Méthodologie de travail – les types de conversations
Les interactions en général
Le terme interaction a fait, jusqu’à présent, l’objet de discussions au sein de la linguistique interactionnelle. Plusieurs significations lui sont attribuées selon les auteurs : il est l’équivalent de rencontre pour Goffman1 qui écrit la célèbre définition : « par une interaction, on entend l’ensemble de l’interaction qui se produit en une occasion quelconque quand les membres d’un ensemble donné se trouvent en présence continue les uns des autres ; le terme “ une rencontre ” pouvant aussi convenir ». Roulet2 utilise le terme incursion, « définie comme une interaction verbale délimitée par la rencontre et la séparation de deux locuteurs ». Ce concept s’emploie d’ailleurs dans des ouvrages de linguistique, comme synonyme de conversation, dialogue, entretien, parole, etc., allant jusqu’à se substituer à ces termes. L’inconvénient que représente l’utilisation de plusieurs termes pour désigner le phénomène de l’interaction vient de ce que cette terminologie est de caractère polysémique, car elle recouvre, bien évidemment, l’interaction en général et l’interaction en particulier, qui se produit par la présence de sujets déterminés.
En tout état de cause, dans ces deux cas, général ou particulier, le terme interaction suggère en lui-même une idée de réciprocité d’action entre deux participants. Cette dimension de réciprocité à été l’objet d’étude de Bange3, où le terme interaction est employé « précisément, au sens social et réciproque ». Bange estime que l’interaction repose essentiellement sur un mécanisme complexe de réciprocité. Toujours selon lui4, « chacun des participants […] doit, pour parvenir à une coordination de ses actions avec celle de son partenaire, s’orienter dans ses décisions selon les décisions qu’il attend de l’autre ». Il5 pense en effet que « cette réciprocité de perspectives […] permet à chacun, d’une part, de prévoir approximativement les actions de l’autre ou des autres et d’autre part, d’exécuter ses propres actions sur une base approximative prévisible par l’autre ou les autres ». Cette idée de réciprocité de perspectives nous semble fort judicieuse pour l’objet de notre recherche : il s’agit d’une interaction particulière dans une situation de communication particulière qui se passe lors de la diffusion d’une émission télévisée où l’animatrice, avec son statut et son savoir, jouant le rôle du dominant, face à son invité qui joue le rôle du dominé. La notion de réciprocité dans l’interaction n’est toutefois pas toujours opérationnelle, car dans certains cas (les plus fréquents), l’interaction peut être réciproque, mais elle peut aussi ne pas l’être dans d’autres cas. Elle est réciproque quand le communicant (A) adresse, par exemple, un message, qui peut être verbal ou non verbal, à son partenaire (B) qui, à son tour, réagit à ce message. Elle est non réciproque lorsque (B) ne manifeste aucune réaction.
L’interaction verbale
L’interaction verbale est une activité langagière pratiquée quotidiennement par chacun d’entre nous. Elle est d’usage abondant et inévitable, et donc un acte ordinaire, mais cependant complexe, car elle introduit plusieurs éléments paramétriques, à savoir tous les paramètres de la langue, comme les compétences de communication, les compétences psychosociales et les aspects culturels. Les interactions verbales nous servent entre autre, dans la vie, à nous intégrer dans un groupe social, établir des relations avec autrui, que ce soit au sein de la famille ou bien en dehors de celle-ci, en milieu scolaire, professionnel ou de loisirs. La langue se situe au centre de l’interaction verbale, y compris dans les interactions unilatérales comme le monologue. Ce dernier existe sous deux formes différentes, l’une est la réalisation authentique (cas pathologique), l’autre la forme théâtrale. Dans les deux cas, le caractère monologal de l’interaction n’est qu’illusoire, puisqu’un interlocuteur, réel ou imaginaire, est toujours là. Il y a par ailleurs d’autres types d’interactions verbales plus dynamiques, ce sont les interactions à structure d’échange, telles que la conversation téléphonique, le dialogue, etc. Kerbrat-Orecchioni1 définit l’interaction verbale comme suit : Tout au long du déroulement d’un échange communicatif quelconque, les différents participants, que l’on dira donc des « interactants » exercent les uns sur les autres un réseau d’influences mutuelles— parler, c’est échanger, et c’est changer en échangeant. Toute interaction nécessite au moins l’existence de deux personnes physiquement distinctes l’une de l’autre, à l’exemple de notre corpus : nous avons dans l’émission télévisée l’animatrice qui dialogue avec son invité, tous deux physiquement présents. L’une et l’autre s’entretiennent aussi avec les téléspectateurs par téléphone, qui eux sont corporellement absents de l’émission. Il peut, évidemment, y avoir plus de deux interactants (on en parlera de manière plus détaillée dans le chapitre deux) ; c’est par exemple le cas des situations de communication pédagogique (en classe), où le professeur s’adresse à un nombre plus ou moins élevé d’apprenants ; cette interaction se réalise d’une manière organisée.
