Méthodes de calcul du courant tunnel et différentes descriptions d’une jonction moléculaire

Depuis l’apparition des premiers dispositifs électroniques, l’enjeu a toujours été à la miniaturisation et à la diminution du coût énergétique de leur fonctionnement. Chacune des étapes qui ont permis de faire évoluer ces dispositifs a été l’occasion de développements théoriques importants. Ainsi dès les années 20 la compagnie de téléphone Bell, qui utilise alors des tubes à vide pour amplifier les signaux téléphoniques afin de les transporter sur de longues distances, cherche à remplacer ceux-ci par une technologie moins encombrante et énergivore pour pouvoir continuer à développer son réseau. En 1947 John Bardeen, William Shockley et Walter Brattain proposent en réponse à ce problème le transistor basé sur les matériaux semi-conducteurs [1]. Ceux-ci sont considérablement plus petits que les tubes à vide, ils utilisent également moins d’énergie, et produisent moins de chaleur. Grâce à la taille de ces nouveaux composants, il est possible de créer des circuits bien plus complexes qu’auparavant contenant beaucoup plus d’éléments. Mais cette complexité implique également la présence de connexions extrêmement nombreuses, qui limitent fortement la taille minimale potentielle des circuits, et fait exploser la puissance nécessaire à leur fonctionnement. Ainsi, si la technologie à base de semiconducteurs a permis de faire un grand pas en avant dans la miniaturisation et la complexification des circuits, des limites pratiques apparaissent rapidement. Parallèlement à ceci, commence donc à se développer une autre idée, qui consiste à faire de « l’ingénierie moléculaire ». Au lieu d’utiliser des matériaux ayant des propriétés électroniques bien établies, et d’essayer de les réduire en taille, il s’agit de construire des systèmes en se basant sur leur structure moléculaire précise pour que ceux-ci présentent des propriétés électroniques particulières [2]. Une branche de l’ingénierie moléculaire qui s’est largement développée depuis et qui est aujourd’hui un sujet de recherche très actif est l’électronique moléculaire.

Méthodes de calcul du courant tunnel et différentes descriptions d’une jonction moléculaire

Avec l’apparition du STM, la réalisation de dispositifs électroniques à l’échelle moléculaire a pu être réellement envisagée, et il est devenu nécessaire d’améliorer la précision des calculs de conductance pour les jonctions moléculaires. De nombreux théoriciens ont cherché à améliorer ces techniques de calcul, soit en travaillant sur les formules permettant de relier la conductance d’une jonction tunnel à ses propriétés à l’échelle atomique, soit en proposant des manières de modéliser la jonction tunnel qui permettent de prendre en compte les paramètres importants vis à vis de la conductance.

Formellement, il doit exister une relation mathématique qui permet à partir des éléments composant une jonction tunnel de calculer sa conductance lorsque la position des atomes ainsi que leur environnement sont parfaitement connus. Cependant malgré toutes les avancées qui ont pu être faites, cette formule reste inaccessible car une telle jonction est extrêmement complexe, et quand bien même ce ne serait pas le cas, la puissance de calcul nécessaire à son application serait trop importante pour nos moyens actuels. Il faut donc utiliser des modèles simplifiés de la réalité pour décrire la jonction et le courant la traversant.

La conductance de la jonction moléculaire mesurée par ce dispositif dépend de nombreux paramètres. Certains comme la capacité des condensateurs formés par les deux réservoirs [1,2] ainsi que la résistance [3, p.50-57] due au passage progressif du régime boltzmanien, au niveau des réservoirs, vers le régime balistique, à l’extrémité des électrodes, sont extérieurs à la jonction moléculaire. Pour calculer la résistance due à la jonction, il faut relier l’intensité du courant passant entre les deux électrodes lorsqu’une différence de potentiel V leur est appliquée, aux propriétés microscopiques de celle-ci. Mais comment calculer le nombre moyen d’électrons transférés d’une électrode à l’autre par unité de temps sachant que cela résulte de l’évolution temporelle à l’échelle de la femtoseconde de phénomènes électroniques individuels [4,5] ? Et avant même de répondre à cette question, un prérequis est déjà de connaître les propriétés de la jonction du point de vue d’une charge individuelle, ce qui est également loin d’être trivial.

