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Dépouillement et Analyse – Interprétation des données :
Le dépouillement est un prétraitement des informations collectées lors d’une enquête ou d’un vote. Autrement dit, dépouiller c’est séparer, ordonner et classer les données de l’enquête. Le dépouillement est l’étape de la recherche au cours de laquelle l’on fait l’inventaire des résultats de l’enquête afin de répertorier les différentes informations. L’opération a pour but d’identifier, de vérifier, de trier et de classer ces données, afin de pouvoir effectuer des traitements statistiques dans les meilleures conditions de fiabilité et de validité possibles75. Ainsi, en raison de la nature des réponses et des informations qui ont été données par les enquêtés, nous avons procédé au dépouillement des données à travers un codage des informations collectées afin de pouvoir les analyser.
Quant à l’analyse de contenu, c’est l’une des méthodologies qualitatives utilisées dans les sciences sociales et humaines. Elle a pour objectif de recueillir et traiter des données mentionnées dans un texte pour le caractériser ou caractériser son auteur (personne, groupe ou organisation). Une analyse de contenu consiste en un examen systématique et méthodique de documents textuels ou visuels. Dans une analyse de contenu le chercheur tente de minimiser les éventuels biais cognitifs et culturels en s’assurant de l’objectivité de sa recherche76.
D’après Quivy et Copenhoudt77, « la place de l’analyse de contenu est de plus en plus grande dans la recherche sociale, notamment parce qu’elle offre la possibilité de traiter de manière méthodique des informations et des témoignages qui présentent un certain degré de profondeur et de complexité ». Mieux que toute autre méthode de travail, l’analyse de contenu permet de satisfaire harmonieusement aux exigences de la rigueur méthodologique et de la profondeur inventive, deux choses qui ne sont pas facilement conciliables.
Organisation socio-politique du Fuuta-Jaloo:
La société mise en place au Fuuta-Jaloo après la fondation de l’Etat théocratique au XVIIIème siècle, se présente comme très hiérarchisée. Cette hiérarchie, impliquant une division sociale du travail, se traduit dans l’exercice du pouvoir politique et dans la structure de l’habitat108. Au plan politique, l’aristocratie musulmane détenait les pouvoirs politiques, religieux et militaires ; elle se distinguait du reste de la masse musulmane libre par son érudition en matière religieuse, enseignement valorisé dans cet Etat théocratique. Sa participation au pouvoir et notamment aux expéditions militaires lui assurait un pouvoir économique évident découlant en particulier du nombre d’esclaves qu’elle pouvait acquérir lors des différentes razzias ou des djihads.
La séparation des différents lieux d’habitat découle surtout des activités économiques différenciées exploitant chacune les possibilités du terroir. Ainsi, les éleveurs trouvaient leur domaine de prédilection dans les Bowé et s’établissaient par conséquent de préférence sur les plateaux alors que les agriculteurs s’installaient auprès des lieux de culture, sur les fonds de vallées et les pentes.
10-1. Organisation sociale et mode de vie :
S’il est vrai qu’à l’origine l’Islam est la raison d’être de l’Etat du Fuuta-Jaloo, la présence massive des esclaves dans le pays a du être pour quelque chose dans le choix de la religion comme critère fondamental de différenciation sociale. La communauté peule est fortement stratifiée ; si en apparence les rapports entre les différents groupes semblent plutôt simples, la réalité est toute autre car l’individu dans le Fuuta théocratique avait sa place qui était déterminée bien avant sa naissance. C’est cette place, autrement dit le statut social de l’individu qui détermine dans une large mesure le rôle qu’il devait accomplir au sein de la société.
A en croire Mariama1 Diallo, cette réalité est d’ailleurs clairement exprimée par le célèbre proverbe peul qui dit : « Allah tagutun o fonna », c’est-à-dire « Dieu n’a fait que créer tous les hommes sans les mettre au même pied d’égalité109 ». Au Fuuta-Jaloo, la stratification sociale est davantage très prononcée puisque ancrée dans les esprits, les habitudes et les attitudes des Fulbé à cause du caractère rigide de la structure sociale. Cette structure sociale était fondée sur plusieurs clivages qui déterminaient une nette différence entre les musulmans et les non-musulmans (les animistes) : les premiers ayant tous les droits d’un homme libre, contrairement aux seconds qui gardaient le statut servile. Cette distinction conduit à la stratification de la société en deux catégories fondamentales que sont les rimbé désignant la société des hommes libres, et les jiyâbhe désignant les esclaves ou captifs. Chacune de ces catégories sociales avait sa propre hiérarchie interne, reflétant des rapports d’inégalité, de domination et d’exploitation110.
