Les principales méthodes des pratiques philosophiques à l’école primaire
L’évolution des courants des pratiques philosophiques à l’école a suscité la multiplication de méthodes d’application en France et dans le monde :
La méthode « Philosophie pour les enfants » de Lipman (Bailleul, Auriac, Geneviève, Delille, Bigot Destailleur, Daniel, Sasseville, Pallascio, etc.).
Les romans écrits pour le niveau de la maternelle à 18 ans mettent en scène des enfants du même âge, constituant « une communauté de recherche philosophique ». Les enfants agissent, réfléchissent et discutent ensemble. Après la lecture du roman ou d’un passage, ils formulent les questions qu’ils se posent, en choisissent une, l’approfondissent collectivement dans une discussion-délibération.
Cette méthode a pour but d’apprendre à vivre pacifiquement un processus de recherche qui deviendra avec le temps une manière de vivre la démocratie basée sur la collaboration, la coopération amicale. Replacée comme entreprise de coopération dans un climat de discussion, elle n’exclut pas la rivalité ou la compétition, ni les désaccords ou conflits.
Il n’y a pas d’objectif de faire des enfants des philosophes mais des individus capables de développer une pensée multidimensionnelle, permettre la production de jugements raisonnables et la capacité de penser avec aisance. Le côté philosophique est considéré non comme une fin mais un moyen au service de la formation de la pensée.
La méthode des « Ateliers de philosophie AGSAS » (Association des Groupes de Soutien au Soutien), initiée en France dès 1996 par Lévine et Pautard, rejoints par Senore, Chambard, Sillam, Schutz, Perrin et d’autres 4- La façon de nommer les pratiques philosophiques Compte tenu de la diversité de courants, approches et modèles des pratiques philosophiques, la question de « comment les nommer » se pose tout naturellement. Le choix est multiple : dans sa philosophy for children, Lipman utilise le terme de Communauté de Recherche Philosophique (CRP). Lévine parle d’atelier philo. Daniel préfère le terme « Dialogue philosophique en communauté de recherche » (Giménez-Dasi & Daniel, 2012, p.16). Tozzi utilise l’expression DVDP (Discussion à Visées Démocratique et Philosophique) pour insister sur le double objectif du dispositif au centre de sa méthode. Chirouter évoque une « pratique à visée philosophique », ce qui inclut aussi les moments de réflexion individuelle et le rôle de l’écrit. L’Institut de Pratiques Philosophiques parle d’« atelier philosophique » et de « pratique philosophique », qui est avant tout un exercice de questionnement.
Pettier parle de DVP (Discussion à Visée philosophique)
Dans notre étude nous avons également choisi d’utiliser ce terme, désormais très populaire en France, pour deux raisons : Premièrement, ce terme précise le type d’activité (discussion ) et la spécificité de sa visée (philosophique), c’est à dire son évolution progressive, pour insister sur la nature de l’activité recherchée.
Deuxièmement, compte tenu de sa présence dans les documents d’accompagnement du Ministère de l’Education Nationale, il est désormais approuvé par l’institution.
Le degré de participation de l’enseignant : aspect important pour notre étude
Dans notre étude nous analysons l’influence que les interventions de l’enseignant exercent sur les interventions des élèves. Si l’enseignant intervient beaucoup, les élèves s’expriment-t-il d’avantage ou, inversement, est-ce le contraire ? Donc, le type et le degré de guidage de l’enseignant nous intéressent particulièrement.
Le degré de guidage varie de « très peu » à « beaucoup » selon les modalités de pratique des DVP. Cette plus ou moins grande intervention des animateurs dépend des objectifs, mais aussi des personnalités et des circonstances.
Brenifier maîtrise son activité comme un chef d’orchestre en quête de rigueur rationnelle de l’échange. Dans l’atelier de l’IPP, l’animateur, à partir d’une question, ou en utilisant l’un des nombreux supports qu’il a élaborés pour les enfants, n’anime pas une discussion entre élèves, mais mène avec rigueur et pas à pas un « entretien philosophique de groupe », veillant à une progression de la réflexion : expression d’une idée, reformulation par des élèves pour compréhension et appropriation par tous, vérification d’un accord ou pas des élèves, argumentation pour ou contre, expression d’une deuxième idée etc. Il est attentif aux contradictions des propos d’un interlocuteur, et travaille beaucoup sur les articulations logiques.
Chez Lipman et Tozzi les interventions de l’enseignant ciblent le processus de pensée mais ils laissent les élèves échanger entre eux et construire leur propre « discussion ».
Pour Lipman, le maître est le garant de la démarche formative et le médiateur des processus cognitifs qui interviennent dans la discussion. Il est aidé d’un guide pédagogique, peut poser des questions, pousser à la clarification d’un concept, donner une direction à la recherche.