En fait, dans le calcul du courant tunnel, 2 aspects peuvent être examinés séparément :
– établir le lien entre la conductance de la jonction tunnel et ses propriétés microscopiques
– déterminer ces propriétés de manière la plus exacte possible tout en contrôlant les coûts de calcul engendrés.

Les différentes techniques de calculs de conductance tunnel peuvent être utilisées avec différentes modélisations de la jonction, et il existe donc un grand nombre de possibilités pour calculer la conductance d’un système donné, celles-ci correspondant à divers degrés d’approximation. Pour avoir un aperçu de ces techniques de calcul, nous allons donc nous intéresser séparément aux différentes manières de relier la conductance aux propriétés quantiques du système , et aux différents modèles de calcul de ces propriétés quantiques . Les exemples exposés dans ce chapitre ne constituent cependant pas une liste exhaustive des méthodes existantes étant donné leur diversité.

Méthodes de calcul du courant tunnel et de ses variations

Transmission de charges et courant dans une jonction tunnel

Dans cette partie, la transmission de charges entre les deux réservoirs de la jonction . est considérée. A l’échelle de la jonction moléculaire, les électrodes sont supposées être représentables par une chaîne à une dimension périodique semi-infinie d’états (électrodes à un canal de conduction). Entre ces électrodes est située une zone « défaut », la molécule, où la périodicité de translation est brisée, et qui est donc susceptible de diffuser les porteurs de charge. Toutes les techniques de calcul développées dans la suite se généralisent à des cas où les électrodes contiennent plusieurs canaux de conduction [6], ainsi qu’aux cas où il y a plus de deux électrodes enserrant la jonction tunnel [7].

Pour qu’un courant s’établisse dans ce système, une différence de potentiel V doit être appliquée entre les deux réservoirs de manière à ce que, pour une même énergie E, il y ait sur une des électrodes un état propre occupé par un électron, et sur l’autre un état propre vide. Dans la suite l’électrode de droite sera systématiquement à la masse tandis que l’électrode de gauche portera un potentiel −V . Cette orientation implique que le réservoir de gauche est considéré comme la source de charges tandis que le réservoir de droite est le drain.

Il existe évidement un grand nombre de mécanismes possibles pour le transfert d’une charge dans une jonction tunnel impliquant différents nombres d’électrons. Ici les 2 types de transfert les plus probables, qui sont également les plus simples, sont décrits : transmission d’un électron ou transmission d’un trou. Bien que la réalité soit plus complexe (voir chapitre suivant), pour donner une compréhension simple de ces mécanismes, la jonction est considérée dans l’approximation de Hartree Fock à température nulle : la molécule est constituée de N orbitales, dont les plus basses en énergies sont occupées par m électrons et les électrodes sont remplies d’électrons jusqu’à leur niveau de Fermi .

Le courant à partir du coefficient de transmission

Dès 1957, Rolf Landauer s’intéresse également à la conductance de systèmes constitués de deux électrodes reliées à une source d’électrons et un drain, avec un « défaut » localisé entre ces électrodes susceptible de diffuser un électron incident [25,26] (voir aussi [3]). Plutôt que de calculer l’évolution temporelle des états de la jonction il part du principe que le courant, bien qu’il soit dû à des phénomènes individuels quantiques, doit en tant que variable macroscopique vérifier la loi classique V = RI. Il considère un système {source, électrode, défaut, électrode, drain} soumis à une petite différence de potentiel V , et qui a atteint un état permanent. Un courant constant s’est donc établi dans ce système, et si par exemple V est positif, ce courant consiste en un flux d’électrons allant de la gauche vers la droite. La conductance est alors évaluée grâce à la transparence de la jonction pour un électron incident. Toute la résistance du système est supposée se trouver aux bornes du défaut, les électrodes étant elles considérées balistiques.

