Méthodes d’estimation et d’extrapolation des pompages des eaux souterraines

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La GIRE : quelle réalité sur le terrain ?

La GIRE peut être considérée comme le prolongement du concept de gouvernance, dans la mesure où elle cherche à combiner les différents instruments politiques de gouvernance. Le concept de la GIRE a émergé suite au constat que la gestion de l’eau connaît une fragmentation entre divers secteurs économiques et, au plan des politiques publiques, entre ministères (Molle, 2012a). Ce concept a été plébiscité par des agences internationales de développement (Global Water Partnership, UNESCO…), dans le cadre de conférences internationales (Forums mondiaux de l’eau) et à travers la littérature scientifique, même si on trouve dans chaque cas, des partisans et des opposants à ce concept. Selon Molle (2009), les concepts d’intégration ont réussi à déplacer des points de vue sectoriels ou technocentriques étroits. Le concept a été formulé par le Partenariat Mondial de l’Eau comme: « un processus qui favorise le développement et la gestion coordonnés de l’eau, des terres et des ressources connexes, en vue de maximiser, de manière équitable, le bien-être économique et social en résultant, sans pour autant compromettre la pérennité d’écosystèmes vitaux » (Petit, 2009).
Selon Xie (2006) cette définition distille quatre éléments clés : 1) La GIRE est un processus coordonné qui rassemble les différentes parties prenantes; 2) Elle met l’accent sur le bien-être économique et social, l’équité et la protection des écosystèmes; 3) Elle utilise des données et outils scientifiques pour fournir une base solide pour le jugement; 4) Elle met l’accent sur une bonne gouvernance impliquant une participation démocratique. La GIRE considère que l’eau est une propriété publique permettant à l’État de concéder des usages privatifs en agissant comme un acteur essentiel pour introduire des lois concertées sur l’eau et un cadre juridique pour la planification (Shah, 2010). La GIRE a été aussi influencée par le néolibéralisme (Petit et Baron, 2009) avec la montée en puissance de la pensée économique libérale qui revendique de considérer l’eau comme bien économique puisque « rare », alors qu’autrefois l’eau était présumée disponible en quantité illimitée et sans valeur d’échange (Calvo-Mendieta, 2005; Petit et Romagny, 2009). Mais l’élément le plus important selon Merrey et al. (2005) concerne la notion d’intégration. Ceci permet de distinguer la GIRE des approches traditionnelles qui dissocient par exemple la gestion des eaux de surface et celle relative aux eaux souterraines. La GIRE suppose la reconnaissance de l’interconnectivité qui existe entre l’eau de surface et l’eau souterraine pour une gestion intégrée. La GIRE rompt aussi avec les approches sectorielles de la gestion de l’eau et avec les décisions de développement prises au profit d’un seul groupe d’utilisateurs (Giordano et Shah, 2014). Jønch-Clausen et Fugl (2001) analysent le terme «intégration» et le catégorisent en deux systèmes : 1) le système naturel qui implique essentiellement l’intégration entre l’eau et la terre ; les eaux de surface et les eaux souterraines ; les enjeux quantitatifs et qualitatifs, et 2) le système humain impliquant l’intégration de l’eau dans l’économie nationale, l’intégration intersectorielle dans l’élaboration des politiques nationales et la participation de toutes les parties prenantes aux différents niveaux de gestion. Les critères primordiaux que poursuit la GIRE tiennent compte des conditions sociales, économiques et naturelles selon le triptyque : équité, efficience économique et durabilité (GWP, 2000). Ce concept assimile donc les trois piliers du développement durable (Molle, 2012a). Pour opérationnaliser ce triptyque, par son approche d’intégration, la GIRE tente ainsi de mettre en pratique les principes de Dublin2, en mettant l’accent sur la décentralisation, la durabilité économique et financière à l’échelle d’un bassin versant, vu comme une unité de décision (Giordano et Shah, 2014). Le bassin versant pour les eaux de surface et le système aquifère pour les eaux souterraines ont été réfléchis comme de nouveaux modèles territoriaux cohérents pour la GIRE (Buller, 1996; Petit et Baron, 2009). Selon le rapport de l’UNEP (2012), depuis les années 1990, environ 80% des pays ont entrepris des réformes propices à la gestion des ressources en eau, en se basant sur l’application des approches intégrées. Cependant ces évaluations normatives ont reçu beaucoup de critiques, car il est très difficile de définir des indicateurs permettant d’évaluer le progrès du concept instable de la GIRE (Petit, 2016).
Il faut cependant noter que la GIRE est un processus et non pas un produit, car elle ne fournit pas un plan spécifique pour un problème donné de gestion de l’eau, mais ses principes, ses outils et ses lignes directrices doivent être adaptés au contexte spécifique de chaque région (Xie, 2006). Elle est processuelle, car elle apparaît comme une cible en mouvement, du fait de l’évolution des problèmes tout comme des valeurs sociales qui changent au fil du temps (Molle, 2012a). C’est donc au moment de sa mise en œuvre que la GIRE rencontre des difficultés de différents ordres. Si le concept paraît large, englobant et ambitieux, il a quand même une faible résonance en pratique et il est extrêmement difficile à le rendre opérationnel (Biswas, 2004; Petit, 2016). Par conséquent, de nombreuses questions ont été soulevées sur les défis de la GIRE (Petit et Baron, 2009). Elle est tellement ambitieuse, que son caractère d’intégration à différentes échelles a pris 30 ans en France et 20 ans en Espagne pour mettre en œuvre quelques intégrations, alors que certains objectifs tels que la durabilité économique complète et la conciliation des besoins en eau prendront donc encore plus de temps à être intégrés (Xie, 2006). Petit et Baron (2009) analysent le cas du Burkina Faso comme pays pilote de la GIRE et révèlent des difficultés de mise en œuvre liées aux processus de décentralisation en raison du manque de délégation compétente et des fonds limités alloués aux collectivités locales dans le secteur de l’eau. Les auteurs soulignent aussi des choix institutionnels confus, par exemple l’existence de deux ministères impliqués dans les questions liées à l’eau, et les initiatives conçues au niveau national qui éprouvent des difficultés à être mises en œuvre au niveau local. Une ligne de fracture entre les ministères sectoriels concernés par l’eau est à l’origine d’une compétition, que ce soit pour des questions de prérogatives ou de budget, qui sont très préjudiciables à la GIRE (Molle, 2012b).
Bien souvent, les principes de la GIRE comme modèle de gouvernance rencontrent des problèmes et des conflits. Des lobbies d’agriculteurs ont été constitués dans les régions arides et semi-arides du monde entier pour protéger leurs intérêts liés à l’irrigation. Ces lobbies entrent souvent en conflit avec des lobbies opposés ayant des agendas environnementaux, économiques et même politiques (Llamas et Martínez-Santos, 2005). En Espagne comme au Mexique, la mise en œuvre de diverses clauses de législation par les gestionnaires des eaux souterraines s’est révélée difficile à cause des lobbies d’agriculteurs qui résistent avec force à toute restriction de leurs droits sur les eaux souterraines (Mukherji et Shah, 2005). Dans la vallée du Souss au Maroc, lorsque les nappes sont surexploitées, des lobbies de grands agrumiculteurs entrent en coalition avec les administrations publiques pour négocier de nouvelles ressources en eau de surface pendant que la majorité des petits propriétaires perd l’accès à l’eau souterraine et ne bénéficie pas des transferts d’eau de surface (Faysse et al., 2012; Houdret, 2008). Parmi les facteurs qui semblent favoriser le développement des lobbies agricoles, on remarque la présence de grands propriétaires fonciers d’une part et la forte dépendance à l’utilisation de l’eau souterraine d’autre part (Mukherji, 2006). L’auteur observe également, dans le cas indien, que la présence ou l’absence des lobbies détermine si les réglementations sur l’utilisation des eaux souterraines peuvent être opérantes. Lorsqu’elles sont faibles comme au Bengale occidental, les réglementations sur les eaux souterraines peuvent être mises en œuvre avec succès, mais au Gujarat où elles sont très présentes, tout effort pour contrôler l’exploitation des eaux souterraines reste illusoire. Mais dans la plupart des pays, des paradigmes comme la GIRE préconisant la gestion directe de la demande sont fondamentalement en désaccord avec le caractère hautement informel de la GWE qui reste en dehors des mécanismes formels de gouvernance (Shah et Van Koppen, 2006). Shah et Van Koppen (2006) soulèvent ce défi important de la confrontation de la GIRE avec la nature informelle de l’utilisation des eaux souterraines : « How does any administration effectively enforce a groundwater law if 20 million farming households owning irrigation wells are strongly opposed to it ? ». Bien que des organismes et leurs administrateurs mobilisent la boîte à outils de la GIRE, l’usager reste méconnu, car il n’est pas encore reconnu comme une partie prenante la gouvernance de l’eau. Une meilleure connaissance de l’usager de l’eau souterraine prépare ainsi son insertion dans une politique de gestion intégrée. Mais le plus souvent, sa participation demeure une consultation symbolique, sans pouvoir de prise de décision (Wester et Bron, 1998).
Si pour les eaux souterraines il n’y a pas de recette simple permettant une gestion durable tout en respectant les principes de la justice environnementale, c’est parce que sa gestion est souvent basée sur une privatisation des usages et une valorisation économique (Hoogesteger et Wester, 2015). C’est dans ce sens que les objectifs de la GIRE (économique, social et environnemental) entrent en conflit, paraissent incompatibles, et sont souvent repoussés vers le long terme. L’alliance entre la durabilité et une plus grande justice environnementale ne sont selon Molle (2012) possibles qu’à travers l’émergence d’une nouvelle gouvernance. Cette gouvernance doit placer dans son agenda la question urgente de l’équité dans l’utilisation des eaux souterraines (Hoogesteger et Wester, 2015). Selon Mukherji et Shah (2005), il est utile d’informer la gouvernance par la construction de connaissances selon trois perspectives (ressources, institutions et usagers).

