La phase cristal liquide cholestérique
L’état cristal liquide
Les cristaux liquides (de faible masse moléculaire) sont des fluides anisotropes qui présentent la propriété de pouvoir s’écouler comme les liquides tout en ayant des propriétés physiques anisotropes comme les solides cristallins. C’est pour cela qu’ils sont appelés « états intermédiaires de la matière » ou encore états mésomorphes (du grec mesos qui signifie intermédiaire et morphê forme). Les molécules bâtonnets constitutives de la phase cristal liquide nématique sont en moyenne parallèles les unes aux autres mais n’ont pas de position particulière. Les molécules d’un cristal liquide présentent ainsi un ordre d’orientation et un désordre de position.
Il est possible d’effectuer une classification des cristaux liquides (CLs) en fonction des conditions expérimentales qui permettent leur observation (classification proposée en 1957 par Brown et Shaw [Brow57]) :
(i) CLs thermotropes : apparition de la phase CL par variation de température (par exemple les CLs des écrans plats). Dans ce cas le cristal liquide présente deux températures caractéristiques : la température de fusion (passage de l’état solide à l’état CL) et la température de clarification (passage de l’état CL à l’état isotrope).
(ii) CLs lyotropes : phase CL obtenue par dilution dans un solvant (c’est le cas des cristaux liquides biologiques)
(iii) CLs amphotropes : à la fois thermotropes et lyotropes (par exemple les dérivés cellulosiques) .
Une phase cristal liquide est aussi appelée phase mésomorphe (ou mésophase), et les molécules à l’origine de celle-ci sont des molécules mésogènes. Ces molécules mésogènes peuvent être de différentes formes anisotropes : bâtonnets (pour les phases calamitiques), disques (pour les phases discoïdes), bananes etc. En plus de leur forme anisotrope, les molécules mésogènes ont une structure chimique particulière : elles possèdent un cœur rigide (souvent composé de cycles aromatiques) et des chaînes latérales flexibles (généralement des chaînes hydrocarbonnées).
Une autre classification des CLs a été établie par Friedel en 1922, celle-ci se base sur le degré d’ordre et de symétrie dans les arrangements moléculaires [Frie22] :
(i) Phase nématique : les molécules ont tendance à s’aligner parallèlement les unes aux autres ce qui engendre un ordre d’orientation le long de l’axe moléculaire, mais il n’y a pas d’ordre de position . Le directeur est parallèle à la direction d’orientation préférentielle des molécules. La phase nématique est la moins ordonnée des mésophases.
(ii) Phase smectique : elle présente un degré d’ordre supplémentaire par rapport à la phase nématique car les molécules mésogènes s’organisent en couches. Pour la phase smectique A (SmA) le vecteur directeur est perpendiculaire au plan des couches de molécules. Pour la phase smectique C (SmC) il existe un angle θ entre le directeur et la normale aux couches.
(iii) Phase nématique chirale ou cholestérique : c’est la version chirale de la phase nématique ou encore « une manière d’être spéciale de la phase nématique » (Friedel).
Durant cette thèse nous avons travaillé uniquement avec des cristaux liquides thermotropes et cholestériques.
La phase cholestérique
Cette mésophase doit son nom à sa découverte dans des dérivés du cholestérol extraits de la racine de carotte par Friedrich Reinitzer, un botaniste autrichien, en 1888 [Rein88]. Elle a été nommée ainsi par Georges Friedel lorsque celui-ci établit une classification des cristaux liquides [Frie22]. La phase cristal liquide cholestérique (CLC) est aussi appelée phase nématique chirale, car elle correspond à la version chirale de la phase nématique. Nous allons expliciter les propriétés structurales et optiques des CLCs, ainsi que leurs principales applications.
