Les fusées, avions et autres hélicoptères sont conçus avec des matériaux de haute performance. La légèreté de la structure de ces appareils est aussi importante que sa résistance aux contraintes. En effet des matériaux de structure légers permettent d’augmenter la charge utile embarquée et de réduire la quantité de carburant consommée. Ce mémoire concerne l’élaboration de matériaux de haute performance destinés à la protection thermique d’engins spatiaux : les composites Carbone/Carbone (C/C).
Ces composites sont constitués de fibres de carbone (renfort) et de matrice carbonée (liant les fibres). Ils sont avant tout thermostructuraux, c’est-à-dire qu’ils conservent leur résistance mécanique à hautes températures (de 1500°C à 3000°C, en l’absence d’oxygène et de vapeur d’eau). Ils peuvent donc être utilisés en tant que matériau de structure dans ces conditions extrêmes. Les composites C/C sont un exemple de composite à matrice céramique (CMC), tout comme les composites C/SiC (à fibre de carbone et matrice en carbure de silicium) ou SiC/SiC. Ces CMC ont la particularité de présenter une bonne résistance aux contraintes mécaniques, bien qu’étant composés d’une fibre fragile et d’une matrice fragile. Les interfaces fibre/matrice transmettent les efforts.
Les composites C/C possèdent de nombreuses autres propriétés : faible densité par rapport aux métaux (environ 1,5-2,0 pour les C/C ; 2,7 pour l’aluminium ; 8 pour les aciers), biocompatibilité, résistance à la corrosion, propriétés de friction. Ceci explique la diversité de leurs domaines d’application . Dans l’aviation comme en Formule 1, l’acier des freins a été avantageusement remplacé par les composites C/C, plus légers, dont les propriétés de friction sont conservées à haute température et dont la durée de vie est plus longue. La résistance aux chocs thermiques, la faible densité et la résistance à l’ablation des composites C/C en font aussi des matériaux appropriés au domaine spatial, pour la fabrication des cols de tuyères de fusée (où les gaz de combustion se détendent et sont accélérés) [2002Lacoste] ainsi que pour les matériaux de structure des protections thermiques des sondes spatiales (soumises à de fortes températures lors des rentrées atmosphériques). Ce sont encore les propriétés thermomécaniques et la résistance à l’érosion des composites C/C qui ont orienté les recherches vers ce matériau pour le réacteur expérimental de fusion nucléaire ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) en tant qu’éventuel composant face au plasma du divertor (lieu d’interaction du plasma et des parois solides) [2005Mitteau] [2007Richou]. Enfin, dans le domaine médical, c’est la biocompatibilité de l’élément carbone [1984Adams] qui est intéressante. Les recherches se poursuivent sur les implants dentaires et autres vis en composite C/C pour l’ostéosynthèse (réparation d’une fracture avec des clous, des vis, des boulons…) [1997Blazewicz]. Une application d’avenir pour les composites C/C est l’automobile : des pièces en composite C/C, remplaçant les pièces métalliques dans les moteurs par exemple, allègeraient le véhicule et permettraient de réaliser des économies de carburant.
Pour l’application considérée ici, la densité apparente est une caractéristique essentielle des composites C/C. Les protections thermiques en composites C/C sont plus résistantes lorsque leur porosité est faible, donc lorsque leur densité est élevée et approche celle du graphite (2,2). Actuellement, l’élaboration de composites C/C haute densité est essentiellement réalisée par imprégnation d’un précurseur liquide (du brai) et comporte une étape contraignante de pyrolyse sous haute pression (100 MPa). L’objectif principal de cette thèse est de s’affranchir des contraintes liées à l’utilisation d’une haute pression de pyrolyse. Concrètement, il s’agit de proposer un procédé d’élaboration rapide (en quatre cycles de densification par du brai) sous pression modérée (P < 10 MPa) de composites C/C haute densité (dapp ≥ 1,8 ; Po ≤ 10%). Ce mémoire rassemble en cinq parties les études menées pour atteindre ces objectifs, comprendre et caractériser la densification du composite. Une synthèse bibliographique recense les principales techniques de densification de composites C/C. Une étude approfondie sur les brais permet de discerner les caractéristiques du précurseur et les paramètres de densification les plus importants pour nos travaux. A la lecture des résultats publiés concernant la densification sous pression modérée, il semble intéressant d’envisager un procédé hybride dans le but d’élaborer des composites C/C haute densité. Ce procédé consisterait à réaliser une étape de pré-densification, facile à mettre en oeuvre et qui densifie rapidement la préforme, avant les quatre cycles de densification par voie liquide avec du brai.