Trois perspectives nécessaires à l’analyse de la gouvernance des eaux souterraines

Si les efforts consentis pour concevoir des modèles de gestion des eaux souterraines ont jusqu’à présent connu peu de succès, c’est parce qu’ils sont souvent pensés d’une manière centralisée pour être appliqués à une diversité de configurations socio-économiques et de conditions hydrogéologiques qui permettent l’utilisation des eaux souterraines (Jha et Sinha, 2009). Malgré la confrontation de différentes écoles de pensées sur la manière d’envisager une gestion des eaux souterraines appuyée par certaines expériences : régulation indirecte par le contrôle de l’électricité (Shah et al. 2008) ; régulation communautaire (Ostrom, 1990) ; régulation par le marché (Anderson et Snyder, 1997), elles restent cependant toutes difficiles à mettre en œuvre sans un certain nombre d’informations et de connaissances. C’est pourquoi Mukherji et Shah (2005) proposent de distinguer puis associer trois perspectives de gouvernance, liées aux ressources, aux institutions et aux usagers de l’eau souterraine. Ils notent une forte asymétrie des connaissances sur les eaux souterraines dominées par les sciences hydrogéologiques comparées aux sciences sociales par exemple. Pour mieux gérer les ressources, il faut donc connaître 1) les dynamiques des eaux souterraines sous influence anthropique (données sur les stocks, flux, bilans et sur la qualité) ; 2) les institutions à travers lesquelles les eaux souterraines sont mobilisées, appropriées, utilisées et gérées ; 3) le comportement des usagers vis-à-vis de l’eau souterraine.

Le Saïss : une étude de cas particulièrement illustrative des enjeux de gouvernance de l’eau souterraine