Pour Tozzi, le maître assure dans l’atelier de philosophie une fonction de guidage, il a la charge d’élaborer les liaisons conceptuelles que les enfants ne peuvent faire. « Le seul objectif du guidage doit être d’amener le groupe à tracer son propre itinéraire en l’aidant à le baliser, c’est-à-dire en le rendant perceptible grâce à des repères qui apparaîtront comme des résultats » (Lalanne, 2000, p. 55).
Il doit mener les élèves à l’élaboration d’une pensée philosophique rigoureuse par un jeu de questions précises : à prendre conscience du caractère parfois infondé de leurs opinions (problématisation) et les pousser à faire des distinctions notionnelles exigeantes (conceptualisation) à l’aide de structures logiques (argumentation) .
Dans la philosophie AGSAS l’enseignant essaie d’être « absent ». Il donne la parole à l’enfant qu’il considère capable d’un jugement valable.
Le maître n’intervient qu’en début de séance pour présenter la question, il est : Le garant des conditions de prise de parole et des modes de gestion du temps. …
L’intervention de l’enseignant risquerait d’interrompre le travail tâtonnant d’élaboration de la pensée qu’effectuent les enfants. Par contre, sa présence silencieuse et confiante est nécessaire. Car les enfants ne peuvent produire de la pensée sur ces sujets importants que s’ils s’y sentent autorisés (Lévine, 2004, p. 4).
Le rôle de l’enseignant est à l’opposé de celui de la méthode Lipman : il est là sans être là, aucune intervention. L’enseignant ne guide pas la réflexion afin de permettre à tout enfant de faire une expérience de pensée, de découvrir la « vitalité de son langage oral interne » et d’éprouver ainsi le sentiment d’appartenance au groupe et à l’humanité. Ce dispositif ne vise pas à provoquer spécialement la création d’une discussion entre élèves.
L’interactivité n’est pas privilégiée (mais plutôt le tour de table).
Mais encore une fois, classifier, mettre une étiquette sur telle ou telle méthode ne révèle pas la réalité du terrain souvent beaucoup plus complexe que la classification théorique.
Dans l’analyse des DVP qui succédera à cette brève présentation théorique nous essayerons de voir la réaction des élèves aux interventions du maître au niveau de la création des échanges entre élèves.
Méthodologie de l’étude des discussions à visée philosophique
Terrain d’étude et modalités de notre pratique des discussions à visée philosophique
La classe de CE1 servant de terrain d’étude est constituée de 25 élèves, 13 filles et 12 garçons. 1 élève vient de Grande Section et a sauté la classe de CP. Les 24 élèves restants sont issus de l’unique classe de CP de l’établissement et forment donc un groupe classe depuis plusieurs années.
Organisation matérielle
La classe fonctionne habituellement selon une organisation frontale, les prises de parole se faisant à main levée. Cependant, la volonté des enseignants de la classe de travailler sur l’écoute entre pairs et sur un climat de classe parfois difficile, a amené à porter une attention particulière sur les phases de travail en groupes et sur l’explicitation par les élèves des procédures qu’ils appliquent.
Les DVP se sont déroulées lors de séances d’EMC dédiées. Elles ont eu lieu avec la totalité du groupe classe.
Les modalités de prise de parole ont été expliquées aux élèves lors de la première séance et répétées lors des séances suivantes. Nous avons fait le choix d’une prise de parole libre pour deux raisons liées :
Premièrement, nous faisons l’hypothèse que la pratique des DVP permet de travailler la prise de parole autonome et argumentée chez les élèves. Nous avons cherché à faire de l’écoute et de l’attention à l’autre un élément central du travail de l’élève lors de ces séances. Pour cela, nous avons insisté sur la nécessité d’éviter les répétitions, de ne pas couper la parole à un camarade et au contraire de chercher à enrichir son propos. Les prises de parole n’étant plus rythmées par le fait de lever la main et d’obtenir l’accord de l’enseignant, l’attention de l’élève devenait nécessaire.
Deuxièmement, ne pas utiliser d’objet matérialisant le droit de parole répondait quant à lui à l’objectif d’éviter la construction d’un automatisme s’opposant à cette obligation d’attention. L’utilisation d’un objet spécifique semblait aussi s’opposer à la transposition des acquis conversationnels vers les séances de classe classiques.
Les difficultés supplémentaires à effectuer la tache demandée, qui découlent de ce choix, devaient cependant être conservées à l’esprit pour moduler les attentes de l’enseignant.
Les DVP se sont déroulées au sein de la classe elle-même, dans un espace aménagé pour matérialiser le principe d’horizontalité de la pratique : classe assise au sol, en cercle, le maître parmi les élèves. Cet espace organisé différemment permettait de marquer la césure avec les séances classiques, organisées selon une disposition frontale avec une prise de parole à main levée.
