Depuis plusieurs décennies, l’étude des fluides à l’échelle microscopique (microfluidique) connaît un essor considérable. Définie comme « la science et la technologie des systèmes qui manipulent de petits volumes de fluides » [1], la microfluidique est devenue un outil de plus en plus présent dans notre quotidien.
Dans les années 1960 les premiers circuits intégrés sont apparus. Utilisant des procédés de fabrication similaires, plusieurs autres dispositifs ont alors pu être fabriqués tels que des poutres, des valves, des canaux fluidiques et autres structures à base de silicium. Durant les années 1970, la course à la miniaturisation des systèmes a permis la fabrication de puces intégrant des éléments mécaniques mobiles pour finalement prendre le nom de MEMS (micro electro mechanical system) vers la fin des années 1980. Dans les années 1990, la prolifération des MEMS touchait de nombreux secteurs d’activités donnant ainsi naissance à des bio-MEMS, MEMS- RF, MEMS optiques ou encore microfluidiques. Sont également apparus au cours de cette décennie les premiers circuits microfluidiques réalisés en poly dimethyl siloxane (PDMS). Facile à réaliser et peux coûteux ils présentent néanmoins quelques inconvénients dans des applications ciblées tels que les aspects d’incompatibilité chimique, de perméabilité et/ou d’élasticité des systèmes. Grâce à leur structure rigide et à la compatibilité du silicium avec de nombreux fluides, les MEMS permettent de palier aux verrous liés au silicone.
Dès lors, les systèmes d’analyses des fluides ont pu être miniaturisés, ce qui a permis de manière générale de limiter la quantité des échantillons à tester, de favoriser des techniques d’observation en temps réel, de diminuer les coûts et les temps de mesures et d’avoir une meilleure compréhension des phénomènes physiques. Cet engouement dans la réalisation de microsystèmes fluidiques s’est considérablement diversifiée et couvre à aujourd’hui de nombreux domaines d’applications [2]-[3]. On retrouve l’usage de puces microfluidiques dans le secteur de la santé-médecine où les techniques de microfabrication permettent de réaliser des laboratoires sur puce ou encore des dispositifs de diffusion de médicaments [4] (micropompes à insulines [5], encapsulation de médicaments [6]). Dans le milieu de la biologie, les systèmes microfluidiques sont utilisés comme support dans l’analyse de cellules [7]-[8]. L’ingénierie tissulaire, dont l’objectif ultime est de pouvoir créer des organes et des tissus à greffer [9], est également un milieu en pleine expansion. Les microsystèmes fluidiques sont aussi très prisés pour leurs applications dans les tests immunologiques [10] ou encore pour l’analyse de l’ADN [11] avec notamment l’amplification de la chaîne ADN par PCR (polymerase chain reaction) sur puce, à l’aide de microgouttes [12]. Dans le secteur de l’agro alimentaire, les dispositifs sont employés dans la détection de toxines dans des échantillons de viandes. Récemment, les systèmes microfluidiques ont permis d’avoir une nouvelle approche pour réaliser des huiles végétales afin de produire du biocarburant [13].
Chacune de ces applications requiert bien évidement toute sorte de fluides et dans certaines circonstances de fluides dits complexes. L’intérêt de ces fluides porte d’une part sur leurs propriétés mécaniques, leur écoulement et notamment sur leur rhéologie. Leurs propriétés font l’objet de plusieurs travaux de recherche dans le milieu académique [14], où l’étude se porte sur leur comportement dans différentes géométries. Ces fluides sont également très prisés dans le milieu industriel pour leurs propriétés physiques très intéressantes notamment dans les produits cosmétiques (fermeté des mousses de rasage, texture des crèmes pour le visage), les aliments (mousse au chocolat, mayonnaise) ou encore dans certaines huiles de moteur enrichies en additifs polymériques. L’étude des propriétés intrinsèques de ces fluides a donc créé un besoin en terme de microcapteurs bas coût capables d’étudier leur rhéologie. Cette quête de miniaturisation des capteurs a suscité un fort engouement aussi bien dans le milieu industriel que dans le milieu académique imposant une demande toujours plus précise des compétences des microcapteurs. Les aptitudes de ces derniers doivent être étendues avec des mesures de plus en plus précises, imposant une pluridisciplinarité accrue, des dimensions caractéristiques à l’échelle du micromètre, et un coût limité.
Microfluidique – Notions et principes
Les dimensions atteintes dans les systèmes réalisés par les méthodes de la microfabrication en salle blanche se situent à l’échelle micrométrique. Les lois de la physique à l’échelle humaine ne s’appliquent donc pas de la même manière dans le domaine de la microfluidique. Les phénomènes liés notamment aux lois d’échelle, c’est à dire aux variations relatives des grandeurs physiques liées à la taille du système, sont essentiels pour comprendre pourquoi par exemple, les effets capillaires ou visqueux prédominent sur la gravité. Avant toute présentation des travaux réalisés au cours de cette thèse, nous devons considérer l’ensemble des phénomènes liés à la dynamique d’un fluide dans une géométrie confinée, l’évolution temporelle d’une mousse et d’une émulsion et enfin la diffusion entre deux fluides lors d’un mélange.