L’agriculture de la plaine du Saïss est devenue, durant la dernière décennie, très dynamique et orientée de plus en plus vers une utilisation intensive des facteurs de production (eau, capital, terre). Cette transition en cours est en effet portée par la mobilisation de nouvelles techniques : forages profonds, irrigation au goutte-à-goutte, mécanisation des pratiques agricoles, etc. Gameroff et Pommier (2012) en réalisant un diagnostic agraire de cette plaine du Saïss, ont identifié 12 systèmes de production, témoignant ainsi la diversité des agricultures pratiquées d’une part, et des disparités structurelles existantes en matière de la taille des exploitations agricoles par exemple. Historiquement, cette dynamique agraire de la plaine du Saïss (environ 210 000 ha), a été portée par le développement de l’exploitation des eaux souterraines par les agriculteurs. Bien que les colons mobilisaient déjà ces ressources durant le protectorat français (1912 – 1956), l’extension de cette pratique est surtout liée à partir des années 1980 aux épisodes de sécheresse et au tarissement des quelques résurgences naturelles (les sources) qui servaient pour l’irrigation de petites surfaces.
La richesse de cette plaine parfois appelée par les agriculteurs ‘‘le pays de l’oignon’’ réside particulièrement dans ses ressources en eau souterraine (une nappe phréatique dans les formations sableuses et une nappe captive profonde dans les formations liasiques). La bonne fertilité des sols à dominance argileuse est aussi un atout remarquable. La mobilisation des eaux souterraines concernait donc surtout la nappe phréatique par des puits traditionnels, même si le caractère ascendant de la nappe profonde avait été mis en évidence dès le protectorat (Margat, 1955). Les dynamiques agraires sont devenues tellement importantes qu’elles ne peuvent plus être soutenues par cette nappe phréatique dont le rendement hydraulique en déclin était perçu par la baisse des niveaux d’eau dans les puits. La nappe profonde a été mobilisée, essentiellement depuis les années 2000 pour permettre plus de souplesse et s’est traduit par l’élargissement des frontières du secteur irrigué. Face à de telles dynamiques agricoles portées donc essentiellement par les eaux souterraines, la surexploitation devient très difficile à appréhender et la planification d’une gestion par l’agence de bassin basée sur régulation de la demande (systèmes d’autorisation, technique d’irrigation économe en eau) reste pour le moment peu opérationnelle.
Contrairement au problème de surexploitation de la ressource en eau, les inégalités d’accès et d’utilisation de l’eau souterraine ne sont pas encore étudiées. Cette réflexion semble être totalement absente du discours de l’agence qui tient la surexploitation comme le seul problème à régler par des modalités de gouvernance à inventer ou à imposer aux agriculteurs. Nous avons choisi de travailler dans une petite zone du Saïss (la commune d’Iqaddar), qui témoigne d’une forte dynamique agricole exerçant une forte pression sur les eaux souterraines. Cette zone d’étude présente par ailleurs une diversité de catégories sociales d’agriculteurs ayant différentes logiques qui façonnent différemment l’anthropisation des eaux souterraines. Ces inégalités d’accès et d’utilisation de l’eau souterraine produisent des richesses économiques, qui financent à leur tour la pratique de surexploitation des eaux souterraines. De ce fait, elles méritent d’être prises en considération dans l’amélioration de la gouvernance pour mieux planifier des actions de gestion de la ressource.

Les sciences de l’eau pour mesurer les prélèvements et cerner les pratiques d’irrigation

Les questions relatives à l’eau nécessitent une compréhension à travers plusieurs disciplines scientifiques et les sciences de l’eau offrent cette approche interdisciplinaire. Pour les eaux souterraines, les réponses aux questionnements scientifiques sont complexes. Cette thèse entremêle sciences de l’eau et de l’ingénieur dans le cadre d’un projet de recherche international 3 et à travers une cotutelle internationale visant à favoriser les échanges scientifiques. Cette thèse a commencé par problématiser la question de la surexploitation des eaux souterraines et des inégalités d’accès et d’utilisation qui lui sont afférentes. Pour cela, il était fondamental de mesurer les prélèvements réalisés dans les eaux souterraines sur un cycle annuel.
Face à un développement atomistique de l’utilisation de l’eau souterraine et aux comportements hétérogènes des usagers, il est impératif de conjuguer l’observation directe des pratiques d’irrigation, des enquêtes (sur le calendrier d’irrigation, par exemple) et des mesures. En effet, lorsque l’on demande à un agriculteur de présenter son calendrier d’irrigation, la réponse commence souvent par « tout dépend… ». Par cette réponse on mesure la difficulté d’une telle tâche. Si le débitmètre permet dans une certaine mesure l’acquisition de l’information sur des débits de pompage, le temps d’irrigation quant à lui est tellement variable qu’il nécessite la mesure directe. C’est la tâche la plus ardue de toute la phase de terrain. Les sciences de l’eau nous offrent ici les bases nécessaires pour comprendre comment s’opère le pompage par différentes techniques captant différents aquifères. Une fois l’eau extraite, les références en irrigation nous permettent de comprendre comment l’eau est acheminée jusqu’à la parcelle. Mais ils nous offrent surtout des instruments nécessaires pour comprendre les pratiques d’irrigation en milieu rural et agraire. Lorsqu’il s’agit de mesures, il est surtout question d’adaptation aux difficultés quotidiennes. Il faut donc réfléchir pour comprendre d’abord ce qui fait la difficulté et comment la surmonter. Cette réflexion a abouti par exemple à adopter et adapter une méthode de mesure des temps de pompage par l’utilisation des enregistreurs de températures pour contourner les difficultés de mesure ou d’évaluation des temps de pompages (voir chapitre 2). Une fois la construction des références locales d’irrigation achevée, il fallait construire une méthode de changement d’échelle pour obtenir des résultats fiables sur les prélèvements à l’échelle de la région. Les systèmes d’information géographique (SIG) nous ont aidés à appréhender la maîtrise technique des prélèvements lorsque les acteurs, les exploitations, les parcelles, les techniques de pompage et de l’irrigation sont très divers, mais spatialement identifiés.

