C’est en se posant la question existentielle « De quoi est faite la matière ? », que Démocrite (460-370 avant J.C.), un philosophe grec de l’Antiquité, a émis l’hypothèse que la matière tangible est composée de minuscules unités qui peuvent être assemblées et démontées par diverses combinaisons, unités qu’il appela « atomes » [1].
Il aura alors fallu attendre le XIXème siècle pour que naisse la première notion de théorie atomique, entre autres grâce à Dalton, afin d’interpréter et de rationaliser les phénomènes chimiques qui nous entourent, réunissant les notions d’atomes et de molécules. Puis, au XXème siècle, avec l’essor de la physique atomique, l’augmentation considérable des connaissances permet d’établir un grand nombre de lois et de modèles permettant la compréhension des effets électroniques. Ces lois de la mécanique classique ne permettent pas en revanche de décrire le comportement des électrons ou des molécules. C’est grâce aux développements de la mécanique quantique, avec principalement l’équation de Schrödinger en 1926 [2], que la compréhension des systèmes à partir de la fonction d’onde va permettre une grande avancée, permettant le calcul et la prédiction des propriétés physiques et chimiques d’un système.
En substituant la fonction d’onde par la densité électronique, W. Kohn a développé la théorie de la fonctionnelle de la densité (la DFT) [3], qui représente à ce jour l’une des méthodes les plus utilisées dans les calculs quantiques. Ses calculs n’exigeant pas de connaître la fonction d’onde d’un système, ils ont permis l’expansion impressionnante des domaines de la chimie quantique et de la chimie computationnelle. Le succès de la DFT est également dû aux progrès réalisés dans le domaine de l’informatique, permettant de nos jours de réaliser des calculs de plus en plus conséquents en un temps plus rapide.
C’est en 1978 [4], initiée par R. G. Parr, que la DFT dite conceptuelle (CDFT) apparaît, afin de développer à partir des concepts de la DFT et notamment la densité électronique, une théorie de la réactivité chimique [5, 6]. Dans la CDFT, les concepts physiques et mathématiques de la DFT sont réutilisés et combinés pour former des descripteurs afin de quantifier les concepts chimiques, en particulier ceux liés à la réactivité. L’essence de la DFT conceptuelle est ainsi d’aborder la réactivité chimique et la sélectivité du point de vue de la densité électronique. Le développement de cette branche de la DFT depuis les dernières années a su démontrer ses vastes domaines d’applications, en passant de la chimie inorganique à celle des matériaux, à la biochimie, à la chimie des polymères ainsi qu’à la chimie organique. Pour la réactivité chimique, la CDFT a rencontré un succès dans, entre autres, les réactions en phase gazeuse, les réactions en solution, les réactions et réarrangements dans les solides, les réactions de complexation acide-base, les réactions d’oxydoréduction et les réactions péricycliques.
On peut bien entendu également discuter de la réactivité chimique à partir de résultats expérimentaux. Savoir différencier ou classifier les sites réactifs de différentes molécules est d’une importance capitale pour une meilleure compréhension de la réactivité chimique, que ce soit d’un point de vue théorique ou bien expérimental. C’est dans ce contexte que de nombreuses échelles expérimentales ont été établies au fil des années afin de classer les molécules par réactivité [7, 8]. Parmi ces échelles expérimentales, la plus décrite et utilisée est celle proposée par Mayr en 1994 [9, 10].
D’un point de vue théorique, une telle échelle expérimentale encourage la mise au point d’outils théoriques capable de prédire ces valeurs expérimentales, voire de prédire des valeurs sur des molécules jusqu’alors non synthétisées. C’est dans cette optique que s’inscrit ce travail de thèse, qui est la mise au point de nouvelles méthodes théoriques, basées notamment sur la CDFT, afin de prédire la réactivité et la sélectivité d’un grand nombre de composés organiques et d’étendre les domaines d’applications des descripteurs de réactivité.
L’équation de Schrödinger dépendante du temps
Lorsque de Broglie émet en 1923 [1] l’hypothèse que toutes les particules se comportent aussi comme des ondes, Schrödinger postule une équation non relativiste [2], avec une solution analytique dans les cas simples .
L’équation de Schrödinger indépendante du temps
Afin d’obtenir l’essentiel de l’information du système, il est nécessaire de passer par la résolution de l’équation de Schrödinger pour déterminer la fonction d’onde. En se plaçant dans le cas où l’Hamiltonien n’est pas dépendant du temps, on peut écrire la fonction d’onde comme :
Ψ(?⃗, ?) = ?(?) × ?(?⃗), (1.4)
où A décrit l’évolution temporelle et ? la dépendance spatiale de la fonction d’onde. Les fonctions possibles (quantifiées) ?? représentent les états stationnaires.