Claude Rivière, examinant la « dynamique de la stratification sociale chez les Peuls de Guinée », a montré que la société du Fuuta-Jaloo précolonial, bien que comportant des nobles, vassaux et tributaires, n’est pas une féodalité de type européen (même si des rapports de domination et d’exploitation existent entre maître et esclave), et ne relève pas du mode de production esclavagiste comme le conçoivent les marxistes111. Hiérarchiquement, l’organisation sociale du Fuuta-Jaloo théocratique comportait les catégories sociales suivantes :
– l’aristocratie musulmane, formée par les descendants des conquérants musulmans peuls et mandé (Maninka, Soninké et Jakanké), et détentrice des pouvoirs politiques, religieux et militaires ;
– la masse musulmane libre, composée d’autochtones convertis (Jallonké et Peuls païens ou Pulii) et autres musulmans allogènes, appartenaient au groupe d’hommes libres et à la communauté religieuse ;
– les gens de caste ou de métiers, constitués par les forgerons, cordonniers, griots, tisserands, bijoutiers, potiers, etc., étaient à la fois objet de crainte et de mépris, qu’ils fussent d’origine libre ou servile à cause de leurs métiers ;
– la classe servile, composée par les esclaves domestiques et les esclaves de « champs ». Les premiers descendaient généralement des anciens habitants du pays et bénéficiaient d’une situation plus enviable car ils ne pouvaient être ni vendus ni échangés. Ils s’occupaient des travaux domestiques et habitaient par conséquent à proximité de leurs maîtres dans un Foulasso ou dans un Marga. Quant aux seconds, ils étaient concentrés dans des villages de culture séparés, appelés roundé, où ils s’occupaient du travail agricole, du bétail (notamment les bovins), et réalisaient l’essentiel des tâches de production. Ils fournissaient, outre leur propre nourriture et celle de leurs maîtres, la totalité des biens destinés à l’exportation : bétail, cuirs secs, riz, caoutchouc, cire, sésame112, etc.
Ainsi, la nature de la stratification sociale procédait des catégories sociales où se composaient entre les individus les rapports esclavagistes, féodaux, lignagers, de caste et d’ordre d’un type particulier, conférant du coup à la société du Fuuta son cachet original. La production sociale était le fait des groupes dominés, mais le contrôle de cette production par les groupes dominants s’effectuait non par l’appropriation des moyens de production essentiels, mais par l’intermédiaire des liens politiques et socio-juridiques : esclave ou artisan de caste au service du suzerain. Au niveau inférieur de la société peuhle prédominait une forme de rapports esclavagistes ; au niveau supérieur, les rapports esclavagistes cédaient le pas aux rapports féodaux d’un type particulier sans cependant que les uns et les autres puissent seuls définir l’infrastructure sociale113.
Socialement, les Fulbé se divisent en quatre clans généalogiques que sont : Bah, Barry, Diallo et Sow. Ils sont également repartis en plusieurs sous-groupes, qui se sont constitués au cours du temps et qui sont composés d’individus venant de différents clans : Wolarbhe, Ferobhe, Torobhe, Djelgobhe, Yirdabhe. A un niveau inférieur, les Fulbé se divisent en divers lignages patrilinéaires et en groupes territoriaux ; on distingue également les Fulbé « citadins », qui sont sédentaires, et des Fulbé de « brousse », qui sont nomades ou semi-nomades et qui sont parfois appelés Bororo ou MBororo114. Les Fulbé possèdent un système de valeurs ou un code moral, appelé Puulaku, qui joue un rôle très important dans la définition de leur identité ; ce code valorise le comportement réservé, le contrôle des émotions, le courage, l’intelligence, la liberté de mouvement, l’élevage et l’Islam115.
En définitive, la société du Fuuta-Jaloo au XIXème siècle, était donc une société très structurée, inégalitaire et ségrégative. Le statut social de l’individu était largement dépendant de sa naissance par filiation agnatique. Ses possibilités d’évolution d’une condition sociale à une autre existaient mais demeuraient très limitées. Ainsi, au sein des hommes libres, la mobilité sociale ne s’obtenait que par la guerre et l’instruction en sciences coraniques ; à ce niveau, l’exemple de Cerno Alimou dit le Waliou de Gomba116 est très illustratif. Les serviteurs ou captifs ne s’affranchissaient qu’exceptionnellement, tandis que les artisans étaient pour la plupart prisonniers de leurs castes fermées. Cette stratification sociale est renforcée par le dicton peul « Aduna ko finaatawaa », c’est-à-dire « On naît dans un monde tout fait » ; ce qui traduit le mieux la réalité sociale qui y prédominait117. D’ailleurs, ce dicton était relatif à l’idéologie prônée par la classe des nobles qui se donnait pour tâche de perpétuer la place de chaque groupe dans le processus de production et le statut qui s’attache à cette place. Cette réalité de l’organisation sociale du Fuuta-Jaloo, fut commentée par Claude Rivière à travers la remarque suivante : « Au sein de la communauté peule, les critères politique et idéologique avaient une importance capitale dans la stratification sociale118 ».
Après leur victoire sur les animistes, à la suite du djihad, les Peuls vont fonder un Etat fédéral centralisé et hiérarchisé qui, vers 1880 était devenu « une véritable puissance régionale dont l’influence s’exerçait, semble-t-il, sur au moins une vingtaine de petites chefferies qui l’entouraient et lui payaient le tribut119 ». L’Etat théocratique du Fuuta-Jaloo a été fondé au début du XVIIIème siècle, précisément entre 1727 et 1728, par de pieux musulmans. Vers 1770, les Peuls musulmans avaient instauré une confédération de neuf provinces ou diwé contrôlant les routes Nord-sud et Est-ouest sur une longueur d’environ 300 km120. Les neuf diwé que compte l’Etat théocratique du Fuuta-Jaloo sont respectivement : Timbo (la capitale), Labé, Timbi, Koïn, Koladé, Kèbali, Fugumba, Buriyaa et Fodé-Hadji.
