Karst et système karstique
Plusieurs définitions ont été proposées pour désigner convenablement le processus qui résulte de l’action dissolvante de l’eau sur certains types de roches. Dans ce mémoire nous allons utiliser la définition proposée par Bakalowicz (1999) : le karst est l’ensemble de formes superficielles et souterraines résultant de la dissolution de roches carbonatées (calcaires, dolomies) par l’eau rendue acide par le dioxyde de carbone ; par extension, l’ensemble de formes comparables se développant dans les roches salines (gypse, anhydrite, halite). L’origine du mot karst est allemande et provient de la dénomination géographique d’une région s’étendant de Trieste en Italie, jusqu’au mont Snežnik à l’est en Slovénie ; cette région était souvent étendue à une région située plus au nord, le karst de la Carniole jusqu’à Ljubljana, avec la célèbre grotte de Postojna, Adelsberg (Cvijic, 1960). Le mot « karst » s’est répandu dans l’Europe centrale et occidentale. On désigne sous le nom de « phénomènes karstiques » les formes du relief, les caractères morphologiques et les processus hydrographiques particuliers aux terrains calcaires ou salins sur toute la surface de la Terre. En effet, le paysage du karst résulte des écoulements souterrains particuliers qui se mettent en place progressivement dans les roches carbonatées (calcaires et dolomies) et dans les roches salines (gypse et parfois sel gemme) et constitue également un aquifère puisque l’eau souterraine est totalement impliquée dans sa formation et dans son fonctionnement (Mangin, 1975, Bakalowicz, 1999). Le système karstique est l’ensemble de formes de surface et souterraines organisées les unes par rapport aux autres pour constituer une unité de drainage. L’eau de pluie infiltrée se charge en gaz carbonique lors de son passage à travers le sol et, sous l’effet d’un gradient hydraulique, circule dans les fractures de la roche. Par la suite, l’eau élargit les fissures par lesquelles elle circule, les transformant progressivement en conduits. Des conduits organisés en réseau se forment et drainent les eaux depuis la surface jusqu’à une source généralement unique tandis que des zones de stockage connectées au réseau de conduits prennent place dans la zone saturée (Mangin, 1975, Bakalowicz and Dörfliger, 2005). Le résultat final se traduit par une hétérogénéité considérable du milieu avec une organisation des vides déterminée par les écoulements souterrains (Mangin, 1975)
Le karst dans le bassin Méditerranéen
Les roches carbonatées sont très présentes dans le bassin méditerranéen et affleurent selon les pays sur 30 à 70 % de la surface (figure 6) (Bakalowicz and Dörfliger, 2005). De plus, ces régions ont été soumises à des mouvements tectoniques (phase Pyrénéenne) et des variations du niveau de la mer très importantes (variations au cours du Quaternaire, crise de salinité au Messinien). Donc les conditions sont réunies pour que les aquifères karstiques de la région méditerranéenne renferment une partie importante des ressources en eau. Ils peuvent ainsi offrir des ressources de l’ordre de quelques dizaines de m3/s à plusieurs centaines de l/s. Toutes ces quantités d’eau peuvent satisfaire les agglomérations du pourtour méditerranéen qui souffrent, surtout lors de la période estivale, d’une importante pénurie d’eau. Bien que les formations karstiques constituent la principale formation aquifère de ces pays, le cas d’exploitation par gestion active, méthode d’exploitation durable qui veille à respecter les conditions de reconstitution des réserves, restent des exceptions (Bakalowicz et al., 2003). Il est donc primordial de bien connaître ces systèmes pour pouvoir protéger et exploiter leurs ressources en eau.
