Un important déclin de la biodiversité a pu être observé durant ces dernières années (Butchart et al., 2010); ce qui a engendré de fortes inquiétudes au sein de la communauté scientifique. En effet, d’après une cinquantaine d’experts qui ont contribué à la rédaction du rapport de 2016 « Planète vivante » publié par le Fonds mondial pour la nature (WWF), la situation est alarmante. Cette analyse qui reprend de grandes études scientifiques publiées sur le thème du déclin accéléré des populations d’êtres vivants démontre notamment une très forte accélération de cette régression pour cinq grands groupes : les oiseaux, les mammifères, les amphibiens, les coraux et les cycadales, une famille de plantes anciennes. De manière générale, le taux d’extinction des espèces est de 100 à 1 000 fois supérieur à ce qu’il était, il y a seulement quelques siècles, avant que les activités humaines ne commencent à altérer la biologie et la chimie terrestre. Cela signifie pour les scientifiques qu’une extinction de masse est en cours, la 6e seulement en 500 millions d’années. Plus précisément, entre 1970 et 2014, le rapport basé sur le suivi de plus de 16 700 populations dont 4.000 espèces conclut que le nombre de vertébrés sauvages s’est effondré de 60 % alors que le précédent rapport de 2015 évoquait un recul de 52 %. Le déclin des animaux d’eau douce atteint lui 83 % depuis 1970. La raréfaction voire l’extinction de ces populations animales résultent de plusieurs facteurs notamment la fragmentation et la disparition des habitats (Pimm et Raven, 2000 ; Fahrig, 2010 ; Krauss et al., 2010 ; Essl et al., 2015), le réchauffement climatique (Thomas et al., 2004 ; Balint et al., 2011 ; Bellard et al., 2012), l’introduction d’espèces qui ,par la suite ,développent un caractère invasif (Clavero et al., 2009 ; Katsanevakis et al., 2014 ; Galiana et al., 2014 ; Early et al., 2016), la pollution (Barker et Tingley, 1992 ; Maiti et Chowdhury, 2013 ; Munir et al., 2016 ; McMullin et al., 2016) mais également l’intensification des activités humaines.
Définition de la problématique
Approche du déclin d’invertébrés
Dans le but d’établir une méthode adéquate pour répondre à la première partie de la problématique définie “évaluation du déclin de la densité d’invertébrés aquatiques”, des recherches bibliographiques ont été effectuées dans un premier temps. En outre, les mots clés “invertébrés”, “déclin de la biodiversité”, “insectes aquatiques”, “diversité aquatique”, “étude de l’évolution des populations d’espèces (oiseaux, amphibiens, poissons, insectes…)”, ainsi que ces termes traduits en anglais ont été entrés dans les moteurs de recherche google scholar ainsi que dans celui de la bibliothèque de l’Université de Tours. Malheureusement, peu d’articles (Tableau 1) traitent de la méthode d’évaluation du déclin même d’une espèce ou d’un groupe d’espèces ; il s’agit le plus souvent d’un constat donnant lieu à d’autres études sur l’origine de ce même déclin. Ainsi, ils se centrent majoritairement sur la mise en relation d’un facteur défini avec ce dit déclin. De même, les études menées par l’association WWF présentées dans les rapports “Planète vivante” montrent le déclin de nombreuses espèces à travers l’utilisation d’un indice : l’IPV (Indice Planète Vivante). Cependant, dans ces rapports, il n’est pas mentionné la technique de calcul de cet indice. A travers ces différents articles, de nombreux taxons sont ciblés tels que les oiseaux, mammifères, poissons, amphibiens, reptiles et invertébrés. En outre, les insectes volants sont particulièrement ciblés ; cet intérêt pour ces taxons pourrait s’expliquer par la mission majeure qu’ils exercent dans les écosystèmes et indispensable à la survie de l’Homme : la pollinisation. Les critères des stations de prélèvement sont quant à eux très diverses et pour certaines études mal voire pas du tout définis. De cette façon, certaines études se consacrent exclusivement aux zones protégées pour éviter tout élément anthropique pouvant agir sur les peuplements des espèces. L’étude qui est menée ici ne pourrait prendre en compte les mêmes types de sites, puisque la deuxième partie consiste à mettre en relation les résultats sur les populations d’invertébrés aquatiques à l’utilisation des pesticides. D’autres études, encore, s’appuient sur des critères comme la température, la salinité, le taux d’oxygène, la hauteur d’eau, etc. Le fait de prendre en compte des sites de prélèvement présentant des variations concernant ces éléments pourrait permettre d’avoir une vision globale de l’état d’un peuplement d’une masse d’eau et ne pas uniquement se limiter à un habitat.