Cette nouvelle société se fonde sur l’intégration de la civilisation pastorale peule et des valeurs culturelles des populations animistes autochtones régies du reste par l’Islam. L’organisation politico-administrative du Fuuta-Jaloo est très hiérarchisée. L’unité de base est la misiidé : gros village centré sur la mosquée et autour duquel se structure la vie politique et religieuse de plusieurs hameaux d’hommes libres (marga) et d’esclaves (rundé).
L’Etat théocratique du Fuuta-Jaloo est dirigé par un Almami élu au sein d’une famille régnante de Timbo (Alfaya ou Sorya) qui exerce héréditairement et de manière alternée cette fonction. L’Almami est assisté d’un conseil des anciens qui le guide et qui participe à la prise des décisions concernant le pays. C’est dire que l’aristocratie politique et religieuse du Fuuta-Jaloo était très compartimentée et marquée par des distinctions hiérarchiques. Ainsi, au sommet de la hiérarchie se trouvaient, par ordre de préséance : l’Almami et sa famille, les chefs de provinces ou diwé et leurs familles, les membres des différents conseils à Timbo et dans les provinces, les ministres et conseillers, les notables et fonctionnaires de la Cour, les représentants de l’almami dans les provinces, etc. A ceux-ci s’ajoutaient les membres éminents de la classe des lettrés jouant les rôles d’imams dans les grandes mosquées, de juges, de secrétaires, d’animateurs de cercles religieux ou de maîtres de grandes écoles coraniques121.
Puis venaient ceux qui constituaient ce qu’on pouvait appeler l’aristocratie moyenne, les lasliibhe, compagnons des membres de l’aristocratie musulmane. Ils ne jouaient pas un rôle politique de premier plan certes, mais ils se remarquaient par leur richesse en esclaves et en bétail, ce qui leur permettait de mener une vie paisible et aisée, sans travail manuel. Par ailleurs, ils jouaient un rôle politique actif au niveau du misiidé, l’unité politique et administrative de base de la théocratie, où ils participaient à la désignation des chefs et pouvaient devenir conseillers. A en croire Gilbert Vieillard, l’aristocratie politique et religieuse aussi appelée aristocratie de la lance et du livre « passait son temps à s’occuper de commandement et de religion (vie de cour, djihad, activités intellectuelles et spirituelles) à l’abri de tout travail manuel laissé aux basses couches de la société comprenant notamment les captifs122 ».
L’étage inférieur des hommes libres était occupé par les laamaabhe ou simples hommes libres. Ils étaient pour la plupart paysans, pasteurs, commerçants et marabouts (la plupart des grands marabouts célèbres sont issus de leurs rangs). Travaillant pour eux-mêmes, ils avaient aussi le droit d’avoir des esclaves, et c’est dans leurs rangs que se recrutaient les soldats de l’armée nationale. Le système fédéral de l’Etat théocratique du Fuuta-Jaloo était équilibré, alliant l’autonomie des provinces à la reconnaissance du pouvoir central de l’Almami à, Timbo, détenu alternativement par un représentant des deux lignages royaux concurrents : les Alfaya, héritiers de l’aïeul fondateur et érudit : Karamoko Alfa, et les Sorya à la tradition militaire et guerrière héritée de l’ancêtre : Almami Sory Mawdho qui avait, au milieu du XVIIIème siècle, restauré le pouvoir.
L’histoire de cette fonction alternée du turban islamique d’« Almami » est celle de la lutte implacable que se livrèrent dès lors les deux grandes familles pour occuper le trône ; car chacun d’entre les deux almami, à son avènement, donnait lieu à une véritable compétition politique et militaire et, s’entourait dans chaque province d’un solide clan de parents et d’alliés. Ainsi, la lutte pour le titre d’almami prit, dans la première moitié du XIXème siècle, un caractère violent. Les guerres civiles, souvent âpres, provoquèrent des rixes et des morts dans la capitale, le massacre ou l’exil d’une partie de la famille royale rejetée qui tramait à son tour des complots pour récupérer le pouvoir123.
Ce n’est que lors du passage d’El-Hadj Oumar Tall à Timbo, en 1841, que les deux familles rivales admettront une alternance plus régulière pour le titre d’almami124. Si dans l’ensemble les almamis du Fuuta-Jaloo opposaient un front commun afin de résister à d’autres royaumes expansionnistes, leur entente masquait de réelles divergences. Les relations entre les deux lignages régnants, bonnes lors de l’alternance entre Ibrahima et Amadu, se dégradèrent sous l’alternance entre Amadu et Bokar Biro, de 1891 à 1896125. D’ailleurs, ces relations entre les familles Sorya et Alfaya s’aggravèrent dangereusement, puisque Amadu et Bokar Biro ne s’entendaient à peu près sur rien.
