L’arseniure de manganèse possède plusieurs propriétés remarquables à proximité de la température ambiante permettant d’envisager son utilisation pour diverses applications. MnAs peut être utilisé en spintronique pour réaliser des jonctions tunnels magnétiques [1]. Il permet également de réaliser des cycles frigorifiques basés sur l’effet magnéto-calorique à des températures proches de l’ambiante [2]. Ou encore, il permet d’utiliser la température comme paramètre de contrôle du renversement de l’aimantation d’une couche de Fe dans Fe/MnAs/GaAs(001) [3]. Bien que les premières références à la synthèse et à l’étude de MnAs aient plus d’un siècle [4], la plupart des études s’intéressant à ses propriétés magnétiques et structurales ont été réalisées à partir des années 50-60 [5, 6, 7, 8, 9, 10, 11]. C’est durant cette période que le diagramme de phase de MnAs s’est précisé avec une phase α ferromagnétique de structure hexagonale, une phase γ paramagnétique de structure également hexagonale, et une phase β de structure orthorhombique dont l’ordre magnétique est encore aujourd’hui sujet à débat. C’est grâce à la grande variation d’entropie magnétique à 313 K dû à la transition α – β que son utilisation est envisagée pour la réalisation de cycles frigorifiques magnétiques à proximité de l’ambiante. MnAs a fait l’objet d’un regain d’intérêt depuis quelques années grâce à sa bonne compatibilité avec des substrats semiconducteurs III-V tel que le GaAs et le AlAs [1, 12]. Cette compatibilité lui permet d’être épitaxié sur ce type de substrat avec une interface particulièrement abrupte alors que d’autres métaux ont tendance à diffuser dans le substrat lorsqu’ils sont déposés sur des semiconducteurs [13, 14]. Cette capacité de MnAs en fait un bon candidat pour la réalisation de jonctions tunnel magnétiques, ou de tout autre dispositif alliant les propriétés physiques des semiconducteurs à celles des matériaux magnétiques [15, 16]. De plus, les différentes contraintes appliquées aux couches épitaxiales de MnAs font apparaître des propriétés nouvelles telles qu’une coexistence entre ses phases α et β sur une gamme de température dépendant du substrat, et qui peut être accompagnée de leur auto-organisation. Lorsque MnAs est épitaxié sur GaAs(001), ces deux phases coexistent sur une gamme de températures large d’environ 30 K incluant la température ambiante.
L’auto-organisation de MnAs sur substrat de GaAs(001) prend la forme de bandes α ferromagnétique et β (sans aimantation rémanente). Cette structuration permet sans avoir à lithographier la couche l’émergence d’un champ dipolaire de surface pouvant être contrôlé par la température. Ce champ peut être utilisé pour renverser l’aimantation d’une couche de Fe déposée sur MnAs/GaAs(001) [3, 17]. En plus de la température, ce renversement a également pu être induit par l’excitation laser femtoseconde de la surface de Fe/MnAs/GaAs(001) [18]. C’est le mécanisme à l’œuvre dans ce renversement suivant l’excitation laser femtoseconde qui est l’objet principal de cette thèse. La compréhension de ce mécanisme pourrait être exploitée dans la réalisation de nouveaux types de dispositifs dans lesquels l’état magnétique des bits serait contrôlé par le biais d’impulsion laser femtoseconde.
MnAs et ses applications potentielles
MnAs pour la magnétocalorique
L’effet magnéto-calorique se manifeste par une variation d’entropie d’un matériau soumis à un champ magnétique dans une transformation isotherme, ou d’une variation de température lorsque ce champ est appliqué dans une transformation adiabatique [19]. Ces variations de température et d’entropie sont exploitées dans des cycles frigorifiques permettant d’atteindre des températures inférieures à 1 K [20], mais peuvent également être utilisées à des températures proches de l’ambiante [21]. Les matériaux présentant un effet magnéto-calorique à proximité de la température ambiante font de bons candidats à la substitution des chlorofluorocarbure (CFC) massivement utilisé aujourd’hui pour la réfrigération et dont l’impact sur la couche d’ozone et sur l’effet de serre nous pousse à la recherche de solutions de remplacement. MnAs manifeste un effet magnéto-calorique géant [2] lié à la transition entre ses phases α et β. En effet, appliquer un champ magnétique à la phase β permet d’induire la transition vers la phase α ce qui rétablit l’ordre ferromagnétique [22] et réduit fortement l’entropie magnétique. Certains des alliages de MnAs présentent également un effet magnétocalorique géant [23, 24]. Lorsque MnAs est épitaxié sur GaAs(001), les phases α et β coexistent et transitent progressivement de l’une vers l’autre entre environ 283 et 313 K. Dans toute cette gamme de températures, de grandes variations d’entropie sont observées et peuvent être exploitées dans des cycles frigorifiques magnétiques. Néanmoins, la présence d’une hystérésis thermique dans la transition α-β réduit fortement son potentiel frigorifique. Récemment, cette hystérésis thermique a pu être supprimée par impact d’ions lourds sur MnAs/GaAs(001) [25].
