Méthodes de Ciaglia
La trachéotomie est l’ouverture de la trachée cervicale suivie de la mise en place d’une canule. Elle est destinée à réaliser un court-circuit des voies aériennes supérieures [1]. La trachéostomie se définit, quant à elle, comme l’abouchement définitif de la trachée à la peau [2]. Jadis cette intervention chirurgicale d’urgence codifiée par Chevalier Jackson est actuellement une intervention réglée [1], réalisée en deux modalités : la trachéotomie chirurgicale et la trachéotomie percutanée. La trachéotomie est l’une des procédures les plus couramment effectuées chez les patients de réanimation nécessitant une ventilation mécanique (VM) [1, 2]. Le recours à la trachéotomie est souvent envisagé lorsque la pathologie des patients laisse présager une durée prolongée de VM ou après échec du sevrage [3, 4]. L’essor des techniques percutanées ces dernières années a probablement contribué à l’augmentation du nombre de trachéotomies effectuées en réanimation. Ces techniques sont en effet de réalisation plus simple, applicables au lit des patients et engendre moins de complications [5, 7]. En comparaison avec l’intubation trans-laryngée, la trachéotomie possède plusieurs avantages potentiels [3, 8-15]. Elle permet de prévenir les lésions laryngées secondaires à l’intubation prolongée [15], de sécuriser l’abord trachéal surtout chez les patients agités, d’améliorer le confort des patients (reprise de l’alimentation orale et du langage articulé, meilleure mobilité), et de faciliter les soins de nursing. Ce qui permet de réduire voire d’arrêter la sédation chez les patients sous VM et d’accélérer le sevrage respiratoire [10, 17]. Par ailleurs, la trachéotomie améliore l’efficacité des aspirations trachéales et permet une meilleure toilette pulmonaire et pourrait de ce fait de réduire l’incidence des pneumopathies nosocomiales (PN) [12- 14]. Enfin, la trachéotomie possède un effet bénéfique sur la mécanique respiratoire en diminuant les résistances des voies aériennes et le travail respiratoire [18, 19].
Malgré tous ses bénéfices potentiels: la trachéotomie reste sujette à de nombreuses controverses. Le débat concerne surtout le choix du moment le plus adéquat pour réaliser la trachéotomie (précoce ou tardive) et l’impact de ce dernier sur le devenir des patients de réanimation (sevrage de la VM, durée de VM et survie). Ce travail analysera de façon rétrospective 32 dossiers des malades trachéotomisés et pris en charge au service de réanimation polyvalente de l’Hôpital Militaire Avicenne de Marrakech, durant quatre ans de janvier 2006 à décembre 2009. Le but de notre travail se trouve dans les objectifs suivants :
Décrire les aspects épidémiologiques de la trachéotomie
Discuter les différentes indications de cette intervention
Discuter le timing de la trachéotomie
Décrire les différentes techniques utilisées
Rappeler l’intérêt de la surveillance et des soins postopératoires
Recenser les complications et les séquelles post trachéotomie.
Technique utilisée, opérateur et site de réalisation de la trachéotomie :
Deux techniques ont été utilisées, la première est la trachéotomie chirurgicale sousisthmique réalisée au lit du malade par un médecin réanimateur, la seconde est la trachéotomie chirurgicale trans-isthmique effectuée au bloc opératoire, par un chirurgien ORL. Le moment de réalisation de la trachéotomie dépendait du jugement des médecins qui s’occupaient des patients. La technique percutanée n’a jamais été pratiquée durant la période de notre travail.
Protocole de sevrage de la ventilation mécanique:
a décision d’initier le sevrage de la VM était également laissée à la discrétion des médecins du service. Les conditions pré-requises pour débuter le sevrage étaient : une stabilité hémodynamique, une fraction inspirée en oxygène inférieure à 50 % (FiO2 < 50 %) et une pression expiratoire positive inférieure à 5 cm H2O (PEP < 5 cm H2O). Ces critères étaient recherchés quotidiennement par l’équipe soignante. Le sevrage était débuté par une épreuve de ventilation spontanée menée sur une pièce en T ou en utilisant une aide inspiratoire. Un patient était déclaré sevré après 48 heures sans nécessiter de recours à la VM.
Timing de la trachéotomie :
La trachéotomie a été réalisée en moyenne au 7,7 ± 4,8 jours après l’initiation de la VM (médiane = 7 jours), avec des extrêmes allant de 1 à 31 jours. Parmi les 34 patients inclus dans notre étude : 15 patients (46,8 %) ont fait l’objet d’une trachéotomie durant les sept premiers jours de la VM (groupe trachéotomie précoce) 17 patients (53,2 %) ont fait l’objet d’une trachéotomie au-delà du septième jour de VM (groupe trachéotomie tardive).