Propriétés structurales
Structure de la phase cholestérique
Les molécules constitutives d’un CLC s’agencent spontanément sous forme d’une hélice . Si la structure est coupée dans une direction perpendiculaire à l’axe hélicoïdal, un ordre nématique local apparaît ; d’où le nom de phase nématique chirale. La phase nématique est quant à elle achirale, et ses molécules constitutives présentent uniquement un ordre orientationnel ; cette orientation définit le vecteur directeur ~n. La phase cholestérique est souvent représentée comme une succession de plans moléculaires pour lesquels les molécules tournent d’un angle fixe d’un plan à l’autre. Une rotation de 360° correspond à une distance égale au pas de l’hélice. Cette représentation n’a pas de réalité physique car la phase cholestérique n’est pas un système à couches, elle permet toutefois de se faire une image simplifiée de cette mésophase. Un CLC est caractérisé par deux paramètres structuraux : le pas de l’hélice p et le sens d’hélicité.
Le pas cholestérique
Le pas cholestérique ou pas de l’hélice p correspond à la distance (le long de l’axe hélicoïdal) pour laquelle les molécules bâtonnets effectuent une rotation de 360° . Du fait de la symétrie des molécules, la périodicité du cholestérique est en réalité donnée par le demipas hélicoïdal. Le pas cholestérique peut atteindre des valeurs allant de quelques dizaines de nanomètres à plusieurs dizaines de micromètres et plus.
Lorsqu’une faible quantité de dopant chiral est ajoutée à un cristal liquide en phase nématique, celle-ci est facilement transformée en phase cholestérique. Cet effet peut être révélé par différents types de mesures tels que le dichroïsme circulaire, la rotation optique et le pouvoir de torsion hélicoïdale (HTP pour Helical Twisting Power).
Le sens d’hélicité
Le sens d’hélicité détermine si l’hélice cholestérique est de sens gauche ou droite. Celuici dépend par exemple de la configuration du groupement chiral au sein de la moléculemésogène. A ce jour il n’est pas possible de prédire quelle configuration moléculaire chirale privilégiera une hélice de sens gauche (ou droite).
Propriétés optiques
Réflexion sélective de la lumière
La structure en hélice des CLCs est à l’origine de la propriété de réflexion sélective de la lumière . Considérons un CLC confiné entre deux lames de verre, ayant une texture planaire (axe hélicoïdal perpendiculaire aux interfaces) et dont le pas est dans la gamme des longueurs d’onde du domaine visible. En l’observant à l’œil nu le film présente une couleur iridescente qui traduit la propriété de réflexion sélective du CLC. Plus précisément, lorsque le pas du cholestérique p est du même ordre de grandeur que la longueur d’onde de la lumière incidente, le phénomène de réflexion sélective se produit, suivant la loi de Bragg associée aux CLCs :
λ0 = np cos θ
où λ0 est la longueur d’onde centrale de la bande de réflexion du CLC appelée bande de Bragg , p est le pas de l’hélice cholestérique, n est l’indice moyen de réfraction (soit n = (no + ne)/2 avec no et ne les indices optiques ordinaire et extraordinaire du CLC) et θ est l’angle entre la direction de propagation de l’onde incidente et l’axe hélicoïdal . Pour une incidence normale, c’est-à-dire une propagation de la lumière le long de l’axe hélicoïdal, la relation devient :
λ0 = np
La couleur de réflexion dépend : (i) des paramètres intrinsèques du matériau tels que la chiralité moléculaire ou la concentration en dopant chiral, le pas hélicoïdal et les indices optiques ; (ii) de l’angle θ entre la lumière incidente et l’axe hélicoïdal et d’autres paramètresexternes tels que la température, la pression, le champ électrique ou magnétique, la polarisation de la lumière incidente ou encore la géométrie de la cellule expérimentale (par exemple les traitements de surface ou l’épaisseur).