Dans son article de 1957, les calculs effectués par Landauer sont en réalité classiques en dehors de l’utilisation des fonctions de Fermi pour décrire l’occupation des électrodes. En effet il s’agit de résoudre l’équation de transport pour des électrons se déplaçant dans le système, soumis à un champ non uniforme car dépendant de la présence du défaut à priori résistant, et au niveau duquel se crée une accumulation de charges.

Cependant, plus que la résolution de cette équation, l’élément important de la théorie de Landauer, qui découle directement de l’idée d’assimiler le courant à la réponse diffusive à un flux incident de charges, est la forme sous laquelle sont écrits le courant et la conductance. Cette forme se comprend sans détailler les aspects quantitatifs des calculs.

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Table des matières

Introduction
1 Méthodes de calcul du courant tunnel et différentes descriptions d’une jonction moléculaire
1.1 Introduction
1.2 Méthodes de calcul du courant tunnel et de ses variations
1.2.1 Transmission de charges et courant dans une jonction tunnel
1.2.2 Le courant depuis la probabilité moyenne de transfert d’électrons
1.2.3 Le courant en partant des taux de transition entre états propres des électrodes
1.2.4 Le courant à partir du coefficient de transmission
1.2.5 Le formalisme NEGF : le courant depuis les fonctions de Green hors équilibre
1.3 Différents modèles pour décrire la structure électronique du système
1.3.1 Méthode de Combinaison Linéaire d’Orbitales Atomiques
1.3.2 Théorie de la fonctionnelle densité
1.3.3 Méthode de Hartree Fock
1.3.4 Méthode d’interaction de configurations
1.4 Conclusion
2 Matrice de diffusion et coefficient de transmission en base de déterminants
2.1 Introduction
2.2 Modélisation d’un transfert de charge à travers une jonction moléculaire contenant des électrons localisés
2.3 Bases de déterminants de Slater et Hamiltoniens effectifs
2.3.1 Pour la transmission d’électrons
2.3.2 Pour la transmission de trous
2.3.3 Forme générale du Hamiltonien
2.4 Calcul de la matrice de diffusion
2.5 Interprétation des éléments de la matrice s(E)
2.6 Paramètres utilisés dans les applications
2.7 Effets du traitement multi-électronique sur des systèmes simples
2.7.1 Peut on comparer un modèle mono-électronique et un modèle multi-électronique dans un calcul de diffusion ?
2.7.2 Application à un système à 2 OM
2.7.3 Application à un système à 4 OM
2.8 Conclusion
3 Coefficient de transmission total : interférences entre états de diffusion d’électrons et de trous
3.1 Introduction
3.2 Interférence dans des systèmes mono-électroniques simples
3.2.1 Interférence destructive entre deux chemins différents
3.2.2 Interférences constructives entre deux chemins identiques
3.2.3 Interférence dans le gap entre orbitales de type HOMO et orbitales de type LUMO
3.3 Calcul du coefficient de transmission total électron-trou
3.4 Interférences dans un système multi-électronique
3.4.1 Cas simple d’interférences destructives dans le gap entre diffusion d’électrons et diffusion de trous
3.4.2 Deux types différents d’interférences dans un système multiélectronique
3.4.3 Application à un cas étudié expérimentalement
3.5 Conclusion
4 Décroissance exponentielle de la transparence électronique d’un fil moléculaire avec sa longueur
4.1 Introduction
4.2 Étude mono-électronique de la décroissance exponentielle et résultats expérimentaux
4.2.1 Chaîne périodique mono-électronique de longueur Nl
4.2.2 Résultats expérimentaux
4.3 Système modèle utilisé pour les calculs multi-électroniques
4.4 Traitement multi-électronique du système figure 4.9
4.4.1 Effets dans bords dans un système multi-électronique
4.4.2 Coefficients de transmission CI-ESQC pour un fil de longueur 30 contenant 30 électrons localisés
4.5 Conclusion
5 Un exemple de molécule porte logique
Conclusion

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