Milieu didactique, contrat didactique et contrat didactique différentiel

Revue de littérature

Les ressources mises à disposition par l’Éducation Nationale

Zaidman (2007) rappelle que l’École a pour mission de former les futures citoyennes et les futurs citoyens et qu’elle est garante des valeurs de la République, dont l’égalité.
L’École est alors le miroir de la démocratie, véritable instrument potentiel d’égalité.
Faisons une analogie française des cadres de l’agir enseignant suisses décrits par Fassa (2014). Un premier niveau de l’agir enseignant se situe au niveau du pays, c’est ce que prescrit l’Education Nationale, au travers des programmes notamment. Le deuxième niveau est celui de l’Académie et du département. Le troisième niveau est celui de la ville et des circonscriptions. Le quatrième niveau est celui de l’établissement, où l’on peut retrouver le projet d’école et l’équipe éducative. Enfin, le cinquième niveau se situe au niveau de la classe.
L’agir enseignant s’inscrit donc dans ces cinq cadres, cadres qui restreignent, astreignent et influent la pratique d’enseignement.
L’article 9 de la charte de la laïcité (2013), charte affichée dans toutes les écoles, se rapporte à l’égalité entre les filles et les garçons : « La laïcité implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations, garantit l’égalité entre les filles et les garçons et repose sur une culture du respect et de la compréhension de l’autre. »
Les programmes de l’Education Nationale (2015) entrent dans le premier cadre de l’agir enseignant. Voici en annexe les extraits qui concernent l’égalité entre les femmes et les hommes et les filles et les garçons à l’École élémentaire (annexe 1).
A propos des contenus mêmes des apprentissages à l’École, les femmes sont plutôt exclues de l’Histoire, même si elles y ont été actrices, elles n’y ont pas une très grande visibilité (Thebaud, 2012). Par exemple, les femmes ont été écartées de la vie politique au moment de la Révolution française. Leur rôle dans la révolution ne leur a d’ailleurs pas forcément été restitué (Zaidman, 2007). Les nouveaux programmes intègrent néanmoins une plus grande mixité des acteurs de l’Histoire. Ceci est intéressant, car rendre les femmes plus visibles dans l’histoire enseignée, tout en expliquant le système de genre, permettrait aux filles de développer leur estime de soi et de favoriser leur participation en classe (Opériol, 2014).
Concernant les dispositifs pour l’égalité, en 2013-2014 a été testé l’ABCD de l’égalité (MEN, 2010), programme d’enseignement ayant pour objectif de lutter contre les stéréotypes filles-garçons et de donner des outils aux enseignants et aux enseignantes pour éduquer à l’égalité et au respect entre les sexes. Cette expérimentation a été abandonnée par la suite à cause de ses opposants. Néanmoins, uneplateforme qui rassemble des outils pour l’égalité est disponible en ligne : l’Egalithèque (Cromer, 2014). Comme autres ressources disponibles et conseillées, Ferriere (2014) remarque que le choix des œuvres de littérature de l’Education Nationale présente des contradictions avec ses prescriptions en termes de lutte contre les inégalités de sexe : on y trouve encore des stéréotypes de sexe. On voit là la difficulté de mettre en application cette volonté d’éducation à l’égalité.
Enfin, la formation continue dans le domaine du Genre permet aux enseignantes et aux enseignants de transformer des savoirs d’expérience en savoir savants. Cela conduirait les enseignants et les enseignantes à avoir des propos plus favorables au débat sur le Genre, en évitant les jugements de valeur (Fassa, 2014). Il existe par ailleurs un guide à l’usage des formateurs et des formatrices pour intégrer le Genre dans la formation professionnelle, de Ducret et Lamamra (2005), qui permet d’adopter un regard critique sur sa pratique en vue de l’améliorer.

