Méthodes de diagnostic par reconnaissance des formes intégrées aux processus de maintenance
Les opérateurs de transport, particulièrement sensibles au contexte économique, cherchent à augmenter leur part de marché en proposant des prestations à haute qualité de service tout en réduisant leurs coûts d’exploitation par une amélioration des processus de maintenance. La mise en place d’une politique de maintenance efficace s’appuie habituellement sur des techniques de contrôle non destructif permettant de surveiller l’état des systèmes suivi d’un diagnostic précis des défauts.
Après une description succincte des différentes stratégies de maintenance, ce chapitre présente les principales approches de diagnostic de systèmes industriels. L’approche par reconnaissance des formes (RdF) et les paradigmes sous-jacents sont particulièrement détaillés. La situation classique du diagnostic par RdF concerne l’analyse d’observations multidimensionnelles. Dans ce chapitre, on s’intéresse également au diagnostic à partir de données fonctionnelles (réalisations discrétisées de fonctions inconnues).
Stratégies de maintenance
La norme AFNOR (2010) a pour objet de définir un ensemble des termes génériques liés au concept de maintenance (hormis celle des logiciels). La maintenance regroupe l’ensemble de toutes les actions durant le cycle de vie d’un système (conception, exploitation et fin de vie) afin de le maintenir/rétablir dans un état de fonctionnement opérationnel. Une politique de maintenance efficace doit satisfaire les conditions suivantes :
• Assurer la disponibilité du bien pour la fonction requise, au coût optimal ;
• Tenir compte des exigences obligatoires (sécurité) relatives au bien ;
• Tenir compte des répercussions sur l’environnement ;
• Améliorer la durabilité du bien et/ou la qualité du produit/service.
En condition d’exploitation, le processus de maintenance consiste à contrôler régulièrement des indicateurs liés à la sûreté de fonctionnement du système (AFNOR, 2010). Lorsqu’un fonctionnement anormal est détecté, une liste d’actions est préconisée.
Maintenance Corrective : Cette politique de maintenance est la plus simple dans la mesure où elle est exécutée après une défaillance. Aucune étude analytique préalable ou stratégie de surveillance n’est nécessaire. On distingue la maintenance palliative qui vise à réparer provisoirement le système afin d’éviter des conséquences inacceptables, et la maintenance curative destinée à remettre un système dans un état fonctionnel permanent.
Maintenance Préventive : Ce type de maintenance est exécuté en permanence et des actions peuvent être déclenchées à intervalles prédéterminés (maintenance systématique) ou en fonction d’indicateurs destinés à réduire la probabilité de défaillance/dégradation (maintenance conditionnelle). La maintenance systématique appliquée à une flotte d’autobus correspond à la planification de visites d’entretien après une durée ou un kilométrage prédéfini. Haghani et Shafahi (2002) proposent de modéliser ce problème sous la forme d’un programme linéaire en nombres entiers (PLNE) testé sur une flotte de 181 bus. D’autre part, la stratégie conditionnelle requiert une surveillance du système généralement basée sur une tâche de diagnostic. Récemment, Ben Salem (2008) et Donat (2009) ont proposé un formalisme basé sur des modèles graphiques probabilistes pour la maintenance conditionnelle de composants de l’infrastructure ferroviaire. Enfin, on parle de maintenance prévisionnelle (Cocheteux, 2010) lorsque l’on intègre un modèle de prévision à la tâche de diagnostic. Ce type de processus est alors appelé pronostic (Ribot, 2009). Une telle politique nécessite au préalable d’avoir correctement formalisé l’évolution de l’état du système (modèle de dégradation).
La maintenance de la flotte de bus étudiée dans le cadre de cette thèse se partage notamment en 60% d’interventions correctives et 40% d’interventions systématiques.
Principales approches de diagnostic de systèmes industriels
Dans le cadre de la maintenance conditionnelle, on cherche à mettre en œuvre une stratégie de surveillance de certains systèmes basée sur un processus de diagnostic automatique. Le diagnostic est défini comme l’ensemble des actions menées pour la détection de la panne, sa localisation et d’identification de ses causes (AFNOR, 2010). La fonction de détection (voir chapitre 3) a pour objectif de signaler la présence d’une anomalie du système le plus tôt possible. Elle s’appuie sur la connaissance du fonctionnement nominal du système et tout changement de son état sous-jacent sera considéré comme une défaillance. La localisation de panne regroupe l’ensemble des actions menées en vue d’identifier à quel niveau d’arborescence du système en panne se situe le fait générateur de la panne (AFNOR, 2010). Après détection, les fonctions de localisation et d’identification nécessitent la connaissance a priori des états de panne du système et de pouvoir les caractériser (Charbonnier, 2006).
