Problématisation de l’objet d’étude
L’environnement et les évolutions de la société influent sur les stratégies élaborées par les organisations. Or, les entreprises se posent aujourd’hui des questions quant à l’intégration d’outils 2.0 et notamment des RSE au coeur de leur système informationnel. Nous avons ainsi voulu nous intéresser à cette introduction d’outils et à en connaitre les conséquences et les relations en matière de pratiques, de déplacement des territoires, de perceptions des enjeux et d’utilisation.
Le choix a été fait de se centrer sur une population nouvelle arrivant dans le monde de l’entreprise. Appelés digital natives, « génération Y » ou encore natifs digitaux, ces individus sont à l’origine de nombreuses publications, avis et controverses depuis la prise d’importance du « phénomène » à la fin des années 90. Par volonté de classification, nous délimiterons cette « population » aux individus nés entre 1980 et 1994. Nous emploierons également les termes de « génération Y » et de « digital natives » selon le contexte définissant cette même catégorie controversée dont nous faisons l’analyse. Le terme « génération Y » étant davantage employé en France.
Cette population caractérisée par un environnement contextuel particulier : ils ont grandi avec les évolutions du numérique, l’arrivée progressive et les évolutions d’Internet et de ses fonctionnalités, est source de questionnements et d’idées reçues observables notamment sur la Toile.
Nous allons chercher à mettre en lumière ici, en quoi l’arrivée des digital natives en organisation peut bouleverser les pratiques, les codes et les politiques stratégiques des entreprises.
Le fil conducteur de cette étude est donc de comprendre l’influence possible des digital natives sur les politiques numériques et les stratégies organisationnelles. Le choix a été fait de s’intéresser à leurs pratiques numériques en milieu professionnel, face aux outils de communication 2.0 et notamment aux réseaux sociaux d’entreprise. L’idée ici, est de discerner les stéréotypes véhiculés par des sites peu renseignés sur le sujet, surfant sur la tendance à de vraies évolutions de pratiques et de comportements qui peuvent être attribuées aux natifs digitaux.
Pour cela nous allons chercher à récolter des résultats d’études sur le sujet, des analyses théoriques d’auteurs spécialisés sur la question et également de mener une étude d’observation par le biais de rencontres avec des salariés Y utilisant ces outils. La finalité de cette démarche sera de dresser des bilans et des diagnostics permettant de répondre à la question suivante :
Dans quelle mesure la catégorie controversée des digital natives, impacte les stratégies numériques en organisations ? L’exemple du Groupe Bureau Veritas.
Notre étude comporte certaines limites. Tout d’abord nous nous attellerons à aborder cette problématique uniquement à l’échelle de la France. Nous utiliserons cependant des études et des rapports pour certains, produits auprès des natifs digitaux anglophones. Nous utiliserons ces résultats pour étudier le cas français, même si il peut exister certaines disparités d’usages entre pays. Une deuxième limite importante est également relative au temps accordé à cette étude. Disposant d’un temps restreint, il n’a pas été possible d’effectuer une importante enquête de terrain auprès de l’organisation étudiée. Ainsi, les résultats et les observations récoltées ne seront pas exhaustifs, mais centrés sur une organisation particulière à un moment donné et auprès de personnes spécifiques. De plus, nous nous attellerons à étudier les digital natives sous l’angle professionnel, c’est-à-dire confrontés au milieu de l’entreprise. Nous n’aborderons pas l’aspect marketing ou éducatif dont ils peuvent également faire l’objet. Enfin, nous avons choisi de prendre en considération l’existence d’une « génération Y », appelant à des pratiques et à des codes qui lui sont propres. Nous prenons en considération les divergences d’avis sur la question de l’existence même d’une telle catégorie (autre que sur des critères « générationnels »). Nous partirons sur une classification des digital natives relatives aux individus nés entre 1980 et 1994.