Égalités et inégalités transmises dans la famille et à l’École

Zaidman (2007) explique que partant d’un consensus social quant à une dualité fondamentale et hiérarchisée des sexes, des rôles de sexe différents et complémentaires sont inculqués aux enfants dès leur plus jeune âge. Ces normes doivent être intériorisées pour maintenir l’équilibre social, mais la contrainte et la répression de la transmission de ces modèles est dénoncée par l’approche féministe. L’éducation traditionnelle empêche les filles de s’affirmer comme sujet en limitant leur activité et leur autonomie. Cette différence des sexes est produite par des comportements différents de la part des enseignants et des enseignantes et des parents selon le sexe de l’enfant. Dafflon Novelle (2010) remarque de plus que les filles et les garçons ne sont pas socialisés de la même manière dans leurs différents milieux de vie, que ce soit par les objets qu’ils ont à disposition ou les interactions des adultes avec eux. Ces derniers renforcent les comportements conformes aux stéréotypes de sexe et découragent ceux qui ne le sont pas, les garçons étant davantage découragés. Les médias (télévision, publicité, jouets, littérature) véhiculent également des stéréotypes de sexe très marqués. Davantage que l’École en tant qu’institution, les environnements social et familial sont donc responsables de la production des inégalités selon le sexe. Rogers (2012) met cependant en avant le rôle majeur des interactions entre pairs à l’École dans le renforcement des comportements sexués. L’École est alors un lieu d’expression des attitudes acquises dans la sphère domestique ainsi qu’un lieu de socialisation aux rapports sociaux de sexe (Clair, 2012).

Inégalités entre les filles et les garçons transmises par la famille

Il est difficile pour les familles de choisir réellement la façon dont elles élèvent leurs enfants, car un système d’éducation s’impose aux individus du fait de leur inscription dans la société à un moment donné de son développement (Durkheim, 1911, cité par Zaidman, 2007).
Les différents degrés d’adhésion des parents et de la famille aux stéréotypes de sexejouent un rôle primordial dans l’éducation des enfants. Vouillot (1999) avance l’allégation suivante : que ce soit conscient ou non et bien souvent ce n’est pas le cas, les adultes ne se comportent pas de la même manière selon le sexe de l’enfant. L’éducation des filles et des garçons est alors forcément différente. Les filles sont éduquées à être plus dépendantes, plus affectueuses et moins agressives. Les enfantsapprennent alors des modèles différents en fonction du sexe.
Le père et la mère n’ont pas les mêmes rôles auprès de l’enfant, les mères écoutent et sont complices, tandis que les pères jouent et manipulent (Rouyer, 2007, cité par Mieyaa, 2012).
Les frères et sœurs jouent également un rôle dans l’élaboration des représentations des rôles de sexe (Mieyaa, 2012). Par exemple, les parents parlent plus avec leurs filles qu’avec leurs garçons et les conversations sont également plus élaborées avec les filles qu’avec les garçons (Lovas, 2011). Les parents assistent ou contrôlent davantage les actes moteurs des filles que des garçons, ce qui conduit ces derniers à apprendre à prendre davantage de risques (cité par Mieyaa, 2012). Mais lorsque les valeurs éducatives familiales incluent un réel souci d’égalité entre les sexes, la masculinisation des filles est toutefois mieux tolérée que la féminisation des garçons (Monjaret, 2016).
Il faut noter que la vision binaire du sexe est dans un premier temps utile à l’enfant pour mieux appréhender le monde. A 2 ans, il a déjà des connaissances sur les rôles de sexe des adultes, savoir qui est de plus sexué puisque les filles connaissent davantage les rôles féminins (Rouyer et Robert, 2010).
Puisqu’un système d’éducation s’impose aux individus car il est inscrit dans la société, l’action politique est plus efficace que l’action pédagogique individuelle (Pelletier, cité par Zaidman, 2007). Dayer et Collet (2014, p. 19) se posent alors les questions suivantes par rapport au rôle éducatif de l’École : « comment dé-genrer l’enseignement sans risquer de paraître peu crédible face à des enfants et adolescent-e-s vivant dans un monde hyper-sexué et sexualisé ? Comment faire preuve d’inventivité sans reconduire des logiques de discrimination ? »