MnAs pour la spintronique
La spintronique se base sur les propriétés de transport liées au spin des électrons afin de réaliser des dispositifs semblables à ceux utilisées en électronique. Pour ce faire, les dispositifs spintroniques utilisent des courants polarisés en spin, ou encore la propagation d’ondes de spin. Dans les matériaux magnétiques, les densités d’états électroniques des bandes de spin majoritaire et minoritaire à l’énergie de Fermi sont différentes. Il devient alors possible d’y faire circuler des courants polarisés en spin. Au contraire, la densité d’états au niveau de Fermi ne dépend pas du spin des électrons dans les semiconducteurs non-magnétiques et aucun courant polarisé en spin ne peut spontanément y apparaitre. Pour exploiter le degré de liberté de spin dans des dispositifs à base de semiconducteurs, il est alors nécessaire d’injecter des courants polarisés en spin. Il est également possible d’utiliser des semi-conducteurs magnétiques dilués mais leur faible température de Curie, ne dépassant pas les 200 K [26], empêche encore leur utilisation à température ambiante. La capacité de MnAs à s’épitaxier sur des substrats semi conducteurs III-V et à conserver son ferromagnétisme jusqu’à 313 K lui a valu d’être utilisé dans l’étude de l’injection de courant polarisé en spin dans ces substrats (GaAs et AlAs [1, 27]). Pour ce faire, les effets de magnétorésistance tunnel d’hétérostructure incluant des couches de MnAs et semiconductrices III-V ont été étudiés dans MnAs/AlAs/MnAs/GaAs(111) [1] ou encore dans MnAs/AlAs/GaAs:MnAs/GaAs(001) où GaAs:MnAs correspond à une couche de GaAs incluant des clusters de MnAs [28, 29, 30, 27].
Contrôle thermique du renversement de l’aimantation (TIMS)
Les méthodes de renversement de l’aimantation TIMS (pour Thermally Induced Magnetic Switching) utilisent la température comme un moyen de contrôler ou de faciliter le renversement de l’aimantation d’un système [31, 32]. Cette méthode peut être utilisée pour l’écriture de données sur disque dur ou sur bande magnétique où une augmentation de la température permet de diminuer le champ coercitif du matériau et ainsi faciliter l’écriture. Les données stockées sur ces supports peuvent être conservées beaucoup plus longtemps grâce au fort champ coercitif du milieu de stockage en dehors de la phase d’écriture. On parle aussi aujourd’hui de stockage magnétique HAMR (pour Heat-assisted magnetic recording [33, 34]). MnAs/GaAs(001) peut être utilisé pour renverser l’aimantation d’une couche ferromagnétique déposée à sa surface par un contrôle de sa température comme démontré dans Fe/MnAs/GaAs(001) [17, 35]. Dans ce système, les phases α et β de MnAs coexistent en s’auto-organisant en bandes (voir 2.2.2) dont seules les bandes α sont ferromagnétiques avec une aimantation dans le plan et perpendiculaire aux bandes. Organisés de la sorte, les domaines magnétiques dans MnAs génèrent un champ de fuite dont l’amplitude est supérieure au champ coercitif de la couche de Fe, ce qui force les domaines magnétiques de Fe à s’orienter dans la même direction que le champ de fuite. En réalisant des cycles thermiques, on peut faire apparaitre puis disparaitre ce champ et renverser l’aimantation de la couche de Fe (voir 2.3.3).
Questions actuelles concernant MnAs
Couplage d’échange avec MnAs
Dans l’étude de Fe/MnAs/GaAs(001), un couplage dipolaire magnétique entre les couches de Fe et de MnAs est observé. Mais l’étude des cycles d’hystérésis en température de ces deux couches (comme on le verra au chapitre 4) montre qu’il peut également exister un faible couplage d’échange entre elles. Néanmoins, c’est bien le couplage dipolaire qui reste prépondérant dans les couches que nous avons étudiées. Pour limiter, voire supprimer, ce couplage d’échange, nous avons tenté d’intégrer une couche tampon de ZnSe entre les couches de Fe et de MnAs, mais aucun des échantillons obtenus ne possédait d’interfaces suffisamment bonnes pour limiter le couplage non dipolaire. La suppression de ce couplage indésirable permettrait d’améliorer la prédictibilité du couplage entre les deux couches (qui se limiterait alors au couplage dipolaire) et pourrait également limiter la dégradation de l’efficacité du renversement parfois observée après de nombreux cycles thermiques.
