À propos des mouvements gravitaires
On parle de mouvement gravitaire lorsqu’un volume d’un matériau quelconque (ce peut être de la roche, de la glace, de la neige, de la boue…) est soumis à un déplacement sous l’effet de son propre poids. Le glissement est généralement le résultat d’une déformation, également gravitaire, affectant localement ou globalement le volume. Il est nécessaire de distinguer les glissements stables (mouvements de terrains, glaciers) des glissements instables (avalanches, coulées de boue, etc.). Le passage du premier état au second est envisageable, et varie suivant les sollicitations auxquelles le mouvement est soumis. Selon Vengeon et al. (1999), on peut distinguer trois grands scénarios :
1. accélération de la déformation et divergence rapide vers une rupture généralisée ;
2. rutpure généralisée se développant après une phase de déformation antérieure apparemment stabilisée ;
3. évolution continue et à vitesse constante de la déformation, sur une longue période de temps.
Les auteurs décrivent ce dernier scénario par le terme de pseudo viscoplasticité, en ce sens où, à l’échelle globale, le mouvement évoque le fluage, alors qu’à l’échelle locale, la mécanique du mouvement est très discontinue (Vengeon et al., 1999). Rien n’exclut la divergence du mouvement vers la rupture, qu’elle soit locale ou globale. Ce cas de figure est plus courant qu’il n’y paraît au premier abord ; c’est particulièrement vrai dans les Alpes, où il existe un grand nombre de mouvements gravitaires descriptibles de la sorte. Les mouvements gravitaires représentent avant toute chose un risque naturel majeur : les mouvements de terrain, avalanches, coulées de boue, chutes de blocs, etc., sont en eet autant de mouvements gravitaires succeptibles de générer des pertes et des dommages conséquents (par exemple, Evrard et al. (1990), Bessason et al. (2007)). Pouvoir caractériser les mécanismes internes aux mouvements, conduisant éventuellement à la divergence d’un mouvement gravitaire est donc primordial si l’on souhaite protéger les personnes et les biens menacés. Ces mêmes mécanismes sont en général inaccessibles à la mesure directe, puisqu’ils ont lieu au sein du massif en mouvement, voire à l’interface entre la partie mobile et le socle sur lequel elle se déplace. On a par conséquent habituellement recours à la modélisation (Merrien-Soukatcho et al., 2001; Helmstetter et al., 2004) et à l’auscultation par des méthodes indirectes, telles que la géophysique active (Méric et al., 2005), la télédétection (Duranthon and Eendiantz , 2004; Delacourt et al., 2004), ou la géophysique passive. Parmi les différentes méthodes de géophysique passives se trouve la sismologie, qui s’intéresse aux ondes générées par les mécanismes de ruptures ayant lieu à l’intérieur du volume considéré, sans aucune intervention humaine supplémentaire (à l’opposé, donc, des méthodes actives). Les mouvements gravitaires ont en général été peu étudiés du point de vue sismologique ; on retiendra cependant le travail de Gomberg et al. (1995) sur les glissements de terrain, et celui de Amitrano et al. (2005) sur l’écroulement d’une falaise calcaire en Normandie. Les glaciers ont par contre été le sujet de nombreuses études sismologiques par le passé (Neave and Savage, 1970; Weaver and Malone, 1979; Deichmann et al., 1979; Wolf and Davies, 1986; Deichmann et al., 2000). Ces derniers sont un bon analogue des glissements de terrain, et présentent l’avantage (1) d’être facilement accessibles de part les installations destinées au tourisme et (2) d’être très émissifs du point de vue sismologique (Neave and Savage, 1970). La description donnée par Vengeon et al. (1999) concernait les mouvements en milieu cristallophyllien, mais peut très bien s’appliquer aux glaciers. Ces derniers évoluent en effet suivant le troisième scénario : une déformation continue et à vitesse (plus ou moins) constante à grande échelle, pouvant présenter localement une fracturation parfois importante et discontinue. Notons que la divergence vers une rupture à grande échelle est en revanche plus rare, mais existe malgré tout : on peut citer le cas du glacier du Tour, dans le massif du Mont-Blanc, dont tout une partie s’est eondrée sur du village éponyme, le 14 août 1949.
