L’analyse isogéométrique (IGA) possède l’avantage de pouvoir mener l’étape d’analyse sur la géométrie exacte, issue d’un logiciel de conception assistée par ordinateur (CAD), par l’utilisation de fonctions de forme identiques. Par conséquent, l’ensemble des grandeurs cinématiques peuvent être évaluées précisément sans introduire d’erreur due à la discrétisation spatiale du modèle. Les géométries issues d’un logiciel CAD sont, dans la très grande majorité des cas, composées de plusieurs domaines, ou patchs en IGA. Les patchs sont dits trimmés s’il n’est pas possible de les représenter par produit tensoriel des fonctions de base ou non trimmés si au contraire ces patchs peuvent être maillés exclusivement par des éléments quadrangulaires. La différence entre une géométrie trimmée et cette même géométrie non trimmée est visible sur la Figure 2.1. L’analyse de structures trimmées [Breitenberger 2015, Guo 2018, Teschemacher 2018] est récente et peut poser plusieurs difficultés parmi lesquelles l’intégration des éléments ou la vérification de conditions au sens faible. Dans cette étude, nous considérons exclusivement des géométries multipatch non trimmées complexes nécessitant un traitement robuste des conditions de continuité entre domaines. Les structures industrielles de ce type comprennent généralement une centaine de patchs.
La littérature est particulièrement riche en ce qui concerne le couplage de domaines en IGA pour des plaques et coques minces. Pour des maillages conformes, Kiendl et al. [Kiendl 2010] proposent d’ajouter une bande de flexion fictive afin de transférer le moment de flexion et conserver une continuité C0 entre les patchs. Une autre méthode pour préserver une continuité C0/G1 consiste à projeter virtuellement les points de contrôle pour chaque interface (algorithme d’Oslo [Cohen 1980]) puis d’utiliser une méthode statique condensée ou une méthode de pénalisation de la contrainte, voir [Lei 2015]. Une formulation basée sur la méthode de Nitsche est proposée dans [Apostolatos 2014], pour des problèmes plans ou des problèmes en 3D [Nguyen 2014], permettant de conserver l’unicité de la solution au prix de la résolution d’un système aux valeurs propres supplémentaire.
Les méthodes mortier sont reconnues pour être une alternative intéressante afin d’assurer les conditions de contact ou de continuité pour des problèmes d’interface [De Lorenzis 2012, Temizer 2012, Kim 2012, Dittmann 2014, Seitz 2016]. Dans ce cas, le choix d’un espace dual est essentiel. D’un point de vue théorique, l’espace des multiplicateurs de Lagrange doit satisfaire deux conditions. La première est la stabilité inf-sup et la seconde requiert une bonne approximation de l’espace dual. En notant p l’ordre des fonctions splines primales, un espace dual d’ordre p/p − 1/p − 2 est proposé par Brivadis et al. [Brivadis 2015]. Nous présenterons ici une méthode mortier simplifiée d’ordre p qui peut être facilement appliquée à des géométries industrielles avec un faible coût numérique. Le but de ce chapitre est d’introduire, analyser et valider la méthode mortier en isogéométrie pour résoudre des problèmes de coques épaisses posés sur des géométries multipatch. Une attention particulière sera portée à l’introduction d’une formulation rigoureuse des conditions de couplage, avec un intérêt particulier pour la méthode du lagrangien augmenté, au choix des espaces mortier et à l’élaboration de règles d’intégration pertinentes.
Construction de l’espace dual
Le choix le plus simple et naturel consiste à utiliser les mêmes fonctions de base sur chaque interface γkl pour les variables primales (côté esclave) et duales (couplage p/p). Mais de part la présence de points singuliers, la condition de stabilité 2.7 est violée à cause d’un excès local de variables duales en ces points . De plus, le problème de coins mortiers est particulièrement difficile en isogéométrie pour des situations de non-conformité géométrique, sachant que l’IGA n’est pas interpolante aux points de contrôle intérieurs, et donc la valeur du déplacement aux coins mortiers n’est pas forcément définie de manière unique. Deux solutions sont envisageables pour surmonter cette difficulté [Ben Belgacem 1997]. La première est de grossir le maillage de l’espace dual près des points singuliers. La seconde méthode, valable pour des situations de conformité géométrique esclave, est de réduire localement l’ordre d’approximation des éléments finis duaux qui sont adjacents aux points singuliers tel que mis en place dans [Brivadis 2015] pour des problèmes 3D.
Intégration réduite
L’IGA permet de représenter de manière exacte une géométrie régulière ce qui nous permet ici de définir une normale précise sur l’ensemble de la coque (à l’exception des points où la continuité est réduite). Malheureusement, il est désormais connu que les éléments de type coque épaisse souffrent de verrouillage numérique, quelques exemples étant donnés dans [Belytschko 2000, Hughes 2000] pour des polynômes de Lagrange d’ordre faible. Ce verrouillage en membrane et cisaillement est dû à un conflit d’ordre entre les différents termes composant l’énergie de déformation et malgré la haute régularité permise par les fonctions NURBS, l’IGA souffre également de ce verrouillage [Echter 2010]. Une élévation d’ordre (raffinementp ou raffinement-k) peut réduire le verrouillage au prix d’un temps de calcul plus important [Rank 1998]. Nous passerons cette difficulté en étendant la règle de quadrature réduite, donnée dans [Adam 2015b], à des géométries multipatch. Cette règle réduit le nombre de points d’intégration de un selon chaque direction pour les éléments dans les coins et de rk + 1 pour les éléments intérieurs en utilisant l’avantage de la haute régularité rk entre les éléments permise par l’isogéométrie. Par conséquent, l’utilisation de normales exactes s’avère incompatible avec la règle d’intégration réduite proposée car, comme précédemment souligné, le fait d’utiliser une normale exacte nécessite de calculer les dérivées premières et secondes du vecteur position. Ainsi, nous utiliserons les normales reconstruites développées dans (2.21). Enfin, nous utiliserons une régle d’intégration réduite similaire pour les termes de couplage aux interfaces. L’intégration des termes d’interface sera effectuée sur un espace parent commun. Pour ce faire, nous effectuons une projection symétrique knot-to-segment (KTS) pour tous les vecteurs noeuds de chaque côté des interfaces γkl en créant des sous-divisions de l’espace parent. Un exemple de projections KTS, représentées dans l’espace physique, est montré sur la Figure 2.9 pour une plaque constituée de quatre patchs.
