Migrants : processus complexe de migration, facteurs de vulnérabilité et accès
aux soins en France
Migrants
Définition
L’Organisation des Nations Unies comptabilise comme migrants internationaux les personnes nées à l’étranger (ONU 2015). C’est une catégorie générale à laquelle appartiennent notamment les réfugiés, mais aussi les étudiants étrangers ou les travailleurs venus d’autres pays… En France, les études statistiques définissent comme immigrée une personne née étrangère à l’étranger (ce qui exclut les Français nés à l’étranger et inclut les migrants qui ont acquis la nationalité française) (INSEE 2012 (b)).
Les migrants dans le monde
Selon les chiffres des Nations Unies, le nombre de migrants internationaux dans le monde a crû rapidement au cours des quinze dernières années pour atteindre 244 millions en 2015 comparativement à 173 millions en 2000. Toutefois, ces migrants ne représentent qu’une faible part de la population mondiale : environ 3.3%. Les réfugiés, estimés à 19.5 millions en 2014, représentent seulement 8% des migrants internationaux (ONU 2015).
En 2015, 173 millions (71%) de migrants internationaux vivent dans un pays à revenus élevés, 61 millions (25%) dans un pays à revenus intermédiaires et 9 millions (4%) dans un pays à faibles revenus. Un quart des migrants sont originaires de pays à revenus élevés, plus des deux tiers des migrants proviennent de pays à revenus intermédiaires et 10% des migrants sont originaires d’un pays à faibles revenus (ONU 2015). En 2015, l’Europe et l’Asie rassemblent respectivement 76 millions et 75 millions de migrants internationaux, soit près des deux-tiers. La répartition selon les pays montre que la majorité (67%) de tous les migrants internationaux est répartie dans seulement vingt pays : 47 millions (soit un migrant sur cinq) aux Etats-Unis, loin devant l’Allemagne et la Russie (12 millions chacun), l’Arabie Saoudite (10 millions), le Royaume-Uni (9 millions), et les Emirats Arabes Unis (8 millions). En revanche, les immigrés représentent 14% de la population totale américaine contre 88% dans un Etat pétrolier comme les Emirats Arabes Unis, qui affiche la plus forte proportion d’immigrés parmi la population générale. Entre 2000 et 2015, le nombre de migrants internationaux a augmenté plus vite que la population mondiale (2.8% en 2000 et 3.3% en 2015), avec des différences considérables entre les grandes régions majeures. Malgré cette croissance continue, les migrants internationaux représentent moins de 2% de la population en Afrique, Asie, et Amérique latine et Caraïbes. En revanche, en Europe, en Amérique du Nord et en Océanie, les migrants internationaux représentent au moins 10% de la population (ONU 2015).
La migration se produit principalement entre les pays qui se trouvent dans la même région du monde, la majorité des migrants originaires d’Asie (60%), d’Europe (66%), d’Océanie (59%) et d’Afrique (52%) vivant dans un autre pays appartenant à leur région d’origine. Cependant, certains migrants comme ceux originaires d’Amérique Latine et des Caraïbes (84%) et d’Amérique du Nord (73%) résident en majorité dans un pays en dehors de leur région d’origine (ONU 2015) .
Les migrants en Europe
Historiquement, la relative prospérité économique et la stabilité politique de l’Union Européenne (UE) ainsi que le vieillissement de la population semblent avoir eu un effet d’attraction considérable sur les immigrants. Au 1er janvier 2014, les Etats membres de l’UE comptent 506,8 millions d’habitants, dont 51,4 millions de personnes nées en dehors du pays dans lequel elles résident et parmi lesquelles 33,5 millions sont nées en dehors de l’UE-28. (EUROSTAT 2015). En chiffres absolus, le plus grand nombre de migrants vivant dans les Etats membres de l’UE (+ Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse) au 1er Janvier 2014 se trouvent dans 5 pays : en Allemagne (9.8 millions), au Royaume-Uni (8 millions), en France (7.7 millions), en Espagne (6 millions) et en Italie (5.7 millions), soit un cumul de 69% du nombre total de migrants résidant dans l’ensemble des Etats membres de l’UE (+ Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse) (EUROSTAT 2015). Cependant, en termes relatifs, ils y représentent 9 à 13 % de la population générale. Les deux Etats présentant la proportion la plus élevée de migrants sont le Liechtenstein et le Luxembourg, avec respectivement 63.1% et 43.3% de la population totale, bien plus que la France (11.6%) (EUROSTAT 2015) . Dans la plupart des Etats membres de l’UE (à l’exception de l’Irlande, de Chypre, du Luxembourg, de la Hongrie et de la Slovaquie), la majorité des migrants sont citoyens d’un pays tiers (hors UE).