Les données sur la technique de la trachéotomie :
Opérateur, lieu de réalisation et type d’incision :
La technique utilisée était une technique classique chirurgicale, réalisée chez 28 patients au bloc opératoire par un oto-rhino-laryngologiste en trans-isthmique et 4 fois seulement dans le service de réanimation par le réanimateur en sous-isthmique (figure n°6). Cette trachéotomie programmée a été réalisée sous anesthésie générale.
Durée de canulation :
La durée de canulation a été variée d’un malade à l’autre en fonction de la pathologie d’admission dans le service de réanimation, de son évolution et de l’état respiratoire du patient. La durée moyenne de canulation était de 26 ±17 jours avec des extrêmes allant de 08 à 69 jours.
Décanulation :
La décanulation a été pratiquée après amélioration neurologique et respiratoire autorisant dans certains cas l’ablation de la canule et la fermeture par un pansement occlusif de l’orifice de trachéotomie le temps de la cicatrisation cutanée. Dans d’autres cas, l’orifice de la trachéotomie a été gardé perméable par une canule sans ballonnet tant que l’évolution n’était pas totalement satisfaisante jusqu’à s’être assuré de la capacité du malade à respirer par les voies naturelles, de l’absence de trouble de déglutition et éventuellement après contrôle endoscopique vérifiant la perméabilité du larynx et de la trachée.
Incidence de la trachéotomie :
La fréquence d’utilisation de la trachéotomie varie de 5 à 30% selon les pays et les enquêtes dans les services de réanimation [2, 3, 4, 20]. Cependant, cette fréquence varie aussi avec la technique d’enquête, on retrouve en général des chiffres plus élevés dans les enquêtes de prévalence que dans les enquêtes d’incidence. Une étude internationale d’Esteban et coll. trouvait une utilisation moyenne de la trachéotomie chez 13,5 % des patients et une variabilité inter-pays importante [20]. En France, ce chiffre semblait, dans cette même enquête, très nettement plus faible, de l’ordre de 5 %. Une enquête de Blot et coll. montre également une valeur faible, inférieure à 8 % des malades ventilés, avec un délai relativement conséquent [3]. Dans cette enquête, la ventilation mécanique prolongée, incluant en particulier les difficultés de sevrage, semblait être la première indication de cette technique.
Les caractéristiques démographiques des patients :
Age Aussi bien dans notre étude que dans la majorité des études de la littérature, les âges extrêmes étaient 12 ans à 85 ans et l’âge moyen était 49,6±8,5 ans (tableau III). Selon Esteban [20], la tranche d’âge la plus touchée est compromise entre 17 et 82 ans. Dans l’étude de Freeman [6], elle est compromise entre 32 et 76 ans avec un moyen âge de 52±12 ans.
Indications de la trachéotomie ;
En réanimation la trachéotomie n’est que rarement une procédure réalisée en urgence comme c’était le cas dans notre étude où un seul patient a été trachéotomisé en urgence. Pour la majorité des auteurs, la trachéotomie ne doit pas être faite en urgence ni en première intention à l’exception des cas, très rares, où une intubation ne peut être réalisée au préalable. Dans ces conditions la trachéotomie s’impose essentiellement en cas d’impossibilité d’intubation orotrachéale ou de cricothyroidotomie, le plus souvent en cas de déformations, dues à un traumatisme ou une volumineuse tumeur, du larynx, de l’hypopharynx ou de la sphère maxillo-faciale [23]. Le plus souvent, la trachéotomie est programmée et les deux circonstances qui conduisent à sa réalisation sont : la libération programmée des voies aériennes supérieures et le support ventilatoire dans la ventilation mécanique de longue durée comme c’était le cas chez 31de nos patients.