Echauffement thermique
Également bien connu dans les systèmes électriques, l’échauffement thermique par effet Joule traduit une augmentation de la chaleur par unité de temps (J/s) lorsqu’un courant I traverse une résistance R et se définit par la relation P = R ⋅ I2. Cette relation vaut également pour les systèmes fluidiques lorsque le débit du fluide Q traverse un canal ayant une résistance hydrodynamique Rh. La puissance P dégagée exprime alors une quantité de chaleur par unité de temps (J/s) donnée par la relation :
P = Rh ⋅Q2 (1.23)
Par ailleurs, pour déterminer la variation de température lors d’un échauffement du fluide en circulation, on applique la relation suivante :
P = Cm.M.∆T (1.24)
avec P la puissance dégagée (J/s), Cm la capacité thermique massique (J/kg.K), M le débit massique (kg/s) et ∆T la différence de température T1-T2 (avec T2 la température extérieure mesurée).
Mousses et émulsions – Notions de base
La mousse et son évolution au cours du temps
Formation de la mousse
La mousse nait lorsque du gaz est injecté avec suffisamment d’énergie dans une phase liquide (en secouant une bouteille avec de l’eau et du savon par exemple). Toutes les mousses ne sont pas identiques entre elles et leur évolution dans le temps dépend de la nature de la phase gazeuse, du liquide utilisé ainsi que de la présence et la nature des agents de surface (stabilisants). Ces derniers sont généralement ajoutés à la mousse pour lui permettre de garder sa forme initiale plus longtemps. Ces tensioactifs permettent en effet de renforcer l’interface des bulles et limitent la détérioration de la mousse au cours du temps.
Mûrissement
Une fois la bulle constituée, la pression à l’intérieur de celle ci est très supérieure à la pression extérieure en vertu de la pression de Laplace, ce qui incite le gaz à diffuser dans le liquide entourant la bulle. Lorsque deux bulles sont en contact, le gaz va diffuser des petites bulles (ayant une pression de Laplace supérieure,) aux grandes bulles modifiant ainsi la structure de la mousse en diminuant le nombre de bulles total et en augmentant le diamètre et la distribution de taille des bulles restantes.
Dissolution
Un autre phénomène de vieillissement d’une mousse est la dissolution. Toujours sous l’effet de la différence de pression interne et externe d’une bulle, le gaz va s’échapper progressivement de la bulle jusqu’à ce que celle ci disparaisse totalement.
Ce phénomène intervient même lorsqu’il n’y a pas nécessairement de contact entre les bulles et peut être accentué, lorsque l’on souhaite faire disparaître toutes les bulles dans un système par exemple, en injectant du fluide à l’entrée et/ou à la sortie du dispositif. Cette manipulation est davantage efficace lorsque le liquide injecté à été au préalable dégazé. Ainsi la quantité de fluide va se voire augmenter et le gaz pourra se diffuser plus rapidement. On peut également accélérer ce phénomène en augmentant la pression statique du système, ce qui ajoute une compression supplémentaire des bulles et à une diffusion amplifiée.
Coalescence
La coalescence définie la rupture du film entre deux bulles, qui fusionnent en une seule. En effet, l’épaisseur de ce film s’amincit à raison que le volume de la bulle augmente (à cause du phénomène de mûrissement). On peut observer ce phénomène facilement lorsqu’on laisse une mousse sécher par exemple : on constate que les bulles grossissent de plus en plus jusqu’à éclater. Ce phénomène apparaît également lorsqu’une mousse est créée à partir d’un dispositif microfluidique et que les bulles sont confinées et se rapprochent entre elles suite à un séchage de la mousse ou à cause d’une mauvaise évacuation de la mousse (effet « bouchon ») au niveau d’un constriction d’un canal (image obtenue avec un microscope optique Leica DMI 5000M au cours des expériences réalisées avec le microgénérateur de dispersions).
Gouttes et émulsions
Les émulsions sont le résultats d’un mélange entre deux liquides non miscibles. On les retrouve au quotidien dans différents produits alimentaires (lait, mayonnaise), cosmétiques (shampoing). Elles sont généralement définies en fonction du diamètre des gouttes qui les constituent, on parlera alors de macro, micro ou encore de nanoémulsions. La génération contrôlée d’émulsion dans les microsystèmes est encore en plein développement ce qui explique pourquoi à l’heure actuelle, il n’y ait que très peu de systèmes commercialisés [21]. Depuis une dizaine d’année maintenant [17], la recherche dans le milieu académique et/pour le milieu industriel progresse avec plusieurs techniques de générations d’émulsions à l’aide de microgénérateurs. consacré à l’étude du générateur développé au cours de cette thèse, les différents phénomènes observés dans l’évolution d’une émulsion au cours du temps.