La relation horizontale (distance vs familiarité)
Les deux premiers facteurs ont en commun un lien direct avec les interactants. Ils sont dissociés du troisième facteur. Ce dernier est en liaison directe avec l’interaction. Dans ce troisième facteur Kerbrat-Orecchioni3 parle d’une situation « familière (vs formelle) » lorsqu’elle produit sur l’interaction des effets analogues à ce qui se passe quand les participants sont eux-mêmes familiers l’uns à l’autre. À titre d’illustration du troisième facteur, prenons l’exemple d’une mère qui exerce le métier de professeur. Parmi ses élèves se trouve sa propre fille. Les circonstances les incitent à adopter un rapport de professeur à élève, donc de distance. Zahia Ben Aarousse n’a pas respecté la situation de communication formelle dans l’émission télévisée TV RAMA (comme de coutume dans cette émission) dans laquelle elle est invitée, en transmettant un message personnel et de nature affectif à ses parents, en leur disant combien elle les aime. Elle a donc rompu la relation de distance exigée dans cette situation de communication. La première des deux propriétés de la relation interpersonnelle est ce que Kerbrat- Orecchioni1 nomme « la gradualité » : un locuteur traite son interlocuteur avec « familiarité » ou « distanciation », d’ailleurs il ne traite pas tous ses interlocuteurs d’une certaine relation avec le même degré. Il peut être proche d’une personne, moins proche d’une autre, comme on peut être également extrêmement éloigné de quelqu’un, ou plus ou moins d’une autre personne.
La deuxième propriété de la relation interpersonnelle est la « symétrie », que Kerbrat- Orecchioni2 oppose à la « « dissymétrie » : « une relation dissymétrique sur cet axe horizontal étant vécue comme inconfortable par les partenaires en présence qui tentent alors de rétablir la symétrie en négociant cette distance problématique ». Elle parle de la « négociation » de la relation interpersonnelle pour expliquer la « symétrie » et la « dissymétrie ». Nous développerons la notion de négociation plus loin. Vion3 présente, en faisant référence aux travaux de l’École de Palo Alto, la propriété de symétrie de la conversation. Il oppose la symétrie à la complémentarité pour parler de deux types d’interactions, l’interaction symétrique, qui se caractérise par l’égalité et la minimisation de la différence, et l’interaction complémentaire, qui se fonde sur la maximalisation de la différence. Dans ce type d’interaction complémentaire, il y a deux rôles qui doivent être remplis par les interactants : un rôle de « supérieur », ou « haut », et un autre d’ « inférieur », ou « bas ».
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 Les termes d’adresse et les variables interculturelles
1.Introduction
1.1. Les interactions en général
1.2. L’interaction verbale
2.Les termes d’adresse
2.1. Les pronoms d’adresse
2.2. Les noms d’adresse
3.La relation interpersonnelle
3.1. La relation horizontale (distance vs familiarité
3.1.1. Les marqueurs de la relation interpersonnelle
3.1.1.1. Les marqueurs non verbaux,
3.1.1.2. Les marqueurs para-verbaux
3.1.1.3. Les marqueurs verbaux
3.2. La négociation de la relation interpersonnelle
3.2.1. Négociation explicite du pronom d’adresse
3.2.2. La négociation semi – explicite
3.2.3. Négociation implicite
4.Interculturalité
4.1. La distance
4.2. La gestion des thèmes
4.3. Les gestes
4.4. Les termes d’adresse
4.5. Les termes d’adresse comme marqueurs de politesse
5.Variations et similitudes
Conclusion
Chapitre 2 Méthodologie de travail – les types de conversations
Introduction
Problématique
Les hypothèses
Méthodologie
5.Corpus
5.1. L’objectif de l’interaction
5.2. Choix de corpus
5.3. Présentation du corpus
5.3.1. Le lieu
5.3.2. Les participants
5.3.2.1. Nombre de participants
5.3.2.2. Les caractéristiques individuelles socioculturelles
5.3.3. La durée
6.Les spécificités de types d’interaction
6.1. La complexité de l’interaction médiatique
6.2. Relation directe entre locuteur et interlocuteur (conversation téléphonique)
6.3. L’interaction de face à face
6.3.1. Le partage du site
6.3.2. La multicanalité
6.4. Le discours diffusé
Conclusion
Chapitre 3 L’analyse interactionnelle des termes d’adresse
Introduction
1.1. Les gestes
1.2. Les regards
2.L’analyse des termes d’adresse
2.1. Les pronoms d’adresse
2.1.1. Le vouvoiement dans l’ouverture
2.1.2. Le vouvoiement dans la clôture
2.1.3. Le tutoiement réciproque
2.1.4. L’usage des pronoms d’adresse il et elle
2.2. Les noms d’adresse
2.2.1. Les noms personnels
2.2.1.1. Le prénom
2.2.1.2. Le prénom suivi du nom de famille
2.2.2. La catégorie d’appellatifs du genre madame, monsieur
2.2.2.1. L’emploi de l’appellatif madame seul
2.2.2.2. L’appellatif madame ou monsieur suivi du prénom et du nom de famille
2.2.2.3. L’emploi de l’appellatif monsieur suivi de nom de famille
2.3. Les titres
3.L’aspect interculturel des termes d’adresse
3.1. L’utilisation du français dans les « normes » algériennes des termes adresse
3.1.1. L’emploi de tu dans le corps de la conversation
3.1.2. La négociation des pronoms d’adresse
3.1.3. L’emploi des termes de parentés (soeur, frère et tata)
4.Les termes d’adresse en arabe
4.1. Les termes de parenté en langue arabe
4.2. L’unité /si/
5.Le pronom d’adresse en langue kabyle
Conclusion
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Conventions de transcription
Le corpus transcrit
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