Principaux objectifs du travail de thèse
Jusqu’alors, les études sismologiques des mouvements gravitaires en général (Gomberg et al., 1995) et des glaciers en particulier n’ont pas permis de localiser et de caractériser avec précision les sources des séismes profonds. Les auteurs suggèrent en général que certaines des sources sont situées à l’interface glace fi roche, sans pouvoir le confirmer du fait de l’erreur conséquente sur la détermination de la position de l’hypocentre. Certains ont recours à des moyens indirects pour s’en assurer (par exemple, Danesi et al. (2007)). Ce travail de thèse cherche principalement à mettre au point ou à adapter des méthodes de traitement utilisées par ailleurs en sismologie, an d’augmenter la résolution et la quantité d’information sur les processus en jeu. Antennes sismologiques : la localisation de séismes est susceptible d’être grandement améliorée en utilisant des antennes sismologiques, qui consistent schématiquement (une définition générale en est donnée au chapitre 2) en un ensemble de capteurs disposés de manière à ce que le pas d’échantillonnage spatial soit considérablement diminué par rapport à celui d’un réseau de stations sismologiques. Deux capteurs d’une antenne vont ainsi mesurer la même forme d’onde, mais décalée du temps nécessaire pour parcourir la distance entre eux. L’utilisation en pratique d’un système d’acquisition commun à tous les sismomètres d’une antenne permet de traiter les sismogrammes de manière globale, et non plus « station par station », et introduit la notion d’information relative permettant de s’affranchir d’un grand nombre d’inconnues et d’erreurs de mesure. Les antennes offrent en outre un avantage purement pratique sur les réseaux sismologiques dans le cadre de l’écoute passive de mouvements gravitaires. Ces derniers peuvent en effet s’avérer difficiles d’accès, ne permettant pas d’installer des capteurs directement dans la zone d’intérêt. Ceci est en contradiction évidente avec ces méthodes dites ‘classiques’ qui, pour être effectives, nécessitent une bonne couverture de la zone épicentrale. Les antennes sismologiques présentent le double avantage de ne nécessiter qu’un nombre restreint de sites (autant de sites que l’on souhaite installer d’antennes), et de devoir être installées à une distance suffisante de la zone épicentrale pour pouvoir faire l’approximation d’onde incidente plane, s’assurant de fait de la bonne cohérence des signaux d’un capteur à l’autre de l’antenne. Corrélation de bruit : les techniques de corrélation de bruit récemment adaptées à la sismologie globale (Campillo and Paul, 2003) sont susceptibles d’être appliquées au cas des glaciers. Ces derniers sont en eet très hétérogènes, favorisant les phénomènes de diffraction, à la base du principe de reconstruction des fonctions de Green dans un milieu ouvert et absorbant (Derode et al., 2003a,b). Il paraît par conséquent possible d’obtenir de l’information sur le milieu de propagation situé entre les capteurs de l’antenne installée sous le glacier.
Détermination de la vitesse apparente de propagation
Nous avons appliqué un algorithme de retard / sommation aux fonctions de corrélation an de calculer la vitesse apparente de propagation. Pour différentes valeurs de vitesse, on applique à chaque fonction de corrélation un retard de la forme dV, où d représente la distance entre deux capteurs, et V représente la vitesse testée. Ces fonctions décalées sont ensuite sommées entre elles, l’objectif étant alors de maximiser la valeur efficace de la somme. Cette méthode est a priori plus robuste que la régression linéaire effectuée sur la position des maxima, puisqu’elle ne fait aucune approximation quant à la distance et / ou au temps d’arrivée ; elle dépend cependant de la qualité de la détermination du décalage temporel inter-stations. La figure 4.5 montre l’évolution temporelle de la vitesse apparente déterminée par les deux méthodes mentionnées ci-dessus. On constate une bonne cohérence des résultats déterminés par ces deux techniques. Les vitesses moyennes (1850 m.s−1 ± 330 m.s−1 et 1982 m.s−1 ± 276 m.s−1 , déterminées respectivement par la méthode de retard-sommation et par régression linéaire) sont cependant inférieures à la vitesse calculée lors de l’inversion de la position des sources (2300 m.s−1), mais