L’Almami Alfaya, Amadu, âgé et très malade à cette époque, se refusait à un affrontement direct avec les Français, ce qui lui valut d’être considéré comme un homme faible et débonnaire et plutôt favorable aux intérêts de ces derniers. Par contre, le parti Sorya, celui de Bokar Biro qui, depuis longtemps, était déjà militairement plus puissant, plus riche en terres et en esclaves, bénéficiait de la suprématie, car soutenu par la plupart des esclaves, des Mandingues et des jeunes gens issus de familles exclues des charges politiques.
A la mort de l’Almami Sorya, Ibrahima, en juillet 1890, deux de ses neveux, Alfa Mamadu Pathé et Bokar Biro, briguent la succession au sein de la famille Sorya. Après plusieurs contestations, leurs candidatures sont constitutionnellement déposées devant le grand Conseil religieux. En vertu du principe de primogéniture, Alfa Mamadu Pathé (l’aîné) devait être élu mais Bokar Biro, grâce à des complicités au sein du Conseil, obtint le turban. Une querelle s’ensuivit et s’envenima à vive allure. Bokar Biro bénéficiait du soutien du chef de Fugumba, gardien suprême de la loi islamique, il enturbannait les almami. Alfa Mamadu Pathé, quant à lui, bénéficiait de l’appui du chef de la puissante province de Labé, Alfa Yaya, dont il avait épousé la sœur. Cette guerre fratricide et la victoire de Bokar Biro brisèrent l’unité politique du clan Sorya. Finalement, Bokar Biro défit son compétiteur puis l’assassina. C’est dans ce contexte d’un coup de force que Bokar Biro fut porté à la législature à un moment décisif de la crise du pouvoir central au Fuuta-Jaloo126.
Organisation économique et culturelle :
La différenciation en castes professionnelles est l’un des éléments essentiels de la sociologie du Fuuta-Jaloo avant la pénétration coloniale. Presque partout en Afrique soudanaise ou sahélienne, l’exercice de certains métiers était réservé à des familles spécialisées. Parmi les Peuls de race pure, aucun n’appartient à une caste professionnelle ; tous sont cultivateurs ou éleveurs127. Les membres des différents métiers ou groupes castés appartiennent respectivement au groupe ancien des Jallonké (au détriment desquels les conquérants peuls ont conquis les hauts-plateaux) et au groupe Manding qui peuple les régions voisines.
Ce système de différenciation sociale engendrait une spécialisation économique bien marquée ; forgerons, artisans du bois, poètes, musiciens et cordonniers avaient une sorte de monopole sur leur profession, mais étaient de condition inférieure. Outre leur spécialisation technique, ils pouvaient également cultiver la terre. Ils étaient méprisables aux yeux de la masse qui les affublait d’ailleurs du qualificatif de Nyama Kala (expression d’origine maninka qui signifie « brin de fumier ») ; qualificatif qui désignait tous les gens de caste.
Organisation économique et mode de production :
L’économie du Fuuta-Jaloo au XIXème siècle reposait principalement sur l’agriculture et l’élevage ; puis venaient l’artisanat et le commerce. Bien que d’autres activités économiques secondaires (pêche, cueillette, chasse, etc.) y étaient pratiquées, l’essor économique du Fuuta-Jaloo s’est essentiellement construit sur la grande productivité des quatre principales activités que sont : l’élevage, l’agriculture, l’artisanat et le commerce. Ces activités ont permis au Fuuta-Jaloo d’être parmi les régions ou royaumes les plus riches de l’époque.
L’agriculture :
L’observation des traits physiques du Fuuta-Jaloo a permis de mettre en évidence les types de sol disponibles avec leurs aptitudes à l’agriculture. Il en ressort que dans l’ensemble ils sont pauvres au point de vue agricole. De ce fait, les trois quarts, au moins sont constitués de Bowé (cuirasses latéritiques endurcies et stériles) ; néanmoins, la faible partie de terres arables demeure mal exploitée à cause des techniques agricoles et des instruments de travail rudimentaires. Deux formes d’agriculture étaient pratiquées, à savoir : l’agriculture extensive et l’agriculture intensive128.
L’agriculture extensive a pour spécialité les céréales de grande consommation. Les cultures pratiquées dans cette forme d’agriculture sont avant tout le fonio et le riz. Le fonio, céréale peu exigeante, est la culture la plus répandue en raison de la prépondérance des sols pauvres ; cette céréale constitue la base de l’alimentation de la population depuis que celle-ci a élu domicile au Fuuta-Jaloo. Le riz était cultivé en riziculture sèche et était souvent associé au mil. Les cultures secondaires pratiquées dans cette forme d’agriculture sont essentiellement les tubercules (patate douce, taro, manioc, etc.) et l’arachide. Ces tubercules constituent des denrées nécessaires pour la « survie » des populations pendant les périodes de disette ou en temps de famine, lorsque les récoltes de céréales ont été mauvaises.