Géophysique sur le karst
Les méthodes de prospection géophysique ont pour objectif de caractériser les variations de certains paramètres physiques des terrains du sous-sol, afin d’obtenir des informations géologiques sur leur nature et leurs propriétés. Ces méthodes constituent un des outils les plus utilisés pour définir les ressources en eau dans des milieux poreux et fissurés. Tandis que plusieurs études ont montré l’intérêt des applications de la géophysique à des structures karstiques, ces méthodes ne sont toujours pas systématiquement utilisées aux études hydrogéologiques. Quelle est la démarche que la géophysique doit suivre pour l’exploration de ce milieu hétérogène et anisotrope ? Tout d’abord, cela consiste à développer et tester des outils de modélisation qui pourraient donner la réponse de techniques géophysiques avant leurs applications à des cas réels. Cette partie reste très limitée car le manque de connaissances sur la structure et le fonctionnement du karst, à l’échelle des mesures géophysiques, entraine des erreurs importantes. Il faut y ajouter les difficultés liées à la complexité du milieu. La modélisation ne peut étudier que des cas simples qui représentent rarement la réalité géologique. Ensuite la démarche consiste à appliquer diverses techniques à des zones connues, en essayant de déterminer celles qui apporteront le maximum de compléments afin de décrire des zones du système karstique (épikarst, zone d’infiltration, zone noyée et drains karstiques). Il s’agir d’établir ainsi une approche méthodologique qui à la suite sera testée sur des zones non explorées, pour pouvoir vérifier ses performances et sa mise en œuvre. Sans exposer en détails tous les travaux géophysiques réalisés sur le milieu karstifié, cette partie du mémoire fera référence, avec un ordre chronologique, aux principales études qui ont été réalisées jusqu’à présent. Kaspar and Pecen (1975) ont développé une sonde électromagnétique de forage adapté pour détecter un karst proche du forage. Militzer et al. (1979) ont modélisé la réponse théorique de formes karstiques par méthodes électriques et à la suite, Douglas (1986) et Noel and Xu (1992) utilisant le panneau électrique ont pu détecter des anomalies électriques qui correspondaient à des cavités karstiques. Vogelsang (1987) a cartographié des fractures karstiques et des zones de failles, qui favorisent la circulation d’eau par méthodes électromagnétiques (Slingram et VLF). Ogilvy et al. (1991) ont modélisé et ensuite détecté une cavité remplie d’air par électromagnétisme VLF. Guérin and Benderitter (1995) par prospection électromagnétique VLR-résistivité ont pu cartographier des anomalies liées à un conduit karstique. Doolittle and Colins (1998) et McMechan et al. (1998) ont utilisé le radar pour mettre en évidence des zones fracturées et karstifiées. Kaufmann et Quinif (1999) ont cartographié des zones d’effondrement liées à un paléokarst réactivé en utilisant le trainé et le panneau électrique. Gautam et al. (2000) ont cartographié des formes karstiques en couplant le panneau électrique et la technique gamma-ray. Bosch and Müller (2001, 2005) ont démontré l’intérêt de l’utilisation des techniques VLF-LF pour la détection des fractures et des failles peu profondes dans les réseaux karstiques. Sumanovac and Weisser (2001) ont combiné des mesures électriques et sismiques pour localiser des zones fracturées. Beres et al. (2001) et Al-Fares et al. (2002) ont illustré l’application du radar pour l’exploration des zones karstifiées peu profondes. Szalai et al. (2002) ont proposé l’emploi d’un dispositif électrique en configuration « null array » pour mettre en évidence les directions superficielles préférentielles des réseaux karstiques. McGranth et al. (2002) ont utilisé la microgravimétrie et le panneau électrique pour la détection de cavités d’une taille importante et peu profondes. Zhou et al. (2002) ont démontré l’efficacité d’un dispositif de mesures électriques en configuration « effective array » pour la cartographie de zones de vulnérabilité à l’effondrement dans les formations karstiques. Van Shoor (2002) a délimité des zones de gouffres formées dans les dolomies en utilisant le panneau électrique. Vouillamoz et al. (2003) ont pu localiser la zone noyée d’un aquifère karstique en employant la méthode RMP et le panneau électrique. Deceuster et al. (2006) ont appliquée le panneau électrique dans des forages pour mettre en évidence des zones d’effondrement liées à un paléokarst. Debeglia et al. (2006) ont combiné la microgravimétrie et l’analyse des ondes de surface pour caractériser des cavités karstiques peu profondes. Il faut certainement mentionner les résultats de la thèse d’Al-Fares (2002) pour la caractérisation de la zone d’infiltration et notamment de l’épikarst. Ces travaux ont démontré une démarche méthodologique pour l’étude de la partie superficielle du karst sans recouvrement conducteur en surface qui consiste à i) une prospection de détail de la surface par une prospection électromagnétique Slingram, ii) une prospection radar et iii) des sondages RMP. Toutes ces études ont démontré que l’application de certaines méthodes à des cas spécifiques, peut donner des informations du sous-sol très intéressantes pour les géologues et/ou les hydrogéologues. Malgré leurs résultats, l’utilisation de la prospection géophysique reste restreinte. En effet, le point commun de la plupart de ces travaux reste l’application de méthodes géophysiques sur des zones karstiques largement connues et bien explorées. Tout cela ne suffit pas, à juste titre, à convaincre les hydrogéologues sur l’utilité de la géophysique.