L’objectif étant à terme de transposer les habitudes prises lors des séances de débat vers l’ensemble des séances de classe, le choix a été fait de les mener directement en classe et non dans un espace dédié comme en offrait la salle d’activité de l’établissement. Cela a donc contraint à adapter l’organisation du mobilier pour permettre de dégager un espace vide suffisant à l’installation du groupe classe. Cela a été l’occasion de réinvestir les habitudes prises lors de travaux de groupes nécessitant une disposition en ilots.
L’aménagement de l’espace de classe répond donc à ces deux nécessités : une césure marquante pour permettre à l’élève d’entrer dans l’activité, et un maintien de la présence en classe pour favoriser la transposition des acquis à l’ensemble des activités de classe.
L’ensemble des débats a été enregistré à l’aide d’un enregistreur numérique portable multicanal placé au centre du cercle formé par les élèves.
Organisation des séances
Les séances étaient organisées toutes les deux semaines, pour permettre de mener en parallèle les enseignements classiques d’EMC prévus par les programmes. Cela permettait aussi d’en réaliser la transcription et d’en faire un résumé faisant fonction de trace écrite pour les élèves.
Les séances ont eu lieu les vendredis, après la dictée quotidienne, après la récréation de la matinée. La récréation assurait un temps de détente aux élèves avant chaque débat. Le temps de dictée, constituant une activité calme et de concentration pour les élèves, permettait d’apaiser le groupe classe et cherchait à prolonger ces dispositions lors de la séance de débat.
Chaque séance était constituée de 30 minutes de débat qui étaient suivies par un temps de lecture du résumé du débat précédent, de 5 à 10 minutes.
Il ne nous a pas semblé opportun de revenir sur les débats déjà effectués en les renouvelant mais nous souhaitions que les élèves soient confrontés à une trace de leurs propos, pour démontrer la réalité de leurs débats. Ces résumés étaient aussi l’occasion de présenter une version structurée des notions développées au cours des discussions.
L’ensemble des résumés réalisés constituera en fin d’année un livret à destination des élèves et de leurs parents.
Méthodologie de la transcription
Nous définirons ici la structure que nous avons donnée à nos transcriptions. Cette structure est constante sur l’ensemble des 5 DVP étudiées. Concernant les indications sur les transcriptions, chaque intervention est précédée de la mention « In1 : » où « n1 » correspond au numéro de l’intervention dans la chronologie du débat.
Indicateurs quantitatifs de l’influence des interventions du maître sur les échanges entre élèves
Se pose donc la question de mesurer l’influence de ces actions verbales du maître sur la formation de moments d’échange entre élèves.
Par conséquent, nous nous sommes attachés à mesurer la prévalence de ces différents éléments au sein des cinq DVP étudiées.
Du point de vue de l’émetteur d’une intervention nous avons distingué les interventions du maître, notées IM, et les interventions des élèves, notées IE. Les interventions des élèves regroupent à la fois les échanges multiples non transcriptibles, les interventions de classe et les interventions individuelles, bis ou non. Lorsque plusieurs interventions d’élèves se suivent, elles constituent un moment d’échange entre élèves, notés EE, au sens de notre étude.
Les interventions du maître qui précèdent ces moments d’échange entre élèves se décomposent comme nous l’avons vu en actions verbales du maître, notées AVM.
Les interventions des élèves, se partagent pour leur part entre les interventions isolées d’un élève, qui ne relèvent pas de notre étude, et les interventions d’élèves au sein d’un moment d’échange entre élèves, notées IE(EE). Combinés, ces différents éléments nous permettent d’établir une série de quatre rapports primaires.
Analyse des rapports primaires
Après avoir analysé chaque DVP, nous avons accumulé certaines données qui devraient nous permettre de tirer des conclusions d’ordre général pour répondre aux hypothèses évoquées dans l’introduction de notre mémoire :
Une participation moindre du maître favoriserait la survenance d’échanges entre élèves et augmenterait le nombre d’interventions qui les composent.
Certains types d’interventions du maître seraient plus favorables à la formation d’échanges entre élèves.
La complexité des interventions du maître gênerait la survenance des échanges entre élèves et diminuerait le nombre d’interventions qui les composent.
Conclusions
L’analyse des DVP que nous avons pratiquée en classe permet de tirer des conclusions suivantes :
Plus le maître intervient, moins d’échanges surviennent.
Plus le maître intervient, plus courts sont les échanges entre élèves.
Parmi les actions verbales du maître les plus agissantes pour la survenance des échanges entre élèves on retrouve l’AVM « Question qui suit l’évolution du débat », l’AVM « Demande d’approfondir le propos d’un élève » et l’AVM « Organisation du débat ».
