Méthodes de lutte alternatives à l’épandage aérien de produits phytosanitaires contre les processionnaires du pin et du chêne en conditions urbaines

Dynamique spatiale des populations

Processionnaire du pin. Les données accumulées à l’échelle de la France par le DSF, puis dans des régions plus ciblées comme le Bassin Parisien, le Massif Central et les Alpes par l’Unité de Recherches en Zoologie Forestière de l’INRA d’Orléans, ont permis de montrer une nette modification de l’aire de distribution de la processionnaire du pin en France. Au cours des vingt dernières années, T. pityocampa a considérablement accru son aire de répartition, gagnant à la fois en latitude et en altitude. Après avoir été cantonnée au sud de la Loire et au pourtour du Massif Central jusqu’à la fin des années 70, elle occupe désormais l’ouest de la France (Bretagne, Normandie), le Bassin Parisien jusqu’à Paris, l’Alsace et la Lorraine. Cette expansion a été clairement attribuée à une augmentation des températures hivernales (Battisti et al., 2005, Robinet et al., 2007) favorable au développement et à la survie des chenilles (Hoch et al., 2008).
Processionnaire du chêne. La processionnaire du chêne semble également accroître son aire de répartition. Plutôt qu’une colonisation de nouveaux territoires, cette expansion correspondrait en grande partie à la recolonisation de terrains perdus (Groenen et Meurisse, 2012). Cette phase de nouvelle expansion serait due à de meilleures conditions climatiques (cf. dynamique temporelle) ainsi qu’à une meilleure connectivité des taches d’habitats favorables (forêts de chênes) à l’échelle des paysages après une période d’intense fragmentation liée à l’intensification de l’agriculture (Groenen et Meurisse, 2012).

Le cas particulier des problèmes en milieu urbain

Processionnaire du pin Deux études, réalisées par l’INRA et Plante & Cité en 2009 et 2012, ont permis de mettre en évidence, à l’aide d’un questionnaire destiné aux 26 000 communes de France, l’impact de la processionnaire du pin en milieu urbain. 67% des communes ayant répondu au questionnaire sont concernées par cet insecte, proportion similaire à celle de l’aire de répartition sur le territoire national. Les nids observés sont généralement dans le domaine privé, secteurs où les gestionnaires des municipalités n’ont pas la possibilité d’intervenir. Sur le domaine public géré par les communes, le nombre de pins infestés et susceptibles d’occasionner une gêne à la population est en général de moins de cinquante arbres. C’est ce qui justifie le recours à l’utilisation de nacelles élévatrices pour écheniller les arbres. Les communes plus « boisées » ont généralement recours à des traitements insecticides à partir du sol ou même aérien (sur dérogation préfectorale pour cause d’effets susceptibles d’affecter la santé publique). La  crainte des effets nocifs de la processionnaire du pin et le dépôt de plaintes justifient généralement l’action de lutte de la municipalité. Certains gestionnaires urbains interviennent eux mêmes ou en sous-traitance pour éliminer les nids ou les chenilles au sol. Les budgets destinés à lutter contre la processionnaire du pin peuvent être très importants (70000 euros pour la ville de Nice en 2008, source http://www.nicematin). D’autres communes ont pris des arrêtés municipaux de lutte obligatoire contre la processionnaire du pin. Chaque année, les propriétaires ou les locataires sont alors tenus de supprimer mécaniquement les nids et de les incinérer. Avant la fin du mois de septembre, un traitement au Btk est préconisé sur les arbres sensibles à la processionnaire du pin dans le cadre de la réglementation phytopharmaceutique. Les infractions peuvent faire l’objet d’un procès verbal (Leblond, 2008). La responsabilité d’un propriétaire de pins infestés par la chenille processionnaire a parfois été retenue devant les tribunaux, pour trouble anormal de voisinage (cas de jurisprudence du tribunal de grande instance de Foix, 25 février 2003) (Lagarde, 2008).
Processionnaire du chêne. Une synthèse de cette question a été réalisée par Meurisse et Grégoire (2009) pour la Belgique et les régions voisines (Lorraine française, Pays-Bas). La chenille processionnaire semble privilégier les larges avenues des villes bordées de chênes, où on la retrouve en grand nombre sur les versants ensoleillés des troncs (Offenberg 2000, Custers 2003, Reuter & Poirot 2008, Roskams 2008, van Oudenhoven 2008). Dans ces habitats densément peuplés, la processionnaire du chêne pose un problème de santé publique particulièrement aigu, à cause des urtications qu’elle provoque chez l’homme et chez les animaux domestiques, et dont l’impact est particulièrement significatif à proximité des grandes villes, où la chenille processionnaire peut être très abondante sur les arbres de qualité ornementale des milieux urbains, dans les parcs, les cours d’école ou aux lisières des forêts. L’expansion géographique récente de cet insecte dans un grand nombre de villes européennes (Anvers, Bruxelles, Genève, Londres, Nancy, Vienne, Londres, …) soulève donc de grandes inquiétudes.