Elaboration des composites C/C
Fibres de carbone et architectures fibreuses
Le développement des fibres de carbone, en vue de la réalisation de textures fibreuses, a commencé dans les années 1950, pour des applications thermiques. Mais depuis les années 1960- 1970, les fibres de carbone sont surtout utilisées pour leurs excellentes propriétés mécaniques qu’elles conservent jusqu’à des températures élevées.Les propriétés en traction (résistance à la rupture et module de Young) sont les plus importantes caractéristiques des fibres de carbone. Ces dernières sont donc classées selon la valeur de leur module de traction (en GPa) :
– UG = fibres d’usage général ou d’applications thermiques : E < 200 ;
– HR = fibres de haute résistance (ex-pan uniquement) : 200 < E < 250 ;
– IM = fibres de module intermédiaire : 250 < E < 350 ;
– HM = fibres de haut module : 350 < E < 550 ;
– THM = fibres de très haut module (ex-brai seulement) : E > 550.
Non seulement les propriétés en traction des fibres de carbone sont bien meilleures que celles des autres fibres de renfort (fibres de verre, d’aramide), mais les fibres de carbone possèdent aussi d’autres qualités. Les composites à fibres de carbone ont une résistance à la fatigue excellente par rapport aux composites à fibres de verre ou aux alliages d’aluminium (un des métaux les plus légers) utilisés avant les composites C/C pour les mêmes applications. La conductivité électrique des fibres de carbone est deux ou trois ordres de grandeur inférieure à celle des métaux. Cette dernière propriété dépend, comme la conductivité thermique et la résistance à l’oxydation de la microstructure (graphitée ou non) des fibres de carbone. Enfin un kilogramme de fibres de carbone coûte entre 20 et 250€ pour des fibres classiques (hormis gamme des fibres à très hauts modules).
Fibres ex-rayonne
Le précurseur historique de fibres de carbone est la rayonne ou viscose. C’est une fibre artificielle issue du traitement chimique de la cellulose, matière naturelle végétale. Les fibres de carbone sont obtenues par carbonisation (à 1000-1500°C, voire à 2000-2500°C) des fibres de rayonne. Le rendement de carbonisation est faible (20%). Les fibres ne sont pas tendues lors de leur élaboration, ce qui limite leurs propriétés mécaniques. Ces deux dernières particularités du procédé de fabrication de fibres ex-rayonne confinent ces dernières à des applications thermiques. Par exemple, les fibres de carbone ex-rayonne sont utilisées dans les matériaux ablatifs ayant pour but de réduire l’échauffement des éléments sous jacents qu’ils protègent. Ils sont notamment utilisés dans les divergents de tuyères de la fusée Ariane V. La mise au point d’un procédé d’élaboration sous tension contrôlée a permis d’améliorer les propriétés de traction des fibres ex-rayonne. [2008Dupupet] .
Fibres ex-PAN
Les fibres ex-PAN (polyacrylonitrile) élaborées sous tension contrôlée sont moins onéreuses que les fibres ex-rayonne et possèdent de meilleures propriétés mécaniques. Le polyacrylonitrile (PAN) est élaboré de la même façon que les fibres acryliques destinées à l’industrie textile : des comonomères (comme l’acrylate ou le méthacrylate de méthyle) sont polymérisés et filés. La solution de filage (comonomères + solvant) est extrudée dans un bain de coagulation dans lequel elle se solidifie. La pureté du PAN dépend du solvant et du coagulant choisis. Les filaments obtenus sont ensuite étirés et séchés. Une orientation axiale peut être obtenue en étirant les filaments de PAN. Les fibres à texture radiale ne sont pas souhaitées, car plus fragiles à cause de la propagation de défauts entre l’intérieur et l’extérieur de la fibre.
Les fibres de carbone ex-PAN sont obtenues après une succession de traitements thermiques . L’oxydation vise à rendre la fibre infusible. La carbonisation sous tension contrôlée élimine les hétéroatomes (rendement de carbonisation = 50%, taux de carbone final = 90-97%). Les fibres ont alors une haute résistance en traction. L’éventuelle graphitation sous tension contrôlée, après la carbonisation, confère aux fibres un haut module de traction. Le carbone des fibres carbonisées ou graphitées ne permet pas un bon mouillage ou un bon accrochage de la future matrice. Des traitements de surface (physiques ou chimiques comme l’oxydation) permettent de créer une rugosité et des défauts à la surface de la fibre pour la rendre adhérente vis-à-vis d’une matrice. L’ensimage, enfin, améliore la liaison des filaments entre eux et limite les frottements entre les fibres, qui sont la source de défauts de surface entraînant une importante chute des propriétés mécaniques. L’ensimage facilite la manipulation et la transformation des fibres en une architecture fibreuse multidirectionnelle.