Parmi ces trois AVM, la dernière a été la plus efficace.
Alors, nous pouvons valider deux des hypothèses de notre recherche :
Premièrement, pour favoriser la survenance et la longueur des échanges entre élèves le maître devrait adopter une position en retrait en laissant par conséquent plus de place à la participation des élèves.
Deuxièmement, certaines actions verbales du maître favorisent plus la survenance des échanges entre élèves.
Par contre, la troisième hypothèse, n’a pas rencontré de validation. Le nombre et la longueur des échanges ne dépendent pas de la complexité des interventions du maître qui les précèdent.
Limites de l’analyse présentée
Nous ne pouvons pas passer sous silence la portée réduite de nos conclusions.
Compte tenu de notre situation de FSE, notre recherche présente des limites temporelles et matérielles. L’analyse que nous avons pu effectuer est basée sur cinq DVP seulement.
Le nombre réduit de transcriptions a limité la matière à analyser et ne nous a pas livré toutes les possibilités de formalisation de résultats.
Les DVP sont transcrites par nous-même. Sans connaître la méthodologie scientifique de transcription, nous avons procédé en tâtonnant et par le bon sens, mais cet outil pourrait être amélioré.
Nous avons constaté une certaine subjectivité dans l’appréciation de la nature des AVM.
Par exemple, l’AVM 3 « Question du maître qui suit l’évolution du débat » et l’AVM 5 « Demande d’approfondir le propos d’un élève » se rapprochent beaucoup dans telle ou telle DVP. En absence de critères formels d’identification, il était des fois difficile de les distinguer. Cet aspect a certainement fragilisé nos données statistiques.
Dans notre mémoire nous émettons l’hypothèse, que moins l’enseignant intervient, plus les élèves s’expriment. Cette hypothèse a été approuvée par nos données statistiques. Or, cette conclusion ne concerne que nos propres DVP, peu nombreuses et trop peu formalisées. Il faudrait compléter cette étude en prenant en compte plus de transcriptions, mais surtout, des aspects autres que quantitatifs : le thème de la DVP, la personnalité de l’enseignant, le contexte de la classe, etc. En ce sens, une telle étude devrait s’appuyer sur les pratiques d’un plus grand nombre de classes.
Perspectives de la recherche
Notre recherche ne représente qu’une première approche de l’étude des DVP qui pourrait être continuée et approfondie : il serait intéressant d’étudier toutes les interventions du maître et des élèves et non seulement celles liées aux échanges. Ceci donnerait une dimension plus large à l’analyse et formaliserait davantage les conclusions.
Il y a un aspect que nous n’avons que peu exploité : la qualité des échanges entre élèves, c’est-à dire la nature et la structure de leurs interventions, leur évolution d’une DVP à l’autre. Ces questions ont pleinement leur place dans le cadre de la recherche des pratiques philosophiques à l’école.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Fondements théoriques et institutionnels des discussions à visée philosophique
1- Les discussions à visée philosophique à l’école primaire
2- Les principaux courants philosophiques
3- Les principales méthodes des pratiques philosophiques à l’école primaire
4- La façon de nommer les pratiques philosophiques
5- Le degré de participation de l’enseignant : aspect important pour notre étude
Chapitre 2 : Méthodologie de l’étude des discussions à visée philosophique
1- Terrain d’étude et modalités de notre pratique des discussions à visée philosophique
2- Méthodologie de l’analyse des discussions à visée philosophique
2.1- Définition du moment d’échange
2.2- Typologie des actions verbales du maître
2.3- Indicateurs quantitatifs de l’influence des interventions du maître sur les
échanges entre élèves
Chapitre 3 : Analyse des discussions à visée philosophique
1- Analyse des actions verbales du maître
1.1- Analyse spécifique des discussions à visée philosophique
1.2- Analyse comparée des actions verbales du maître
2- Analyse des rapports primaires
2.1- Analyse des rapports primaires
2.2- Analyse des moments d’échanges
Conclusions
Références
Annexes
Annexe 1. Synthèse des interventions du maître et des élèves lors des DVP
Annexe 2. Synthèse des rapports primaires
Annexe 3. Longueur des échanges entre élèves
Annexe 4. Synthèse des actions verbales du maître
Annexe 5. DVP n°1 Qu’est-ce qu’un enfant ?
Annexe 6. DVP n°2 Pourquoi on fait la fête ?
Annexe 7. DVP n°3 Pourquoi tout change tout le temps ?
Annexe 8. DVP n°4 Qu’est-ce que le progrès ?
Annexe 9. DVP n°5 Qu’est-ce que le bonheur ?
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