Microbiome et Symbiose
Vue d’ensemble
En partant du postulat que le microbiome et son hôte ne forment qu’un seul supraorganisme ou holobionte régi par un réseau complexe d’interactions (Figure 1) (Gilbert et al., 2012 ; Gordon et al., 2013 ; Theis et al., 2016 ; Zilber-Rosenberg and Rosenberg, 2008), la notion d’individu à proprement parler devient obsolète. À la place, il convient de nous décrire comme des organismes symbiotiques, au même titre que les célèbres lichens composés d’une association tripartite : champignon algue-microbiome (e.g. Cernava et al., 2017). En effet, comme l’a judicieusement proposé Lynn Margulis en 1991, toute association physique entre individus d’espèces différentes (appelés « bionts »), impactant d’une quelconque manière leur cycle biologique, forme une symbiose et donne naissance à un holobionte (Figure 1) (Margulis and Fester, 1991). Le microbiome est ainsi un membre à part entière de la symbiose l’associant avec son hôte. Dans sa définition la plus pure, la symbiose signifie « des organismes dissemblables qui vivent ensemble durablement » (Perru, 2006), les plus grands étant définis comme hôtes et les plus petits comme symbiontes. Les exemples les plus emblématiques de symbioses sont ce que l’on appelle des « endosymbioses », où un hôte va héberger en son sein un endosymbionte. Ce type d’organisme a profondément influencé l’évolution et l’écologie de nombreuses espèces (Margulis, 1993 ; Wernegreen, 2012).
Les endosymbiontes vivent typiquement à l’intérieur de leurs hôtes, parfois exclusivement dans leurs cellules, et ont évolué en / par des interactions complexes avec ces derniers. Les mitochondries et les chloroplastes, tous deux issus de bactéries intracellulaires, sont les exemples les plus connus d’endosymbiose. Dans le cas des mitochondries, l’internalisation d’une alphaprotéobactérie par une archébactérie il y a plus de 2 milliards d’années a conduit à une complexification de nombreuses fonctions cellulaires et à l’apparition des eucaryotes (Gray et al., 1999 ; Margulis, 1970). Dans le cas des chloroplastes, une endosymbiose secondaire avec une cyanobactérie photosynthétique il y a 1,5 milliard d’années a permis l’acquisition de l’autotrophie par la cellule eucaryote et, de facto, l’apparition des plantes (Keeling, 2010). De nombreux autres cas d’endosymbiose sont aujourd’hui connus et, quoique plus récents que les mitochondries et les chloroplastes, ils concernent une multitude d’organismes. Par exemple, tout comme les plantes, l’acquisition d’un endosymbionte phototrophe a permis l’utilisation de la lumière comme source d’énergie exclusive par une amibe originellement hétérotrophe, Paulinella chromatophora (Nakayama and Archibald, 2012 ; Yoon et al., 2006). De manière similaire, l’utilisation d’endosymbiontes chimiotrophes permet la conversion de molécules inorganiques en énergie, permettant à de nombreux invertébrés la possibilité de coloniser des milieux extrêmes tels que les sources hydrothermales (Dubilier et al., 2008 ; Wernegreen, 2012). Ainsi, en associant durablement des lignées évolutives issues de différents domaines du vivant, l’endosymbiose créé une combinaison inédite de fonctions biochimiques qui permet l’exploitation d’environnements a priori hostiles (Gray et al., 1999 ; Keeling, 2010). Dès lors, ces exemples illustrent combien l’endosymbiose, et a fortiori les microbiomes, ont fortement structuré l’évolution du vivant et sa diversification écologique (Wernegreen, 2012). Dans cette thèse, nous allons nous concentrer sur l’endosymbiose et donc nous intéresser essentiellement aux bactériomes internes. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que la symbiose entre son hôte et son microbiome externe, appelée ectosymbiose, est tout aussi impactante que l’endosymbiose. Par exemple, ce type de symbiose est impliqué dans la protection contre des agents pathogènes (Currie et al., 1999 ; Schommer and Gallo, 2013), la reconnaissance chez les insectes sociaux (Davis et al., 2013 ; Dosmann et al., 2016) ou de manière plus originale, dans la magnétoréception chez des protistes marins (Monteil et al., 2019).
Stratégies évolutives
Les exemples cités ci-dessus mettent en avant des relations dites mutualistes, où un symbionte et un hôte obtiennent un bénéfice mutuel de leur association. Pourtant, il est important de rappeler que d’après sa définition originelle, la symbiose comprend également toutes les interactions existantes au sein d’un holobionte (Perru, 2006). Ainsi, comme nous l’avons vu dans la partie contexte général, les microbiomes comprennent tous les types de symbiontes le long d’un continuum parasites-mutualistes (l’association profite au symbionte mais est délétère pour l’hôte) en passant par des commensaux (le symbionte bénéficie de l’hôte sans impacter ce dernier) (Ewald, 1987). En réalité, il est très souvent problématique d’assigner des phénotypes mutualistes/commensaux/parasites aux associations symbiotiques. En effet, l’hôte est généralement bénéfique pour ses symbiontes, mais ces derniers ont, quoi qu’il arrive, un coût physiologique sur leur hôte (e.g. Fleury et al., 2000 ; Shigenobu et al., 2000). Dans une association mutualiste, ces coûts sont contrebalancés par des bénéfices apportés à l’hôte qui sont supérieurs aux coûts (e.g. Fleury et al., 2000 ; Shigenobu et al., 2000) : c’est donc cette balance coûts/bénéfices qui va définir la nature de l’association symbiotique. Toutefois, la nature des associations peut se déplacer le long du continuum et passer d’un état à l’autre, notamment en fonction de la phénologie de l’hôte, de la présence d’autres micro-organismes ou d’autres conditions environnementales variables en fonction du phénotype de l’hôte (Clay, 1988 ; Saffo, 1992). De plus, un même symbionte peut être en association mutualiste avec un hôte mais également agir comme parasite d’un autre. C’est par exemple le cas de la bactérie Photorhabdus qui est un mutualiste ou un agent pathogène selon qu’elle habite l’intestin des nématodes ou l’hémolymphe des insectes (Clarke, 2008 ; ffrench-Constant et al., 2003). Globalement, un holobionte va donc être composé à un instant T d’une multitude de symbiontes avec des stratégies évolutives différentes, parfois antagonistes, parfois complémentaires, pouvant se déplacer et évoluer le long du continuum mutualiste-parasite et modifiant le phénotype de l’hôte .
