Le château Pédesclaux est situé dans le vignoble de Pauillac, appellation communale du Médoc, dans le vignoble Bordelais. Le domaine viticole s’étend sur 48ha de terres en AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) Pauillac, dont 43,4 ha sont en production en 2017. Après un passé plutôt productiviste, le château Pédesclaux a été racheté en 2009 par Jacky et Françoise Lorenzetti, qui ont investi dans l’extension de la propriété (passant de 26 ha en 2009 à 48 ha en 2017) ainsi que dans la modernisation des outils de production et de transformation. C’est ainsi que, sous l’impulsion de Vincent Bache-Gabrielsen, actuel directeur, les pratiques culturales ont été profondément modifiées : passage au travail du sol intégral, arrachages et replantation avec un choix mieux raisonné des cépages, clones et porte-greffes, introduction du mode de culture biologique (20% du parcellaire conduit en agriculture biologique), essais en biodynamie, etc. Les travaux à la vigne sont raisonnés et précis : taille guyot double à fenêtres permettant une meilleure aération, semis d’engrais vert, épamprage et effeuillage manuel… Le nouveau chai achevé en 2014 permet la première vinification 100% gravitaire. Ce nouvel outil de transformation permet un travail très précis, puisqu’il laisse la possibilité de séparer les parcelles selon leur qualité. Couplé avec des vendanges 100% manuelles, une sélection intraparcellaire est opérée pour séparer les raisins à maturité plus tardives (bordures de parcelles notamment). De grandes chambres froides permettent de refroidir le raisin durant une nuit afin d’atteindre une température optimale dès son entrée en cuve et d’optimiser le plan d’encuvage des raisins. Un tri manuel est effectué avant et après éraflage, puis les raisins rejoignent des cuves tronconiques en inox pour la fermentation. Le vieillissement en barrique se fait sur des barriques de 2 vins maximum, pour un élevage de 16 mois.
C’est dans cette recherche d’excellence et de complexité des vins produits que le château Pédesclaux s’engage dans la mise en place d’une sélection massale de Petit Verdot, cépage qui est introduit dans le premier vin dans une proportion allant de 4 à 6% selon les millésimes. Ce projet de sélection massale est né de la collaboration entre le château Pédesclaux et le château Bolaire, situé à Macau, propriété où Vincent Bache-Gabrielsen est également consultant. En effet, le parcellaire du château Bolaire comporte 3 parcelles de Petit Verdot plantées en 1939 et 1949, produisant des vins très intéressants. Les plus vieux pieds sont donc encore issus de sélection massale « traditionnelle » et peuvent faire l’objet d’une prospection dans le cadre d’une nouvelle sélection massale.
Les objectifs de cette sélection massale sont d’une part de conserver une diversité intravariétale présente sur la parcelle, mais aussi d’exploiter le potentiel qualitatif de ces vignes. Le Petit Verdot est un cépage qui jusqu’à ce jour n’est disponible que sous deux clones auprès des pépiniéristes viticoles, et une sélection massale permettrait de se démarquer de cette sélection clonale restreinte, en plus des autres avantages que peut apporter la diversité intravariétale. A l’issue de la sélection massale, la population choisie sera diffusée dans plusieurs domaines : les domaines sous la holding Ovalto (Château Pédesclaux et Château Lilian-Ladouys) ainsi que les châteaux de la Société Civile de la Gironville (Château Bolaire, Château Belle-Vue et Château de Gironville).
La vigne est une liane de la famille des Vitacées. On retrouve au sein de cette famille le genre Vitis¸ qui comprend deux sous-genres, Euvitis et Muscadinia. Ce dernier sous-genre comprend une espèce, Muscadinia rotundifolia, qui est la seule autre espèce de la famille qui produit des fruits consommables par l’Homme. Dans le sous-genre Euvitis, on retrouve de nombreuses espèces, notamment les vignes américaines, qui composent une partie des porte-greffes utilisés dans le monde pour leur résistance au phylloxera (Vitis riparia, Vitis berlandieri par exemple). L’espèce qui produit du vin est l’espèce Vitis vinifera, composée de deux sous-espèces, Vitis vinifera subsp. sativa et Vitis vinifera subsp. sylvestris. C’est Vitis vinifera subsp. sativa qui est aujourd’hui cultivée dans le monde pour produire raisins de table, raisins sec et raisins de cuve. (Huglin, et al., 1998) .
Dans les premiers siècles où la viticulture s’est répandue dans le bassin méditerranéen sous l’influence de l’expansion de l’empire romain, le patrimoine génétique de la vigne alors cultivée s’est également répandu. Les vignes autochtones, notamment de type « lambrusques » auraient alors été croisés avec les vignes cultivées, créant de nouvelles variétés. On ne peut pas aujourd’hui rapprocher les variétés de vignes alors cultivées aux cépages modernes, mais plutôt aux vignes sauvages actuelles (Bouby et al., 2013). Par la suite, la multiplication par les viticulteurs selon des critères agronomiques (facilités culturales, rendement, etc.), et œnologiques (sucres et acidité, qualité des vins, etc.) a fait subir aux variétés une pression de sélection au fil du temps. Cela correspond finalement à une sélection massale au sens premier du terme, puisque les viticulteurs prélevaient des boutures des meilleures souches dans leurs parcelles pour les multiplier. C’était donc un groupe d’individus d’une même variété mais qui différaient par leur identité génétique.
