Mise en place d’un dispositif LMOOC d’enseignement-apprentissage des langues

Depuis plusieurs années déjà, l’enseignement des langues dans les établissements supérieurs s’inscrit dans un mouvement d’adaptation aux usages des apprenants et aux modes de formation émergents. Ce phénomène se traduit par une articulation des enseignements en présence et à distance. C’est dans un champ qui interroge la mise à disposition des Technologies de l’Information et de la Communication pour l’enseignement-apprentissage d’une langue que nous avons choisi d’ancrer notre objet de recherche. Notre pratique et notre recherche s’associent à la réflexion engendrée par le monde numérique dans le domaine de la didactique des langues. Nous avons l’intention de contribuer aux débats sur l’apport et l’efficacité des technologies pour l’apprentissage des langues.

L’évolution rapide des modes d’apprentissages en phase avec celle de la société du numérique conduit les enseignants à remettre en question les modèles des relations pédagogiques. Pour renouveler les pratiques, l’une des voies consiste à chercher à théoriser la conception, la diffusion et l’évaluation des dispositifs d’apprentissage sans se limiter à l’étude des usages des technologies. Le cheminement entre théorie et pratique que nous avons suivi dans notre étude est ainsi avant tout alimenté par une curiosité sur le fonctionnement du langage. Il est ancré dans une situation d’enseignement-apprentissage du français. Si dans le domaine de la didactique des langues, il est généralement d’usage d’établir une distinction entre le Français Langue Etrangère (FLE) et le français tel qu’il est enseigné à des apprenants dont c’est la langue initiale, le contexte social dans lequel se situe notre travail, nous amène plutôt à envisager le français en tant que langue additionnelle (LA) et non pas en tant que Français Langue Etrangère (Douglas Fir Group, 2016 cité par Narcy Combes & Narcy-Combes, 2019).

La terminologie de la langue additionnelle s’applique, en effet, à l’apprentissage d’une langue qui s’ajoute à une langue initiale. Elle souligne ainsi le positionnement relatif de cette langue dans le répertoire langagier des apprenants et rejoint dans notre recherche, une même conception de la langue et du plurilinguisme.

Elle positionne donc l’enseignement-apprentissage du français en relation avec une politique des langues, un contexte et « non plus tel qu’en lui-même » (Coste, 2005, p.2). L’apprentissage du français en tant que langue additionnelle fait appel de manière consciente ou inconsciente à des ressources plurielles qui fonctionnent selon un système adaptif complexe (Larsen-Freeman, 1997 ; Larsen-Freeman & Cameron, 2008 ; Beckner et al., 2009). La langue additionnelle n’est donc pas une nouvelle entité, mais un composant qui s’ajoute au système pluri/multilingue. Il se crée alors un nouveau système qui interagit avec ce qui a été auparavant acquis (de Bot et al., 2013). Il est en interaction avec les ressources culturelles et matérielles de l’environnement au sens large. Ce positionnement délibéré sur la langue et sur le développement langagier sert de fil conducteur à notre réflexion didactique dans l’ensemble de cette étude.

Positionnement épistémologique 

Notre réflexion épistémologique identifie les connaissances scientifiques susceptibles d’être convoquées par les sciences de l’intervention en didactique des langues. Pour structurer et accompagner notre action, nous avons choisi des domaines de référence cohérents avec notre objet de recherche et une méthodologie pertinente au sein de notre environnement social. Nous avons donc inscrit la construction de notre objet d’étude dans des équipes de recherche identifiées et plus précisément dans les résultats de l’activité scientifique du DILTEC et du CRINI. Les travaux de recherche de ces deux laboratoires proposent un ensemble de paramètres reliant théorie et pratique pour élaborer, comprendre et analyser de manière rigoureuse des dispositifs de grande envergure comme le nôtre. Pour interroger les domaines de référence, nous assurer de la complémentarité des approches et questionner leur validité, nous nous sommes, parallèlement, basée sur les propositions de Lakatos (1970) sur le fonctionnement d’un programme de recherche. Les lois méthodologiques qui constituent ce programme (Lakatos, 1970, p. 132, notre traduction  ) nous « indiquent, pour certaines, les voies de recherche à éviter (heuristique négative) et les voies à suivre (heuristique positive) » Suivre le fonctionnement d’une programmatique de recherche dans le positionnement que nous avons choisi consiste principalement à ajuster les voies à suivre dans notre étude. Par ailleurs, comme notre recherche a pour objectif de comprendre et d’expliquer des situations d’apprentissage appelées à évoluer selon les besoins des apprenants et à en tenir compte, nous l’avons assise dans un large ensemble de domaines de référence. Leur complémentarité, qui naît du terrain, est assurée, à la fois, par son ancrage dans une programmatique de recherche et par une didactique de l’intervention. De fait, notre positionnement nous situe dans le paradigme de la complexité. Les théories des systèmes dynamiques (Larsen-Freeman, 1997 ; Herdina & Jessner, 2018 ; McWhinney & O’Grady, 2015) nourrissent nos réflexions épistémologiques puisque nous nous intéressons aux processus et aux mécanismes du fonctionnement langagier. Nous y reviendrons plus en détail dans le paragraphe 2 de cette partie introductive.