Lutte par conservation de la biodiversité

Processionnaire du pin. Un nombre croissant d’études démontre que les forêts mixtes sont en général moins attaquées par les insectes ravageurs que les forêts pures (Jactel et Brockerhoff, 2007 ; Jactel et al., 2008). La présence d’arbres non hôtes au voisinage d’un arbre de l’essence à protéger confère alors une « résistance par association » (Barbosa et al., 2009). Deux mécanismes principaux sont en jeu : 1) la présence d’arbres non hôtes diminue la capacité des insectes ravageurs à détecter puis à coloniser l’arbre hôte en perturbant la perception des stimuli de reconnaissance ; 2) l’augmentation de la diversité des essences forestières s’accompagne d’une augmentation de celle des prédateurs et parasitoïdes (Castagneyrol et Jactel, 2012), les forêts mélangées offrent aussi des ressources alimentaires de complément (nectar, pollen) ainsi que des abris, rendant au final plus efficace le contrôle biologique des insectes herbivores (concept de lutte par conservation de la biodiversité, voir paragraphe 2.3.2.4.2). La résistance par association est en général plus efficace contre les insectes spécialisés (mono ou oligophages) que contre les généralistes (polyphages). Or la processionnaire du pin est un insecte oligophage présent à l’état naturel dans des écosystèmes forestiers où coexistent des arbres hôtes (pins, cèdres) et des arbres non hôtes (feuillus). Elle peut donc en théorie être affectée par les mécanismes de résistance par association. Différents travaux récents le confirment (Jactel et al., in press) et montrent que chacun des stades de développement de l’insecte est concerné. Le papillon femelle de processionnaire du pin choisit l’arbre hôte où déposer sa ponte en fonction de critères visuels, notamment la détection d’une silhouette sombre sur un fond clair (Démolin, 1969 ; Dulaurent et al., 2012). La présence d’une barrière visuelle, par exemple celle produite par une haie de feuillus en bordure de peuplement de pins, réduit de façon significative (jusqu’à 90% quand la haie est largement plus haute que les pins situés derrière) les attaques de processionnaire (Dulaurent et al., 2012). De même, des composés olfactifs (dérivés terpéniques) sont sans doute utilisés par la femelle pour repérer un habitat forestier favorable, c’est-à-dire contenant des pins (Paiva et al., 2011). Or une étude a montré que certaines odeurs (composés volatils organiques) émises par certaines essences feuillues (comme le bouleau) ont un effet masquant des odeurs de pin, voire un effet répulsif qui diminue de façon significative les attaques de processionnaire (Jactel et al., 2011). A la fin de l’hiver, les chenilles de T. pityocampa effectuent un déplacement en procession qui les mène du houppier d’un arbre infesté à une zone enherbée, bien ensoleillée et au sol meuble où elles peuvent s’enterrer avant la nymphose et passer le printemps voire plusieurs années en diapause prolongée sous forme de chrysalides. Si un boisement de feuillus borde un peuplement de pin, les chenilles peuvent prendre le sous-bois de ce boisement pour une zone favorable à l’enfouissement car les arbres ont perdu leurs feuilles en hiver et laissent donc passer la lumière jusqu’au sol. Une expérimentation contrôlée a montré que la mortalité de ces chrysalides est alors plus forte dans le sol d’un bois de feuillus que dans celui d’une zone enherbée (Dulaurent et al., 2011a). Cette mortalité accrue serait due à des températures et des taux d’humidité défavorables à la survie des jeunes chrysalides. Un boisement d’essences feuillues, voisin d’une forêt de pin, fonctionnerait alors comme un « piège écologique ». Par ailleurs, les chrysalides enfouies dans le sol constituent une des proies préférentielles de la huppe fasciée, Upupa epops, qui est capable de la déterrer avec son bec recourbé (Barbaro et Battisti, 2011). Or des études menées en paysages de plantations de pin pour se reproduire et trouver des cavités dans les vieux arbres comme sites de nidification (Barbaro et al., 2008). Il apparaît donc clairement que le mélange de pins et d’essences feuillues, ou leur juxtaposition en bordure de peuplements de pin, permet la mise en œuvre de nombreuses interactions biotiques défavorables à la processionnaire du pin. La quantification de ces effets adverses demeure difficile et doit tenir compte d’autres effets sans doute moins favorables à la croissance des pins, comme la compétition pour la lumière. Cependant l’avantage de cette méthode reposant sur les mélanges d’essences est que ses effets sont cumulatifs (au travers des différents processus sus cités) et opèrent sur une longue durée (tant que vivent les feuillus).
Processionnaire du chêne. Là encore, les données manquent pour inférer sur la possibilité de transposer les principes de résistance par association à la processionnaire du chêne. En théorie cependant, rien n’indique que cela soit impossible. T. processionea est un insecte monophage, ne se développant complètement que sur le genre Quercus. Il est donc en principe fortement influencé par les processus de résistance par association avec des essences non hôtes, notamment dans la mesure où, les ressources faisant défaut sur un arbre donné, les chenilles doivent parfois migrer vers les chênes les plus proches. Outre un effet des mélanges sur la distance à parcourir entre deux arbres hôtes, il est possible que l’association des chênes avec d’autres essences, des conifères par exemple, réduise la capacité des processionnaires à percevoir les signaux visuels (taille, forme, couleur des houppiers) ou olfactifs (composés volatils organiques) indiquant la présence de chênes. En revanche, les chênes en mélange avec du charme et du hêtre ne semblent pas échapper aux défoliations de la processionnaire. En ce qui concerne le renforcement de l’action des ennemis naturels, des forêts mélangées pourraient là aussi offrir des proies de substitution ou des abris de ponte pour les insectes parasitoïdes et les oiseaux prédateurs de la processionnaire du chêne. En effet, outre des parasitoïdes très spécialisés comme l’hyménoptère ichneumonide Pimpla processioneae Ratz. (Zwakhals, 2005) et les diptères tachinides Carcelia iliaca Ratz. (Carcelia processionea Ratz.) ou Pales processionea Ratz. (Stigter et al., 1997 ; Grison, 1952), diverses espèces généralistes s’attaquent aussi à T. processionea, comme par exemple l’ichneumonide Pimpla rufipes Miller (Zwakhals, 2005) et le tachinide Compsilura concinnata Meigen, ainsi que divers prédateurs généralistes tels que les coléoptères carabides Xylodrepa quadripunctata L., Calosoma sycophanta L. et Calosoma inquisitor L., et les hétéroptères pentatomides Picromerus bidens L., Troilus luridus Fabricius et réduviides Rhinocoris spp. (Grison, 1952 ; Maksymov, 1978 ; Dajoz, 2000).