La crise phylloxérique de la fin du 19ème siècle a mis un frein à cette pratique chez les viticulteurs, puisque c’est à partir de ce moment-là que le métier de pépiniériste viticole est apparu. Le greffage sur porte-greffe résistant au phylloxera se faisant à partir de ces années essentiellement par les pépiniéristes. Les pépiniéristes continuent de sélectionner de manière régionale les pieds de vigne les plus intéressants, et les revendent en greffés-soudés aux viticulteurs.
A partir des années 1940, la filière viticole fait le constat que la plupart des vignes sont atteintes de virus. Une grande campagne de sélection massale est alors organisée dans les années 1950 par l’Institut des Vins de Consommation Courante afin de sélectionner les pieds selon leur état sanitaire et leur rendement. Cela entraîne une certaine érosion génétique, puisque seuls les clones sains et productifs sont gardés, sans distinguer leur potentiel qualitatif. C’est à partir de cette période que l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) initie son programme de sélection clonale. (Dufour, 2003) .
Pour faire face aux problèmes sanitaires liés aux virus, l’INRA met en place dans les années 1960 le modèle de sélection clonale. Cette démarche a aussi été catalysée par l’intense épisode de gel hivernal de février 1956 qui a entrainé des pertes considérables dans les vignobles, augmentant la demande de plants auprès des pépiniéristes viticoles. Le modèle de la sélection clonale s’est matérialisé par la création en 1962 de l’ENTAV (Etablissement National Technique pour l’Amélioration de la Viticulture) . Suite à la prospection massive d’accessions dans des parcelles «réservoirs », cet établissement a pu mettre en place un conservatoire national du matériel initial des clones sélectionnés de l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin). Ce conservatoire se situe au Domaine de l’Espiguette, au Grau du Roi (30), dans une zone littorale sableuse idéalement choisie pour que les nématodes ne survivent pas et ne contaminent pas le matériel végétal avec les virus. Ainsi, après leur introduction dans le conservatoire de l’ENTAV, certaines « têtes de clone » (appelé matériel initial) ont été agréées après étude de leurs caractéristiques agronomiques, technologiques et œnologiques. Cet agrément se base également sur une analyse virologique qui permet de déterminer si le clone est sain, et donc apte à être multiplié. Les premiers clones agréés ont été diffusé à partir de 1971. (Audeguin, 2000) Cette première série de clones avait pour objectif premier la recherche, dans des « types standards du cépage », de clones sains et garantissant un niveau de production correct et régulier. Il est à noter que chaque agrément de clone peut durer de 10 à 12 ans, puisque cela demande une analyse agronomique, technologique et œnologique sur plusieurs années afin de lisser l’effet millésime et d’étudier la répétabilité de ces caractéristiques.
A la fin des années 1970, d’autres conservatoires se sont mis en place à l’échelle régionale et rassemblent des clones présents ou absents du conservatoire national. Cela permet de le compléter à l’échelle régionale. Aussi, c’est au sein de ces conservatoires qu’ont été réalisées les sélections clonales desquelles découlent les clones adaptés à des demandes régionales pour tel ou tel cépage. On trouve aujourd’hui plus de 150 conservatoires régionaux gérés par les centres de l’INRA ou des partenaires régionaux comme les chambres d’agriculture ou des syndicats. Une seconde génération de clones est née à partir des années 1990 pour répondre à une demande croissante de la filière pour des clones plus qualitatifs (potentiel polyphénolique accru, complexité aromatique plus élevée, baies plus petites, etc…) et mieux adaptés à certains terroirs. Cela a aussi permis de réduire un point incontestablement négatif de la sélection clonale : la diminution de la diversité variétale du vignoble français. En proposant de nouveau clones, le but a aussi été d’augmenter la diversité intravariétale. (Lacombe, 2004) Ainsi, aujourd’hui, 130 clones par cépages sont en moyenne conservés dans les différents conservatoires en France. (Lacombe, 2004) .
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Table des matières
Introduction
Etude bibliographique
1.1. Taxonomie de la vigne
1.2. La sélection variétale avant 1950
1.3. La sélection clonale en France
1.3.1. L’ENTAV et le conservatoire national : clones de « première génération »
1.3.2. Les conservatoires régionaux : clones de « seconde génération »
1.3.3. Le protocole de sélection et de diffusion
1.4. La sélection massale
1.4.1. Principe de la sélection massale
1.4.2. Intérêts et limites de la sélection massale
1.4.3. Vision et pratique de la sélection massale aujourd’hui
1.4.4. Des sélections massales
1.4.5. Les étapes de la sélection massale
i. La prospection
ii. L’analyse de l’état sanitaire
iii. La multiplication et la plantation
1.5. Le Petit Verdot, un cépage bordelais peu répandu
1.5.1. Caractéristiques du Petit Verdot
i. Caractéristiques ampélographiques du Petit Verdot N
ii. Caractéristiques culturales du Petit Verdot N
iii. Caractéristiques œnologiques du Petit Verdot N
1.5.2. Histoire et évolution du Petit Verdot
i. Origine et histoire du Petit Verdot
ii. Le Petit Verdot N, un cépage archaïque
iii. Le Petit Verdot N aujourd’hui
Matériel et méthode
2.1. Matériel végétal étudié
2.1.1. Description générale des parcelles sources
i. Position géographique et historique de la parcelle
ii. Pédologie de la parcelle
iii. Organisation et mode de culture des parcelles sources
2.1.2. Description du millésime
2.2. Dispositif de sélection
2.2.1. Définition des objectifs de sélection
2.2.1. Cartographie des individus sources
2.2.2. Pré-sélection des pieds
2.2.3. Considération génétique des individus
2.3. Schémas de sélection envisagés
2.1. Critères de sélection étudiés
2.1.1. Limitation du nombre de critères
2.1.2. Critères phénologiques
Conclusion
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