Les effets du curriculum caché à l’École à propos des inégalités entre les filles et les garçons

L’École est un des milieux de socialisation de l’enfant. Il va y apprendre, en plus des savoirs et compétences des programmes, à devenir homme ou femme. Cette institution dispense un traitement inégalitaire entre les filles et les garçons. La mixité pourrait pourtant aider à produire de l’égalité, en pensant et mettant en œuvre une véritable pédagogie de coéducation (Vouillot, 1999).

Les inégalités entre les filles et les garçons à l’École

Les filles et les garçons étaient initialement séparés dans les écoles et recevaient des enseignements différents, pour se rapprocher petit à petit de la mixité et d’un enseignement commun, mixité qui est devenue obligatoire en 1975 avec la loi Haby. Zaidman (2007) constate que cette mixité n’a néanmoins pas vraiment été pensée lors de sa généralisation. En effet, l’École est un puissant instrument de reproduction des stéréotypes de sexe, comme a pu le décrire Mosconi (2012, p. 17) : « Filles et garçons vivent à l’école, à travers une multitude de processus quotidiens parfois très fins et le plus souvent inaperçus des jeunes et des adultes, une socialisation différente selon leur sexe. Et celle-ci contribue à préparer des positions différentes mais surtout inégales. » Mais la fonction de socialisation de l’École lui permet d’espérer être l’outil de production d’égalité entre les sexes (Vouillot, 1999).
Zaidman (2007) explique que la mixité est à étudier comme un système de relations et que les pratiques institutionnelles sont au cœur de l’étude. Dans tous les espaces de l’École se dessine un jeu de mélange et de séparation entre filles et garçons. L’École est donc mixte, mais mixité ne veut pas dire égalité. Selon Marro et Collet ( 2009, cité par Dayer et Collet, 2014), la mixité à l’École relève encore davantage d’une juxtaposition des sexes, il s’agit donc seulement d’une mixité de surface. Pour tendre vers l’égalité, il faut une réelle coéducation pour accompagner les pratiques mixtes de l’École, ce qui demanderait également une meilleure formation du corps enseignant (Collet, 2012).

Résultats

Nous présenterons dans un premier temps la classe, l’enseignante et les élèves. Puis nous développerons le déroulé de la séquence en décrivant chaque séance. Nous justifierons ensuite notre choix de séance et analyserons le savoir en jeu du dispositif initial. Nous expliquerons par la suite notre choix de certains moments remarquables et résumerons les moments non-analysés. Nous analyserons alors précisément les moments remarquables. Enfin, nous interpréterons ces résultats.