Méthodologie appliquée
Après avoir mené à bien un stage au sein d’une start up axée sur le développement commercial par Internet et jouant un grand rôle sur les réseaux sociaux (j’occupais un poste de community manager), je me suis interrogée sur les possibles conséquences de cette forte utilisation des réseaux sociaux numériques dans notre quotidien. Je me suis ainsi questionnée sur les stratégies misent en place par les entreprises afin de répondre à ces évolutions de pratiques et d’usages touchant progressivement de plus en plus d’individus. La question s’est ainsi posée : Quelles sont les solutions instaurées par les organisations afin de rester « communicantes » dans un contexte d’innovations permanentes, de concurrence et d’explosion des échanges informationnels.
J’ai ainsi lu l’ouvrage de Ziryeb MAROUF intitulé : Les réseaux sociaux numériques d’entreprise ; Etat des lieux et raisons d’agir (2011), afin de me familiariser en premier lieu avec le thème des réseaux sociaux d’entreprise, représentant un des axes charnière de cette étude. Cet ouvrage m’a permis de comprendre le phénomène de questionnement auquel les entreprises font globalement face aujourd’hui. Quelle est la stratégie optimale à adopter face au développement rapide des réseaux sociaux numériques et des outils collaboratifs sur la toile. Le web collaboratif doit-il entrer en entreprise et quels sont les bouleversements observables ?
De plus, et afin de comprendre et de conceptualiser mes lectures générales sur le sujet des RSE, j’ai également lu l’ouvrage d’Armand Mattelart : Histoire des théories de la communication » (2004), apportant un regard davantage théorique et contextuel aux évolutions numériques actuellement en cours.
L’idée d’axer mes recherches sur une catégorie d’individus est apparue à la lecture d’ouvrages et d’articles publiés sur la web, concernant les digital natives. J’ai trouvé intéressant et judicieuse, la possible corrélation entre cette population entrant progressivement dans le monde professionnel, et la volonté exprimée par certaines entreprises de mettre en place au coeur de leur système informationnel, des réseaux sociaux numériques. L’intérêt ici est de chercher de possibles corrélations, rapports et influences de la part des digital natives et de leurs pratiques numériques associées, à l’encontre des stratégies numériques des organisations.
Afin de définir et de cerner les différentes approches alliées aux digital natives, j’ai lu deux auteurs incontournables sur le sujet. D’une part le très critiqué Mark Prensky, auteur notamment de : Digital Natives, Digital immigrants (2001), à l’origine de la catégorisation même des natifs digitaux, et également l’auteur américaine Danah Boyd, optant pour une vision moins stéréotypée de cette génération. La confrontation de ces deux auteurs ainsi que de nombreux autres m’a permis d’appréhender davantage les contours et les pratiques.J’ai cherché par la suite à adopter une vision plus conceptuelle de la question de l’existence de cette génération, en lisant les théories relatives au contexte sociétal actuel notamment via Bernard Stiegler et Serge Proulx.
Les études que j’ai pu lire concernant l’intégration de RSE soulignent la naissance d’écarts entre les pratiques des utilisateurs par entreprise mais également, au sein d’une même entreprise. Malgré les tentatives et les essais concluants, il revient de manière récurrente que l’introduction d’outils 2.0 en organisation, soulève des problèmes de management, de prise en considération de la parole du salarié d’espionnage ou encore de questionnements sur le territoire numérique des salariés. D’une manière générale, la question de l’intégration des RSE reste en suspens et les entreprises s’interrogent toujours.
Annonce du plan
Dans un premier temps, nous aborderons les digital natives sous l’angle de la construction d’un idéal-type souvent controversé. Nous chercherons à discerner les pratiques et les codes relatifs à cette génération.
Dans un deuxième chapitre, nous traiterons des mutations organisationnelles en entreprise avec notamment l’intégration des réseaux sociaux numérique en interne. Nous examinerons les influences possibles de l’arrivée des digital natives dans le milieu professionnel et l’évolution globale des pratiques des salariés face aux politiques numériques des organisations.
Enfin, dans une troisième partie, on s’intéressera à l’évaluation des politiques numériques des organisations par les natifs digitaux avec notamment une étude menée auprès du groupe international Bureau Veritas. relatifs aux natifs digitaux.