Les migrants en France
Par sa situation géographique qui en fait un lieu de croisement des commerces et des populations, puis par son histoire d’ancienne puissance coloniale, la France a été depuis le milieu du XIXème siècle, le premier et le plus grand pays d’immigration européen jusqu’aux années 1960.
Histoire de l’immigration en France
Tout au long du XXème siècle, les communautés présentes sur le sol français métropolitain se sont diversifiées et sont venues de pays de plus en plus éloignés. Avant la Première Guerre mondiale, l’immigration était quasi-exclusivement européenne, majoritairement d’Italie et de Belgique. C’est vers 1910 que l’on peut situer le début de l’immigration des personnes originaires du Maghreb. A partir des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970, l’éventail des origines s’est ouvert avec l’arrivée d’immigrés du Portugal, du Maroc, d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud-Est. De 1975 à 2008, la part des immigrés présents en France venus de l’ensemble de l’Europe a constamment baissé passant de 66% à 38% (nombreux décès ou retours au pays d’origine) (INSEE 2012 (a)) .
Les migrants en France aujourd’hui
En France, un immigré est considéré comme toute personne résidant en France et née étrangère dans un pays étranger, à la différence de Eurostat et de l’ONU où toutes les personnes nées à l’étranger sont considérées (INSEE 2012 (b)). Au 1er janvier 2014, 65,8 millions de personnes vivent en France, hors Mayotte : 11.6% d’entre elles sont nées à l’étranger (7.6 millions) et 8.9% sont immigrées (5.9 millions) (voir figure 4). La part des migrants dans la population française s’est accrue de 0.8% entre 2006 et 2014 (Brutel C INSEE 2015).
Bien que depuis 1975 la tendance principalement observée a été l’arrivée importante des populations originaires d’Afrique, ainsi que de migrants originaires de Turquie et de Chine, l’immigration s’est européanisée ces dernières années avec près de la moitié des migrants entrés en France en 2012 nés en Europe (majoritairement portugais, britanniques, italiens et allemands). Les nouveaux immigrés d’origine africaine viennent quant à eux pour moitié du Maghreb (Brutel C INSEE 2014) .
La population immigrée est restée longtemps à majorité masculine avant de se féminiser à partir du milieu des années 1970, et ceci, quelle que soit l’origine. En 2008, 51% des immigrés sont des femmes, contre 44% en 1968, la raison la plus courante de la migration étant de rejoindre leur conjoint. Moins d’hommes migrants (48%) que de femmes (72%) sont en couple à leur arrivée, les hommes attendant généralement d’être installés pour fonder une famille (INSEE 2012 (c)). L’âge médian des immigrés vivant en France en 2008 est inférieur à celui des non migrants, notamment chez les Africains (INSEE 2012 (d)). La répartition selon le statut d’activité des immigrés est liée à l’ancienneté des vagues migratoires : Espagnols et Italiens, âgés, sont fréquemment à la retraite. Les immigrés portugais sont les plus jeunes, donc en âge d’être actifs, avec un taux d’emploi très élevé. Les ressortissants des pays tiers (hors UE) sont en âge de poursuivre des études ou de travailler, mais rapportent toutefois un taux élevé de chômage, notamment chez les migrants originaires de Turquie et du Maghreb (INSEE 2016).