Recherche-intervention en didactique des langues 

Dans le MOOC, nous gérons la création et l’organisation du dispositif d’apprentissage, la régulation des interactions sociales et l’évaluation des résultats. Nous nous situons donc dans l’intervention. Dans le processus de recherche intervention comme dans celui de la recherche action, l’enseignant réfléchit à son action, entre engagement et distanciation scientifique, en mobilisant ses connaissances de manière délibérée (Narcy-Combes, 2001, p.1). Le renouvellement et l’ajustement des actions alimentent la réflexion sur l’action qui, associée à la pratique, permet la théorisation. De même, se retrouvent aussi dans l’intervention, la distanciation scientifique de la pratique enseignante pour l’évaluation de la pertinence et des résultats des modifications des actions. Dans la recherche intervention néanmoins, l’immersion du chercheur dans son étude lui permet de comprendre la nature des modifications et des actions à visée de changement. L’enseignant se retrouve dans une dynamique double et symétrique des rôles de chercheur et de praticien (Clerc, 2015). La recherche-intervention est, par conséquent, un mode d’investigation scientifique qui s’enrichit de l’insertion du chercheur dans le contexte social de son étude de manière collaborative (Clerc : p.76- 77) et de l’empathie qu’il a pour son terrain. Pour Mérini & Ponté (2008) la spécificité de la recherche intervention se situe du point de vue de son processus. Celui-ci passe par une problématisation, c’est à dire l’identification du problème, son analyse avec une visée de résolution et de transformation. Le processus de changement est donc ce qui amène le chercheur en intervention à réfléchir sur son propre système d’action (Tochon & Miron, 2004 ; Duchesne & Leurebourg, 2012). En résumé, le chercheur en intervention intervient dans l’action et dans les pratiques problématiques (Paillé, 2004). Dans ce sens, la recherche intervention rejoint les propositions initiales concernant la Recherche Action de Lewin (1946) pour les rôles et les contributions de l’action dans le développement de l’action.