Resituer ces prélèvements par une analyse des logiques des agriculteurs

La diversité des pratiques d’irrigation observée sur le terrain dépend du comportement des agriculteurs face à l’irrigation qui est elle-même fonction de nombreux facteurs. Il s’agit dans un premier temps d’identifier ces facteurs (les types d’accès à l’eau souterraine, les systèmes de production pratiqués et les modes d’accès à la terre), puis, dans un second temps, de construire une typologie représentative. Cette typologie d’exploitation agricole est essentielle compte-tenu de la difficulté de réaliser le suivi de l’ensemble des agriculteurs identifiés durant toute une campagne d’irrigation sur notre zone d’étude (4200 ha). Lorsque l’on engage avec les agriculteurs une réflexion sur les facteurs discriminants de l’utilisation des eaux souterraines, trois raisonnements sont souvent abordés : 1) un raisonnement sur les systèmes de production (le choix des cultures détermine les quantités et les périodes d’irrigation) ; 2) un raisonnement sur les types d’agriculteurs selon leur mode de faire valoir ; et 3) un raisonnement sur les types d’accès à l’eau souterraine (forage et puits). L’intégration des agriculteurs dans la réflexion sur la typologie des exploitations agricoles est utile pour confirmer des hypothèses lorsque des observations détaillées manquent. Par ces raisonnements, les agriculteurs estiment que le forage fournirait plus d’eau que le puits, l’arboriculture consommerait plus que le maraîchage, les investisseurs utiliseraient plus d’eau que les autres catégories de producteurs. Bien que notre familiarité avec le terrain permette de comprendre ces trois perceptions émanant des agriculteurs, le questionnement relatif au raisonnement qui en découle invite inéluctablement à l’analyse combinée des pratiques d’irrigation et des logiques des agriculteurs qui façonnent ces pratiques. En d’autres termes, à ce stade, la confrontation des discours ou des perceptions avec l’observation des pratiques est très importante. À plusieurs reprises, nous avons révélé des incompatibilités entre ce que l’agriculteur souhaitait faire ou considérait comme acquis (ses savoirs) et l’observation sur le terrain de ce qui a été réellement fait. Cela soulève bon nombre de facteurs qui peuvent venir influencer les pratiques de l’irrigation, comme le rendement hydraulique de l’ouvrage de pompage et l’assise financière pour mener la campagne agricole. La pratique de l’irrigation ne doit pas être examinée par la seule vision technique, mais aussi par la vision agro-économique qui s’insère par exemple dans une logique productiviste pour les locataires et de diversification pour les attributaires. Elle est aussi une pratique sociale lorsque les membres de la famille s’organisent pour gérer l’irrigation. Dans ce cas, chaque actif familial a ses propres pratiques. La pratique de l’irrigation fait partie du fonctionnement de l’exploitation agricole. Ce fonctionnement évolue d’une année sur l’autre par les changements des cultures, de superficies irriguées, et de mode de faire valoir, etc. L’analyse des trajectoires des exploitations agricoles nous permet de détecter les changements dans leurs fonctionnements comme réponses à leurs logiques agro-économiques et leurs stratégies de court ou moyen terme. Par exemple, l’accès à l’eau souterraine et/ou le passage à l’irrigation sont des moments historiques forts pour l’agriculteur et marquent souvent un tournant important dans le fonctionnement de l’exploitation agricole. C’est à partir de ces trajectoires historiques que nous pouvons lire l’évolution des logiques des agriculteurs, nous apprenons aussi ce qui permet d’expliquer les pratiques et les visions sous-jacentes à court, moyen ou long terme.
La compréhension des logiques différenciées guidant les pratiques de l’irrigation est indispensable pour comprendre les prélèvements en eaux souterraines. À titre d’exemple, un locataire qui dans une logique productiviste mise tout son capital en repoussant même les limites de ses facteurs de production explique sa pratique de sur-irrigation par son objectif d’atteindre des rendements plus élevés. Un attributaire dans une logique défensive pratique la diversification des productions afin de minimiser le risque lié à la volatilité des prix sur les marchés d’un ou deux produits phares au niveau régional. Parfois, avec un capital suffisant, il préfère une association avec un autre agriculteur pour partager le risque. Lorsque nous avons compris toutes ces différences de logiques confirmées par les l’observation et la mesure de la pratique de l’irrigation, le facteur « type de l’agriculteur » est apparu le plus déterminant comparé aux types d’accès ou aux systèmes de production. Par exemple, il est certain que le forage a un rendement plus important que le puits, mais nous avons également observé que lorsque le puits est détenu par un locataire, les volumes prélevés sont bien plus importants que ceux prélevés à travers le forage d’un attributaire de la réforme agraire. Dès lors, notre typologie des exploitations agricoles s’est transformée en typologie des agriculteurs à cause des très fortes correspondances observées, entre d’une part le mode d’accès à la terre, et d’autres part les systèmes de production pratiqués et le type d’accès à l’eau souterraine, choisis comme facteurs discriminants de l’usage de l’eau souterraine. Dans notre zone d’étude, il suffit d’observer une parcelle où sont cultivées des céréales pour en déduire qu’elle est cultivée par un attributaire de la réforme agraire. De même, si on observe un champ d’oignon verdâtre donc bien arrosé et sur une grande superficie (5 ha ou plus) nous permet d’en déduire qu’il est probablement cultivé par un locataire. De la même manière, lorsque l’on observe un terrain nouvellement mis en arboriculture, une Villa et des clôtures, c’est la manifestation de la présence sur ces parcelles de nouveaux investisseurs d’origine urbaine. Ces observations se recoupent par ailleurs avec notre connaissance construite, car des exemples particuliers existent. L’attributaire peut aussi avoir le comportement d’un entrepreneur agricole par exemple, tout comme un locataire qui n’a pas réussi son projet à cause essentiellement de son l’échec dans l’accès à l’eau souterraine. Lire ces différentes catégories sociales, c’est donner une identité aux inégalités traitées et cela permet en outre de ne pas être piégé dans les stéréotypes de type petit/grand agriculteur ou riche/pauvre agriculteur.
Au cours de l’exercice de suivi des irrigations, des enquêtes technico-économiques ont été réalisées et c’est durant ces deux exercices que nous avons compris les logiques des agriculteurs et observé leurs pratiques. Ainsi, les hypothèses émises ont évolué et ont été affinées au cours de ces expériences. C’est de ces campagnes de terrain que nous avons démontré que contrairement aux perceptions des acteurs, les pêches ne consommeraient pas plus que l’oignon (Voir annexe 1), que la culture de l’oignon consommerait plus d’eau lorsqu’elle est pratiquée par un locataire que par un attributaire, que la superficie détenue peut être en rupture avec les volumes pompés, etc. L’étude des performances économiques des exploitations agricoles permet de comprendre pourquoi les locataires poursuivent des logiques productivistes lorsqu’ils gagnent plus et pourquoi les attributaires misent sur la diversification lorsqu’ils perdent. De la même manière, les calculs des références économiques et l’investigation sur l’origine des fonds d’investissement aident à montrer pourquoi l’arboriculture – le rêve des attributaires – est exclusivement réservée aux investisseurs qui voient dans la plantation d’arbres fruitiers un véritable plan de retraite.
Tout ce cheminement organisé par la pluridisciplinarité des sciences de l’eau a été fait dans l’objectif de déconstruire le problème de surexploitation qui suppose la distinction entre différentes catégories sociales et la mise en lumière des inégalités d’accès, mais surtout d’utilisation qui passent souvent inaperçues. De la même manière, l’étude socioéconomique a contribué à comprendre comment les inégalités socio-économiques entre les exploitations agricoles s’aggravent et augmentent les inégalités structurelles d’accès et d’utilisation de l’eau souterraine d’une part et la surexploitation d’autre part.