Le processus complexe de la migration
« La migration n’est pas qu’un simple acte de passage de frontières, mais plutôt un long processus qui affecte les vies des personnes impliquées. » UNESCO L’immigration en France est un phénomène ancien : au début du XXème siècle, la France métropolitaine comptait déjà plus d’un million d’immigrés, soit près de 3% de sa population. Après la fin des deux grandes guerres mondiales, suite à la perte considérable d’hommes jeunes, l’Etat encourage l’immigration massive afin de remédier à la perte de main d’œuvre. L’immigration familiale est admise. En 1952, la France signe la convention de Genève et créé l’Office français de protection des réfugiés et apatrides qui attribue ou non la qualité de réfugié et en assure la protection. En 1974, la croissance économique ralentit et le gouvernement restreint l’immigration au regroupement familial et aux demandes spécifiques émanant d’employeurs (INSEE 2012 (e)). Parmi les hommes, les immigrés arrivés adultes de Turquie, d’Europe, d’Amérique ou d’Océanie ont le plus souvent constitué un couple avant la migration. A l’inverse la vie conjugale avant la migration est plus rare pour les immigrés d’Afrique et d’Asie du Sud-Est (INSEE 2012 (f)). Les familles migrantes posent un certain nombre de challenges pour les systèmes scolaires, les systèmes de sécurité sociale et les systèmes de santé (Cattacin S 2007). La migration internationale est influencée par une combinaison de facteurs économiques, politiques et sociaux, causes de départ du pays d’origine ou effet d’attraction du pays de destination. Les principales raisons de la mobilité des populations à travers le monde incluent : les tendances démographiques (vieillissement de la population des pays développés, croissance de la population des pays en voie de développement), l’inégalité de répartition des richesses, la crise politique, le changement climatique… Malgré des facteurs limitants, tels que les politiques sécuritaires et protectionnistes de fermeture des frontières (MIGREUROP 2009), notamment en Europe, la majorité des personnes choisit d’émigrer vers des lieux où la vie paraît meilleure (OCDE 2008, OIM 2008). La migration n’est plus considérée comme le parcours d’un lieu à un autre mais comme un processus complexe, cyclique et multi-étapes (Darmon N Public Health Nutr 2001, Zimmerman PLoS Med 2011), pouvant interférer avec la santé et le recours aux soins de l’individu migrant. La santé des migrants, avant le départ, peut déjà être affectée par des caractéristiques individuelles (biologiques, génétiques, socio-économiques et culturelles), sanitaires (prévalences de maladies chroniques ou infectieuses dans le pays d’origine), environnementales (conditions climatiques, facteurs nutritionnels…), politiques (violations des droits humains, violences…), de santé publique (politique de santé, prévention, accès aux soins) ; des caractéristiques qui peuvent continuer d’affecter les migrants après la migration, même longtemps après leur arrivée dans le pays de destination (Gushulak BD Emerg Themes Epidemiol 2006, Gushulak BD PLoS Med 2011, Boulogne R Soc Sci Med 2012). Par la suite, l’individu migrant peut passer par des lieux de transit, pour de plus ou moins longues durées, au cours desquelles des pathogènes peuvent avoir été transportés et être à l’origine de changements dans l’épidémiologie locale et internationale des maladies transmissibles (Klinkenberg E Eur Respir J 2009, Lynch C PLoS Med 2011). De plus, certains migrants, notamment en situation irrégulière, peuvent avoir été victimes de différents traumatismes (mode de transports précaires, actes criminels).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. ETAT DE L’ART : INFECTION PAR LE VIH ET MIGRANTS