Hydrogéologie – système karstique
Les formations calcaires sont les aquifères essentiels. L’infiltration et la circulation souterraine, en ce qui concerne les calcaires de Tripolis, se fait essentiellement par les formes karstiques, tandis que les calcaires d’Olonos-Pindos présentent une porosité secondaire assurée essentiellement des discontinuités stratigraphiques (stratification) ou tectoniques (diaclases) (Stournaras et al., 1992). Les différences entre les deux types de calcaires concernent surtout l’épaisseur des bancs. Les calcaires d’Olonos-Pindos présentent des bancs d’épaisseur relativement faible (<30 m) par rapport à l’épaisseur des calcaires de Tripolis. Leur perméabilité est contrôlée par la stratification et les diaclases, et l’intercalation de radiolarites et de flysch favorise l’émergence des eaux souterraines autour de la dépression. Par contre, la continuité des calcaires de Tripolis en profondeur et leur karstification intense (l’eau s’infiltre par un réseau de karstification bien développé à des grandes profondeurs vers des altitudes plus faibles, en relation avec le niveau de base actuel qui est la mer Egée), ne permettent pas l’émergence de sources karstiques dans la zone de Tripolis. D’après les traçages réalisés sur les poljés au centre du Péloponnèse (Gospodaric and Leibungut, 1986) les eaux aboutissent aux sources karstiques du littoral est. Dans la dépression, les alluvions ont des épaisseurs très variables (de 5 à 100 m) et une grande hétérogénéité de composition (fluviales, lacustres et cônes de déjection). Elles constituent un aquifère secondaire qui a été exploité par plusieurs puits artisanaux (à une profondeur maximale de 13-15 m). Deux grands gouffres au sud de la dépression et au pied du calcaire de Tripolis drainent les eaux superficielles qui ruissellent dans la vallée (figure 15). Seule une partie des eaux de la dépression est acheminée vers les gouffres car une autre partie s’infiltre vers l’aquifère karstique plus profond en différents points dans la vallée, d’où l’intérêt de créer une carte de vulnérabilité de l’aquifère karstique (projet de thèse de Regina KOUTSI, cf. infra II.A.5.). Dans les années ‘90 une dizaine de forages a été implanté (profondeur moyenne 100 m) en bordure de la dépression (figure 16), afin d’exploiter l’aquifère karstique plus profond. Une minorité de ces forages ont pu être exploités, les autres présentent un débit faible ou sont négatifs. De plus, la plupart de ces forages est mal décrit géologiquement due à l’absence de géologues pendant la foration. Ce fait restreint encore plus les informations pour les formations du sous-sol de la dépression de Loussoi.
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Table des matières
i) Introduction générale
ii) Problématique
iii) Financements
iii.a) PLATON
iii.b) HYKAR et WATERSCAN
iii.c) Fondation Leventis et fondation Bardinogianneio
iii.d) Musée du vin de Paris
iv) Plan de ce mémoire
CHAPITRE I Système karstique et ses ressources en eau
Introduction
I.A. Karst et système karstique
I.A.1. Karstification et types de karst
I.A.2. Morphologie karstique
I.A.3. Structure et fonctionnement
I.A.4. Extension du karst
I.A.4.a. Le karst dans le monde
I.A.4.b. Le karst dans le bassin Méditerranéen
I.A.5. Ressources – exploitation – méthodologie d’étude
I.B. Géophysique sur le karst
I.C. Objectifs de la thèse
CHAPITRE II Sites expérimentaux : présentation de chaque site – objectifs de la géophysique
Introduction
II.A. Limnes Kastrion (site de Loussoi)