Littérature sur la gouvernance des eaux souterraines pour faire le lien entre surexploitation et inégalités

L’effet des inégalités sur la gouvernance des ressources naturelles est une question complexe, comme exposé ci-dessus. Cette relation si difficile à appréhender est perpétuellement décryptée par des modèles, la théorie des jeux et la psychologie expérimentale, mais les études empiriques appellent à la prudence sur la nature de cette relation (Baland et Platteau, 1996a). La plupart des études considèrent les ressources naturelles comme des ressources communes gérées collectivement par des communautés, mais peu d’études ont été dédiées aux ressources qui sont en libre accès total et utilisées individuellement comme les eaux souterraines. La consultation de la littérature scientifique sur la gouvernance des eaux souterraines sous l’angle des inégalités d’accès et de la surexploitation a été faite dans le but de prendre en compte les différentes expériences de gouvernance de l’eau souterraine et leurs véritables contraintes opérationnelles. Par la suite, nous avons pu confronter nos résultats empiriques à cette littérature afin de contribuer au débat sur la gouvernance. En effet, nos résultats ont été d’abord confrontés à d’autres terrains en Afrique du Nord (Biskra en Algérie et Kairouan en Tunisie), puis à la littérature internationale, en particulier sur l’Asie du Sud. D’une part, cette confrontation a été réalisée pour analyser la « construction » de la surexploitation des eaux souterraines en lien avec les inégalités structurelles et les processus de différenciation socioéconomique. D’autre part, pour fournir une méthodologie d’estimation des prélèvements en eau souterraine axée sur l’utilisateur dans l’objectif de mieux cerner les pompages.

Les démarches participatives pour repréciser des buts communs face aux défis à venir

Les démarches participatives sont à la fois un champ méthodologique et un thème de recherche permettant la révélation des problèmes communs et leur confrontation aux représentations individuelles sur l’état des lieux. Elles sont un outil de diagnostic et d’analyse des motivations et des intérêts de chacun pour mettre en débat des pratiques et logiques individuelles, mais aussi collectives. Nous avons mobilisé ces démarches lors des ateliers de diagnostic participatif et de modélisation des dynamiques agricoles. Pour cela nous avons eu recours à des jeux de rôles afin de consolider notre lecture sur les dynamiques agricoles par la contre-expertise des agriculteurs et des représentants des institutions. Contrairement aux études des dynamiques agraires par enquêtes historiques qui ne permettent que de reporter des évènements à travers le témoignage des agriculteurs, le jeu de rôles permet d’observer ces dynamiques certes virtuelles, mais ne s’éloignant que peu de la réalité vécue par les agriculteurs (Daré, 2005). Lorsque l’agriculteur joue, il ne se dissocie pas de son vécu, il invite son monde réel pour le reproduire dans le monde virtuel, celui du jeu. Nous avons conçu un jeu de rôles en prenant en compte les risques liés à l’accès à l’eau et au marché sur un ensemble d’exploitations hétérogènes en matière d’allocation en eau, en terre, et en capital (modèles inspirés de la réalité rencontrée). Les agriculteurs, en jouant, ont apprécié le réalisme du jeu et ont reproblématisé la question de la surexploitation de l’eau souterraine, qui au départ n’était pour eux qu’un problème secondaire lors des ateliers de diagnostic alors dominés par les questions de mise en marché. La prise de conscience des enjeux relatifs à l’eau a été portée par les jeunes attentifs à leur avenir en prenant prochainement la suite de leur père agriculteur. La création des associations de producteurs pour bénéficier des aides de l’État et pour s’organiser à l’aval des filières a été posée comme un moyen indirect de contrôle de l’utilisation de l’eau souterraine par le marché. Ces projections dans le monde à venir nécessitent par ailleurs des mesures d’accompagnement financier et d’encadrement organisationnel sur lesquelles nous reviendrons dans la conclusion générale.

Approche méthodologique

Nous avons d’abord élaboré une typologie sur un ensemble de 377 exploitations agricoles à l’intérieur de la zone d’étude, selon une grille d’analyse portant sur le type d’accès à l’eau souterraine, le type d’acteur impliqué (grand investisseur, locataire, acheteur, attributaire et melkiste) et les systèmes de production pratiqués. Il en ressort que 54 % des agriculteurs sur 27 % de la SAU totale n’ont pas accès à l’eau souterraine. Ce sont essentiellement des attributaires, et quelques acheteurs récemment installés qui n’ont pas encore eu le temps de réaliser un accès aux eaux souterraines. Dans un deuxième temps, nous avons effectué un suivi des pratiques d’irrigation sur un échantillon de 20 exploitations agricoles durant la campagne agricole de 2013-2014 afin de construire des références locales pour le pompage et pour l’irrigation.
Sur ces 20 exploitations, nous avons réalisé deux types de mesures (figure 3), la mesure des débits et l’estimation des durées journalières d’irrigation. Pour les débits du pompage, nous avons utilisé un débitmètre de type «Ultrason P» ainsi que les relevés des compteurs d’eau lorsque l’agriculteur en dispose. Selon la méthode développée par Massuel et al. (2009), les durées journalières d’irrigations ont été indirectement estimées par les enregistreurs de températures dont nous avons relevé les données avec une fréquence moyenne de 15 jours. Cela nous a permis de faire au fur et à mesure l’analyse des volumes horaires journaliers d’irrigation. Des enquêtes ont été réalisées pour comprendre les logiques des agriculteurs dans le pilotage de l’irrigation. Ces enquêtes sont essentielles dans le cas où l’ouvrage de Le suivi effectué sur les 20 exploitations agricoles a abouti à la construction des références locales en irrigation, ces références ont été calculées par quatre méthodes empruntant deux entrées distinctes (figure 3) :
Par les ouvrages de captage :
1. Par le calcul du volume moyen extrait pour chaque type d’ouvrage de pompage ;
2. Par le calcul du volume moyen extrait pour chaque ouvrage par type d’agriculteur. Cela permet de préciser les contributions aux prélèvements de chaque type d’agriculteur.
Par les systèmes de culture :
3. Par le calcul du volume moyen d’eau apportée par exploitation agricole sur la base de la SAU irriguée par exploitation agricole, sous forme d’indice d’intensité culturale ; le type d’agriculteur détermine la valeur de l’indice ;
4. Par le calcul du volume moyen d’eau apportée par culture et par type d’agriculteur, en distinguant entre techniques d’irrigation.
Nous avons développé et appliqué quatre méthodes d’extrapolation pour déterminer les prélèvements agricoles à l’échelle de la zone d’étude (figure 3). Une fois les références locales construites, l’extrapolation a consisté à chercher l’information nécessaire sur toute la zone d’étude. Premièrement, il s’agit de la localisation des différents types d’ouvrages de captage fonctionnels, appartenant à différents types d’agriculteurs. Deuxièmement, il fallait cartographier les limites des exploitations agricoles tout en identifiant le profil des différents agriculteurs, puis leurs plans parcellaires (assolements, rotations et techniques d’irrigation). Ce changement d’échelle d’analyse est fait dans le but d’étudier les contributions de chaque catégorie d’agriculteur à la surexploitation des eaux souterraines, ainsi que d’étudier l’opérationnalité des différentes méthodes d’extrapolation.