Pratiques générales vues par les précurseurs du sujet
La vision des digital natives selon Danah Boyd
Danah Boyd est professeur à l’université américaine de New South Wales et chercheuse notamment dans le cadre du programme de recherche Microsoft et également maitre de conférences à Harvard. Ses recherches sont axées sur l’étude des médias sociaux, les pratiques de la jeune génération et enfin les tensions existantes entre secteur privé et secteur public, et entre société et technologie. Les études qu’elle a menées vont nous intéresser car elle s’est spécialement intéressée à l’observation des jeunes populations américaines et à leur manière d’être présente dans leur quotidien, sur les réseaux sociaux, les blogs, etc. Très active elle-même sur les réseaux communautaires, elle a co-écrit un ouvrage sur la génération Y et ses pratiques intitulé : « Hanging Out, Messing Around, and Geeking Out: Kids Living and Learning with New Media. ». Son regard d’expert va nous permettre de comprendre et d’appréhender, sous un certain point de vue, les digital natives, leurs caractéristiques et leurs pratiques.
Les pratiques observées des digital natives
Afin de comprendre qui sont les digitals natives commençons par nous demander, quelle est sa définition des digital natives. Selon une interview vidéo postée sur un site en ligne du journal américain Discover Magazine, Danah Boyd explique que, selon elle, les digital natives correspondent à une population férue d’expression et pour qui, s’exprimer via les médias sociaux est aussi naturel que passer un coup de téléphone pour leur aînés. Elle utilise d’ailleurs cette métaphore du téléphone qui devient un outil presque « oublié », lorsque l’on communique en appelant quelqu’un, en comparaison des réseaux sociaux qui seraient aussi naturels d’usage pour les nouvelles générations.
Elle souligne également que lorsqu’ils s’expriment sur les médias sociaux, type Facebook ou Twitter, les digital natives ne se soucient pas des frontières entre groupes d’amis restreints et les « amis d’amis ». Ils cherchent à diffuser une information via leur « mur » ou « wall» d’information et cette diffusion va se faire à la plus large audience possible (selon les critères de sécurité qu’ils ont mis en place sur leur profil). Les digital natives chercheraient donc, selon l’auteur, à entrer en interaction avec leur public « d’amis » ou de contacts, dans un but inconscient ou non de montrer à tous, les liens relationnels qu’ils entretiennent avec leur communauté.
Il semblerait également, que suite à une observation des comportements des digital natives dans leur implication à se fixer des rendez-vous en dehors du « virtuel », ceux-ci seraient moins enclins à parcourir des kilomètres pour rencontrer leurs amis (à l’inverse de leurs aînés comme l’explique dans la vidéo Danah Boyd). Ces caractéristiques et pratiques présupposées appartenir aux digital natives sont le fruit d’une étude d’observation longue menée par la spécialiste auprès d’une population d’étudiants et de jeunes sélectionnés. Nous relativiserons ces propos dans un axe suivant.
Maintenant, il peut être intéressant de souligner la question de l’égalité des individus face aux technologies nouvelles, selon la spécialiste. Déjà même, au sein de notre société en 2012, sommes-nous tous égaux, en matière d’usages et de pratiques, face aux nouvelles technologies ?
Selon Danah Boyd : “Technology does not determine practice. How people embrace technology has less to do with the technology itself than with the social setting in which they are embedded.” Selon la spécialiste des digital natives, les technologies ne font pas les pratiques mais c’est bien l’univers dans lequel nous évoluons qui nous influence. Dans une démarche pouvant s’assimiler à la vision holistique de Durkheim, elle insiste sur l’importance du contexte en expliquant que c’est des facteurs sociaux de notre mode de vie, de notre métier ou encore de nos relations amicales qui influencent nos comportements face aux nouvelles technologies. Le métier exercé par les acteurs, par exemple, peut être créateur de disparités d’usages et introduire le phénomène de fracture numérique que nous verrons par la suite. L’usager va alors avoir, il nous semble, plus tendance à utiliser les smartphones et les tablettes tactiles par exemple, dans le cadre de son usage personnel, si il exerce dans le monde de la communication, du commerce de technologies de pointe ou encore dans le monde scientifique (liste non-exhaustive). Les usages et habitudes qu’il va développer vont alors s’éloigner de plus en plus de ceux n’utilisant pas les outils numériques de manière professionnelle. Le contexte professionnel joue ainsi son rôle dans l’intérêt ou non porté par les acteurs aux technologies 2.0. Cependant, Danah Boyd souligne également que le contexte social et plus particulièrement les relations de sociabilité entretenues en société ont aussi une influence sur nos comportements.