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Table des matières
Introduction générale
1 La phase cristal liquide cholestérique
1.1 L’état cristal liquide
1.2 La phase cholestérique
1.2.1 Propriétés structurales
1.2.2 Propriétés optiques
1.2.3 Organisation cholestérique dans la nature
1.2.4 Applications industrielles
I Microlentilles et micro-miroirs cholestériques
2 Microlentilles cholestériques sélectives en longueur d’onde
2.1 Introduction sur la texture polygonale dans les cristaux liquides
2.1.1 Les textures des cristaux liquides
2.1.2 La texture polygonale
2.1.3 Texture polygonale à l’interface libre
2.2 Matériaux et méthodes
2.2.1 Matériaux
2.2.2 Préparation du film
2.2.3 Rappel des propriétés structurales
2.2.4 Dispositif expérimental
2.3 Résultats expérimentaux
2.3.1 Choix d’une étude dans différentes gammes spectrales
2.3.2 Description 3D des propriétés optiques
2.3.3 Etude de l’influence du temps de recuit
2.3.4 Formation d’une image
2.3.5 Caractérisation des microlentilles
2.4 Discussion et simulations numériques
2.4.1 Morphologie du réseau de Bragg
2.4.2 Détails sur les simulations numériques
2.4.3 Résultats des simulations numériques
2.4.4 Discussion
2.5 Vers les réseaux de microlentilles
2.5.1 Motivation du domaine de recherche
2.5.2 Réseau de microlentilles cholestériques auto-organisé
2.6 Conclusions
2.7 Perspectives
3 Micro-miroirs sphériques biologiques
3.1 Introduction sur les structures photoniques dans les systèmes biologiques
3.2 Etat de l’art pour le cas des scarabées
3.2.1 Quelques notions relatives à l’anatomie des scarabées
3.2.2 Un peu d’histoire
3.2.3 Plusiotis boucardi
3.2.4 Chrysina gloriosa
3.3 Caractérisation des propriétés structurales
3.4 Etude expérimentale de réflectivité
3.4.1 Cas du scarabée
3.4.2 Cas du film cholestérique
3.4.3 Comparaison biologique/synthétique
3.5 Simulations numériques
3.5.1 Détails sur les simulations numériques
3.5.2 Résultats des simulations numériques
3.6 Des microlentilles convergentes hybrides
3.7 Conclusions
II Propriétés optiques de nanocomposites CL cholestérique/nanoparticulesd’or
4 Propriétés optiques de nanocomposites CL cholestérique/nanoparticules d’or
4.1 Motivation du domaine de recherche et état de l’art
4.1.1 Problématique générale
4.1.2 Le choix des cristaux liquides pour organiser des particules
4.1.3 Les différentes voies de dopage d’un cristal liquide par des nanoparticules
4.1.4 Les cristaux liquides cholestériques dopés en nanoparticules
4.1.5 Les cristaux liquides cholestériques dopés en nanoparticules d’or
4.2 Matériaux et méthodes
4.2.1 Matériaux
4.2.2 Protocole expérimental
4.3 Rappels sur l’auto-organisation des GNPs
4.3.1 Le rôle crucial de l’épaisseur
4.3.2 Lien entre organisation des nanoparticules et orientation moléculaire
4.3.3 Influence des nanoparticules sur la bande de réflexion
4.4 Nouvelle voie de fabrication
4.4.1 Formation de films cholestériques purs
4.4.2 Formation de films cholestériques dopés en GNPs
4.4.3 Influence de la viscosité sur l’auto-organisation
4.4.4 Influence du nombre de couches déposées
4.5 Problématique liée à l’étude des propriétés optiques des nanocomposites
4.6 Etude plasmonique
4.6.1 Etat de l’art
4.6.2 Etude préliminaire sur les GNPs seules
4.6.3 Cas CLC/GNPs
4.7 Etude Raman
4.7.1 Introduction sur la diffusion Raman
4.7.2 Etude préliminaire sur les CLCs
4.7.3 Cas CLC/GNPs : excitatrice à 514,5 nm
4.7.4 Cas CLC/GNPs : excitatrice à 784 nm
4.7.5 Comparaison pour deux longueurs d’onde différentes
4.7.6 Etude préliminaire en Raman basse fréquence
4.8 Conclusions
Conclusion générale
Bibliographie