Résultats numériques
On propose de valider les formulations multipatch et les règles de quadrature sur des exemples académiques et industriels. L’implémentation numérique a été réalisée sous Python avec une compilation à la volée par le LLVM grâce à la librairie Numba [Lam 2015]. Les matrices sont stockées au format sparse CSR avec la librairie SciPy [Jones 2001]. Ce choix nous permet d’utiliser des solveurs linéaires performant tel que le Pardiso [Schenk 2001] pour l’analyse de structure ou le Lanczos, inclus dans la librairie ARPACK [Lehoucq 1998], pour l’analyse aux valeurs propres. La projection KTS, permettant de construire un espace parent commun pour l’évaluation de l’intégrale mortier et des termes de pénalité, est assurée par l’algorithme L-BFGS B permettant de résoudre le problème d’optimisation au point le plus proche sous contraintes de bornes en limitant la consommation de mémoire [Byrd 1995, Zhu 1997].
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Table des matières
Introduction
1 Préambule
2 Méthodes multipatch pour des coques épaisses
2.1 Introduction
2.2 Modèle de coque
2.2.1 Cinématique
2.2.2 Formulation variationnelle
2.3 Description d’un problème multipatch
2.3.1 Définition du domaine global
2.3.2 Formulation faible du problème multipatch
2.3.3 Discrétisation locale
2.3.4 Problème discret pénalisé
2.3.5 Problème discret dualisé
2.3.6 Problème discret augmenté
2.4 Analyse de convergence
2.4.1 Hypothèses géométriques
2.4.2 Hypothèses sur l’espace dual
2.4.3 Résultats de convergence
2.4.3.1 Équivalence des normes
2.4.3.2 Erreur de consistance
2.4.3.3 Erreur d’approximation
2.4.3.4 Résultat de convergence
2.4.4 Construction de l’espace dual
2.5 Intégration réduite et stabilité
2.5.1 Reconstruction des normales
2.5.2 Intégration réduite
2.5.3 Stabilité numérique
2.6 Résultats numériques
2.6.1 Plaque simplement supportée
2.6.1.1 Validation
2.6.1.2 Approches simplifiée et optimale
2.6.1.3 Influence du facteur de pénalité
2.6.1.4 Dépendance en épaisseur
2.6.1.5 Analyse de fréquence propre
2.6.2 Hémisphère pincé
2.6.3 Plaque trouée
2.6.4 Pignon droit
2.6.5 Rail latéral
2.6.6 Carter d’huile
2.7 Conclusion
Annexes
2.A Compléments sur le modèle de coque
2.A.1 Géométrie différentielle sur la surface
2.A.2 Géométrie différentielle dans le volume
2.A.3 Déformations linéarisées
2.A.4 Loi de comportement
2.A.5 Analyse du modèle monopatch
2.B Coque linéaire en coordonnées cartésiennes
2.C Système à résoudre pour le couplage de deux patchs
2.D Compléments sur l’intégration réduite
2.D.1 Intégration réduite dans les patchs
2.D.1.1 Éléments finis de Lagrange quadratiques
2.D.1.2 Éléments finis B-splines quadratiques
2.D.1.3 Quadrature réduite pour des plaques et coques
2.D.2 Intégration réduite aux interfaces
2.D.3 Résumé des schémas de quadrature
3 Modèle de coque épaisse en grandes transformations
3.1 Introduction
3.2 Déplacements avec grandes rotations
3.3 Tenseur des déformations de Green-Lagrange
3.4 Loi de comportement
3.5 Écriture du problème non linéaire
3.6 Résolution par la méthode de Newton-Raphson
3.7 Matrice de rigidité tangente
3.7.1 Partie matérielle de la matrice de raideur tangente
3.7.2 Partie géométrique de la matrice de raideur tangente
3.8 Application à un problème multipatch
3.8.1 Équivalence d’écriture pour l’équilibre dans le volume
3.8.2 Problème multipatch augmenté discret en grandes transformations
3.8.3 Résolution par la méthode de Newton-Raphson
3.9 Résultats numériques
3.9.1 Stabilisation numérique des rotations
3.9.2 Plaque en porte-à-faux
3.9.2.1 Monopatch
3.9.2.2 Multipatch
3.9.3 Hémisphère pincé
3.9.3.1 Monopatch
3.9.3.2 Multipatch
3.9.4 Cylindre étiré
3.9.4.1 Monopatch
3.9.4.2 Multipatch
3.10 Conclusion
Annexes
3.A Dérivées première D˙ et seconde D¨ du gradient ponctuel
3.B Variante de la FLT avec une normale actualisée
3.B.1 Composition des rotations finies
3.B.2 Calcul incrémental des déplacements et normales
3.B.3 Application de la méthode de Newton-Raphson
3.C Angles d’Euler pour la paramétrisation des rotations
Conclusion
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