Évolution des microstructures sous irradiation : influence des biais élastiques
Évolutions sous irradiation
Les matériaux de structure des centrales, pour la plupart des alliages métalliques, sont exposés à des irradiations aux neutrons. On observe alors des évolutions, visibles et mesurables à l’échelle macroscopique. Ces évolutions dépendent de la dose reçue par le matériau, qui est mesurée en « déplacements par atome » (dpa). Il s’agit d’une mesure du nombre moyen de déplacements effectué par chaque atome du fait de l’irradiation. Parmi les principaux phénomènes observés, on compte des changements dimensionnels, tels que le gonflement qui est un changement de dimensions isotrope. , est l’une des évolutions sous irradiation les plus emblématiques. Cette augmentation de volume se produit après une certaine dose, appelée dose d’incubation. L’évolution est linéaire avec la dose . Le taux de gonflement est en général plus élevé dans les matériaux CFC que dans les matériaux cubiques centrés (CC). Dans les CFC, il peut être significatif pour des doses reçues en conditions opérationnelles.
Il existe aussi des phénomènes de croissance et de fluage sous irradiation, qui sont des changements de dimensions anisotropes. La croissance est une modification de la forme à volume constant. Il touche en particulier les gaines de combustible en alliage de zirconium de structure hexagonale compacte (HC) . Le fluage survient quant à lui lorsqu’une contrainte est appliquée au matériau. Hors irradiation, ce phénomène apparaît à haute température, mais l’irradiation rend possible le fluage à basse température [4].
Ces évolutions à l’échelle macroscopique sont dues aux changements des microstructures, particulièrement à la formation et la croissance d’amas de défauts tels que des cavités et des boucles de dislocation . Le gonflement est par exemple lié à la croissance de cavités dans la matrice métallique, tandis que la croissance de boucles de dislocation peut expliquer l’apparition du fluage ou de la croissance sous irradiation, lorsque celles-ci se forment dans les plans favorablement orientés. Dans les métaux CFC, on peut observer la formation de cavités [5, 6] et de boucles de dislocations. Les boucles de dislocation sont principalement interstitielles [7, 8], les boucles lacunaires pouvant être formées par trempe [7,9]. Des tétraèdres de faute d’empilement sont également observés [10]. Dans le cas particulier de l’aluminium, auquel nous nous intéressons dans ce travail, des cavités ont été observées sous irradiation [5, 7, 11], ainsi que des boucles de dislocation de type interstitiel [7, 8, 12] et de type lacunaire (sous trempe) [7]. Les tétraèdres de fautes d’empilement sont cependant très rarement observés, probablement du fait de l’énergie de faute d’empilement élevée [10]. Dans les métaux de structure hexagonale compacte, comme le zirconium et ses alliages, on observe sous irradiation, la formation de boucles de dislocation de types interstitiels et lacunaires [3, 10]. Les cavités ont pu être observées dans le zirconium irradié aux neutrons ou aux électrons entre 625 et 775 K, mais n’ont pas été observées dans les alliages de zirconium [3]. La formation de boucles de différents types (interstitiel ou lacunaire) dans les différents plans de la structure hexagonale (plans prismatiques ou plans basaux), joue un rôle dans la croissance des gaines de combustible.
La formation des amas de défauts ponctuels peut se produire de deux manières sous irradiation. La particule incidente (neutron, ion ou électron), si elle a une énergie suffisante, va déplacer un atome de son site, créant une paire de Frenkel, constituée de
— l’atome auto-interstitiel (ou interstitiel), l’atome déplacé,
— et la lacune, le site laissé vacant par cet atome.
Pour des énergies transférées faibles, comme pour des irradiations aux électrons, seul un très faible nombre de paires de Frenkel est créé par une particule incidente. Dans ce cas, la germination des amas se produit par migration des défauts ponctuels à longue distance et agglomération, c’est le cas classique d’une saturation d’espèce en solution solide. Pour des énergies plus importantes, l’atome déplacé par la particule incidente va pouvoir lui-même transférer de l’énergie cinétique à d’autres atomes, créant ainsi une cascade de collisions. Un échauffement local se produit. Des amas peuvent se former dans la cascade de déplacements, sans migration des défauts ponctuels à longue portée. Les amas peuvent ensuite croître par absorption des défauts ponctuels qui migrent dans la matrice.
Pour qu’un amas croisse, il faut qu’il absorbe plus d’auto-défauts du type dont il est constitué (par exemple, pour une cavité, plus de lacunes que d’interstitiels). Or, l’irradiation produit le même nombre de lacunes que d’interstitiels. Pour expliquer ce paradoxe, deux principaux modèles ont été développés : le modèle du biais de production (notamment développé par B. N. Singh et al. [13]), et le modèle du biais des dislocations (initialement proposé par G. W. Greenwood et al. [14]). Contrairement au modèle du biais de production, qui ne s’applique que dans les régimes de cascades, le modèle du biais des dislocations est plus général. Seul le modèle du biais des dislocations est discuté dans la suite de ce travail.