Les traitements de surface comme l’ensimage ont une influence sur l’interface fibre/ matrice et par conséquent sur les propriétés du composite élaboré par la suite [2004Baudry]. Quant aux traitements de carbonisation et de graphitation, ils déterminent les propriétés en traction des fibres : pour un précurseur et un diamètre de filament donnés, le module de traction augmente avec la température du traitement thermique et la résistance en traction est maximale pour un traitement thermique autour de 1400°C. Ceci permet de produire des fibres de carbone ex-PAN aux caractéristiques très variées et notamment à très haute résistance en traction (> 4000-5000 MPa). La principale application de ces fibres est donc le renfort de structure. [1998Fitzer] [2008Dupupet] .
Fibres ex-brai
Même s’il est possible d’imposer les propriétés en traction des fibres ex-PAN en contrôlant la température de traitement thermique, les très hauts modules de traction sont l’apanage des fibres exbrai. Le brai est un mélange d’hyrdocarbures aromatiques polycycliques (HAP), précurseur de carbone. Il faut néanmoins noter qu’il existe des brais isotropes et des brais mésophasiques (à microstructure anisotrope). Le procédé d’élaboration de fibre de carbone ex-brai est semblable à celui utilisant le PAN : filage du précurseur brai, oxydation pour rendre les fibres infusibles, carbonisation pour éliminer les hétéroatomes (rendement en carbone = 70-80%). Les fibres ex-brai isotrope sont utilisées pour des applications thermiques (textiles isolants). La graphitation des fibres ex-brai mésophasiques permet d’obtenir de très hauts modules de traction. Les fibres ex-brai sont fragiles et bien plus difficiles à mettre en oeuvre que les fibres ex-PAN. Bien que le taux de carbone dans les fibres ex-brai soit plus grand, les impuretés dans le précurseur brai limitent la résistance à la traction de ces fibres qui est inférieure à celle des fibres ex-PAN. [1998Fitzer] [2008Dupupet] .
Textures fibreuses
En parallèle à la fabrication des fibres de carbone en tant que renfort mécanique dans les années 1960, les techniques de mise en œuvre de ces fibres (croisements de fils par tissage, tricotage, tressage) ont été développées. Cette évolution a permis d’obtenir des textures tridimensionnelles (ou préformes) carbonées répondant aux besoins des industries aéronautique, spatiale et de la défense. L’architecture fibreuse dépend de l’application visée du composite (isolation thermique, protection ablative par exemple) et la méthode de densification doit être adaptée au type de texture fibreuse. Snecma Propulsion Solide (SPS) a développé, entre autres, un procédé Novoltex® d’aiguilletage de nappes (2D) de fils non tissés. Ce procédé permet de relier une nappe horizontale à la suivante, ainsi la répartition des fibres verticales est homogène dans toute l’épaisseur de la préforme. Les textures carbonées obtenues avec ce procédé sont facilement densifiables par du pyrocarbone déposé par le procédé CVI (Chemical Vapor Infiltration). Les composites ainsi obtenus ont une bonne résistance au cisaillement (35-50 MPa contre 10 MPa pour les meilleurs C/C 2D stratifiés) et sont utilisés pour les tuyères de propulseurs à poudre, les freins aéronautiques, les biomatériaux. Un tel matériau densifié jusqu’à 1,75 présente une résistance à la traction de 100 MPa [2002Lacoste].
|
Table des matières
Introduction générale
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I. Elaboration des composites C/C
II. Les brais, précurseurs pour l’élaboration des C/C haute densité
III. Interactions brai / additifs
IV. Le procédé de densification
Conclusion
CHAPITRE 1 – Méthodes expérimentales
I. Matériaux
II. Elaboration
III. Techniques de caractérisation
CHAPITRE 2 – Contrôle de l’évolution de la matrice
Introduction
I. Caractérisation des brais bruts
II. Influence de la pression sur le rendement en carbone
III. Evolution de la texture au cours de la transformation en mésophase
IV. Evolution structurale
V. Interaction entre les brais et les charges carbonées
Conclusion
Annexes
COMMUNICATION Carbon 2008 – A hybrid process for the synthesis of high density carbon/carbon composites using moderate pressure
CHAPITRE 3 – Densification de préformes 3D
Introduction
I. Evolution de la préforme 3D
II. Caractérisation des préformes ayant subi la caléfaction
III. Densification de préformes 3D
Conclusion
Annexes
CHAPITRE 4 – Densification de préformes aiguilletées
Introduction
I. Pré-densifications
II. Densifications par le brai M50
Conclusion
Annexes
Conclusion générale