Du cas mono-électronique au système poly-électronique
La mécanique quantique présentée précédemment s’applique à des systèmes monoélectroniques, mais peut également s’appliquer à des systèmes moléculaires. Dans ce cas, une seule fonction d’onde régit l’ensemble du système. L’opérateur Hamiltonien ?̂ (l’observable énergie) dans l’équation de Schrödinger s’exprime généralement comme la somme de l’opérateur d’énergie cinétique ?̂ et de l’opérateur d’énergie potentielle ?̂ :
?̂ = ?̂ + ?̂ . (1.10)
Pour un système moléculaire à ? électrons et ? noyaux, l’opérateur Hamiltonien peut s’écrire en prenant en compte les opérateurs énergies des électrons (notés ?) et des noyaux (notés ?) :
?̂ = ?̂? + ?̂? + ?̂?? + ?̂?? + ?̂??. (1.11)
En 1927, Born et Oppenheimer proposent une simplification de l’équation de Schrödinger appliquée aux molécules [4]. Cette approximation est basée sur l’importante différence de masse entre celles des électrons et celles des noyaux. On considère la position des noyaux dans l’espace comme fixe (le temps de résoudre le problème électronique), avec un mouvement des électrons dans l’espace considérablement plus rapide autour des noyaux.
La méthode d’Hartree-Fock
Les équations Hartree-Fock
L’une des premières méthodes de résolution de l’équation de Schrödinger électronique dans le cadre de l’approximation de Born-Oppenheimer est la méthode de Hartree-Fock [5]. Cette méthode est basée sur l’approximation du champ moyen qui consiste à considérer seulement le mouvement de chaque électron se déplaçant au sein d’un potentiel moyen causé par les autres électrons. On cherchera alors à exprimer la fonction d’onde polyélectronique à partir de fonctions d’onde monoélectroniques appelées spin-orbitales. En effet, il est important de préciser à ce stade qu’un électron (une particule qui possède un spin de ±½) peut prendre exclusivement deux valeurs de spin, α et β qui sont par définition de signes opposés.
La théorie perturbationnelle de Møller-Plesset
La théorie de Møller-Plesset [11] (notée MP par la suite) est une théorie partant de l’approche perturbationnelle de Rayleigh–Schrödinger, où l’Hamiltonien ?̂ d’un système s’exprime comme la somme d’un Hamiltonien de référence non perturbé ?̂0 et d’une faible perturbation du système ??̂ :
?̂ = ?̂0 + ??̂ , (1.33)
? correspond à un paramètre réel sans dimension qui contrôle la force de cette perturbation (variant de 0 : pas de perturbation à 1 : perturbation totale).
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Table des matières
Introduction générale
CHAPITRE 1 : Les méthodes théoriques calculatoires
1. L’équation de Schrödinger dépendante du temps
2. L’équation de Schrödinger indépendante du temps
3. Du cas mono-électronique au système poly-électronique
4. La méthode d’Hartree-Fock
4.1. Les équations Hartree-Fock
4.2. Champ auto-cohérent
5. Les méthodes post Hartree-Fock
5.1. La théorie perturbationnelle de Møller-Plesset
5.2. La théorie du cluster couplé
6. Les fonctions de base
7. La théorie de la fonctionnelle de la densité
7.1. Le premier théorème de Hohenberg et Kohn
7.2. Le deuxième théorème de Hohenberg et Kohn
7.3. L’approche de Kohn-Sham
7.4. Les fonctionnelles d’échange-corrélation
CHAPITRE 2 : Les méthodes théoriques interprétatives
1. La réactivité chimique
2. La surface d’énergie potentielle
3. Modélisation du solvant
4. La DFT Conceptuelle
4.1. Fondements de la DFT conceptuelle
4.2. Ensembles de représentations
4.3. L’ensemble canonique
4.3.1. L’ensemble grand canonique
4.3.2. L’ensemble isomorphique
4.3.3. L’ensemble grand isomorphique
4.3.4. Relations de Maxwell
4.4. Descripteurs globaux
4.4.1. Issus directement d’une dérivée de l’énergie
4.4.2. Descripteurs Ad hoc
4.5. Descripteurs locaux et non locaux
4.5.1. Issus directement d’une dérivée de l’énergie
4.5.2. Descripteurs composites
4.6. Principes de réactivité
4.6.1. Principe d’égalisation des électronégativités
4.6.2. Principe des acides et des bases durs ou mous
4.6.3. Principe de dureté maximale
4.6.4. Principe d’électrophilie minimale
4.6.5. Principe de polarisabilité minimale
5. Analyse de population
5.1. Basées sur les orbitales moléculaires
5.1.1. Analyse de Population de Mulliken
5.1.2. Analyse de Population Naturelle
5.2. Basées sur le potentiel électrostatique
5.3. Basées sur la densité électronique
5.3.1. Analyse de population Hirshfeld
5.3.2. La théorie quantique AIM
CHAPITRE 3 : Les échelles de réactivité expérimentale
1. Introduction
2. L’échelle de réactivité de Mayr
2.1. Présentation générale
2.2. Applications
2.3. Limites et extension
CHAPITRE 4 : Prédiction théorique de l’électrophilie expérimentale
1. Les descripteurs moléculaires et atomiques peuvent-ils prédire l’électrophile des accepteurs de Michaël ?
1.1. Préambule
1.2. Article
1.3. Conclusion et perspectives
2. Sur l’influence des effets dynamiques sur les descripteurs de réactivité
2.1. Préambule
2.2. Article
2.3. Conclusion et perspectives
3. Prédire l’électrophilie expérimentale à partir de descripteurs quantiques et topologiques : une approche par apprentissage automatique
3.1. Préambule
3.2. Article
3.3. Conclusion
CHAPITRE 5 : Indices d’électrophilie et liaisons halogènes : De nouvelles alternatives au potentiel électrostatique moléculaire
5.1. Préambule
5.2. Article
5.3 Conclusion et perspectives
Conclusion générale