Lorsque l’on évoque le contexte social et en particulier l’environnement amical dans lequel évolue les acteurs, il est question de réseaux sociaux et donc de sociabilité. La sociabilité se désigne selon Mercklé, dans son ouvrage sur la Sociologie des réseaux sociaux comme : « le processus dans lequel les individus occupant des positions différenciées, inégalitaires, s’imposent une relation égalitaire, ce qui les contraint au jeu de la stylisation des relations interpersonnelles » (MERCKLE, 2011, p37). La sociabilité serait alors la confrontation d’êtres hétérogènes aux positions inégalitaires, dans une relation construite et nouvelle leur permettant d’installer entre eux, un certain équilibre leur permettant par la suite de pouvoir construire quelque chose « d’amical ». Selon Mercklé, le degré de sociabilité des individus est mesurable par les loisirs relationnels les conversations, les rencontres etc. Le sociologue spécialiste des réseaux sociaux insiste également sur le fait que le degré de sociabilité des individus dépendrait de critères économiques : « la sociabilité augmente avec le statut social, et ce fait permet de remettre en cause très largement l’image d’une sociabilité ouvrière foisonnantes, tenant lieu de culture spécifique qui ne résiste pas à l’analyse empirique de la sociabilité » (MERCKLE, 2011, p).
Ainsi, si nous croisons cette définition de Mercklé et l’idée de Boyd selon laquelle les pratiques numériques des individus sont influencées par l’environnement amical dans lequel ceux-ci évoluent, on peut dire que les acteurs les plus utilisateurs de technologies 2.0 dans leur quotidien seront ceux qui ont le plus de relations de sociabilité avec l’extérieur. En effet, on peut supposer que si l’on augmente le nombre de chances d’être confronté socialement à un individu déjà pratiquant sur ces nouveaux outils et que celui-ci influence un autre acteur, alors plus on a de chances d’être influencé et plus on a de possibilité de devenir utilisateur nous-même des technologies 2.0. Selon Mercklé : « Il apparait que les jeunes ont une sociabilité à la fois plus intense et plus tournée vers l’extérieur que les plus âgés, à tel point que la sociabilité amicale est aujourd’hui considérée comme une composante fondamentale de la définition des cultures adolescentes (MERCKLE, 2011, p41).
Or on pourrait donc dire que les jeunes de la génération dite née des digital natives (de 1980 à 1994, selon les définitions) sont baignés par les nouvelles technologies d’une part, car ils sont nés et on grandit avec, et d’autre part, car en tant que « jeunes » et être sociable, ils auraient tendance à entretenir grâce à leur socialisation à l’école notamment, plus de relations entre eux.
Cette forte socialisation permettrait le développement et l’inscription durable des pratiques numériques, dans le quotidien de cette population. On peut relativiser cette idée si on estime que l’environnement dans lequel ces individus évoluent n’est en aucun cas confronté à la technologie numérique et aux outils 2.0.
Afin de continuer la caractérisation de ceux qu’on appelle les digital natives, et selon les observations de la spécialiste Danah, Boyd, intéressons-nous à la catégorie même de digital natives et à la possible existence de disparités au sein même de ce groupe.