Épaisseur limite
Les bandes α – β observées dans MnAs/GaAs(001) possèdent sur une grande gamme de température une période d’environ 5eMnAs [36], où eMnAs est l’épaisseur du film de MnAs. L’épaisseur du film est donc un paramètre important permettant de contrôler la période des bandes ou d’autres phénomènes qui en dépendent (comme l’amplitude du champ dipolaire). Il peut donc être intéressant de déterminer l’épaisseur minimale permettant l’apparition de bandes. Des couches de MnAs épitaxié sur substrat de GaAs(001) d’épaisseurs allant de 20 à 180 nm ont été obtenues. Ces croissances montrent qu’aucune auto-organisation en bandes des phases α et β n’est observée lorsque l’épaisseur est inférieure à 40 nm. Les couches de MnAs étudiées dans cette thèse ont des épaisseurs supérieures à 40 nm et forment toutes des bandes. Un autre cas où des couches plus minces peuvent être intéressantes est lorsque l’on étudie l’effet de l’excitation laser femtoseconde à 800 nm de la surface de MnAs/GaAs(001), dont la longueur de pénétration est d’environ 20 nm. L’emploi de film d’épaisseur de l’ordre de la longueur de pénétration est alors préférable afin d’exciter de la façon la plus homogène possible la couche, ce qui simplifie l’interprétation des résultats.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 MnAs et ses applications potentielles
1.1.1 MnAs pour la magnétocalorique
1.1.2 MnAs pour la spintronique
1.1.3 Contrôle thermique du renversement de l’aimantation (TIMS)
1.2 Questions actuelles concernant MnAs
1.2.1 Couplage d’échange avec MnAs
1.2.2 Épaisseur limite
1.2.3 Dynamique de la structure de MnAs
1.3 Organisation de ce manuscrit
2 Propriétés de MnAs et de Fe/MnAs
2.1 Propriétés de MnAs en volume
2.1.1 Propriétés des phases α, β et γ
2.1.2 Transition de phase α – β
2.1.3 Transition de phase β – γ
2.1.4 Facteurs de structure des phases hexagonales et orthorhombique
2.2 Propriétés de MnAs/GaAs(001)
2.2.1 Relations d’épitaxie entre MnAs et GaAs(001)
2.2.2 Coexistence des phases α et β de MnAs
2.2.3 Domaines magnétiques de MnAs
2.2.4 Champ dipolaire de surface
2.3 Propriétés de Fe/MnAs/GaAs(001)
2.3.1 Relations d’épitaxie entre Fe et MnAs
2.3.2 Couplage magnétique entre Fe et MnAs
2.3.3 Renversement de l’aimantation de Fe par contrôle de la température dans Fe/MnAs/GaAs(001)
2.3.4 Renversement de l’aimantation de Fe par impulsion laser
3 Description expérimentale
3.1 Croissance par épitaxie par jets moléculaires de MnAs
3.2 Effet Kerr magnéto-optique
3.2.1 Indice de réfraction d’un milieu magnétique
3.2.2 Effet Kerr magnéto-optique
3.2.3 Montage expérimental MOKE longitudinal de l’INSP
3.3 Diffraction des rayons X
3.3.1 Rayons X
3.3.2 Structure cristalline
3.3.3 Intensité diffractée par un cristal
3.3.4 Diffractomètre de l’INSP
3.4 Mesures sur grands instruments
3.4.1 Diffusion résonnante de rayons X mous
3.4.2 Diffraction des rayons X durs résolue en temps
3.4.3 La ligne CRISTAL à SOLEIL
3.4.4 La ligne XPP du laser à électrons libres LCLS
4 Magnétisme et microstructure dans Fe/MnAs/GaAs(001)
4.1 Contexte et motivations
4.2 Mesures par diffusion résonnante de rayons X mous
4.2.1 Micro-structure de MnAs vue par diffusion résonnante de rayons X mous
4.2.2 Cycles d’hystérésis magnétique de Fe et de MnAs
4.3 Mesures par effet Kerr magnéto-optique longitudinal
4.3.1 Cycles d’hystérésis magnétique par MOKE
4.4 Séparation des contributions magnétiques des couches de Fe et de MnAs
4.4.1 Signal magnétique d’une multicouche magnétique
4.4.2 Cycles d’hystérésis magnétique de Fe et MnAs extraits des mesures MOKE longitudinal
4.4.3 Comparaison des mesures par effet Kerr magnéto-optique et par XRMS
4.5 Effets du couplage dipolaire magnétique sur la couche de Fe
4.5.1 Répartition des domaines magnétiques du Fe dans Fe/MnAs
4.5.2 Estimation du champ dipolaire Hdip
4.5.3 aimantation rémanente et à saturation du Fer et de MnAs
4.5.4 Cycles thermiques à rémanence après saturation à basse température
4.6 Conclusion
5 Conclusion