La peste est une zoonose des rongeurs dโorigine bactรฉrienne. Une maladie qui reste un grand problรจme de santรฉ publique ร Madagascar pour plusieurs raisons. En effet, contrairement aux autres pays anciennement touchรฉs, la peste est restรฉe endรฉmique ร Madagascar mais aussi dans la Rรฉpublique Dรฉmocratique du Congo et en Tanzanie. En 2006, plus de 90% des cas sont dรฉclarรฉs par des pays africains (OMS, 2006). A Madagascar, des รฉpidรฉmies apparaissent presque tous les ans avec des pics durant la saison pesteuse dโOctobre ร Avril (Chanteau et al., 2000). Par ailleurs, en dehors de la saison pesteuse, la bactรฉrie responsable de la peste circule toujours parmi les populations de rongeurs sauvages rendant souvent lโapparition de nouveaux cas imprรฉvisibles. Cโest le cas de Moramanga qui a notifiรฉ des cas de peste en 2015 aprรจs 13 ans de ยซ silence ยป (Ramasindrazana et al., 2017). De plus, de nouveaux foyers semblent apparaรฎtre tels que ceux du Nord de Madagascar, dans le district dโAmbilobe en 2011 (Richard et al., 2015), et ceux du Sud-Est dans les districts de Befotaka et de Iakora, durant la saison pesteuse de 2016-2017 (OMS, 2016a). Enfin, la peste reste encore mortelle, particuliรจrement la forme pulmonaire dont la lรฉtalitรฉ peut atteindre 100%, si elle nโest pas traitรฉe ร temps. En 2015, 275 cas de peste ont รฉtรฉ dรฉclarรฉs ร Madagascar (soit plus de 91,4% des cas dรฉclarรฉs en Afrique et plus de 85,9% des cas dรฉclarรฉs dans le monde) dont 63 morts (OMS, 2016b) soit environ 22,9% de lรฉtalitรฉ.
La confirmation des cas suspects de peste reste essentielle. Nรฉanmoins, la bactรฉriologie, mรฉthode de rรฉfรฉrence pour la confirmation de la peste, nรฉcessite au moins 10 jours avec un taux de confirmation faible de 23% en moyenne (Chanteau et al., 2006). En 2003, un test de diagnostic rapide pour la dรฉtection de lโantigรจne F1 (TDRA) a รฉtรฉ dรฉveloppรฉ et utilisรฉ dans tous les centres de santรฉ foyers de peste ร Madagascar (Chanteau et al., 2003). La combinaison du TDRA ร la PCR peut servir de test de confirmation de la peste (OMS, 2006). Aprรจs seulement deux ans dโutilisation, le TDRA a augmentรฉ le taux de confirmation jusquโร 60% (OMS, 2006). Etant donnรฉ la nรฉcessitรฉ de dรฉveloppement de mรฉthodes de confirmation alternatives, lโรฉlaboration de nouvelles techniques de dรฉtection de la peste sโinscrit dans les termes de rรฉfรฉrence du laboratoire central peste (LCP) du Ministรจre de la Santรฉ Publique de Madagascar en tant que centre collaborateur de lโOMS (CCOMS). La technique LAMP (loop-mediated isothermal amplification ou technique dโamplification isothermale), rรฉputรฉe pour sa sensibilitรฉ et sa spรฉcificitรฉ (Notomi et al., 2000), semble รชtre un bon candidat pour devenir un nouveau test de diagnostic de la peste. Il sโagit dโune technique molรฉculaire simple de rรฉalisation et donnant un rรฉsultat rapide (environ 1h) qui, ร la diffรฉrence de la PCR conventionnelle, est relativement peu onรฉreuse car ne nรฉcessite pas lโutilisation de thermocycleur.