Ainsi peu d’articles détaillent entièrement leur méthode allant de l’échantillonnage à l’analyse des résultats. Certains d’entre eux prennent d’ailleurs leurs données directement dans des bases de données privées dont la technique de prélèvement n’est pas décrite dans l’article. D’autres encore se basent sur le volontariat ; c’est à dire que des particuliers amateurs ou professionnels prennent part à l’étude en enrichissant les données brutes par leurs observations. Cependant, cette méthode de recueil des données dépend du nombre de volontaires participant à l’opération. Ainsi, sur ce type d’étude, la quantité de données récoltées et le nombre de sites exploités peuvent varier d’une année à l’autre. Dans le cas d’une étude des populations d’invertébrés visant ensuite à mettre les résultats en relation avec l’utilisation de pesticides, cette technique d’obtention des données ne semble pas appropriée. En effet, il est indispensable que les données des invertébrés ainsi que celles des pesticides proviennent de localisations très précises et semblables pour les deux jeux de données. Quelques articles ont développé leur méthode d’analyse de données afin d’étudier l’évolution des populations des espèces concernées. Tout d’abord, la mesure des biomasses des espèces étudiées est la méthode privilégiée dans la plupart de ces études. Ensuite, l’évolution est observée à l’aide de méthodes statistiques telles que l’analyse des variances ou la régression linéaire.
Evaluation de l’effet des pesticides
A l’instar des invertébrés, et pour tenter de répondre à la seconde partie de la problématique initiale qui vise à mettre en corrélation une diminution de la densité d’invertébrés aquatiques avec la concentration de pesticides retrouvée dans les eaux, une analyse des méthodes existantes dans la littérature scientifique permettant de répondre à des problématiques similaires à la nôtre a été réalisée. Plusieurs moteurs scientifiques de recherche ont été utilisés : Pubmed, The Society of Environmental Toxicology and Chemistry, Sciencedirect, ResearchGate, Elsevier Google scholar et de nombreux mot-clés en anglais ont été notamment recherchés. Citons à ce propos, les termes “pesticides”, “effect of pesticides on aquatic invertebrates ”, “ aquatic invertebrates”, “drift of aquatic invertebrates ”, « ecological risk assessment », ou encore “insecticides” et “ neonicotinoids ”. Les suivis de la qualité des eaux de surface ont été mis en place dès le début des années 1970 et renforcés par la mise en œuvre de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE). Deux directives et une circulaire s’appliquent aux eaux continentales :
• La directive « substances dangereuses » 76/464/CEE du 4 mai 1976 concerne la pollution causée par certaines substances dangereuses. Elle établit une liste de 132 substances toxiques dont 36 pesticides pour lesquels les rejets dans les eaux sont limités ou interdits. (https://aida.ineris.fr/consultation_document/1111)
• La circulaire du 7 mai 2007 fixe les normes de qualité environnementale provisoires (NQEp) de 41 substances. Parmi ces dernières figurent 15 pesticides : alachlore, aldrine, atrazine, chlorfenvinphos, chlorpyrifos, DDT, dieldrine, diuron, endosulfan, endrine, isodrine, isoproturon, lindane, simazine et la trifluraline. (https://aida.ineris.fr/consultation_document/7285)
• La directive 2009/128/CE du 24 novembre 2009 qui a poussé les Etats membres à adopter le 14 décembre 2012 des plans d’action nationaux ayant pour but de réduire les risques et les effets de l’utilisation des pesticides sur la santé publique humaine et l’environnement. Elle vise surtout à développer des méthodes ou techniques de substitution pour réduire la dépendance à l’égard de l’utilisation des pesticides. (https://aida.ineris.fr/consultation_document/733).
Cependant, la surveillance des pesticides dans ce compartiment par les Réseaux de Contrôle de Surveillance (RCS) et les Réseau de Contrôle Opérationnel (RCO) est difficile car la pollution par ces substances des milieux aquatiques est généralement diffuse et transitoire. Elle est, de plus, souvent caractérisée par de faibles concentrations dans le milieu récepteur. Entre 1980 et 2000, une dizaine d’études menées dans les cours d’eau ont montré l’existence possible mais non prouvée d’une corrélation entre la présence de pesticides (apport par ruissellement) dans le milieu et différentes réponses des invertébrés aquatiques vivant dans le milieu récepteur. Les études portaient soit sur divers taxons d’invertébrés soit sur un taxon en particulier.