Modèle du biais des dislocations
G. W. Greenwood et al. [14] furent les premiers à proposer l’existence d’un biais d’absorption des dislocations en faveur des interstitiels comme cause de la croissance des cavités, et donc du gonflement. L’absorption préférentielle des atomes auto-interstitiels par les dislocations permet la formation d’un excès de lacunes. Cet excès permet la formation et la croissance de cavités. L’absorption préférentielle des interstitiels par les dislocations est justifiée par l’interaction élastique à longue portée entre ces puits et les interstitiels, qui ont un important volume de relaxation, tandis que les lacunes, de volume de relaxation plus faible interagissent moins avec les dislocations. Dans ce cas, les biais sont causés par les couplages entre les champs élastiques créés par le défaut et par les puits, notamment les dislocations. Ces biais sont donc appelés biais élastiques. Le «modèle du biais des dislocations » a été formalisé par A. D. Brailsford et al. [15], dans une approche de type cinétique chimique homogène (en anglais, rate theory), afin de déterminer les taux de croissance des amas. Il s’agit d’écrire des équations pour déterminer l’évolution des concentrations des espèces en présence, en considérant le milieu comme homogène.
Le modèle du biais des dislocations permet ainsi d’apporter une explication au gonflement sous irradiation. De nombreux développements ont ensuite été réalisés pour affiner ce modèle [15, 16]. De la même façon, les valeurs de forces de puits et de biais d’absorption sont utilisées dans le cadre de la cinétique chimique homogène, avec différents modèles de fluage, tels que le SIPA (stress-induced preferred absorption) ou SIPA-I [17, 18], fluage I (I-creep), SIPA-G [19] et SIPA-AD [20, 21]. Par exemple, dans le modèle SIPA-I [18] (modèle dit « de montée pure »), l’application d’une contrainte uniaxiale modifie les biais des boucles selon leur orientation par rapport à la contrainte. Les différences entre les taux de croissance des différents types de boucles conduisent au fluage. Des arguments portant sur les biais sont aussi avancés pour expliquer la croissance du zirconium. Le modèle DAD (Diffusion Anisotropy Difference) [22, 23] postule que les interstitiels migrent de manière anisotrope, ce qui conduit à un biais négatif pour les boucles basales. Notons cependant que dans ce cas, le biais n’a pas d’origine élastique. Plus récemment, le modèle SAS (shape anisotropy of the SIAs) [24] a permis de fournir une autre explication pour le biais des boucles basales pour les lacunes, basée sur l’anisotropie de l’interstitiel au point stable .
En résumé, la théorie du biais des dislocations est introduite dans la cinétique chimique homogène au travers des paramètres de forces de puits, dont il existe une valeur pour les interstitiels et une valeur pour les lacunes. La différence entre ces deux valeurs permet de définir le biais d’absorption. La capacité de la cinétique chimique homogène à fournir des prédictions précises des évolutions sous irradiation dépend donc largement de la précision avec laquelle les expressions et valeurs des forces de puits sont connues. Or, dans cette approche en champ moyen, les forces de puits représentent à la fois les caractéristiques des puits (dislocations, cavités) et les propriétés des défauts ponctuels qui migrent vers ces puits. L’évaluation des forces de puits nécessite donc d’étudier la diffusion des défauts ponctuels dans les champs élastiques générés par les puits.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 – Microstructures sous irradiation : modèle du biais des dislocations et forces de puits
1.1 Évolution des microstructures sous irradiation : influence des biais élastiques
1.2 Diffusion des défauts ponctuels dans un champ élastique
1.3 Forces de puits
1.4 Résumé et définition des premiers objectifs de la thèse
Chapitre 2 – Techniques de modélisation des microstructures
2.1 Introduction
2.2 Calcul ab initio – Théorie de la Fonctionnelle de la Densité
2.3 Monte Carlo Cinétique
2.4 Dynamique d’amas
2.5 Objectifs et démarche
2.6 Résumé
Chapitre 3 – Étude de l’influence des interactions élastiques et des dipôles élastiques sur les forces de puits
3.1 Introduction
3.2 Méthodes
3.3 Dislocation droite
3.4 Cavité sphérique
3.5 Boucle de dislocation
3.6 Influence des polarisabilités diaélastiques
3.7 Conclusion
Chapitre 4 – Étude des effets de voisinage
4.1 Introduction
4.2 Création des microstructures
4.3 Étude des forces de puits dans les microstructures
4.4 Amas sphériques sans interactions élastiques
4.5 Amas toriques sans interactions élastiques
4.6 Amas toriques avec interactions élastiques
4.7 Résumé
Chapitre 5 – Développement d’une méthode pour intégrer les effets de voisinage dans la dynamique d’amas
5.1 Introduction
5.2 Dynamique d’amas sans effets de voisinage
5.3 Développement d’une expression de force de puits prenant en compte les effets de voisinage
5.4 Introduction de la dispersion des forces de puits dans la dynamique d’amas160
5.5 Résumé et conclusion
Conclusion
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