Pour Boyd, il n’est pas correct de parler d’une catégorie appelée digital natives, car au sein même de ces individus nés sur ce laps de temps donné (personne nées de 1980 à 1994, selon les définitions données), des différences sont observées. Elle met ainsi l’accent sur la question de l’environnement social dans lequel va grandir le jeune. Si les personnes présentent dans l’environnement du jeune ne sont pas confrontées, intéressées ou ne disposent pas des moyens financiers ou techniques nécessaires à l’obtention de ces technologies, alors l’individu ne saura pas se servir ou peu, des outils numériques. Boyd souligne la question des compétences innées et acquises par l’individu lors de l’apprentissage d’une pratique ou d’un outil. Dans le cadre des digital natives, et du fait de leur âge propice à l’apprentissage, il est facile de regrouper dans une même catégorie un groupe de population qui semble relativement « à l’aise » avec les technologies numériques et les réseaux sociaux. Cependant, la question de l’environnement reste importante et créée des disparités au sein de cette génération. Selon Danah Boyd : « There’s an ever-increasing participation gap emerging between the haves and the have-nots. What distinguishes the groups is not just a question of access, although that is an issue; it’s also a question of community and education and opportunities for exploration. » .
La dénomination de digital natives serait donc, selon cette définition, incorrecte puisque on ne pourrait pas parler de groupe ayant des usages similaires et homogènes, répondant à une même communauté de pratiques. En prenant en compte le facteur du degré de sociabilité, de l’environnement éducatif et familial dans lequel vit celui que l’on veut affilier à la génération Y, et par la suite, du secteur d’activité dans lequel il s’inscrit, il semblerait qu’il n’existe pas alors de catégorie aux pratiques homogènes répondant au nom de digital natives.
Même médias sociaux mais pratiques différentes
Alors que Facebook comptabilise aujourd’hui plus de 800 millions de membres actifs et que plus de la moitié de ses membres se connectent tous les jours sur le réseau social, il peut être intéressant de se demander quelles sont les activités occupées sur les médias sociaux par les utilisateurs.
Danah Boyd, dans son analyse des médias sociaux et des populations jeunes souligne encore une fois que le contexte est primordial dans l’interprétation des pratiques numériques des individus. Dans son article « It’s easy to fall in love with technology » (BOYD, 2009), l’auteur souligne que même si les outils sont les mêmes (Facebook, Twitter, les blogs, les wikis, etc.), les pratiques qui vont y être effectuées vont varier selon le contexte dans lequel on se trouve. « We each approach technology based on our own needs and desires and we leverage it to do our bidding. In this way, we actively repurpose technology as a part of engagement such that rarely does one technology fit all. » Ainsi, chaque individu dispose d’une approche des technologies qui lui est propre et il ne semble alors pas judicieux de caractériser une catégorie de population à des pratiques bien définies. Par exemple, dans le milieu scolaire et lors d’exercices sur des outils numériques collaboratifs (prenons par exemple Facebook), Boyd a remarqué que les étudiants devant utiliser Facebook dans le cadre de l’exercice mené en classe, vont avoir un comportement différent de celui qu’ils peuvent avoir lorsqu’ils utilisent Facebook à la maison. Le contexte éducatif dans lequel ils sont lorsqu’ils mènent l’exercice les influencent à créer des relations et à se faire des amis « de classe », dans le but de l’exercice. De telle relations n’auraient peut être pas pu naître si l’exercice aurait été mené depuis le domicile familiale et sans observation du professeur. Cet exemple montre encore une fois que le contexte dans lequel sont utilisés les médias sociaux influence grandement le sens que l’on souhaite leur donner.
Ainsi on a pu observer grâce aux travaux de Danah Boyd, qu’il semblerait erroné de catégoriser trop rapidement les digitales natives comme une population aux pratiques homogènes et répondant à un même ensemble de normes et de codes. La spécialiste des réseaux sociaux numériques et notamment de leur utilisation par les jeunes générations nous invite à nous interroger sur la question du contexte, important, dans la caractérisation des digital natives. Par ces observations de terrain, Boyd a pu conclure que les digital natives ne correspondaient pas tous à la catégorie des individus nés entre 1980 et 1994. L’environnement familial, éducatif, les liens de sociabilité tissés entre ces individus et enfin le lieu dans lequel ils se connectent aux réseaux sociaux, sont des facteurs d’influence de leurs pratiques et de leurs usages.