Résultats

Déterminer des références locales par un suivi de l’irrigation détaillé de 20 exploitations agricoles

Pour établir les références locales des volumes d’eau apportés nous avons : 1) caractérisé les ouvrages de pompage, 2) mesuré les débits des puits et forages, 3) caractérisé les pratiques d’irrigation des différents systèmes de culture appartenant à différents types d’agriculteurs. Connaissances des ouvrages de pompage : deux nappes et deux types d’ouvrages de captage Le puits traditionnel est un ouvrage captant exclusivement la nappe phréatique dont la piézométrie varie entre 20 et 35 m, actuellement dans la zone d’étude. Cela est souvent vu comme avantageux par rapport à la technique du forage (captant essentiellement la nappe profonde du Lias d’une piézométrie autour du 110 m), car on économise plus de 50 % en coûts du pompage. Les risques de panne des motopompes, liés à la profondeur de captage, sont aussi moins importants par rapport aux forages. Cependant, le rendement des puits est faible par rapport aux forages. Le débit de pompage dans un puits est toujours supérieur à celui de sa réalimentation, comme on peut le constater par la baisse continue des niveaux d’eau dans le puits au moment du pompage. Il est donc nécessaire de mettre au repos l’ouvrage pour le laisser se recharger. Cette contrainte limite le rendement ou la durée totale du fonctionnement de l’ouvrage. L’agriculteur est contraint de réduire la surface irriguée, et a tendance à moduler l’accélération du moteur pour ne pas provoquer la vidange du puits, qui risquerait de causer des dommages matériels à la motopompe. En quelque sorte, ce sont des essais de pompage pratiqués par les agriculteurs eux-mêmes. Lorsque le niveau d’eau atteint la crépine du captage, la pompe se désamorce et tourne à vide ce qui emballe le moteur. Cela peut produire des dommages importants, comme les cassures d’arbres verticaux qui ne sont pas souhaitées en pleine campagne d’irrigation. Toutes ces contraintes rendent le comportement des irrigants adaptatif, cherchant à développer des pratiques d’irrigation adaptées aux conditions de la ressource, mais rendent la mesure des débits ainsi que la détermination des durées d’irrigation très compliquées.
Contrairement au rendement faible des puits, les forages sont des ouvrages captant dans la plupart des cas les deux nappes, puisant directement dans la nappe du Lias et se rechargeant aussi horizontalement à partir de la nappe phréatique, via de simples perforations du tubage en acier du forage, conçues dans le but de permettre la drainance de la nappe phréatique. Le risque qu’un rabattement excessif se produise est faible ; ces ouvrages peuvent fonctionner 24 sur 24 heures. « Lac souterrain ou oued souterrain », sont les appellations communément données par les agriculteurs et foreurs pour la nappe captive, des appellations qui font référence à son abondance et à sa mouvance horizontale. Les foreurs schématisent cette nappe comme une sorte d’oueds souterrains qui coulent dans le sens SE-NO. Une fois atteint, il devient difficile d’aller encore en profondeur dans certains endroits. En effet cela empêche le marteau de la fourreuse (el fas) de frapper dans le sens vertical. Cela provoque généralement des problèmes d’inclinaison lors du forage, et il devient impossible de procéder au pompage avec une pompe à axe vertical. Pour anticiper ces contraintes, ce sont les foreuses à hélice qui sont les plus adaptées pour de telles situations, dont l’utilisation est en théorie interdite.
La réduction de la superficie irriguée et le régime maîtrisé du moteur pour éviter le désamorçage sont les adaptations pratiquées pour pallier aux contraintes caractérisant les puits. Cela explique une dispersion faible des débits du pompage autour d’une moyenne relativement peu élevée de 18,5 m3/h (figure 4). Ce qui nous renseigne aussi sur l’homogénéité de la distribution spatiale des paramètres hydrodynamiques de l’aquifère, et le fait que les préleveurs sont logés à la même enseigne. La différence se fait sur les pratiques. En effet pour irriguer de faibles superficies, les attributaires préfèrent attribuer un faible régime aux moteurs (faible débit) pour anticiper les pannes au niveau de la motopompe dont les réparations coûtent chères.
En revanche, pour les forages, la variation des débits trouve son explication par les pratiques des irrigants, couplées à leurs capacités financières à assurer de grands débits de pompage, comme l’investissement dans l’achat d’un moteur puissant par exemple, et pouvoir l’utiliser à son régime maximal en assurant des coûts de pompage plus importants. Le débit de pompage est bien corrélé avec le volume appliqué à l’hectare donc aussi avec le coût de pompage à l’hectare. C’est ce qui explique une moyenne de débit calculée de 11,6 m3/h pour les attributaires, et de 25,2 m3/h pour les nouveaux arrivants (acheteurs et locataires). Les pratiques d’irrigation des attributaires, même après avoir réussi à atteindre la nappe captive, n’ont pas évolué, pompant toujours avec de faibles débits.
Par ailleurs, la variabilité de débit peut aussi concerner un même ouvrage de captage, ce qui présente une source d’incertitude méthodologique importante. Sur les forages équipés par des compteurs d’eau, nous avons pu observer puis calculer des valeurs moyennes de débit. La correction s’est faite par l’estimation d’un débit de référence, en calculant le rapport du volume total pompé (lecture début d’irrigation – lecture fin d’irrigation) sur le volume horaire total d’irrigation estimé par les enregistreurs de température. Ces variations s’expliquent par les dissimilitudes en matière de pratiques d’irrigation. En effet sur un même ouvrage de pompage nous pouvons avoir différents intervenants dans l’irrigation. Les différents actifs familiaux ou les différents gérants sur les exploitations d’investisseurs et locataires peuvent ne pas avoir les mêmes pratiques d’irrigation. Cela commence par le démarrage de la motopompe et le choix du régime du moteur qui peut ne pas être le même pour les différents intervenants. Dans le cas de l’utilisation du gaz à butane comme source d’énergie thermique, lorsqu’il se dilate il provoque de brusques accélérations du moteur donc de l’augmentation du débit. Les risques concernent la pompe qui reçoit les vibrations du moteur, ce qui peut causer les cassures d’arbres verticaux et les roulements de la tête de la pompe, d’une part et d’autre part le débranchement des gaines à cause de l’augmentation de la pression dans le réseau goutte à goutte. Les variations peuvent aussi être fonction des lois hydrodynamiques, comme pour la variation de la hauteur manométrique totale (HMT) qui fait varier le débit de la pompe à régime constant lors de l’irrigation, surtout dans le cas des puits.