Trachéotomie et mortalité :
L’amélioration du pronostic vital peut être le but ultime de la trachéotomie, quels qu’e soient les mécanismes. La VM appliquée par l’intermédiaire d’une trachéotomie pourrait cependant apporter un espoir si l’on se réfère à une étude rétrospective, effectuée à l’institut Gustave-Roussy, faisant état d’une mortalité respective de 90 % à 66 % dans un collectif de malades aplasiques, selon qu’ils étaient intubés ou trachéotomisés [116]. Dans leur article publié en 2007 au Crit. Care. Med, Alain Combes et al. Rapportent une étude qui a comparé la mortalité chez les patients trachéotomisés et celle chez les non trachéotomisés en milieu de réanimation. Un net bénéfice a été noté en faveur de la trachéotomie. Or Fronçois Blot, dans une étude publié en 2010 [117], a montré que la trachéotomie ne diminue pas la mortalité en réanimation ni l’incidence de pneumopathie et qu’il est possible cependant qu’elle réduise la durée de VM, épargne les besoins en sédation et surtout améliore le confort des patients
Conclusion :
Pratiquée depuis plus de 5000 ans, la trachéotomie en réanimation est indiquée essentiellement devant un échec ou une impossibilité d’intubation naso ou orotrachéale d’une part et comme support pour le maintien d’une Ventilation mécanique prolongée d’autre part. Elle est considérée actuellement comme un geste thérapeutique de survie dont l’utilité et l’efficacité sont certaines, mais parfois greffée de multiples complications qui peuvent être fatales dans certains cas. Ainsi, la maîtrise de la technique, le bon choix du matériel, la parfaite connaissance des rapports anatomiques de la trachée, la surveillance rigoureuse et les soins postopératoires vont permettre de minimiser les risques de survenue des complications. Les complications de la trachéotomie chirurgicale sont relativement fréquentes. Leur mortalité et leur morbidité ne sont pas négligeables. Le faible taux des complications de la trachéotomie percutanée plaide, à l’heure actuelle, pour une apparente supériorité de cette technique qui en fait vraisemblablement une technique d’avenir pour la majorité des patients de réanimation.
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Table des matières
INTRODUCTION
Présentation de l’étude
1. Type
2. Lieu
3. Critères d’inclusion
4. Critères d’exclusion
II- Recueil des données
1. Les caractéristiques démographiques des patients
2. Les motifs d’hospitalisation en réanimation
3. Les indications de la trachéotomie
4. Le timing de la trachéotomie
5. Technique utilisée, opérateur et site de réalisation de la trachéotomie
6. Protocole de sevrage de la ventilation mécanique
7. Evolution et complications
8. Mortalité et cause du décèsIII- Analyse statistique
RESULTATS
II- Les caractéristiques démographiques des patients
1. Age
2. Sexe
3. L’état de santé antérieur
III- Les circonstances nosologiques d’hospitalisation
IV- Les indications de la ventilation mécanique
V- Les indications de la trachéotomie
VI- Le timing de la trachéotomie
VII- Les données sur la technique de la trachéotomie
1. Opérateur, lieu de réalisation et type d’incision
2. Canules utilisées
3. Durée de canulation
VIII- Durée d’hospitalisation
IX- Evolution et complications
DISCUSSION
II- Les caractéristiques démographiques des patient
1. Age
2. Sexe
III- Les circonstances nosologiques d’hospitalisation
IV- Indications de la trachéotomie
1. La libération des voies aériennes supérieures
2. Le support ventilatoire de longue durée : trachéotomie ou
intubation prolongée ?
V- Techniques de la trachéotomie
1. La trachéotomie chirurgicale
2. La trachéotomie percutanée
2.1. Les différentes méthodes
a-Méthodes anciennes et/ou abandonnées
b-Méthodes de Ciaglia
c-Méthode de GRIGGS
d-Méthode translaryngée de Fantoni
e-Méthode de PercuTwist2.2. Aspects techniques communs à chaque méthode
2.3. Comparaison entre les différentes méthodes de trachéotomie
percutanée
3. Trachéotomie chirurgicale ou percutanée ?
VI- Timing de la trachéotomie
VII- Trachéotomie et durées de la VM et du séjour
VIII- Trachéotomie et sevrage de la VM
IX- Trachéotomie et réduction des coûts
X- Complications de l’abord trachéal en réanimation
1. Complications de la trachéotomie chirurgicale
1.1. Complications peropératoires
1.2. Complications postopératoires précoces..
a- Les défauts de positionnement de canule
b- L’hémorragie
c- L’infection de l’orifice de la trachéotomie
1.3. Complications postopératoires tardives
a- Les pneumopathies nosocomiales acquises en réanimation
b- Les lésions laryngées et La sténose trachéale post-trachéotomie
c- Les fistules trachéo-œsophagiennes
d- Autres complications
2. Complications de la trachéotomie percutanée
2.1. Complications peropératoires
2.2. Complications postopératoires précoces
2.3. Complications postopératoires tardives
3. Considérations techniques et logistiques d’une trachéotomie
chirurgicale ou percutanée
XI- Trachéotomie et mortalité
CONCLUSION
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