Les digital natives selon Marc Prensky
Marc Prensky est un célèbre auteur américain, spécialisé sur la question du e-learning. Il a notamment étudié les pratiques des digital natives et est à l’origine de deux compagnies fabricantes des jeux business ou encore appelé « serious game », d’apprentissage, pour les entreprises, les écoles ou même l’armée : Spree Games et Games2train.
Nous allons nous intéresser à son point de vue qui peut être remise en cause, concernant les digital natives afin de comparer ses observations et remarques avec celles des autres spécialistes de la thématique. Ces analyses de discours nous permettrons par la suite dans un troisième point, de dresser un bilan et une analyse des théories et discours sur ceux qu’on appelle les « digital natives ».
Le e-learning et des digitales natives, de Marc Prensky
Spécialisé dans l’apprentissage et l’éducation via les nouvelles technologies et notamment l’aspect « fun » que peut revêtir une méthode d’apprentissage, Prensky avance l’idée que grâce à la démocratisation et à l’usage de plus en plus global des nouvelles technologies collaboratives par les individus, l’éducation et ses méthodes vont être bouleversées. Selon ses propos : « The huge wall which has separated learning and fun, work and play for the last few hundred years is finally beginning to tremble and will soon come tumbling down, to everyone’s benefit. » (PRENSKY, 2001) Il souligne ici que l’écart qui séparait auparavant les méthodes de travail des moyens de se divertir est en train de se réduire et que les termes « jeux » et « apprentissage » sont en phase de devenir cohabitant.
On peut alors s’interroger sur les raisons avancées par l’auteur de cette disparition des frontières et par cet engouement vers « l’apprentissage amusant » et ainsi tenter d’en extraire une définition de sa vision personnel des digital natives. Il semblerait que cette transition vers l’apprentissage via les nouvelles technologies, dans une visée plus ludique serait due à un profond changement des comportements de ceux qui sont en position de recevoir cet apprentissage (les « digital natives »). Ainsi on peut supposer qu’il adopte une démarche se référant à l’individualisme méthodologique de Weber en indiquant que c’est l’individu, par ses pratiques, qui va influencer son environnement et non l’inverse. Selon l’auteur, les méthodes traditionnelles éducatives ne conviennent plus d’une manière optimale à la capacité d’apprendre des élèves qui ont évolués eux-même grâce à leur usage personnel des nouvelles technologies : « The workers of the games generations will no longer accept, attend, or do training that is boring. So we will have to, as businesses, schools and the military are already beginning to do in places, inject fun and games into training.» (PRENSKY, 2001).
Comparaison des deux visions et bilan théorique
Danah Boyd et Marc Prensky sont deux spécialistes et grands producteurs de supports écrits et de vidéos sur les digital natives. La majorité des sources, articles et études sur cette thématique provient du continent américain, j’ai donc trouvé intéressant de comparer les discours de deux « grands » spécialistes du sujet afin de confronter leurs propos. Pour Boyd comme pour Prensky, il existe bien une génération « jeune » qu’ils appellent « digital natives » et qui s’avère avoir des pratiques numériques poussées depuis l’émergence et le développement des médias sociaux dans les années 2000. Alors que Prensky axe sont argumentation autour d’une nouvelle façon de penser des digital natives, qui influerait leur manière d’apprendre, de comprendre, et de réfléchir, Danah Boyd souligne à l’inverse la nuance à apporter en ce qui concerne la catégorisation d’une communauté de « digital », ayant tous les mêmes pratiques et comportements. On peut opposer la vision supposée holistique de Danah Boyd, correspondant à des pratiques dictées par des environnements et par des contextes de situations (l’éducation, la vie familiale, le travail) à celle de Marc Prensky, se ralliant peut-être davantage à celle de Weber et de l’individualisme méthodologique (la société des technologies a influencé intellectuellement et profondément les digital natives).