1. Migrants : processus complexe de migration, facteurs de vulnérabilité et accès aux soins en France
1.1. Migrants
1.1.1. Définition
1.1.2. Les migrants dans le monde
1.1.3. Les migrants en Europe
1.1.4. Les migrants en France
1.1.4.1. Histoire de l’immigration en France
1.1.4.2. Les migrants en France aujourd’hui
1.2. Le processus complexe de la migration
1.3. La vulnérabilité des migrants
1.4. Santé et accès aux soins des migrants
2. Epidémie du VIH
2.1. Epidémie du VIH dans le monde
2.2. Epidémie du VIH en France
3. Epidémie du VIH chez les migrants
3.1. Epidémie du VIH chez les migrants en Europe
3.2. Epidémie du VIH chez les migrants en France
3.2.1. Evolution de l’épidémie du VIH chez les migrants en France
3.2.2. Caractéristiques des migrants actuellement infectés par le VIH en France
CHAPITRE 2. MATERIEL ET METHODES
1. La base de données hospitalière française sur l’infection à VIH (French Hospital Database on HIV, FHDH-ANRS CO4)
1.1. Création de la cohorte FHDH-ANRS CO4 (FHDH)
1.2. Les objectifs
1.3. Données recueillies dans la FHDH
1.4. Publications et apports de la FHDH
2. Choix de la population, sélection des données dans la FHDH et méthodologie du travail de thèse
2.1. Les migrants dans la FHDH
2.2. Sélection des nouveaux patients pris en charge dans la FHDH
2.3. Variable combinée « origine géographique, sexe et groupe de transmission » et choix de la population de référence
3. Evaluation du délai d’initiation du traitement antirétroviral à un stade non avancé de la maladie selon l’origine géographique, le sexe et le groupe de transmission
3.1. Sélection de la population d’étude et des données dans la FHDH
3.2. Délai d’introduction du traitement antirétroviral
4. Evaluation de la réponse biologique et clinique après initiation du traitement antirétroviral selon l’origine géographique, le sexe et le groupe de transmission du VIH
4.1. Sélection de la population d’étude et des données dans la FHDH
4.2. Délai entre initiation du traitement antirétroviral et charge virale indétectable, restauration des CD4, apparition d’un évènement clinique
5. Evaluation de la morbidité définissant le SIDA ou non après initiaion du tratement antirétroviral, selon l’origine géographique, chez les hommes hétérosexuels et chez les femmes hétérosexuelles
5.1. Sélection de la population d’étude et des données dans la FHDH
5.2. Taux d’incidences des évènements cliniques
5.3. Comparaison des risques d’évènements cliniques
CHAPITRE 3 : COMPARAISON DU DELAI DE L’ENTREE DANS LE SOIN A L’INITIATION DU TRAITEMENT ANTIRETROVIRAL SELON L’ORIGINE GEOGRAPHIQUE, LE SEXE ET LE GROUPE DE TRANSMISSION EN FRANCE, EN DEHORS DE L’ACCES AUX SOINS TARDIF
CHAPITRE 4 : EVALUATION DE LA REPONSE BIOLOGIQUE ET CLINIQUE APRES INITIATION DU TRAITEMENT ANTIRETROVIRAL EN FRANCE SELON L’ORIGINE GEOGRAPHIQUE, LE SEXE ET LE GROUPE DE TRANSMISSION DU VIH
CHAPITRE 5 : MORBIDITE ET MORTALITE CLASSANTES ET NON CLASSANTES SUIVANT L’INITIATION DU TRAITEMENT ANTIRETROVIRAL CHEZ LES PERSONNES HETEROSEXUELLES HOMMES OU FEMMES EN FRANCE, SELON L’ORIGINE GEOGRAPHIQUE
CHAPITRE 6 : DISCUSSION GENERALE ET PERSPECTIVES
1. Discussion méthodologique
1.1. Limites et avantages de la FHDH
1.2. Importance de combiner l’origine géographique, le sexe et le groupe de transmission du VIH
2. Discussion des résultats
2.1. Initiation retardée du traitement antirétroviral chez les hommes migrants originaires d’Afrique sub-Saharienne/Antilles non Françaises, en dehors du contexte de dépistage tardif
2.2. Probabilité de restauration immunitaire plus faible chez les migrants
2.3. Des résultats virologiques et cliniques moins bons chez les hommes hétérosexuels quelle que soit leur origine
2.4. Le poids de la morbidité après initiation du traitement
3. Enjeux futurs de la recherche
CONCLUSION
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