La deuxième forme d’agriculture pratiquée, l’agriculture intensive, se fait dans les villages autour des cases. Elle est la spécialité des femmes, contrairement au ngessa (champ des Fulbé) inhérent à l’agriculture extensive qui fait davantage appel aux hommes, particulièrement les esclaves, comme main-d’œuvre129. Dans le massif du Fuuta-Jaloo, l’essentiel de la main-d’œuvre agricole était assurée par les hommes de condition servile. Néanmoins, il y avait des Fulbé qui n’avaient pas les moyens de s’acheter des esclaves pour faire face aux travaux agricoles pénibles : ceux-là travaillaient dans leurs champs suivant un collectivisme agricole traditionnel appelé kilé. En dépit de la diversité des cultures et de leurs étendues, l’agriculture du Fuuta-Jaloo n’avait pas dépassé encore le stade d’une agriculture de subsistance. Non seulement le caractère rudimentaire de ses moyens limitait ses résultats, mais elle était fortement dépendante des aléas naturels.
MISE EN PLACE DE L’ADMINISTRATION ET DE LA POLITIQUE FISCALE COLONIALE AU FUUTA-JALOO (1896-1958) :
Dans ce troisième chapitre, nous tentons d’expliquer les transformations politiques (ou administratives) et économiques (ou fiscales) qui restent très visibles au Fuuta-Jaloo depuis le choc colonial. Ce chapitre sera également l’occasion de dresser un bilan historiographique plus ou moins récent sur les facteurs politico-économiques à l’origine du Changement social au Fuuta-Jaloo, afin de mieux situer nos travaux dans les chantiers de la recherche contemporaine. Il faut alors s’interroger sur la perception qu’avaient les Occidentaux des institutions politiques et économiques des sociétés locales africaines en général et du Fuuta-Jaloo en particulier, en décidant d’aller à leur contact.
La conquête coloniale fut fatale à la plupart des royaumes ou empires africains153. Elle eut lieu durant les dernières décennies du XIXème siècle, pour une bonne partie de l’Afrique noire. Elle fut violente dans certaines régions et pacifique dans d’autres. Au Fuuta-Jaloo, elle commença pacifiquement par voie diplomatique, à travers la signature d’un ensemble de traités entre les Almami et les mandataires de la France impérialiste, entre 1881 et 1895154. Une année après, la France employa la voie de la violence à travers sa force militaire, lors de la bataille de Poorèdaka en Novembre 1896, afin de réduire l’autorité des Almami et de mettre fin à l’autonomie du Royaume théocratique du Fuuta-Jaloo. Le vrai démantèlement se produisit un peu plus tard entre 1897 et 1930 environ155. Ce démantèlement de l’aristocratie musulmane peule atteindra définitivement son apogée sous l’effet des stratégies politiciennes du PDG (Parti Démocratique de Guinée) d’Ahmed Sékou Touré, de 1945 à 1958 et bien au-delà. C’est ce que nous allons tenter d’expliquer dans les lignes qui suivent.
En poursuivant le démantèlement de la politique et de l’aristocratie musulmane peule, l’administration coloniale entreprit une série de réformes économiques et fiscales afin d’asseoir son emprise économique au Fuuta-Jaloo à travers l’instauration obligatoire de l’impôt de capitation, la monétarisation de l’économie et des échanges, le développement du commerce et des échanges, la construction des voies de transport (routes, chemin de fer), la création et le développement des marchés à l’intérieur du Fuuta-Jaloo, etc.
Pour développer ce chapitre, plusieurs ouvrages d’auteurs connus, de monographies ou de comptes-rendus économiques d’administrateurs coloniaux ont guidé notre argumentation dans l’objectif de rendre compte, de manière heuristique, des facteurs politiques et économiques nouveaux qui bouleversèrent l’ordre politico-économique établit au Fuuta-Jaloo. Au nombre de ces auteurs, nous avons entre autres : Jean Suret-Canale156, Ismaël Barry157, Michel Crespin158, Thierno Mamoudou Bah159, John Frederick Straussberger160, etc. Egalement, les sources d’archives à travers les séries politiques et économiques 1D, 2D, 6D, 1E, 1G, 2G, 7G, 17G, K8 et K20, 1Q, etc. viendront compléter notre analyse.
9. Réorganisation politique et administrative du Fuuta-Jaloo :
Le royaume théocratique du Fuuta-Jaloo a été fortement ébranlé depuis le choc colonial au lendemain de la victoire militaire française de Poorèdaka ; il fut secoué du coup par de profonds changements qui sont progressivement intervenus dans son système politique et administratif. Le traité de protectorat, établi le 6 février 1897 avec les Almami du Fuuta-Jaloo (Oumarou Bademba et Sori Elili), déclare dans son article 2 : « La France s’engage à respecter la constitution actuelle du Fouta-Djallon. Cette constitution fonctionnera sous
l’autorité du gouverneur de la Guinée, et sous le contrôle direct d’un fonctionnaire français qui prendra le titre de résident du Fouta-Djallon161 ».1
Démantèlement de la chefferie traditionnelle et stratégie de propagation politique du PDG au Fuuta-Jaloo :
Sur les traces de l’administration coloniale, entre 1945 et 1961, le PDG (Parti Démocratique de Guinée) prendra le relais du démantèlement de la chefferie traditionnelle et de la réforme administrative au Fuuta-Jaloo en menant une lutte politique implacable contre les leaders politiques peuls et les élites de l’aristocratie musulmane peule. Les partis politiques de l’époque, à leur tête le PDG, ont engagé avec les Peuls un débat sur l’héritage des hiérarchies sociales au Fuuta-Jaloo, sur l’autorité de la chefferie « traditionnelle » et sur la position de la société du Fuuta-Jaloo au sein d’une Guinée « moderne ». Cette lutte symbolique était complétée par les différentes stratégies de construction de solidarités politiques du PDG, animées par des aspirations territoriales et par une conception uniforme de l’espace politique, et par le BAG (Bloc Africain de Guinée), le DSG (Démocratie Socialiste de Guinée) et l’AGV (Amicale Gilbert Vieillard) qui étaient quant à eux enracinés dans une dynamique coloniale différente174.