Processus de la recherche intervention 

Notre choix du processus de la recherche intervention tient à sa capacité de conjuguer action et transformation. Son intérêt réside dans l’articulation entre pratique et recherche et plus particulièrement à la place qui est accordée à l’observation et à l’action. Grâce à son immersion dans le contexte de sa recherche, l’engagement du chercheur en intervention est implicitement fondé sur une subjectivité assumée et explicitée (Clerc, ibidem). De fait, en opposition à un certain formalisme, ce positionnement à l’égard de l’objet de recherche se base sur l’idée qu’il n’existe pas de « vérité scientifique qui soit isolée du contexte » (Clerc, ibidem, p.77). Un recul épistémologique sera nécessaire pour assurer à cette forme de subjectivité et à l’empathie du chercheur, la scientificité de l’analyse des données et des transformations. Carrier et Fortin (2003, p.176) cités par Duchesne & Leurebourg (2012) définissent le processus de la recherche intervention « comme une collecte et une analyse systématique d’information concernant une réalité particulière de la pratique ». L’interprétation des données et de leur lien avec la pratique occupe donc une dimension importante. Pour assurer le traitement efficace des informations collectées, Merton (1938, 2004) cité par par Namian & Grimard (2013) soutient que la notion de sérendipité comporte pour le chercheur, une portée épistémologique et heuristique. La sérendipité revient en quelque sorte à chercher les données qui émergent du terrain à l’aide d’une démarche ouverte à des éléments parfois négligés par une norme rationaliste ou par un formalisme strict (d’Iribarne, 2013). Si par ellemême la sérendipité ne produit pas de découvertes, elle donne des occasions de le faire car elle renvoie le chercheur vers un réajustement de ses représentations et vers une réflexion sur ses référentiels théoriques (d’Iribane, ibidem.). Elle assure la complémentarité de la collecte des données et de l’activité de théorisation pour l’action. Ce double positionnement, dans une programmation scientifique d’observation, de lecture de phénomènes sociaux inattendus avec une visée à la fois compréhensive et interprétative nous conduit à retenir que le processus de recherche intervention est aussi un mode d’investigation (Clerc, ibidem). Ce dernier incite le chercheur en intervention à ajuster le prisme par lequel il accueille et exploite des découvertes inopinées et le dispose à une réorientation de ses objectifs de recherche ou à la découverte de nouveaux résultats (Genette, 2012, p. 238 cité par Wyart & Fait, 2013 ; Namian & Grimard, 2013). Par ailleurs, il existe une complémentarité entre une approche écologique, la démarche compréhensive et le processus de la recherche intervention tel que nous venons de l’aborder. Comme cette manière de procéder est ouverte à l’imprévu, elle amène le chercheur à penser la relation compréhensive et subjective qu’il entretient à l’égard de son terrain et à en affiner l’interprétation. Ce mode d’investigation présente un intérêt certain pour le domaine de la didactique des langues.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
Introduction et partie I (Liste des principales abréviations)
Partie II et partie III (Liste des principales abréviations)
Partie IV et conclusion (Liste des principales abréviations)
SOMMAIRE
PRESENTATION DE LA RECHERCHE
INTRODUCTION GENERALE
Terrain analysé
Dispositif analysé
Plan de la recherche
1. POSITIONNEMENT EPISTEMOLOGIQUE
2. RECHERCHE-INTERVENTION EN DIDACTIQUE DES LANGUES
2.1 Processus de la recherche intervention
2.2 Recherche intervention en didactique des langues
2.3 Posture compréhensive
2.4 Recul épistémologique
2.5 Paradigme de la complexité
3. Questions de recherche
Synthèse
PARTIE I : CADRE INSTITUTIONNEL ET CONTEXTE DE MISE A DISPOSITION DES MOOC ET DES LMOOC
Introduction
1. Emergence des MOOC
1.1 Définition des MOOC
1.2 Rappel historique de l’émergence des MOOC en France
2. Description du contexte de mise en place des MOOC
2. 1 Contexte institutionnel
2.2 Missions principales des universités
2.2.1 Orientation, formation initiale et formation continue
2.2.2. Coopération internationale et internationalisation des formations
2.2.3. Diffusion de la culture humaniste et évolutions des modes d’apprentissage
En résumé
2.3. Organisation des enseignements en contexte institutionnel
2.3.1. Massification
2. 3. 2 Gestion des apprentissages et modèle industriel
2.3.3. Modèle industriel de formation à distance
2.3.4. Organisation et formes de médiation dans l’enseignement à distance
En résumé
2.4 Implantation des MOOC en contexte institutionnel
3. MOOC, limites du format