Les critères mesurés sont soit l’abondance des espèces, la composition des communautés, la déformation des pièces buccales (Madden et al, 1992) soit la dérive des invertébrés. La dérive est un phénomène naturel qui désigne le flux d’organismes entraîné par le courant (Bournaud et Thibault 1973). De nombreuses études dont Dejous et Elouard 1977 et Back, Leblanc, et Aubin 1983, dénotent, en présence de pesticides et notamment de substances neurotoxiques, une augmentation de la dérive des invertébrés, morts (Eidt 1975) ou vivants (Morrison et Wells 1981).En effet, ces derniers peuvent rapidement mourir et être emportés, ou sous l’effet du stress se décrocher de leur substrat et se laisser emporter par le courant. Cet entraînement des animaux est souvent dû à une hyperactivité en réponse à l’exposition à des concentrations non létales de pesticides. L’Abate® est une spécialité commerciale contenant un insecticide organo-phosphoré, le téméphos. C’est un larvicide puissant largement employé dans les pays en voie de développement, pour le traitement des eaux infestées par divers insectes contagieux, notamment les moustiques, les anophèles, et les larves de simulies. Comme tous les autres organophosphates, le téméphos affecte le système nerveux central par inhibition de la cholinestérase. Il tue ainsi les larves avant l’âge adulte et donc avant quelle ne soient en âge de se reproduire. Une étude de Dejous et Elouard a été réalisée en 1977 afin de montrer l’impact de cette substance sur la faune aquatique. Après pulvérisation d’un traitement, 50% des invertébrés du milieu ont été retrouvés morts en aval dans les filets de mesure. Dans le cas de traitements répétés, une sélection d’espèces polluotolérantes a lieu et de ce fait, le nombre de dérives comptabilisées était plus faible.
Il existe des organismes sur le terrain encore plus sensibles que les organismes modèles testés en laboratoire possédant eux-mêmes une sensibilité déjà relativement élevée par rapport à de nombreuses espèces autochtones
C’est ainsi que les Copépodes, Décapodes, Trichoptères ont tendance à être moins sensibles que l’organisme modèle largement utilisé en recherche, Daphnia magna. Cependant, les Ostracodes et Ephéméroptères sont eux, plus sensibles. Ces différences de sensibilité peuvent être expliquées par les différences physiologiques et morphologiques entre ces différents ordres (Wogram et Liess 2001).
Les interactions au sein des populations et entre celles-ci peuvent avoir des effets indirects
Les populations et les communautés dans la nature peuvent être directement et /ou indirectement affectées par l’exposition aux polluants. Alors que les effets directs des substances toxiques réduisent généralement l’abondance des organismes via la mortalité des individus, les effets indirects peuvent entraîner une augmentation ou une diminution de l’abondance (Fleeger, Carman, et Nisbet 2003). Autrement dit, les effets directs de la substance toxique sur les organismes peuvent être partiellement compensés par la réduction indirecte de l’interaction (prédation) négative intraspécifique ou interspécifique en présence du polluant (Caquet et al. 2007). Pour une même concentration de polluant appliquée, une interaction négative forte entraîne une survie faible des organismes tandis qu’une interaction négative faible entraîne une survie plus élevée des organismes. Cependant, ce mécanisme de diminution de l’interaction et donc de compensation de l’effet des substances toxiques n’est observable que pour des concentrations de substances toxiques élevées ≥ 1 µg / L (Liess 2002). En conséquence, la réponse aux substances toxiques au niveau de la population ou de la communauté en présence d’une interaction négative diffère de la réponse au niveau individuel et par conséquent l’extrapolation des résultats aux systèmes naturels est difficile.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. DEFINITION DE LA PROBLEMATIQUE
APPROCHE DU DECLIN D’INVERTEBRES
EVALUATION DE L’EFFET DES PESTICIDES
L’ACQUISITION DE DONNEES
SYNTHESE
2. PROPOSITION DE METHODOLOGIE
ETUDE DE L’EVOLUTION DES POPULATIONS D’INVERTEBRES AQUATIQUES
2.1.1 Les outils
2.1.2 Intérêt et limite de ces outils, liens entre eux
2.1.3 Utilisation des données disponibles
ETUDE DE L’EFFET DES PESTICIDES SUR LES INVERTEBRES AQUATIQUES PAR LA METHODE SPEARPESTICIDES
2.2.1 Un indicateur basé sur les traits écologiques
2.2.2 Faisabilité d’utilisation, intérêt et limite
3. MISE EN LIEN DE L’EVOLUTION DES POPULATIONS D’INVERTEBRES AQUATIQUES AVEC L’IMPACT DES PESTICIDES
MISE EN EVIDENCE D’UN DECLIN POTENTIEL
MISE EN EVIDENCE DE LA RELATION PRESSION TOXIQUE ET SPEAR
LIEN ENTRE DECLIN ET SPEAR
CONCLUSION
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