L’analyse de l’histoire des mouvements politiques alternatifs revêt une importance accrue lorsqu’on reconnaît que la décolonisation en Guinée et ailleurs en Afrique ne consistait pas uniquement à renverser l’État colonial. Cette période a été particulièrement marquée par une concurrence parfois violente entre des partis politiques rivaux centrés notamment sur la région du Fuuta-Jaloo. De plus, les luttes autour des idées sur la « société foula » ont sensiblement changé, ne se concentrant principalement que sur l’institution de la chefferie coloniale. Malgré tout, le débat sur la « situation particulière » du Fuuta-Jaloo et la lutte pour l’héritage du contrôle de la région continueront cependant de dominer la politique guinéenne jusqu’à la fin des années 1960 et 1970175.
Lutte politique et débat sur la chefferie traditionnelle :
La période de 1945 à 1954 a été marquée par une politique menée par les leaders politiques et le rôle central joué par les chefs traditionnels dans la sélection et le soutien des candidats. Au cours de cette première période de la vie politique guinéenne, près de 75% des délégués à l’Assemblée territoriale guinéenne étaient issus principalement de familles d’aristocrates, un nombre qui, avec le Niger, dépassait de loin les représentations du chef traditionnel dans tous les autres territoires de l’AOF176. Cependant, la domination politique de la chefferie traditionnelle a en partie jeté les bases de sa propre destruction. Tant de fils et de frères des chefs traditionnels, membres de l’Assemblée territoriale, ont poussé au premier plan de la scène politique nationale l’institution coloniale pourtant décriée par les partis politiques ; une visibilité qui deviendra plus tard un handicap pour leur représentativité politique.
Avec l’instauration de la Quatrième République française, de nouvelles élections eurent lieu pour les deux représentants de la Guinée auprès de l’Assemblée nationale française. En tant que député, Yacine Diallo177 a soutenu une série de lois visant à renforcer le soutien de l’élite du Fuuta-Jaloo. En 1946, il a parrainé un projet de loi qui étendait les droits de vote à une population plus large, notamment aux personnes alphabétisées en arabe, compte tenu de la généralisation de l’éducation islamique parmi les élites du Fuuta-Jaloo178. En 1947, Yacine Diallo présenta également un projet de loi179 visant à « clarifier » le rôle des chefs traditionnels d’un « point de vue matériel, moral et réglementaire ». La proposition prévoyait notamment un ensemble de sanctions claires pouvant être utilisées pour lutter contre les excès des aristocrates musulmans.
La résurgence rapide du PDG, à la suite des élections de 1954180, a pris par surprise de nombreuses forces conservatrices de Guinée, dont Barry Diawadou et les chefs traditionnels du Fuuta-Jaloo. Conscient qu’une grande partie de la force de son parti rival provenait de sa capacité à organiser une campagne de masse à la base sur tout le territoire, Diawadou et ses partisans ainsi que des alliés au sein de l’administration coloniale ont créé un nouveau parti politique appelé Bloc Africain de Guinée (BAG), dont l’objectif était de servir de « doppelgänger181 » conservateur face au PDG. Au cours de cette période, le PDG se propage rapidement de l’intérieur de ses bases urbaines à l’intérieur du pays en raison de son opposition à la chefferie traditionnelle.
En dehors de quelques poches de soutien du BAG et du DSG à Conakry et dans ses banlieues, le PDG est rapidement devenu l’organisation politique dominante de la Basse-Côte. En dépit de la résistance de l’Union Mandé, Sékou Touré et le PDG ont réalisé des progrès considérables en Haute-Guinée. En 1956, ce n’est que dans les régions du Fuuta-Jaloo et de la Guinée forestière que le PDG n’est pas complètement installé. Afin de prendre possession de ce que les journaux de propagande du PDG ont appelé le « dernier bastion du féodalisme » en Guinée, la direction du parti a organisé une attaque sur deux fronts au Fuuta-Jaloo182.
D’abord, le parti s’est engagé dans un débat sur les hiérarchies sociales et la chefferie traditionnel afin d’attirer des groupes auparavant sous-représentés en politique, notamment les femmes et les communautés d’ancien statut d’esclave. Eligibles pour les partis politiques, ces groupes étaient particulièrement précieux, car la loi française élargissait progressivement le droit de vote d’un petit groupe de la plupart des élites, à la fin des années 1940, à l’ensemble des citoyens de l’Union française en 1956183. Ensuite, pour mieux organiser de nouveaux groupes d’électeurs et de militants, le parti a déployé des ressources importantes pour étendre la portée du parti et organiser des sous-sections dans autant de villages que possible. On peut retenir que les deux approches sont complémentaires, dans la mesure où elles permettent de centrer les divisions au sein des hiérarchies sociales du Fuuta-Jaloo tout en canalisant l’électorat plus large en une force politique efficace.