Présentation de la population et du contexte

Notre étude a été réalisée dans une classe de cours préparatoire (CP) d’une école de Toulouse, hors du centre-ville. Il n’y a pas de projet d’école autour de l’égalité entre les filles et les garçons mais la programmation d’école prévoit d’aborder ce sujet tous les trois ans de façon commune. La classe comporte 27 élèves âgés d’environ 6 ans qui ont déjà travaillé sur les différences l’année précédente, en maternelle.La classe est composée de 10 filles et de 17 garçons.
L’enseignante a une dizaine d’années d’expérience et a la volonté de combattre les stéréotypes de sexe. Elle a une licence en sciences de l’éducation et pas de formation particulière touchant à l’égalité entre les sexes. Nous nous rapporterons pour la suite de la présentation de l’enseignante au questionnaire complété par celle-ci (cf. annexe 15).
Concernant son positionnement personnel par rapport au Genre, elle remarque des différences entre les hommes et les femmes dans le milieu du travail, au niveau de la répartition des emplois selon les domaines et selon les responsabilités : « Les femmes vont j’ai l’impression plus vers des métiers en lien avec le social et les hommes en lien avec la technique ». « Je remarque aussi que les postes à responsabilité sont plus souvent occupés par des hommes même dans des professions plus « féminines » ». Dans la sphère domestique, elle trouve que la répartition des tâches doit être égalitaire et se faire selon les goûts de chacun.
A l’école, l’enseignante ne remarque pas de différence de comportement entre les filles et les garçons en classe. En revanche, dans la cour de récréation, elle constate des différences de jeux : « Les filles jouent davantage à des jeux d’imagination […]et les garçons à des jeux sportifs ». Elle discerne plus de disputes entre les filles et moins de bagarres entre les filles qu’entre les garçons. Elle attribue la différence de réussite scolaire au milieu social de chaque enfant.
En classe, elle trouve que les enseignantes et les enseignants doivent « s’adresser de la même manière aux filles et aux garçons et éviter au maximum toutes expressions trop stéréotypées ». Le choix des supports et les commentaires sur les élèves doivent être réfléchis.
Elle est consciente que les « expressions stéréotypées sont parfois présentes, de façon inconsciente », mais n’a pour autant « jamais observé de comportements très différents envers les garçons et les filles de la part de collègues ».
L’enseignante a par le passé travaillé sur l’égalité entre les filles et les garçons à partir « d’albums comme « Marre du rose » et discussions, débats », en abordant les thèmes des jeux et des couleurs et de « ce qui différencie réellement filles et garçons ». Elle pense être attentive à traiter tous les élèves de la même manière mais est consciente que « certaines expressions qu[‘elle]utilise sont parfois inappropriées ».
La collaboration lors de cette recherche autour de la séquence sur la reconnaissance des stéréotypes de sexe dans la littérature de jeunesse lui « permettait d’avoir un regard plus objectif et de mieux lutter contre [ses]propres stéréotypes ». De plus, l’enseignante s’inscrit déjà dans une des facettes de la recherche collaborative, puisqu’elle accueille régulièrement des stagiaires dans sa classe, ce qui lui permet de les accompagner de l’intérieur même de son espace de pratique ainsi que d’avoir des retours réflexifs sur sa propre pratique.
Nous présentons maintenant quelques élèves dont nous parlerons par la suite. Pour les réponses aux questions de la séance 1, nous nous référons à l’annexe 16. Lorenzo a un bon niveau mais a des difficultés attentionnelles. L’enseignante le décrit comme étant très dépendant du Genre car il a un comportement et des croyances très fortement associés aux stéréotypes masculins. Balamine est un élève qui a des difficultés scolaires. Il a selon l’enseignante des représentations de sexe assez stéréotypées venant majoritairement de son milieu familial. Lors des questions de la séance 1, il dit vouloir être policier plus tard. Solenn est décrite comme une excellente élève par l’enseignante. Elle a un comportement associé aux stéréotypes féminins mais son positionnement de genre épistémique reste fluide car elle est selon l’enseignante ouverte à tout et beaucoup dans la réflexion. Lors des questions de la séance 1, elle dit vouloir travailler au zoo ou être vétérinaire plus tard. Elle trouve que les filles et les garçons n’aiment pas les mêmes choses et que les garçons peuvent avoir les cheveux longs et les filles les cheveux courts mais qu’en général c’est l’inverse. Salomé a un niveau scolaire globalement moyen. L’enseignante rapporte qu’elle a un comportement fortement associé aux stéréotypes masculins, elle porte par exemple un maillot de bain destiné aux garçons à la piscine. Elle est dépendante du Genre car elle adopte des comportements traditionnellement associés au sexe masculin. Lors des questions de la séance 1, elle dit vouloir être pompier plus tard. Maxime est un excellent élève. Son positionnement de genre est fluide car il a un comportement associé aux stéréotypes masculins au niveau des jeux et des centres d’intérêt, mais il est assez sensible et émotif et n’a aucune appréhension à le montrer d’après l’enseignante. Lors des questions de la séance 1, il dit vouloir tester et réparer des karts plus tard.