On distingue trois approches pour établir le diagnostic d’un système industriel : systèmes experts, modèles analytiques, et reconnaissance des formes. Ces approches de diagnostic sont décrites dans plusieurs documents (Basseville et Cordier, 1996; Dubuisson, 2001a,b; Kempowsky, 2004; Aknin, 2008), et celles-ci sont résumées par la suite :
• La première famille de méthodes, appelées systèmes experts, datent des années 80. Cette approche cherche à reproduire le raisonnement exercé par un expert humain (Zwingelstein, 2002), souvent à partir de données symboliques. Dans cette famille, on retrouve notamment les méthodes d’arbre de défaillances et les méthodes de type AMDEC (Analyses des Modes de Défaillances, de leur Effets et de leurs Criticités). En particulier pour le domaine de l’automobile, on peut citer les travaux de thèse de Faure (2001) sur des arbres de diagnostic construits à partir de données de conception fournies par le constructeur. Dans cette approche, il est nécessaire d’avoir identifié au préalable tous les défauts/dysfonctionnements que peut subir le système sous la forme d’une base de connaissance. Ces méthodes sont dépendantes du système étudié, limitées à la détection de quelques défauts et désarmées face à de nouveaux modes de fonctionnement car le recensement des défauts doit être le plus exhaustif possible (Dubuisson, 2001b). Cette approche n’a donc pas été retenue pour nos travaux.
• Les modèles analytiques, également appelés méthodes internes, appartiennent usuellement au domaine de l’automatique (Isermann, 1984, 2011). Les données sont plutôt quantitatives et le fonctionnement interne (physique) du système est modélisé mathématiquement. La connaissance du modèle mathématique du système permet de générer des quantités (écarts entre sorties mesurées et celles estimées par le modèle), appelées résidus, qui sont quasi nulles en fonctionnement normal et non nulles en cas de défaillance. Cette approche est largement utilisée dans l’industrie. Elle offre l’avantage de donner un sens physique aux paramètres du modèle, ce qui facilite l’interprétation du diagnostic. L’analyse des résidus conduit à générer une alarme si un écart significatif est détecté (Basseville et Cordier, 1996) et le cas échéant, à localiser puis identifier le défaut.
• L’approche par méthodes externes à base de reconnaissance des formes (RdF) établit un diagnostic presque exclusivement à partir de données mesurées sur le système industriel. L’analyse de ces observations consiste à retrouver d’anciens modes de fonctionnement du système ou en découvrir de nouveaux. Ces observations sont parfois appelées données historisées (Kempowsky, 2004) car la collecte d’une quantité importante de données, dans une base d’apprentissage, nous aide à décrire le comportement du système. Plus cette base est riche d’informations, plus il est possible d’en extraire de la connaissance. Ces méthodes présentent donc l’avantage de ne pas avoir à construire un modèle physique complexe a priori. Si un tel modèle est disponible, il est toutefois possible d’utiliser les sorties du modèle physique comme des variables d’entrée pour une nouvelle méthode externe, comme dans notre étude sur le système de freinage .
Diagnostic à base de reconnaissance des formes
L’approche à base de Reconnaissance des Formes (RdF) (Duda et al., 2001; Theodoridis et Koutroumbas, 2008) a été privilégiée pour nos travaux. Cette démarche est particulièrement adaptée lorsque le comportement des systèmes à diagnostiquer est complexe et difficile à modéliser entièrement et précisément. Ce type de diagnostic s’appuie sur des techniques issues essentiellement de domaines tels que l’apprentissage statistique (Vapnik, 1999; Bishop, 2006; Hastie et al., 2009), l’analyse de données (Govaert, 2003; Saporta, 2006), la théorie de l’information (Cover et Thomas, 2006) et l’optimisation (Boyd et Vandenberghe, 2004; Minoux, 2007). Cette section a pour but de présenter les principaux paradigmes liés à la reconnaissance des formes. Il ne s’agit pas d’une description exhaustive de méthodes utilisées. On mettra notamment l’accent sur les approches paramétriques pour des problèmes statistiques d’estimation de densité, de régression et de classification.