3.1 Différents types de MOOC
3.1.1 xMOOC et cMOOC
3.1.2 cMOOC et connectivisme
3.2 Catégorisation des formats des MOOC et diversité des dispositifs
3.5 Spécificités des MOOC : FOAD et MOOC
3.6 Engagement et abandon dans les MOOC
3.6.1 Taux d’abandon
3.6.2 Abandon, motivation et persistance : une mise en regard
En résumé
3.7 Rôle et influence des plateformes de MOOC
4. Bilan des questions soulevées par la mise à disposition des MOOC
En résumé
5. Caractères spécifiques des LMOOC
5.1 Éléments de définition d’un LMOOC
5. 2 Effets du format des MOOC sur l’apprentissage des langues
5.2.1 Massification et enseignement d’une LA dans un LMOOC
5.2.2 Massification, médiatisation et médiation dans un LMOOC
5.2.3 Contraintes technologiques des plateformes dans la conception d’un scénario pédagogique
dédié à l’enseignement d’une LA
a. Modèle standardisé et gestion du grand nombre
a. Modèle standardisé de gestion de contenus
b. Types de rétroaction automatique et rétroaction humaine
5.3. Évolution du nombre de LMOOC
5.4 Exemples de LMOOC et de scénarii pédagogiques
5.4.1 Ajustement des objectifs et du scénario pédagogique à un enseignement de LA
5.4.2 Ajustement de la plateforme à un enseignement de LA à l’aide des TIC
5.4.3 Gestion des contraintes de la massification et de l’industrialisation
5.4.4 Approche pédagogique de l’apprentissage de LA
En résumé
6. Contexte du MOOC
6.1 Données sur les inscrits du MOOC
6.1.1 Données socio-démographiques des répondants inscrits au MOOC
6.1.2 Situation des répondants inscrits au MOOC
6.2 Résultats des questionnaires : intentions et motivations de suivi du MOOC
En résumé
6. 3 Bilan des réponses aux questionnaires de début de cours
6.4. Bilan de l’espace des contraintes pour un enseignement-apprentissage de LA au sein des LMOOC
Synthèse
PARTIE II REGARD EPISTEMOLOGIQUE SUR LES MOOC ET POSITIONS THEORIQUES
Introduction
1. Définir la situation d’appropriation d’un LMOOC
1.1 Caractéristiques du contexte d’appropriation d’un MOOC
1.1.1 Apprentissage formel, non formel ou informel
1.1.2 Positionnement des MOOC
1.1.3 Logiques de continuum ou d’hybridation, apports des recherches sur les apprentissages non formels et informels
1.1.3. Apports des recherches sur les apprentissages informels et sur le rôle des nouvelles technologies
1.1.4 Intérêt de la notion d’Environnement Personnel d’Apprentissage (EPA)
1.1.5 EPA, caractéristiques et contre-concept pour la situation d’apprentissage au sein d’un MOOC
En résumé
1.1.6 Autonomie
1.1.7 Autonomie et déterminants environnementaux
Synthèse
2. MOOC, intervention : relier théorie et pratique
2.1 Ergonomie didactique, une approche théorique de l’instrumentation technologique de la situation d’apprentissage
2. 2. Construits fondamentaux et paramètres théorisés
3. Cognition et émotions
3.1 Rôle des émotions
3.2 Motivation et engagement
3.2.1 Apport des études récentes sur la motivation
3.2.2 Motivation et groupe
3.2.3 Engagement
3.2.4 Motifs
En résumé
4. Activité, adéquation entre artefact, utilisateurs, processus et apprentissage de LA
4.1 Les théories de l’activité, de l’action située et de la cognition partagée
4.1.1 Apport de la théorie de l’activité
4.1.2 Entre théorie et pratique : les dimensions de l’action
a. Relation entre action et activité
b. Action et motif
c. Vision holistique du système d’activité
En résumé
d. Apprentissage expansif et dimension collective de l’apprentissage
En résumé
4.2 Théories de la cognition située, incarnée et partagée
4. 3. Théories de la cognition distribuée et de la cognition partagée
4.3.1 Particularités de la théorie de la cognition incarnée, le concept de l’énaction
4.3.2 Théories de la cognition distribuée et de la cognition partagée
4.3.3 Théorie de la cognition partagée
4.4 Apport transdisciplinaire de la TA et de la cognition partagée pour l’apprentissage de LA au sein de l’artefact
Synthèse
5. Concept d’affordance
5.1 Affordance et possibilités d’actions
5.1.1 Affordance et actions
5.2. Dimensions culturelles du concept d’affordance
5.3. Apports des affordances pour l’apprentissage d’une LA au sein d’un environnement numérique
En résumé
6. Socialisation par le langage et pratique
6.1 Socialisation par le langage dans le contexte d’un LMOOC
6.2 Socialisation par le langage, fonction spécifique du langage selon les situations
Synthèse
7. Approches non linéaires et dynamiques de l’apprentissage de LA
7.1.1 Perspectives de la CDST sur le langage, sur les apprenants et sur l’apprentissage de LA
7.1.2 Mesure du développement langagier
a. Engagement
b. Saillance, SPA et PNCA
c. SPA/PNCA et médiation
d. SPA et Language Related Episodes
En résumé
Synthèse
CONCLUSION

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