restent du même ordre de grandeur. Les variations autour de la moyenne restent relativement faibles, exceptions faites des 18 et 26 décembre où la vitesse calculée est beaucoup plus élevée (2600 m.s−1 et ≈ 2700 m.s−1 , respectivement). On constate que, pour ces deux dates, la détermination de la dérive s’écarte significativement de la droite moyenne (figure 4.4) ; il n’y a en revanche pas de variations du taux de sismicité (figure 3.4). L’origine de ces deux écarts est donc à rechercher dans des variations de la source de bruit (discutée dans le paragraphe 4.6), impliquant une mauvaise détermination de la différence d’horloge par la méthode proposée ci-dessus. La figure 4.6 montre le résultat de l’opération de calcul de la différence d’horloge, tel que présenté sur la figure 4.1, pour le 26 décembre ; le calcul se fait cependant sur 24 heures au lieu des 72 heures de la figure 4.1. Les fonctions de corrélations sont normalisées par leur maxima respectifs. On constate que le rapport signal sur bruit pour les grandes distances est très faible, indiquant de fait que la source de bruit était moins active ce jour. Ce qui implique par conséquent une position du maximum erronée (4.6, (a), en bas), et in fine une vitesse mal estimée (surestimée dans ce cas). À titre de comparaison, les maxima de corrélation calculés sur 72 heures centrées sur le 26 décembre sont présentés figure 4.7. On constate que leur position est mieux dénie. Il n’est pourtant pas rigoureux d’utiliser une fenêtre de 72 heures, puisque la dérive sur une telle durée est de l’ordre de grandeur des décalages mesurés.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 À propos des mouvements gravitaires
1.2 Écoulement des glaciers alpins
1.2.1 Le glacier d’Argentière
1.2.2 Le glacier du Gorner (Valais) et jökulhlaup du lac Gornersee
1.3 Objectifs du travail de thèse
1.4 Plan du mémoire
2 Généralités sur les antennes
2.1 Définition et historique
2.2 Caractéristiques d’une antenne
2.3 Méthodologies classiques
2.3.1 Méthodes de retard / sommation
2.3.2 Méthodes ‘continues’
2.3.3 Quelle conclusion tirer des méthodes d’antennes ‘classiques’ ?
2.4 Localisation et antennes
2.4.1 Introduction
2.4.2 Méthodes linéaires
2.4.3 Erreur de localisation
2.4.4 Problème non linéarisé : l’apport des méthodes de recherche sur grille
2.4.5 Aspect probabiliste
2.4.6 De l’intérêt d’utiliser des antennes pour la localisation
3 Activité micro-sismique d’un glacier alpin
3.1 Abstract
3.2 Introduction
3.3 Measuring micro-seismic activity at glacier d’Argentière
3.4 Signal characteristics
3.5 Detection event statistics
3.6 Computation of time delays
3.7 Locating the sources
3.8 Error estimation
3.9 Magnitude computation
3.10 Discussion and conclusion
3.11 Précisions sur la loi magnitudes cooccurrences
3.12 Corrélation temporelle des occurrences
4 Corrélation de bruit au glacier d’Argentière
4.1 Introduction
4.2 Données
4.3 Vitesse de propagation sous l’antenne
4.3.1 Correction de l’erreur d’horloge
4.3.2 Détermination de la vitesse apparente de propagation
4.4 Variation temporelle du maximum de corrélation
4.5 Asymétrie des fonctions de corrélation
4.6 Discussion
5 Influence des changements de pression d’eau
5.1 Introduction
5.2 Acquisition du signal en 2004
5.3 Caractéristiques du signal
5.4 Décalages temporels et phases sismiques
5.4.1 Détermination des décalages temporels à l’aide de la fonction d’intercorrélation
5.4.2 Importance de la phase dans le calcul du décalage temporel
5.5 Pointé des ondes P des séismes profonds
5.5.1 Introduction
5.5.2 Algorithme de Earle and Shearer (1994). Application aux séismes profonds
5.6 Localisation
5.7 Discussion et conclusion
5.8 Perspectives
6 Sismicité glaciaire et changement de contraintes
6.1 Introduction
6.2 Répartitions de l’azimut et de la vitesse apparente
6.3 Localisation des épicentres
6.3.1 Méthode
6.3.2 Estimation de l’erreur sur la localisation
6.3.3 Application au jeu de données de 2004. Discussion
6.4 Conclusions préliminaires et perspectives
7 Conclusion générale
7.1 De l’application des méthodes d’antennes aux glaciers
7.2 De la corrélation de bruit
7.3 Synthèse sur l’aspect méthodologique
8 Perspectives
8.1 Des antennes de capteurs aux antennes de séismes
8.2 Application aux Ruines de Séchilienne
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