Être pompier

Ce moment suit directement le précédent. Il dure deux minutes et vingt-quatre secondes. L’enseignante sélectionne l’étiquette « pompier » dans la colonne « plutôt pour les garçons » de l’affiche du groupe 4 (cf. annexe 18). Elle interroge ensuite plusieurs élèves qui répondent tour à tour que les pompiers, « C’est aussi pour les filles » et « C’est pour tout le monde ». L’enseignante repère que tous les élèves ne sont pas convaincus. Pour faire avancer le savoir, elle régule le jeu didactique par un sondage à main levée pour savoir qui pense que « tout le monde peut être pompier même les filles ». Elle repère quelques désaccords et interroge Maxime, qui pense que les femmes ne peuvent pas être pompier car « C’est un travail dangereux ». L’enseignante lui demande si « les filles elles peuvent pas faire des trav… Des travaux dangereux ? ». On voit un effet de contrat didactique car Maxime se saisit de cet indice pour modifier sa réponse : « Si mais c’est pas… C’est pas souvent qu’on en voit », ce qui introduit la notion de Genre. L’enseignante institutionnalise cette assertion et régule le jeu didactique en demandant pourquoi. Elle se ravise et récupère la main sur le savoir en jeu en déclarant que « Ça c’est un peu compliqué comme question ». Salomé reprend la notion de Genre en expliquant que « y en a pas beaucoup parce qu’il y en a pas beaucoup, de filles, qui aiment ce travail ». L’enseignante propose alors « qu’il y a pas beaucoup de filles qui se donnent le droit d’aimer ce travail » puis coupe cet élan vers le Genre et institutionnalise le savoir en jeu : « Mais ça c’est un peu compliqué. Bon en tous cas c’est pour tout le monde ». La topogenèse de ce moment remarquable reste plutôt du côté de l’enseignante mais Salomé fait aussi avancer le savoir en jeu. Le milieu didactique mis en place par l’enseignante est peu propice à la dévolution car dès que la notion de Genre apparaît, elle reprend la main sur le savoir en jeu par ses régulations didactiques et institutionnalisations dans un souci de faire avancer le savoir dans un but précis.