LโAGENT PATHOGENE : Yersinia pestis
Classification et caractรจres morphologiques
Yersinia pestis, agent รฉtiologique de la peste, a รฉtรฉ dรฉcouvert par Alexandre Yersin lors dโune รฉpidรฉmie de peste ร Hong Kong en 1894 (Treille & Yersin, 1894). Elle appartient ร la classification taxonomique suivante :
REGNE : BACTERIA
PHYLUM : PROTEOBACTERIA
CLASSE : GAMMA PROTEOBACTERIA
ORDRE : ENTEROBACTERIALES
FAMILLE : ENTEROBACTERIACEAE
Genre : Yersinia
Espรจce : pestis
Le genre Yersinia compte actuellement dix-huit espรจces identifiรฉes (Institut Pasteur, 2014) dont trois sont pathogรจnes pour lโhomme et lโanimal : Y. pestis, Yersinia enterocolitica et Yersinia pseudotuberculosis. Ces trois espรจces ne prรฉsentent pas la mรชme pathogรฉnicitรฉ. Y. pestis est une bactรฉrie ร Gram nรฉgatif, aรฉro-anaรฉrobie facultative et ne formant pas de spore. Elle se prรฉsente sous forme de coccobacille ร coloration bipolaire avec la coloration de Giemsa, Wrightโs et Wayson. Elle est immobile et mesure entre 0,5 ร 0,8 ยตm de diamรจtre et entre 1 ร 3 ยตm de long (Perry & Fetherston, 1997).
Caractรจres culturaux, physiologiques et biochimiques
Le milieu Cefsulodine Irgasan Novobiocine (CIN) est un milieu sรฉlectif initialement dรฉveloppรฉ pour lโisolement de Y. enterocolitica (Schiemann, 1979) mais il est รฉgalement appropriรฉ pour lโisolement de Y. pestis (Rasoamanana et al., 1996). La bactรฉrie a une croissance optimale ร des tempรฉratures entre 28 et 30ยฐC et ร un pH compris entre 7,2 et 7,6. Y. pestis a une croissance lente, nรฉcessitant gรฉnรฉralement 48 h pour la formation des colonies (Perry & Fetherston, 1997). Selon leur capacitรฉ ร rรฉduire le nitrate en nitrite et ร fermenter le glycรฉrol, trois biovars de Y. pestis ont รฉtรฉ mis en รฉvidence : le biovar ยซ antiqua ยป qui est positif pour ces deux caractรจres, le biovar ยซ mediaevalis ยป ne convertissant pas le nitrate mais fermente le glycรฉrol, le biovar ยซ orientalis ยป qui peut convertir le nitrate en nitrite mais ne fermente pas le glycรฉrol. Les souches Malgaches appartiennent au biovar ยซ orientalis ยป.
Caractรจres gรฉnรฉtiques et facteurs de virulence
Le gรฉnome de la souche de rรฉfรฉrence CO92 (biovar orientalis) est composรฉ dโun chromosome unique de 4653728 pb (Parkhill et al., 2001), ainsi que de trois plasmides.
Les plasmides portent la plupart des gรจnes codant pour les facteurs de virulence de la bactรฉrie :
– le plasmide pCD (plasmid encoding calcium dependence) (Perry & Fetherston, 1997) a une taille de 70 ร 75 kb. Il code pour le ยซ low-calcium response stimulon ยป (LCRS), les protรฉines de surface Yops (Yersinia outer proteins) (Rollins et al., 2003) et tous les gรจnes du systรจme de sรฉcrรฉtion de type III de la bactรฉrie dont la transcription nโest activรฉe quโร 37ยฐC. Ce plasmide est commun aux trois espรจces pathogรจnes (Parkhill et al., 2001) et leur permette dโรฉchapper ร lโimmunitรฉ innรฉe de lโhรดte, de se reproduire et de se propager extracellulairement (Atkinson & Williams, 2016) ;
– le plasmide pPla (plasmid encoding the plasminogen activator), spรฉcifique de Y. pestis, a une taille de 9,5 kb. Il porte le gรจne qui code pour lโactivateur du plasminogรจne (gรจne pla) (Perry & Fetherston, 1997) qui a un rรดle dans la dissรฉmination de la bactรฉrie ร partir du site dโinoculation (Sodeinde et al., 1992) et dans le blocage de la puce (Hinnebusch et al., 1998).