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Table des matières
INTRODUCTION
I.L’objet de recherche
II.Digital natives et mutations organisationnelles
III.Problématisation de l’objet d’étude
IV. Méthodologie appliquée
V.Annonce du plan
PARTIE 1 : Construction idéale et controverses
Chapitre 1 : La construction idéale d’une génération née 2.0 ?
1.Pratiques générales vues par les précurseurs du sujet
1.1 La vision des digital natives selon Danah Boyd
1.2 Les digital natives selon Marc Prensky
1.3 Comparaison des deux visions et bilan théorique
2.Relativisation de la catégorisation du sujet d’étude
2.1 Les digital natives, utopie de la société informationnelle ?
2.2 Les digital natives sous l’angle de la communauté virtuelle
2.3 Mise en perspective des pratiques numériques des digital natives
2.4 L’appellation « digital immigrants » : regards critiques
Chapitre 2 : Controverses autour des digital natives : de l’éducation au monde de l’entreprise
3.Déconstruction de l’utilisation du terme «digital natives»
3.1.Les digital natives : des « amateurs » placés au rang « d’experts » ?
3.2.Qu’est-ce qu’une fracture numérique ?
3.3.Des digital natives non-usagers ?
4.De la question de l’éducation vers celle de l’intégration en entreprise : l’exemple du serious game
4.1.Approche critique et relative du serious game
4.2.L’émergence des serious games
Chapitre 3 : Mise en perspective du phénomène des digital natives en entreprise
5. Du e-management aux discours sur les digital natives
5.1.Typologie des discours entendus
6.Les digital natives et l’exemple du modèle Google
6.1.Le management « à la Google »
PARTIE 2 : Digital natives et conception des stratégies numériques en entreprises, l’exemple des réseaux sociaux numériques d’entreprise
Chapitre 4 : Les stratégies numériques en organisation
7.Les politiques numériques en entreprise
7.1.Contexte d’émergence et développement organisationnel
7.2.L’intégration d’outils 2.0 : l’exemple des RSE
8.Prise de recul sur l’émergence et l’intégration des RSE
8.1.Une révolution silencieuse ?
8.2.Les RSE : disparités et recomposition organisationnelle
8.3.Des logiques organisationnelles sous tension
Chapitre 5 : La mise en perspective des digital natives dans le monde organisationnel
9.Relativité d’influences et typologie de situations
9.1.Questionnements
9.2.Evolution des territoires numériques et pouvoir relatif des jeunes community managers
10.Confrontation des pratiques générationnelles
10.1.La vision de Margaret Meads
10.2.Influence des digital natives ou construction générationnelle ?
Chapitre 6 : Mise en perspective des Réseaux sociaux d’Entreprise en milieu organisationnel
11. Fonctionnement réticulaire et limites organisationnelles
11.1. Réseaux sociaux numériques et système informationnel
11.2. Facteurs freins à l’utilisation des réseaux sociaux d’entreprise
12. La relativité de la question des digital natives face aux RSE
PARTIE 3 : Confrontation en milieu professionnel : l’exemple du Groupe Bureau Veritas
Chapitre 7 : La représentation des Digital Natives au sein du Groupe Bureau Veritas
13.Zoom sur le lieu d’étude : le Groupe Bureau Veritas
13.1.n groupe international
13.2.Bureau Veritas et le service communication
14.Méthodologies des enquêtes
14.1.Elaboration du panel d’étude
14.2.Catégorisation des managers et salariés
15.Rappel des hypothèses
16.Analyse des données
16.1.Similitudes observées
16.2.Rapprochements théoriques
17.Bilan et remarques
17.1.Une mise en perspective par les managers KM du Groupe
18.Bilan des entretiens
CONCLUSION
Bibliographie
Annexes
Annexe 1 : Enquête sur les représentations managériales
Annexe 2 : Le serious game
Annexe 3 : Etude sur les usages des digital natives
Annexe 4 : Intranet vs Réseaux Sociaux d’Entreprises
Annexe 5 : L’exemple de Yammer
Annexe 6 : Le web 2.0 en 2012 – cartographie
Annexe 7 : Google Trends
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