Aimer le rose

Ce moment fait suite au moment « avoir un doudou ». Il dure trois minutes et vingt neuf secondes. L’enseignante sélectionne l’étiquette « rose » dans la colonne « plutôt pour les filles » de l’affiche du groupe 1 (cf. annexe 19). Une élève affirme que « Le rose c’est pour tout le monde ». Salomé ajoute que « quand on a fait la leçon sur j’aime pas le rose, et ben en fait à la fin elle aimait le rose ». On voit là un effet de contrat didactique car Salomé se souvient de la séquence faite l’année précédente et en rappelle une conclusion. L’enseignante le remarque car elle connaît les goûts de Salomé et régule le jeu didactique en demandant « du coup toutes les filles elles aiment le rose, c’est ça ? » pour faire avancer le savoir en jeu.
Salomé montre un exemple allant à l’encontre du stéréotype en affirmant « Non. J’aime pas le rose ». D’autres élèves font avancer le savoir en apportant des exemples de leur vécu personnel, comme « Moi le rose c’est ma couleur préférée » et « Il écrit en rose ». La régulation didactique de l’enseignante qui demande « C’est pas possible un garçon qui aime le rose ? » engendre un effet de contrat didactique car un élève garçon répond « Si, mais j’aime pas le rose ». En effet, cet élève a compris les attentes de l’enseignante et répond donc oui mais ne s’inclut pas dans cette affirmation en restant sur un positionnement stéréotypé.
Maxime prend ensuite la responsabilité du savoir en jeu en affirmant que « le rose, c’est une couleur, donc, tout le monde peut l’aimer ». Cette déclaration n’est pas reprise par l’enseignante, qui a à cœur de faire avancer le savoir en introduisant la question du Genre par la question « Si on est un garçon, et qu’on va dans un magasin et qu’on a envie de s’acheter un pull […] rose. Est-ce qu’on va en trouver ? ». Toujours dans un souci d’avancement du savoir au vu du temps qui passe, elle régule le jeu didactique en disant que « C’est vrai que dans les magasins, y’a pas tellement de pull rose pour les garçons. Mais est-ce que ça pourrait ? ». Elle poursuit en institutionnalisant que « ça pourrait, ça serait possible » après que les élèves ont répondu « Ouiii » en chœur. Ces derniers apportent encore quelques exemples tirés de leur environnement proche, comme « mon père il s’est… Il s’est acheté un pull rose », « Le rose, c’est couleur pré… Préférée […]Parce que on ne peut à moi me dire le contraire », « Mon papa il aime beaucoup le rose, il dit que c’est sa couleur préférée » et « Valentin, mon copain, il a dit ça, il a dit que le rose c’est sa couleur préférée », assertions qui ne sont pas reprises par l’enseignante. Lors de ce moment, le milieu didactique mis en place par l’enseignante est partiellement propice à la dévolution. La topogenèse est partagée entre les élèves et l’enseignante. En effet, les élèves permettent parfois de faire avancer le savoir, comme en témoigne l’affirmation de Maxime, mais l’enseignante garde la main sur le savoir en jeu dès que la question du Genre apparaît.

Cuisiner

Ce moment fait suite au moment « jouer au ballon ». Il dure cinquante-trois secondes.
L’enseignante choisit l’étiquette « cuisiner ». Elle interroge un élève en lui demandant si « C’est que les garçons qui cuisinent ? ». Un autre élève, Balamine, répond vigoureusement que non, et précise « C’est que les filles ». L’enseignante régule le jeu didactique en lui demandant pourquoi. Balamine se saisit de cet indice, comprend que sa réponse n’était pas celle attendue par l’enseignante et se tait. On voit ici un effet de contrat didactique. Balamine a décodé les attentes de l’enseignante au regard de cette question du Genre. L’enseignante tente de faire avancer le savoir en lui demandant « Dans ta maison, qui c’est qui cuisine ? », ce à quoi Balamine répond « Ma mère ? » d’un ton peu assuré. L’enseignante vérifie que son père ne cuisine jamais, puis demande à l’ensemble de la classe si les élèves ont un père qui cuisine. Cette régulation didactique par sondage à main levée permet à Balamine et à d’éventuels autres élèves partageant sa représentation de cette activité d’avoir d’autres exemples de fonctionnement et ainsi d’ouvrir les possibles. L’enseignante prend Balamine à témoin mais ne le laisse pas formuler de conclusion. La topogenèse est du côté de l’enseignante, qui conclut par « Peut-être que ton papa il cuisine pas parce que lui il aime pas cuisiner ! Mais, c’est possible que les garçons cuisinent aussi » puis passe à un autre sujet. Le milieu didactique mis en place par l’enseignante ne permet pas aux élèves de s’emparer de la question, car par ses régulations didactiques elle garde la main sur le savoir en jeu. C’est l’enseignante qui fait avancer le savoir en jeu et qui l’institutionnalise sans que les élèves aient eu l’opportunité de s’en emparer. Elle poursuit son projet d’enseignement qui est de faire avancer le savoir dans un but précis.