– les gรจnes ymt codant pour la toxine murine et caf1 codant pour la protรฉine F1 (fraction 1) sont localisรฉs sur le plasmide pFra (pour ยซ plasmid encoding fraction 1ยป) (Perry & Fetherston, 1997), de 100 ร 110 kb et qui est spรฉcifique de Y. pestis. La toxine murine est une phospholipase D qui joue un rรดle dans la survie de la bactรฉrie au sein de la puce et permet ainsi la transmission de la peste par lโintermรฉdiaire de cet arthropode (Hinnebusch et al., 2000). La rรฉgion codant pour la protรฉine F1 est constituรฉe de 510 pb (Galyov et al., 1990). Lโexpression des gรจnes caf1 sโeffectue ร 37ยฐC (Sauer et al., 2004). La protรฉine F1 forme une capsule ou enveloppe ร la surface de la bactรฉrie et participe avec le systรจme de sรฉcrรฉtion de type III au blocage de la phagocytose (Du et al., 2002).
Y. pestis et Y. pseudotuberculosis sont gรฉnรฉtiquement proches avec 99,5% de similaritรฉ entre les gรจnes codant lโARNr 16S (Ibrahim et al., 1993) et plus de 90% pour les ADN chromosomiques (Bercovier et al., 1980). La virulence et la pathogรฉnicitรฉ particuliรจres de Y. pestis sont dues principalement ร lโacquisition des plasmides pPla et pFra.
HISTORIQUE
Peste dans le monde
La peste a provoquรฉ trois grandes pandรฉmies dans lโhistoire du monde :
– La premiรจre pandรฉmie ou la peste de Justinien, en 542, qui a probablement commencรฉ en Ethiopie (Afrique), sโest รฉtendue ร Pรฉluse (Egypte) jusquโau bassin Mรฉditerranรฉen (Pollitzer, 1954). Cette pandรฉmie a durรฉ prรจs de 50 ร 60 ans et le nombre de victimes lors de cette pandรฉmie est estimรฉ ร prรจs de 100 millions (Pollitzer, 1954).
– La seconde pandรฉmie ou la peste noire, au 14รจme siรจcle, a commencรฉ en Asie Centrale. Elle sโest ensuite rรฉpandue en Europe, en Inde et en Chine (Pollitzer, 1954). Le nombre de morts est estimรฉ ร prรจs de 17-28 millions (Perry & Fetherston, 1997).
– La troisiรจme pandรฉmie a commencรฉ ร Canton (Chine), atteignant Hong Kong (Chine) en 1894 et sโest rapidement propagรฉ ร travers le monde par lโintermรฉdiaire des rats infectรฉs transportรฉs ร bord des bateaux ร vapeur (OMS, 2000). La peste se rรฉpand alors dans plusieurs pays jusque-lร indemnes (Madagascar, Australie, Amรฉrique du Nord, Amรฉrique du Sudโฆ) et cause jusquโร environ 12 millions de dรฉcรจs en 1930 (Alibek et al., 2009). Le bacille de la peste ainsi que le rรดle de la puce dans la transmission de la maladie ont รฉtรฉ dรฉcouvert respectivement par Alexandre Yersin (Treille & Yersin, 1894) et Paul-Louis Simond (Mollaret, 1991) au cours de cette troisiรจme pandรฉmie (Perry & Fetherston, 1997).
Actuellement, la peste reste encore endรฉmique dans quelques rรฉgions du monde (Asie, Afrique et les Amรฉriques) et Madagascar est le pays le plus touchรฉ par la maladie avec environ 74% des cas rapportรฉs dans le monde entre 2010 et 2015 (OMS, 2016b).