Démarche générique
La construction d’un diagnostic à base de reconnaissance des formes est guidé par la validation de plusieurs étapes successives. Les choix des modélisations utilisées à chaque étape impactent la qualité des étapes suivantes et ces choix sont motivés par la nature des données mises à disposition. La démarche suit un raisonnement inductif : l’objectif est d’analyser un échantillon de données afin de caractériser l’état du système et de statuer sur de nouveaux exemples.
Les premières étapes visent à caractériser au mieux l’état du système en fonctionnement. La spécification et l’acquisition des données sont généralement menées par des experts du système à surveiller. Dans notre cas d’étude, nous avons participé à l’élaboration des spécifications et à l’installation des instruments de collecte. Les données mesurées ont le plus souvent été soumises à diverses transformations (discrétisation, compression, conversion,…) auxquelles il convient de prêter attention car elles peuvent entrainer des pertes d’information. On applique ensuite différents prétraitements basés sur la connaissance du système et l’expérience du modélisateur (débruitage, normalisation…) afin d’extraire les caractéristiques les plus représentatives du système (Dubuisson, 2001b). Sur la base de ces indicateurs, on se place dans un espace de représentation contenant un maximum d’informations, ce qui nous permet de distinguer plus facilement les modes de fonctionnement du système. Toutefois, un espace trop vaste (de dimension trop élevée) implique une exploration difficile voir impossible ; on parle de fléau de la dimension (Bellman, 1961). L’espace final de description (feature space) est donc le plus souvent un sous-espace de l’espace de départ (input space).
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Introduction générale
1.1.1 Contexte et problématique
1.1.2 Positionnement et objectifs de la thèse
1.1.3 Organisation du manuscrit
1.2 Contexte et enjeux industriels
1.2.1 Collaboration industrielle
1.2.2 Projet européen EBSF
1.3 Cadre expérimental
1.3.1 Étude et objectifs
1.3.2 Architecture télématique et instrumentation
1.3.3 Spécification des données
1.3.4 Agrégation des connaissances réelles d’exploitation
1.4 Étude bibliographique
1.4.1 Système de freinage
1.4.2 Système des portes
1.5 Conclusion
2 Méthodes de diagnostic par reconnaissance des formes intégrées aux processus de maintenance
2.1 Introduction
2.1.1 Stratégies de maintenance
2.1.2 Principales approches de diagnostic de systèmes industriels
2.2 Diagnostic à base de reconnaissance des formes
2.2.1 Démarche générique
2.2.2 Apprentissage statistique
2.2.3 Les modèles de mélange de lois et leur estimation
2.3 Diagnostic à partir de données fonctionnelles
2.3.1 Classification de données fonctionnelles
2.3.2 Modèle de mélange de régressions pour la modélisation de courbes à changement de régimes
2.3.3 Cas d’étude réel
2.4 Conclusion
3 Détection statistique de défaillances
3.1 Formalisation du problème de la détection de points de changement
3.1.1 Quelques généralités sur les tests d’hypothèses .
3.1.2 Détection séquentielle de changements sous forme de test d’hypothèses
3.2 Algorithmes classiques de détection à base de test d’hypothèses
3.2.1 Quelques tests pour le problème de détection séquentielle
3.2.2 Résultats classiques d’optimalité d’un détecteur
3.2.3 Contrainte de fausses alarmes et estimation du seuil de détection
3.2.4 Évaluation d’un détecteur
3.3 Cartes de contrôle et autres tests séquentiels
3.3.1 Principales cartes de contrôle multivariées
3.3.2 Quelques extensions à base de test séquentiel
3.4 Détection à base de reconnaissance des formes
3.4.1 Détection d’anomalies et classification mono-classe
3.4.2 Détection de changements dans des modèles markoviens
3.4.3 Détection de changements par la sélection de modèles
3.4.4 Détection de changements dans une séquence de données fonctionnelles
3.5 Conclusion
4 Conclusion