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Table des matières

1. Contexte, objet et modalités de traitement de la saisine
1.1 Contexte
1.2 Objet de la saisine
1.3 Modalités de traitement : moyens mis en œuvre (Anses, CES, GT, rapporteur(s)) et organisation
2 Méthodes alternatives au traitement chimique des processionnaires du pin et du chêne en conditions urbaines
2.1 Introduction
2.2 Rappel sur la biologie des insectes
2.2.1 Cycles de développement
2.2.2 Rappel sur la dynamique spatio-temporelle (durée et étendue des épidémies) et les méthodes de surveillance (observation, piégeages…)
2.2.2.1 Méthodes de surveillance
2.2.2.2 Dynamique temporelle des populations
2.2.2.3 Dynamique spatiale des populations
2.2.3 Le cas particulier des problèmes en milieu urbain
2.3 Méthodes de gestion (prévention et lutte)
2.3.1 Préventives
2.3.1.1 Lutte sylvicole (y compris lutte génétique)
2.3.1.2 Lutte par conservation de la biodiversité
2.3.1.3 Essais ponctuels d’éradication des foyers en bordure de distribution
2.3.1.4 Restrictions d’accès aux zones très infestées et communication vers le public
2.3.2 Méthodes curatives
2.3.2.1 Méthodes mécaniques
2.3.2.1.1 Destruction des nids
2.3.2.1.2 Elimination des Chenilles
2.3.2.2 Méthodes chimiques et microbiologiques
2.3.2.2.1 Epandage d’insecticides par voie terrestre
2.3.2.2.2 Injection d’Insecticides systémiques
2.3.2.2.3 Application de virus et champignons entomopathogènes
2.3.2.3 Méthodes sémiochimiques
2.3.2.3.1 Piégeage de masse à l’aide de pièges à phéromone
2.3.2.3.2 Confusion sexuelle
2.3.2.3.3 Répulsion
2.3.2.4 Méthodes biologiques
2.3.2.4.1 Lutte biologique classique (introduction, lâchers d’auxiliaires)
2.3.2.4.2 Lutte biologique par conservation
2.4 Analyse comparative multicritères des méthodes de lutte contre la processionnaire du pin
2.4.1 Objectifs
2.4.2 Méthode
2.4.3 Résulats
Discussion
3 Conclusions
4 Bibliographie
4.1 Publications
4.2 Normes
4.3 Législation et réglementation
ANNEXES

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