Porter un serre-tête

Ce moment fait suite au moment « conclusion de la séance », où l’enseignante avait demandé aux élèves s’il y a des choses interdites pour les filles ou interdites pour les garçons.
Il dure une minute et quinze secondes. Elle écoute quelques derniers élèves avant de clore la séance. Un élève affirme que « Les garçons ils ont pas le droit de prendre des serre-têtes et les filles ils ont le droit ». A noter l’emploi du pronom personnel masculin à la troisième personne du pluriel pour reprendre le groupe nominal « les filles », phénomène de masculinisation des femmes fréquent dans le langage des élèves de l’École primaire.
L’enseignante relance la discussion en demandant si « les garçons ils ont pas le droit de mettre des serre-têtes ? ». Elle permet ainsi la dévolution car deux élèves font avancer le savoir en apportant des exemples de leur vécu personnel contraires aux stéréotypes. Une fille déclare « Moi mon frère il met des serre-tête » et Solenn explique que quand son père était petit, « il avait les cheveux longs, et […]il mettait un serre-tête ! Et oui parce qu’il avait la frange comme moi, qui lui allait dans les yeux ». Elle met en exergue la fonction de l’objet « serre-tête » et amène donc la question du Genre. L’enseignante institutionnalise ensuite en posant la conclusion que « Dans notre euh… Façon de vivre, c’est plus souvent les filles qui mettent des serre-têtes. Donc on n’est pas habitués à voir des garçons avec des serre-têtes. Mais s’ils avaient envie de mettre un serre-tête… […]Ils pourraient ! Ils auraient le droit ».
Les élèves manifestent leur accord avec cette conclusion, et l’enseignante ajoute un exemple plus éloigné des élèves comme argument d’autorité en guise de régulation didactique : « y’a un… Chanteur qui met des serre-têtes des fois ». Le milieu didactique mis en place par l’enseignante permet aux élèves de prendre la responsabilité du savoir en donnant des exemples proches d’eux et ainsi de le faire avancer. La topogenèse est partagée entre les élèves et l’enseignante puisque celle-ci institutionnalise le savoir en jeu et reprend la main dessus par ses régulations didactiques.

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Table des matières
Introduction
I. Revue de littérature
I. 1. Les ressources mises à disposition par l’Éducation Nationale
I. 2. Égalités et inégalités transmises dans la famille et à l’École
I. 2. 1. Inégalités entre les filles et les garçons transmises par la famille
I. 2. 2. Les effets du curriculum caché à l’École à propos des inégalités entre les filles et les garçons
I. 2. 2. 1. Les inégalités entre les filles et les garçons à l’École
I. 2. 2. 2. Les interactions pédagogiques élèves-élèves et élève-enseignant.e
I. 2. 2. 3. Le curriculum caché
I. 3. Définitions : sexe, genre et stéréotypes de sexe
I. 3. 1. Sexe
I. 3. 1. Genre
I. 3. 1. Stéréotypes de sexe
I. 4. Les stéréotypes de sexe véhiculés par la littérature de jeunesse
I. 4. 1. Les personnages masculins
I. 4. 2. Les personnages féminins
I. 4. 3. Les histoires mixtes
I. 4. 4. Les stéréotypes dans la littérature de jeunesse
I. 4. 5. La littérature de jeunesse à l’École
II. Inscription théorique
II. 1. Les approches didactiques
II. 2. Les régulationsdidactiques
II. 3. Milieu didactique, contrat didactique et contrat didactique différentiel
III. Problématique
IV. Méthodologie
V. 1. Co-construction de la séquence et analyse des albums
V. 2. Modalités de recueil des données
V. 3. Traitement des données
VI. Résultats
VI. 1. Présentation de la population et du contexte
VI. 2. Déroulé de la séquence
VI. 3. Choix de la séance 3 et analyse du savoir en jeu dans le dispositif initial
VI. 4. Choix et analyse des moments remarquables
VI. 4. 1. Pleurer
VI. 4. 2. Être pompier
VI. 4. 3. Aimer le rose
VI. 4. 4. Cuisiner
VI. 4. 5. Porter un serre-tête
VI. 4. 6. Mettre du vernis
VI. 5. Interprétation
VII. Discussion
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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