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
GENERALITES
I. LโAGENT PATHOGENE : Yersinia pestis
I.1 Classification et caractรจres morphologiques
I.2 Caractรจres culturaux, physiologiques et biochimiques
I.3 Caractรจres gรฉnรฉtiques et facteurs de virulence
II. HISTORIQUE
II.1 La peste dans le monde
II.2 La peste ร Madagascar
II.3 Cycle de transmission et symptรดmes de la maladie
II.3.1 Cycles de transmission
II.3.2 Les diffรฉrentes formes de la maladie
II.4 Diagnostic biologique de la peste
II.4.1 Les techniques bactรฉriologiques
II.4.1.1 Microscopie
II.4.1.2 Culture microbienne
II.4.1.3 Inoculation ร la souris
II.4.2 Les techniques immuno-diagnostiques
II.4.2.1 Le test de diagnostic rapide de lโantigรจne F1 (TDRA)
II.4.2.2 Enzyme-Linked ImmunoSorbent Assay (ELISA)
II.4.3 Technique molรฉculaire: Polymerase Chain Reaction (PCR)
II.5 Dรฉfinition des cas de peste
II.6 Traitement et prophylaxie
II.6.1 Traitement
II.6.2 Prophylaxie et prรฉvention
MATERIELS ET METHODES
I. PRESENTATION DES MATERIELS BIOLOGIQUES UTILISES
I.1 Souches pures
I.2 Prรฉlรจvements biologiques humains
II. MISE AU POINT DE LA TECHNIQUE LAMP SUR SOUCHES PURES DE Y.pestis
II.1 PRESENTATION DE LA TECHNIQUE
II.1.1 Caractรฉristiques de la technique
II.1.2 Dรฉroulement des rรฉactions
II.2 METHODES
II.2.1. Extraction dโADN
II.2.2. Mise au point de la technique LAMP
II.2.2.1. Premier essai de LAMP
II.2.2.2. Vรฉrification des produits dโamplification (amplicons)
II.2.2.3. Variation de la durรฉe dโamplification
II.2.2.4. Variation de la tempรฉrature dโamplification
II.2.2.5. Ajout ou non de la bรฉtaรฏne
II.2.2.6. Remplacement de MgSO4 par MgCl2 et absence de Mg2+
II.2.2.7. Adaptation au bain marie
II.2.2.8. Utilisation de loop primers
II.2.2.9. Nouvelle variation du temps dโamplification
II.2.2.10. Test de reproductibilitรฉ
II.2.3. Dรฉtermination des paramรจtres de LAMP
II.2.3.1. Sensibilitรฉ
II.2.3.2. Spรฉcificitรฉ
II.2.3.3. Seuil de detection
II.2.3.4. Rรฉactions croisรฉes
III. RE-OPTIMISATION DE LA PCR caf1 DECRITE
III.1 MISE AU POINT DE LA PCR caf1
III.1.1 Variation de la concentration des amorces
III.1.2 Variation de la tempรฉrature
III.2 DETERMINATION DES PARAMETRES DE LA PCR
III.2.1 Sensibilitรฉ
III.2.2 Spรฉcificitรฉ
III.2.3 Seuil de dรฉtection
III.2.4 Rรฉactions croisรฉes
IV. EVALUATION ET COMPARAISON DES TECHNIQUES
IV.1. EVALUATION DES TECHNIQUES MOLECULAIRES PAR RAPPORT A LA COMBINAISON TDRA-BACTERIOLOGIE
IV.2. COMPARAISON DES TECHNIQUES MOLECULAIRES
RESULTATS ET INTERPRETATIONS
I. MISE AU POINT DE LA TECHNIQUE LAMP SUR SOUCHES PURES DE Y. pestis
I.1 MISE AU POINT DE LA TECHNIQUE LAMP
I.1.1 Premier essai de LAMP
I.1.2 Vรฉrification des produits dโamplification (amplicons)
I.1.3 Variation de la durรฉe dโamplification
I.1.4 Variation de la tempรฉrature dโamplification
I.1.5 Ajout ou non de la bรฉtaรฏne
I.1.6 Remplacement de MgSO4 par MgCl2 et absence de Mg2+
I.1.7 Adaptation au bain marie
I.1.8 Utilisation de loop primers
I.1.9 Nouvelle variation du temps dโamplification
I.1.10 Test de reproductibilitรฉ
I.2 DETERMINATION DES PARAMETRES DE LAMP
I.2.1 Sensibilitรฉ et spรฉcificitรฉ
I.2.2 Seuil de dรฉtection
I.2.3 Rรฉactions croisรฉes
II. RE-OPTIMISATION DE LA PCR caf1
II.1 MISE AU POINT DE LA PCR caf1
II.1.1 Variation de la concentration des amorces
II.1.2 Variation de la tempรฉrature
II.2 DETERMINATION DES PARAMETRES DE LA PCR
II.2.1. Sensibilitรฉ et spรฉcificitรฉ
II.2.2. Seuil de dรฉtection
II.2.3. Rรฉactions croisรฉes
III. EVALUATION ET COMPARAISON DES TECHNIQUES
III.1 EVALUATION DES TECHNIQUES MOLECULAIRES PAR RAPPORT A LA COMBINAISON TDRA-TB
III.2 COMPARAISON DES TECHNIQUES MOLECULAIRES
DISCUSSION
CONCLUSION