Les dirigeants du PDG ont rapidement compris que critiquer la chefferie traditionnelle était une stratégie efficace pour transformer les communautés rurales en de véritables bastions opposés aux élites locales qui sont hostiles au parti. Les chefs traditionnels du Fuuta-Jaloo, supposés être les élites « traditionnelles » les plus enracinées et les plus puissantes, sont devenus les cibles principales de la nouvelle politique du PDG. Si « le parti était en mesure de les saper », expliquaient les dirigeants du PDG, l’aristocratie musulmane en tant qu’institution traditionnelle aurait peu de chance de survivre. Le PDG a dû faire face à plusieurs obstacles avant de gagner le cœur et la confiance des populations du Fuuta-Jaloo184.
Les premières attaques contre le parti visaient principalement ses dirigeants à être fidèles au communisme et à adopter des attitudes anti-religieuses. Reprenant les propos de l’aristocratie peule de l’époque, un journal conservateur écrivait dans ses colonnes : « Si le PDG triomphait, nos mosquées seraient transformées en casernes, la lecture du Coran serait considérée comme une paresse et nos prières comme des occupations inutiles185 ». En réponse, les responsables du PDG se sont concentrés sur les manifestations extérieures de religiosité lors de la campagne au Fuuta-Jaloo. Lors d’un de ses passages à Labé, Sékou Touré a assisté à la prière du vendredi à la mosquée centrale et y a organisé un rassemblement au cours duquel il fait référence à Samori Touré comme signe de la foi islamique, en affirmant que les fidèles musulmans « n’ont pas besoin de croire au gouverneur, car il ne les a pas créés186 ».
Sékou Touré et d’autres cadres du PDG ont également rencontré une résistance significative de la part des élites religieuses du Fuuta-Jaloo. Reflétant l’association pré-coloniale de l’autorité spirituelle et temporelle, de nombreux imams des mosquées les plus importantes et les plus influentes du Fuuta étaient les frères ou les cousins des chefs de cantons187. La stratégie du PDG fut de placer certains membres des familles aristocrates dans différentes structures de l’administration centrale, ce qui a permis au parti de donner une base de légitimité plus large aux familles de l’élite musulmane peule. Une attaque sur une aile était donc une attaque contre la famille dans son ensemble.
La Politique fiscale coloniale et ses corolaires économiques au Fuuta-Jaloo :
A l’issue du projet colonial qui consista à l’intégration du Fuuta-Jaloo dans l’empire français, les administrateurs coloniaux installés sur le plateau foutanien et à Conakry cherchèrent constamment à intégrer la région dans une économie spécifiquement coloniale. L’établissement des marchés, la construction et l’ouverture des réseaux routiers et des voies ferrées, et notamment la mise en place d’un mode d’échange monétarisé, jusque là inconnu au Fuuta-Jaloo, devint le moyen primordial par lequel l’administration coloniale chercha à monopoliser et à orienter l’essentiel des échanges commerciaux vers sa capitale côtière, Conakry. Ainsi, la période de 1905 à 1920 fut celle de la prise en main effective du Fuuta-Jaloo par l’administration française188. Prise en main qui se concrétisa par la démolition des anciens cadres politiques et administratifs, l’élimination des grands chefs traditionnels ou leur subordination intégrale aux représentants du nouveau pouvoir et la mise en place de nouvelles structures entièrement contrôlées par ces derniers.
Sur le plan économique, les nouveaux chefs n’étaient plus que des agents du fisc chargés de collecter l’impôt ; lequel impôt devrait être désormais acquitté en numéraire et non plus en nature comme à l’époque de la théocratie musulmane. Cette situation nouvelle et inattendue, obligea les Peuls à vendre leur bétail, et les plongea dans l’impérieuse nécessité de s’adonner aux cultures de rente dont les colons avaient tant besoin. Cela fut considéré comme le comble de l’humiliation et de la frustration pour des Peuls désormais contraints de se séparer de leurs vaches pour payer l’impôt colonial en numéraire et de se rabaisser à cultiver la terre pour autrui (le colon), du lever au coucher du soleil.
Ces nouvelles initiatives ouvrirent la voie aux Peuls de condition servile, leur permettant parfois de tirer profit d’un secteur économique que l’aristocratie musulmane et les Peuls de statut « libre » ont évité et considéré comme une humiliation. Hormis le Fuuta-Jaloo, plusieurs régions de la Guinée disposaient déjà de leurs marchés bien avant l’imposition formelle du pouvoir colonial, la structure des marchés étant une série d’entrepôts situés le long de la côte et à Kankan au Nord-est de la savane guinéenne189. Il faut souligner que le Fuuta-Jaloo n’avait pas une histoire liée aux marchés et aux transactions commerciales pratiquées par les Peuls à l’intérieur même de la région, bien que ses hauts-plateaux étaient pourtant impliqués dans des réseaux d’échanges commerciaux et d’apprentissage islamique. Le pays n’était donc pas isolé ; cependant, l’activité économique liée aux échanges était toutefois circonscrite à des secteurs spécifiques de la société peule, et interdite aux Peuls qu’ils soient de condition libre ou de statut d’esclaves.