Comparaison des résultats obtenus par des méthodes simplifiées avec la méthode de référence d’extrapolation par assolement

Les résultats obtenus par les différentes méthodes (de 1 à 4) sont présentés dans la figure 8. Nous considérons comme référence la méthode d’extrapolation par assolement et rotation (Méthode 4) pour conduire notre comparaison.
En ce qui concerne la valeur des prélèvements totaux à l’échelle régionale, la méthode 1, même si elle est très simplifiée, semble la plus proche de la valeur de référence avec une erreur de surestimation de l’ordre de 4 % (9,91 par rapport à 9,53 Mm3/an). Dans ce type d’extrapolation, plus la taille de l’échantillon est grande, plus les moyennes calculées sont représentatives et moins le résultat final est erroné. L’inconvénient de cette méthode globalisante est qu’elle ne distingue pas les contributions des différentes parties prenantes de l’exploitation des eaux souterraines. Elle peut être adoptée pour mieux cerner la composante ‘prélèvements agricoles’ dans un bilan hydrique plus global des aquifères, mais les résultats sont beaucoup moins intéressants pour agir dans un objectif de gouvernance. Ni les usagers et ni les systèmes de culture responsables des prélèvements ne sont identifiés. En cas de faible diversité des systèmes de culture (zone de monoculture), mais en présence d’inégalités d’accès aux eaux souterraines, la méthode 1 peut être améliorée par une étude des différentes contributions des usagers dans l’exploitation des eaux souterraines et donc identifier les préleveurs. La réponse à la question « à qui appartiennent les ouvrages de pompage ? » représente un levier très important pour l’amélioration des plans de gestion des eaux souterraines.
Les résultats de la méthode 2 montrent une légère surestimation de 5 % par rapport à la précédente méthode et que l’on peut expliquer par la construction des moyennes sur des groupes plus restreints (moyenne des volumes pompés pour chaque type d’agriculteurs). La comparaison de la contribution des différents types d’acteurs à la surexploitation, par rapport à la méthode de référence, montre un même sens: les locataires en première position et les melkistes en dernière (figure 8). Un autre enseignement est la confirmation de l’importance numérique de la constitution de l’échantillon des ouvrages de pompage. La différence du volume pompé entre les deux méthodes est la plus importante pour les acheteurs (18 % par rapport à 24 %). C’est la catégorie pour laquelle nous avons suivi le nombre le plus restreint de forages (2/86) pour des raisons de méfiance et d’accès à l’information. Cette différence est beaucoup moindre pour les autres catégories d’agriculteurs, par exemple pour les attributaires (16 % par rapport à 14 %) où nous avons suivi le plus d’ouvrages de pompage (11/72).
La troisième méthode consistant à l’extrapolation des pompages par l’intégration des informations relatives à l’intensité culturale irriguée est une méthode plus performante que les deux précédentes, même si la méthode ne permet pas de rectifier l’erreur d’extrapolation calculée pour les acheteurs. L’estimation des volumes pompés pour tous les autres types d’acteurs s’est nettement améliorée par rapport à la méthode 2, passant par exemple pour les attributaires de 1,62 (Méthode 1) à 1,46 Mm3 (méthode 2) comparé à 1,29 Mm3 comme valeur de référence (Méthode 4). Cette méthode, élargissant l’étude aux systèmes de culture, peut contribuer à la recherche des plans d’action de gouvernance dans les zones où l’on a affaire à des systèmes de culture diversifiés. Si les résultats de cette méthode sont assez opérationnels, c’est parce que le taux d’intensification culturale en irrigué calculé sur l’échantillon pour les attributaires ou locataires par exemple était suffisamment représentatif. Cette représentativité est fonction de l’importance du nombre d’exploitations agricoles suivies. L’indice calculé pour les attributaires et locataires est de 0,41 et 1,07 respectivement, comparés à 0,38 et 0,86 calculés sur toute la zone d’étude pour ces deux types d’agriculteurs. Pour les acheteurs cette analyse est très biaisée (0,89 contre 0,60), car il existe un nombre important d’investisseurs ayant accès à l’eau souterraine et pratiquant l’arboriculture, mais qui ont acheté récemment d’autres parcelles non encore mises en valeur.
La méthode d’extrapolation par l’assolement (Méthode 4) demande un grand effort de collecte et de traitement des données, mais elle est la plus précise. La valeur extrapolable se construit à l’échelle de la parcelle, où l’irrigation est pilotée selon différentes logiques, et à l’échelle de toute la zone d’étude où l’occupation spatiale des parcelles par des cultures, par des techniques d’irrigation et par des acteurs est cartographiée. L’échelle de la parcelle est un champ d’informations très important qui conditionne la réussite de l’exercice de quantification des prélèvements des eaux souterraines. C’est ici qu’on peut comprendre les pratiques des irrigants par rapport à la ressource. La méthode remet en cause les méthodes se fondant sur le calcul de besoins théoriques des cultures. Dans cette étude nous avons vu pour le maraîchage par exemple que les prélèvements réels peuvent être 3 fois supérieurs aux besoins théoriques, 14 000 m3/ha pour l’irrigation de l’oignon, par rapport au besoin théorique estimé à environ 4400 m3/ha (voir annexe 1).
À l’opposé, nous avons aussi observé des situations de stress hydrique (des volumes appliqués entre 5.000 et 6.000 m3/ha pour cette même culture), attirant notre attention sur les deux simplifications les plus communément opérées : 1) la mobilisation des besoins en eau théorique, 2) se limiter à quelques grandes catégories de cultures (maraîchage, arboriculture…). Si nous conseillons cette méthode, c’est parce qu’elle intègre bien la perspective usager pour comprendre comment l’eau souterraine est réellement utilisée. Dans la plaine du Saïss, par exemple, l’Agence de Bassin vise une amélioration de l’efficience globale moyenne d’irrigation de 56 % en 2005 à 67 % en 2015, soit une réduction de besoins moyens bruts de 6.573 à 4.492 m3/ha/an, lorsque 20.000 ha seraient convertis en irrigation localisée (Er-Rabbani et al., 2008). Selon Bouaziz et Belabbes (2002), un gain moyen de 20 % en efficience globale est possible par la technique d’irrigation localisée. Dans notre étude nous avons montré que la technique du goutte-à-goutte peut facilement tripler le volume apporté par rapport à la technique de gravitaire (Ameur et al., 2014). Par ailleurs, la présentation d’une valeur unique et globale à l’hectare, indépendamment du type d’acteur et de l’assolement ne contribue ni à la justesse des calculs et bilans, ni à l’efficacité de gestion pour sauvegarder les nappes.