|
Table des matières
Introduction générale
1 Microfluidique – Notions de base – Etat de l’art
1.1 Microfluidique – Notions et principes
1.1.1 Introduction
1.1.2 Concepts généraux de microfluidique
1.1.2.1 Loi d’échelle
1.1.2.2 Notions de viscosité
1.1.2.3 Equation de Navier-Stokes
1.1.2.4 Ecoulement de Stokes
1.1.3 Analogie entre la microfluidique et l’électronique
1.1.3.1 Corrélation entre grandeurs physiques
1.1.3.2 Lois de Kirchhoff
1.1.3.3 Echauffement thermique
1.1.4 Mousses et émulsions – Notions de base
1.1.4.1 La mousse et son évolution au cours du temps
1.1.4.2 Gouttes et émulsions
1.1.4.3 Définition et impact d’un surfactant
1.1.5 Mélange de fluides
1.1.5.1 Lois de diffusion
1.1.5.2 Application
1.1.6 Conclusion
1.2 Microgénérateurs de mousse et d’émulsion
1.2.1 Introduction
1.2.2 T-junction
1.2.3 Flow-focusing
1.2.4 Réseaux de microcanaux
1.2.5 Conclusion
1.3 Rhéomètres adaptés à la microfluidique
1.3.1 Introduction
1.3.2 Viscosimètres capillaires
1.3.3 Rhéomètres rotatifs
1.3.3.1 Cellule de Couette
1.3.3.2 Rhéomètres Plan-plan et Cône-plan
1.3.3.3 Limitations
1.3.4 Adaptation de rhéomètres avec partie mobile à la microfluidique
1.3.5 Rhéomètres et viscosimètres capillaires microfluidiques
1.3.5.1 Viscosimètre capillaire
1.3.5.2 Rhéomètre et capteurs de pression
1.3.5.3 Viscosimétrie à forts taux de cisaillement
1.3.6 Conclusion
1.4 Micromélangeurs
1.4.1 Classification des micromélangeurs
1.4.2 Micromélangeurs passifs
1.4.2.1 Laminage en parallèle
1.4.2.2 Laminage séquentiel
1.4.2.3 Micromélangeurs à base de gouttes
1.4.3 Micromélangeurs actifs
1.4.3.1 Instabilité électrocinétique
1.4.3.2 Mélanges de gouttes par électromouillage
1.4.4 Conclusion
2 Mousse et émulsion – Fabrication d’un nouveau microgénérateur
2.1 Introduction
2.2 Conception des microgénérateurs
2.2.1 Description des géométries
2.2.2 Principe de production
2.3 Réalisation des dispositifs
2.4 Caractérisation des dispositifs
2.4.1 Protocole expérimental
2.4.1.1 Acquisition des images
2.4.1.2 Sites d’observations
2.4.1.3 Préparation des solutions dans le cas des émulsions
2.4.1.4 Préparation des solutions dans le cas des mousses
2.4.2 Production d’émulsion : comparaison entre les deux géométries
2.4.3 Production de mousses : comparaison entre les deux géométries
2.5 Stabilisation des mousses générées – Variations des paramètres expérimentaux
2.6 Modèle semi-empirique de production
2.6.1 Principe de fabrication d’une bulle
2.6.2 Influence de la géométrie lors de la création d’une bulle
2.6.3 Modèle semi-empirique de génération d’une bulle
2.7 Conclusion
3 Microrhéomètre MEMS
3.1 Développement du microrhéomètre
3.1.1 Présentation du dispositif
3.1.2 Performances théoriques du système
3.1.3 Réalisation du microrhéomètre
3.2 Méthode de caractérisation
3.2.1 Electronique de conditionnement
3.2.2 Mesure de température – Capteur piezorésistif intégré
3.2.3 Méthode de pré-remplissage
3.2.4 Coefficient de calibration
3.2.5 Temps de réponse du système
3.2.6 Protocole analytique – détermination des courbes d’écoulement
3.3 Mesures à débits contrôlés
3.3.1 Mesures avec des fluides newtoniens
3.3.2 Mesures avec des fluides non-newtoniens
3.4 Mesures à pression contrôlée
3.4.1 Modification du protocole expérimental
3.4.2 Modèle mathématique d’approximation des courbes expérimentales
3.4.3 Mesures avec des fluides newtoniens
3.4.4 Mesures avec des fluides non-newtoniens
3.5 Conclusion
4 Application à l’étude de la viscosité d’un mélange
4.1 Introduction
4.2 Fabrication du micromélangeur
4.3 Principe de fonctionnement du mélangeur
4.4 Mesure d’efficacité du mélange
4.4.1 Protocole expérimental
4.4.2 Mesures de calibration
4.4.3 Efficacité du micromélangeur
4.4.4 Solutions à base de glycérol
4.5 Association du mélangeur et du rhéomètre – Mesures de viscosités variables
4.5.1 Mesures à débits contrôlés
4.5.2 Mesures à pression contrôlée
4.6 Conclusion
Conclusion