L’instauration obligatoire de l’impôt de capitation :
L’impôt personnel fut officiellement institué au Fuuta-Jaloo par l’arrêté du Lieutenant-gouverneur190 de la Guinée française en date du 28 septembre 1897, dans les conditions prévues par le sommet de Timbo qui s’est tenu le 13 juillet de la même année191. Jusqu’alors, seul le cercle de Faranah, rattaché à la Guinée française par le décret du 15 juin 1896, était soumis à ce régime. C’est seulement l’arrêté du 28 décembre 1897 qui généralisa la mesure à l’ensemble de la colonie en raison de 2 francs par tête, sans discrimination d’âge ou de sexe.
A défaut d’une occupation plus complète du pays qui eut permit le recensement exact des habitants, la perception de cet impôt fut confiée aux représentants des pouvoirs traditionnels (chefs de villages et de provinces) sous le contrôle des administrateurs. En principe, l’acquittement de ce tribut devait se faire en argent ; cependant, en cas d’impossibilité, le contribuable était autorisé à le verser en nature avec des produits du pays déterminés par l’administration. A propos du paiement de l’impôt personnel en nature, un notable du Fuuta-Jaloo nous livre son témoignage : « Avec l’institution obligatoire du paiement de l’impôt personnel, il est arrivé, avant l’utilisation de la monnaie métropolitaine, que l’administration coloniale procéda au recouvrement de l’impôt à travers la fourniture de certains produits d’exportation comme le caoutchouc, les cuirs et la cire192».
Plus tard, des arrêtés du Lieutenant-gouverneur fixèrent le taux des remises accordées dans les différents cercles aux chefs chargés de la perception. Ce fut par exemple, le cas des cercles de Labé, Mamou et Pita dont les remises furent fixées entre 18 et 19 francs en 1933 par le Lieutenant-gouverneur VADIER193. Comme justification apportée à cette institution, l’autorité coloniale avança la nécessité de remplacer l’ancien système fiscal (impôt en nature) jugé « lourd et arbitraire », du moins pour le Fuuta-Jaloo, et en même temps l’obligation de faire participer la population aux dépenses d’administration et d’intérêt général. Il fut estimé, par ailleurs que l’impôt comportait le triple avantage de stimuler la production du pays, d’affirmer la souveraineté française et de favoriser le développement du commerce face à la concurrence des colonies voisines194.
La perception de l’impôt au Fuuta-Jaloo commença symboliquement vers la fin de l’année 1897. Mais le véritable démarrage de cette innovation se produisit en 1898 : les derniers mois de 1897 ayant été surtout consacrés au recensement des cases195. Les chefs de villages ou de misiidé commençaient par dénombrer les cases de leur ressort puis percevaient l’impôt correspondant qui était ensuite centralisé au niveau des chefs de provinces avant d’être versé au représentant de l’administration coloniale. La perception se fit au cours des premières années, tant en argent qu’en nature. Les versements en nature (caoutchouc et bétail surtout) affluèrent jusqu’au moment où l’administration coloniale et les chefs traditionnels constatant l’encombrement et le problème de transport que cela entraînait, exercèrent des pressions sur la population afin qu’elle fasse les acquittements en argent196.
Aux environs de 1904, une appréciation optimiste des capacités de paiement de la population poussa l’administration à élever le taux de l’impôt à 10 F/case, augmentant du coup la charge fiscale déjà considérée comme écrasante par le contribuable. Le prétexte évoqué pour justifier la mesure fut le désir d’assurer aux chefs des ressources suffisantes afin de les empêcher de recourir au pillage pour couvrir leurs besoins. En réalité, il s’agissait simplement d’accroître les revenus de la colonie. Cette attitude fut confortée par les résultats du recensement nominatif de 1904 qui montrèrent que les ressources en bétail du Fuuta (1 bœuf pour 2 habitants à peu près) pouvaient à elles seules financer l’impôt sans mettre en danger l’existence du troupeau.
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Table des matières
PREMIERE PARTIE : Démarche Méthodologique et Présentation générale du FuutaJaloo
CHAPITRE I : Méthodologie et Support documentaire de la Recherche
CHAPITRE II : Le Fuuta-Jaloo à l’ère de la théocratie musulmane, 1727-1896
DEUXIEME PARTIE : Le Fuuta-Jaloo entre pressions administratives et fiscales coloniales et le Changement social, à partir de 1896
CHAPITRE III : Mise en place de l’administration et de la Politique fiscale coloniale au Fuuta-Jaloo (1896-1958)
CHAPITRE IV : Quelques aspects pertinents du Changement social au Fuuta-Jaloo, depuis 1896
TROISIEME PARTIE : Développement du Commerce en Guinée ou Comment les Peuls du Fuuta-Jaloo sont-ils devenus commerçants ?
CHAPITRE V : Le Commerce peul entre pression politique fiscale et opportunités économiques des régimes issus de l’Indépendance Guinéenne (1958-2008)
CHAPITRE VI : Du Pastoralisme au Commerce : Itinéraire historico-économique des Peuls pasteurs devenus commerçants
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES
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