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Table des matières

Chapitre 1. Introduction générale
1.1. Introduction
1.2. Surexploitation et inégalités socio-économiques : deux problèmes de gouvernance de l’eau souterraine
1.2.1. La surexploitation : le facteur anthropique d’abord
1.2.2. La reproduction des inégalités dans la Groundwater Economy
1.3. Quelle gouvernance des eaux souterraines ?
1.3.1. La GIRE : quelle réalité sur le terrain ?
1.3.2. Trois perspectives nécessaires à l’analyse de la gouvernance des eaux souterraines
La ressource : comment gérer les incertitudes inhérentes à son invisibilité ?
Les institutions : quels arrangements formels et informels pour l’appropriation et l’utilisation de la ressource ?
L’usager : préciser les contributions des différents usagers à la surexploitation
1.4. Le Saïss : une étude de cas particulièrement illustrative des enjeux de gouvernance de l’eau souterraine
1.5. Cheminement scientifique
1.5.1. Les sciences de l’eau pour mesurer les prélèvements et cerner les pratiques d’irrigation
1.5.2. Resituer ces prélèvements par une analyse des logiques des agriculteurs
1.5.3. Littérature sur la gouvernance des eaux souterraines pour faire le lien entre
surexploitation et inégalités
1.5.4. Les démarches participatives pour repréciser des buts communs face aux défis à
venir
1.6. Objectif de la thèse et questions de recherche
1.6.1. Une réflexion sur les inégalités : comprendre le cercle vicieux qui les accentue
1.6.2. La réforme agraire : de la poursuite d’une justice à des inégalités tolérées
1.7. Organisation de la thèse
Chapitre 2. Méthodes d’estimation et d’extrapolation des pompages des eaux souterraines par l’intégration des pratiques locales : cas de la plaine du Saïss au Maroc
Méthodes d’estimation et d’extrapolation des pompages des eaux souterraines par l’intégration des pratiques locales : Cas de la plaine du Saïss au Maroc
2.1. Introduction
2.2. Méthodologie
2.2.1. La zone d’étude
2.2.2. Approche méthodologique
Par les ouvrages de captage :
Par les systèmes de culture
2.3. Résultats
2.3.1. Déterminer des références locales par un suivi de l’irrigation détaillé de exploitations agricoles
Connaissances des ouvrages de pompage : deux nappes et deux types d’ouvrages de captage
Mesure des débits de pompage : une variabilité des débits des ouvrages de captage
Estimation des volumes horaires du pompage
Les références locales d’irrigation
2.3.2. Construction méthodologique de l’extrapolation des références locales
L’extrapolation par ouvrages de captage de différents types d’agriculteurs
L’extrapolation par intensité culturale de différents types d’agriculteurs
L’extrapolation par assolements et pratiques d’irrigation
2.3.3. Comparaison des résultats obtenus par des méthodes simplifiées avec la méthode de référence d’extrapolation par assolement
2.4. Discussion et conclusion
Chapitre 3. Spécifier la contribution différenciée des agriculteurs à l’épuisement des eaux souterraines dans deux zones irriguées en Afrique du Nord
Specifying the differentiated contribution of farmers to groundwater depletion in two irrigated areas in North Africa
3.1. Introduction
3.2. Methodology
3.2.1. Study area
3.2.2. Research approach
3.3. Results
3.3.1. Historical construction of inequalities in the access to groundwater
The entrepreneurial state: the origins of inequalities in the access to land and water
Transition period: dismantling the collectivist farm structures
The state’s staged comeback: attracting entrepreneurial farmers
3.3.2. Socio-economic differentiation in farms: introducing a new cycle of inequity
3.3.3. Who causes groundwater depletion?
3.4. Discussion
3.4.1. What impact of inequalities on groundwater depletion?
3.4.2. Processes of dispossession and marginalization
3.4.3. Linking planned depletion to rural development options.
3.5. Conclusion
Chapitre 4. Prospérer, survire ou sortir : Destins contrastés des agriculteurs de la ‘’Groundwater economy’’ dans la plaine du Saïs au Maroc
Prosper, survive or exit: contrasted fortunes of farmers in the groundwater economy in the
Saïss plain (Morocco)
4.1. Introduction
4.2. Methodology
4.2.1. The study area
4.2.2. The emergence of new actors on public land
4.2.3. Research Approach
4.3. Results
4.3.1. Groundwater use: deconstructing the overall pressure on groundwater resources to understand farm differentiations
General trends in water level and groundwater use in the study area
Disaggregating the general trend of groundwater depletion to understand physical and economic water scarcity
4.3.2. Importance of financial capital in “success” in the groundwater economy
4.3.3. Thrive or dive: inequality in the groundwater economy
4.4. Discussion: Prosper, survive or be evicted from the groundwater economy
4.4.1. The importance of financial capital in the groundwater economy
4.4.2. The process of socioeconomic differentiation is not isolated from public policies
4.5. Conclusion : an unsustainable groundwater economy
Chapitre 5 : Outiller un débat sur le rôle des jeunes agriculteurs dans une agriculture en transition dans le Saïss (Maroc)
Outiller un débat sur le rôle des jeunes agriculteurs dans une agriculture en transition
dans le Saïss (Maroc)
5.1. Introduction
5.2. Méthodologie
5.2.1. Zone d’étude
5.2.2. Démarche
5.3. Résultats
5.3.1. Les ateliers de diagnostic participatif : la baisse tendancielle des prix comme problème central
5.3.2. Le jeu de rôles : l’eau est re-problématisée
5.3.3. Le collectif en question : les jeunes très impliqués dans les réflexions collectives
5.3.4. Des joueurs et des rôles
Les jeunes entreprennent pour mieux gérer, les attributaires ne jouent pas
Les investisseurs ne réussissent pas sur des petites exploitations diversifiées
Les jeunes fils d’attributaires gèrent bien les grandes fermes
5.4. Discussion
5.4.1. Une démarche participative pour permettre un débat multi-acteurs sur les défis…
5.4.2. …mais aussi pour préciser notre analyse des différentes stratégies intergénérationnelles dans le réel
5.4.3. Des jeunes entrepreneurs au sein des exploitations familiales ?
5.6. Conclusion
Chapitre 6. Conclusion générale
6.1. Introduction : importance d’une prise en compte de l’utilisateur
6.2. La gestion des eaux souterraines et le développement rural : quels (dés)accords ?
6.3. Des lacunes de connaissances et des perspectives de recherche
Références bibliographiques

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