II.A.1. Localisation
II.A.2. Contexte géologique
II.A.2.a. Géologie régionale
II.A.2.b. Géologie locale
II.A.3. Climat
II.A.4. Hydrogéologie – système karstique
II.A.5. Suivi hydrogéologique (Université d’Athènes)
II.A.6. Rôle de la géophysique
II.B. Rocamadour (site de Poumeyssen)
II.B.1. Localisation
II.B.2. Contexte géologique
II.B.2.a. Géologie régionale
II.B.2.b. Géologie locale
II.B.3. Hydrogéologie – système karstique de l’Ouysse
II.B.4. Climat
II.B.5. Suivi hydrogéologique – qualité des eaux
II.B.6. Objectifs de la géophysique
II.C. Paralio Astros (site de Paralia Agiou Andrea)
II.C.1. Localisation
II.C.2. Contexte géologique
II.C.3. Climat
II.C.4. Contexte hydrogéologique – formation de sources sous-marines
II.C.5. Rôle de la géophysique
CHAPITRE III Méthodes géophysiques : principes et choix pour chacun des sites expérimentaux
Introduction
III.A. Prospection géophysique appliquée à l’hydrogéologie – hydrogéophysique
III.A.1. Méthodes géophysiques et techniques de mesures
III.A.2. Paramètres hydrogéologiques
III.A.3. Choix des méthodes
III.B. Méthodes électriques
III.B.1. Principe général
III.B.2. Dispositifs de mesure
III.B.3. Polarisation spontanée (PS)
III.B.3.a. Principe
III.B.3.b. Dispositif de mesure et mise en œuvre
III.B.4. Mise–à–la–masse
III.B.4.a. Principe
III.B.4.b. Dispositif de mesure et mise en œuvre
III.B.5. Panneau électrique
III.B.5.a. Principe
III.B.5.b. Dispositif de mesure et mise en œuvre
III.C. Méthodes électromagnétiques (EM)
III.C.1. Principe général
III.C.2. Méthodes électromagnétiques temporelles (TDEM – Time Domain ElectroMagnetic ou TEM – Transient ElectroMagnetic)
III.C.2.a. Principe
III.C.2.b. L’équipement TEM-fast 32
III.C.3. Méthodes électromagnétiques fréquentielles (FDEM – Frequency Domain ElectroMagnetic)
III.C.3.a. Principe
III.C.3.b. Les équipements RMT, RF-EM et VLF-Gradient
III.C.3.a.i. Radiomagnétotellurique (RMT)
III.C.3.a.ii. Radio Frequency Electro-Magnetic (RF-EM)
III.C.3.a.iii. Very Low Frequency Gradient (VLF – Gradient)
III.C.4. Radar
III.D. Méthodes sismiques
III.E. Résonance magnétique des protons (RMP)
III.E.1. Principe
III.E.2. Mise en œuvre
III.E.3. L’équipement NUMIS plus
III.F. Microgravimétrie
III.G. Prospection Radon
CHAPITRE IV Résultats géophysiques
Introduction
IV.A. Limnes Kastrion (site de Loussoi)
IV.A.1. Historique des missions réalisées
IV.A.2. TDEM
IV.A.2.a. Détermination du substratum calcaire
IV.A.2.b. Signature géophysique du calcaire de Tripolis sur les courbes TDEM
IV.A.2.c. Présence d’une couche argileuse
IV.A.3. FDEM
IV.A.3.a. Profil L1
IV.A.3.b. Comparaison des résultats des techniques FDEM et TDEM
IV.A.3.c. Gouffre réactivé
IV.A.4. Conclusions
IV.B. Rocamadour (site de Poumeyssen)
IV.B.1. Historique des missions réalisées
IV.B.2. Cartographie spéléologique
IV.B.3. Résonance magnétique des protons
IV.B.3.a. Modélisation
IV.B.3.b. Résultats obtenus sur le terrain
IV.B.4. Panneau électrique
IV.B.5. Topographie
IV.B.6. Polarisation Spontanée
IV.B.7. Mise-à-la-masse
IV.B.7.a. Modélisation
IV.B.7.b. Résultats obtenus sur le terrain
IV.B.8. Tomographie sismique de vitesses P
IV.B.9. Hypothèse d’évolution du conduit karstique
IV.B.10. Conclusions
IV.C. Paralio Astros (site de Paralia Agiou Andrea)
IV.C.1. Historique des missions réalisées
IV.C.2. TDEM
IV.C.3. FDEM
IV.C.4. Polarisation Spontanée
IV.C.5. Résonance Magnétique des Protons
IV.C.6. Conclusions
CHAPITRE V Conclusions générales et perspectives
Conclusions générales
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