Mode de transmission
L’acquisition d’un symbionte par un hôte va dépendre de plusieurs facteurs écologiques, mais elle est également fortement assujettie à la stratégie évolutive suivie par ledit symbionte. Effectivement, un parasite aura plutôt tendance à se transmettre de manière horizontale (TH) (Anderson and May, 1982), alors qu’un symbionte mutualiste suivra typiquement une transmission verticale (TV) (Moran et al., 2008). Logiquement ces deux stratégies évolutives apparaissent antagonistes : un parasite peut se transmettre même si ce dernier impacte fortement de manière négative la valeur sélective (ou fitness, capacité d’un individu d’un certain génotype à se reproduire) de son hôte en « consommant » les ressources de l’hôte ; inversement, un symbionte à TV a tout intérêt à favoriser le succès reproducteur de son hôte en lui apportant divers bénéfices, puisque sa survie et sa transmission dépendent de ce dernier. Ainsi, une TV favorisera l’apparition d’associations mutualistes et coévolutivement stables entre symbiontes et hôtes (Ewald, 1987 ; Lipsitch et al., 1995), bien que des stratégies alternatives, comme le parasitisme de la reproduction, soient également communes (Engelstädter and Hurst, 2009 ; Moran et al., 2008). De manière intéressante, un symbionte peut utiliser et mélanger les modes de transmissions en fonction de différents facteurs (Ebert, 2013 ; Ewald, 1987; Russell, 2019). En effet, de nombreux agents pathogènes sont capables de se transmettre via les deux modes de transmissions, c’est par exemple le cas du VIH qui se transmet essentiellement via TH mais qui peut également se transmettre verticalement de la mère à l’enfant lors de la grossesse, l’accouchement ou l’allaitement (Maartens et al., 2014). Globalement, les infections à mode de transmissions mixtes semblent se situer le long d’un continuum, où les parasites transmis principalement horizontalement tendent vers une virulence (pouvoir pathogène d’un micro-organisme chez un hôte, caractérisé par son aptitude à se multiplier chez ce dernier) élevée, et les agents transmis principalement verticalement vers une virulence plus faible (Ewald, 1987 ; Lipsitch et al., 1996). De manière générale Russell (2019) a montré que le mode de transmission mixte était fréquent puisque sur un total de 528 symbioses analysées, 21% des symbiontes se transmettaient strictement horizontalement, 36% via une forme quelconque de transmission mixte, et 43% se transmettaient strictement verticalement. Toutefois, les taxons catégorisés comme à TV exclusives apparaissent rares et possiblement limités à certains endosymbiontes mutualistes d’invertébrés (Moran et al., 2008). De plus, certains endosymbiontes mutualistes à TV strictes peuvent occasionnellement être transmis horizontalement, des TH entre individus d’une même espèce hôte, voire d’espèces différentes, pouvant effectivement se produire (Duron and Hurst, 2013 ; Ferrari and Vavre, 2011 ; Moran et al., 2008). Ce phénomène a été observé par exemple chez certaines espèces de pucerons, ou encore de parasitoïdes, où des TH de symbionte mutualiste semblent relativement fréquentes (Duron et al., 2010 ; Henry et al., 2013 ; Meseguer et al., 2017). La réalité est plus complexe qu’il n’y parait : la majorité des symbiontes à TV, comme par exemple le célèbre parasite de la reproduction d’arthropode Wolbachia, se transmet effectivement verticalement d’une génération à l’autre de façon remarquablement stable ; pourtant, les nombreuses incongruences phylogénétiques entre les histoires évolutives des hôtes et de leurs symbiontes nous montrent que les TH se produisent fréquemment à une échelle évolutive (Moran et al., 2008 ; Werren et al., 2008). Dans le contexte d’un holobionte, les microbiomes sont eux aussi maintenant considérés comme à transmission mixte (Ebert, 2013). En effet, de nombreux exemples montrent qu’une partie du microbiome de la mère (voire du père dans certains cas) est transmise verticalement à la descendance, mais que cette dernière va également acquérir une partie de son microbiome via ses interactions avec son environnement et d’autres holobiontes. Par exemple, la transmission maternelle du microbiome des souris est si stable au fil des générations que les relations de parenté se reflètent dans la composition des communautés microbiennes (Ley et al., 2006). Cependant, la composition des deux microbiomes n’est pas complètement identique, appuyant l’idée d’une transmission mixte. De manière surprenante, cette stratégie de transmission des microbiomes est également retrouvée chez les non-animaux. Effectivement, chez les plantes l’acquisition de leur microbiome se produit via TH depuis l’environnement, incluant par exemple les phytophages, et également grâce à la TV à partir des graines (Compant et al., 2019). Néanmoins, il a été montré que certaines bactéries endophytes pourraient se transmettre de manière mixte, en infectant une graine depuis l’environnement puis en se transmettant verticalement via les graines de la plante résultante (Ferreira et al., 2008).
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME