurs approches sont possibles. Tout d’abord, un traitement chimique de la surface peut la rendre plus hydrophobe. Si l’angle de contact entre le liquide et le matériau utilisé est plus grand que 90◦ , augmenter la rugosité du solide augmente l’angle de contact apparent [4]. Il est alors souvent plus favorable pour la goutte de reposer sur le sommet de la rugosité (fig.1.4). Une grande fraction de la surface sur laquelle elle repose est alors de l’air [5]. La goutte est dite en état « fakir ». Ces approches sont celles utilisées pour la création de surface superhydrophobes par microfabrication [6]. Une surface traitée chimiquement pour être hydrophobe est structurée par une assemblée de plots micrométriques régulièrement espacés, créant alors une rugosité contrôlée (fig.1.4). La combinaison de l’hydrophobie et de la rugosité rend la surface superhydrophobe.

Cependant sur une telle surface, l’interaction entre une goutte et la surface texturée ne peut que s’approcher du mouillage rigoureusement nul (qui correspondrait à des plots infiniment éloignés). En outre, dans cette limite, l’hydrophobie est fragile (la goutte peut trouver « le fond »). Enfin, il existe un autre inconvénient à la présence de plots : pour se déplacer, une goutte doit se détacher des plots sur lesquels elle repose et, comme nous l’avons vu, pour se détacher d’un plot, il faut franchir une barrière d’énergie due à l’hystérésis de l’angle de contact. Pour réaliser un contact rigoureusement nul, il faut dont prendre un point de vue différent. Pour cela, l’astuce ressemble à celle des anti-pluie pour pare-brise : il faut intercaler une autre phase entre le liquide et le substrat. Ici, cette phase n’a pas pour effet d’éliminer l’hysteresis mais de rendre le contact nul. Cette phase peut être un solide déformable comme un milieu granulaire (gouttes enrobées) ou un gaz (par exemple lors de la caléfaction).

Non-contact granulaire : gouttes enrobées

Si on garde en tête l’image de la goutte en état fakir, on peut imaginer, pour éviter les cycles d’accrochage-détachement sur les plots de coller les plots sur la goutte et non pas sur la surface (fig.1.5). Les plots ne sont alors retenus à la surface par aucune force et les décoller ne coûte donc pas d’énergie. De plus, tant que le frottement entre les plots est négligeable, l’angle de contact de la goutte enrobée sur le sol est rigoureusement 180◦ . En effet, la résultante des forces d’un coin liquide possède une composante verticale. Si un plot est en contact avec un coin liquide et n’est pas retenu par la surface, il s’en décolle.

De tels systèmes existent : il suffit de faire rouler une goutte sur une poudre hydrophobe pour les former. On les appelle gouttes enrobées (ou billes liquides). Les plots entourant la goutte sont alors une couche de cette poudre hydrophobe, par exemple des spores de lycopodes [7]. Cette solution se retrouve aussi dans la nature: une espèce de pucerons, les aphidiens gallicoles, enrobent les excrément visqueux qu’ils sécrètent avec des grains de cire afin de les transporter sans risquer d’être mouillés eux-mêmes [8]. Cependant l’effet de la couche de poudre hydrophobe n’est pas simplement d’isoler la goutte du substrat. De nouvelles propriétés apparaissent du fait du caractère granulaire de ces interfaces. Le frottement entre les grains a par exemple une grande influence sur le comportement des gouttes enrobées. Nous reviendrons en détail sur ces nouvelles propriétés dans la deuxième partie de cette thèse.

Non-contact gazeux : lévitation

Sous une goutte en état fakir, il y a une grande proportion d’air et une petite proportion de solide. Le non-mouillage idéal consiste à rendre la fraction de solide avec laquelle la goutte est en contact rigoureusement nulle. La goutte est alors isolée de la surface par un mince film d’air. Lorsque la surface est solide, le non-contact est appelé non-mouillage et le terme non-coalescence est employé lorsque la goutte est isolée d’un liquide. Lorsqu’une goutte s’approche d’une surface, il faut évacuer l’air situé entre elle et la surface. Ce non-contact existe donc toujours de manière temporaire, même si ce temps peut être très court. Pour le rendre permanent, différentes méthodes ont été proposées qui mettent en jeu différents effets fins de la physique des interfaces [9].

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Table des matières

INTRODUCTION
I Interfaces isolées
1 Introduction : Mobilité d’une goutte posée sur une surface
1.1 Gouttes piégées
1.2 Gouttes libérées
1.2.1 Surfaces texturées
1.2.2 Non-contact granulaire : gouttes enrobées
1.2.3 Non-contact gazeux : lévitation
1.3 Mise en mouvement d’une goutte
Bibliographie
2 Propulsion sur un toit d’usine
2.1 Expérience de Linke
2.2 Force de propulsion sur une surface en forme de toit d’usine
2.2.1 Principe de la mesure de force à vitesse nulle
2.2.2 Relation entre la force et la taille de la goutte
2.3 À la recherche du mécanisme
2.3.1 Différents mécanismes possibles
2.3.2 Une expérience test : la caléfaction solide
2.4 Modélisation de la propulsion
2.4.1 Force produite par effet fusée
2.4.2 Vitesse terminale des gouttes
2.5 Conclusion
Bibliographie
3 Rebond d’une bulle de savon
3.1 Description de l’expérience
3.2 Chute de la bulle
3.2.1 Répartition de la masse entre l’intérieur et la surface de la bulle
3.2.2 Vitesse de chute
3.3 Approche de la surface
3.3.1 Épaisseur du film d’air pour laquelle le freinage visqueux apparaît
3.3.2 Épaisseur du film d’air pour laquelle la bulle s’écrase
3.3.3 Dissipation ou stockage de l’énergie ?
3.4 Propriétés du rebond
3.4.1 Restitution de l’énergie
3.4.2 Stockage de l’énergie : déformation maximale à l’impact
3.4.3 Temps de contact
3.5 Conditions favorisant le rebond
3.5.1 Probabilité de rebond
3.5.2 Critère statique
3.5.3 Critère dynamique
3.6 Conclusion
Bibliographie
4 Dévalement de billes liquides
4.1 Généralités sur les billes liquides
4.1.1 Dévalement d’une goutte visqueuse – modèle de Mahadevan et Pomeau
4.1.2 Validation expérimentale
4.2 Dévalement accéléré
4.2.1 Dispositif
4.2.2 Influence de l’accélération de la surface
4.2.3 Influence de la fréquence d’oscillation
4.3 Dévalement ralenti
Bibliographie
II Interfaces composites
Bibliographie
5 Formes et propriétés statiques de gouttes enrobées
5.1 Aire de contact des gouttes enrobées : effet de la pression entre grains
5.1.1 Gouttes « peu » enrobées
5.1.2 Observation des premiers instants de l’évaporation d’une goutte
5.1.3 Mesure de tension de surface effective
5.2 Enrobage fort et orienté : Gouttes cylindriques
5.3 Modèle du collage d’un grain par une interface encombrée
5.3.1 Création d’un trou
5.3.2 Mesure de la force de frottement
5.4 Conclusion
Bibliographie
6 Masse de grains capturée par une goutte
6.1 Capture de grains hydrophobes par une goutte
6.2 Relation entre distance parcourue et masse de grains capturés
6.2.1 Grains lourds
6.2.2 Grains légers
6.2.3 Comparaison des deux expériences
6.3 Relation entre volume de la goutte et masse de grains capturée
6.4 Relation entre diamètre des grains et masse capturée
6.5 Enrobage d’une interface encombrée
6.6 Conclusion
CONCLUSION
Bibliographie

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