GENERALITES
Les avancées technologiques réalisées en biologie moléculaire ont permis d’aboutir dans le début des années 2000 au séquençage complet des génomes d’une vingtaine d’organismes [1] bactériens (Escherichia coli), de levures, de végétaux (riz, Arabidopsis thaliana) ou de l’espèce humaine. Un des enjeux scientifiques majeurs est maintenant de relier les gènes identifiés aux fonctions physiologiques d’une cellule ou d’un organisme grâce à des techniques d’analyse fonctionnelle.
L’exploration fonctionnelle du génome est actuellement réalisée à plusieurs niveaux :
• celui des ARN messagers avec l’étude du transcriptome
• celui des protéines exprimées à partir de ces ARN messagers avec l’étude du protéome
• celui des métabolites avec l’étude du métabolome .
Le concept de métabolome fait référence à l’ensemble des métabolites contenus dans un système biologique donné : organisme, type cellulaire ou fluide biologique tel que l’urine ou le plasma [2]. Les métabolites sont des composés impliqués dans les processus métaboliques : substrats, produits ou cofacteurs de réactions enzymatiques ou simplement chimiques [3]. Le terme métabolite inclut par conséquent toutes les molécules de faibles masses moléculaires (en général <1500Da) telles que les acides organiques, les sucres, les acides gras, les métabolites conjugués, les acides aminés mais aussi certains peptides (comme le glutathion), les vitamines, les stéroïdes, les xénobiotiques et autres molécules exogènes [4].
Le terme métabolome a été conçu en référence au génome et aux autres approches omiques. Il est apparu pour la première fois dans une publication d’Oliver en 1998 [5]. L’étude du métabolome (ou métabolomique) s’inscrit au même titre que les études du transcriptome et du protéome dans un contexte post-génomique . Comparée aux études du transcriptome et du protéome, l’étude du métabolome possède des avantages complémentaires. Tout d’abord le métabolome est théoriquement plus facile à cerner dans sa globalité [6], il existe approximativement un facteur 10 entre le nombre de métabolites et le nombre de gènes (ex., 584 [4] et 6600 (www.yeastgenome.org), respectivement chez S.cerevisiae). De plus, le métabolome, en tant que maillon final de la cascade des « omiques », représente l’ultime réponse d’un organisme à une altération génétique, une pathologie, une exposition à un toxique ou tout autre facteur susceptible de perturber son fonctionnement [7]. Il est donc le reflet le plus proche de la fonctionnalité et du phénotype d’une cellule ou d’un organisme. Il est, tout comme le protéome, dépendant du contexte biologique et/ou environnemental. C’est-à-dire que les taux de protéines ou de métabolites sont modifiés en fonction de l’état physiologique, développemental, ou pathologique d’une cellule, d’un tissu, d’un organe ou d’un organisme [8]. En outre, il a été démontré par la théorie du contrôle métabolique [9-11], que des différences de concentration en métabolites intermédiaires doivent pouvoir être détectées par un effet d’amplification, alors que les modifications de concentrations en transcrits ou en protéines sont souvent très faibles ou indétectables .
Métabolites et Métabolome
Pour certains scientifiques, la notion de métabolite inclut toutes les substances organiques d’origine naturelle provenant du métabolisme d’un organisme vivant et qui ne relèvent pas directement de l’expression des gènes. En fait, deux types de métabolites peuvent être distingués en fonction de leur origine : métabolites endogènes et exogènes. Les métabolites endogènes peuvent être classés en métabolites primaires et secondaires. Les premiers sont ubiquitaires (règnes bactérien, végétal et animal) et sont directement impliqués dans des processus essentiels à la vie tels que la croissance, le développement et la reproduction. C’est par exemple le cas pour les acides aminés ou des intermédiaires de la glycolyse. Les métabolites secondaires sont propres à chaque espèce, ont une distribution restreinte et sont synthétisés en vue d’une fonction biologique particulière. Citons par exemple les alcaloïdes chez les plantes ou des hormones chez les mammifères .
Les métabolites exogènes à un organisme sont les métabolites qui ne sont pas synthétisés directement par ce dernier. Cela concerne notamment les xénobiotiques qui représentent les composés chimiques synthétisés par l’Homme et leurs produits de biotransformation ou de métabolisation, résultant de réactions de phase I (modification de la molécule initiale visant à introduire un groupe fonctionnel) et/ou de conversion enzymatique de phase II (conjugaison) [13], mais aussi toute molécule étrangère à un organisme (par exemple la caféine issue du café n’est pas un xénobiotique mais un métabolite secondaire exogène pour l’Homme). Dans ce contexte particulier, Holmes et al. [3] ont proposé le concept de xénométabolome qui est une description du profil métabolique de xénobiotiques d’un individu exposé à des polluants environnementaux, médicaments, ou à des molécules exogènes provenant des aliments/composants alimentaires tels que les composés phytochimiques [14]. Crockford et al. [15] ont démontré le potentiel de cette approche en identifiant les métabolites de médicaments comme le paracétamol ou le disopyramide par heterospectroscopie sur des empreintes urinaires acquises avec 600 MHz RMN 1H et UPLC/TOF-MSE obtenues à partir de plus de 80 patients. Ce concept étend l’approche développée dans le début des années quatre-vingt dix dans le domaine de l’épidémiologie moléculaire [16;17], grâce aux progrès techniques en chimie analytique.
Appliquée aux études épidémiologiques, l’analyse du xénométabolome pourrait améliorer la caractérisation des cohortes, notamment en permettant de valider les réponses aux questionnaires (observance à un traitement médicamenteux par exemple), mais également en documentant des expositions environnementales ou professionnelles à des produits chimiques. Ainsi, l’analyse du métabolome renseigne sur l’ensemble du métabolisme et des interactions d’un individu avec son environnement, alors que celle de l’expression des gènes (analyse transcriptomique) renseigne plutôt sur les possibilités d’adaptations fonctionnelles d’un organisme face à l’environnement. Les informations ainsi récoltées par l’analyse des métabolites dans les fluides biologiques sur le metabotype (phénotype métabolique) d’un individu ou d’une population peuvent être appliquées à la médecine personnalisée ou la santé publique [18]. L’analyse métabolomique permet donc d’accéder à un grand nombre de métabolites d’un organisme, qu’ils soient directement issus des gènes et protéines, ou qu’ils résultent des intéractions de l’organisme avec son environnement. Ainsi on peut considérer l’analyse du métabolome comme une approche ouvrant des perspectives prometteuses dans des domaines aussi variés que la nutrition [19], le diagnostique de pathologie ou de toxicité (caractérisation de xénobiotiques [20], la mise en évidence de métabolites disrupteurs endocriniens [21]…), ou encore la médecine personnalisée et l’épidémiologie (phénotypage de cohorte [22], biomarquage d’exposition).
Biomarqueurs et Métabolome
La relation entre la composition d’un fluide biologique et la présence d’une pathologie ou d’un toxique a été explorée depuis l’antiquité. On a par exemple longtemps diagnostiqué la présence d’un diabète par la saveur sucrée des urines (Susruta et Charaka, 2000 ans avant J.C., Papyrus de Thèbes 1550 ans avant J.C., Pharmaceutice rationalis T ;Willis 1674). En fait, chaque individu (quelle que soit l’espèce vivante) possède un état d’équilibre biologique appelé homéostasie. Initialement pressenti par Claude Bernard [23], le concept d’homéostasie fait référence à la capacité que peut avoir un organisme vivant à conserver son équilibre de fonctionnement en dépit des contraintes qui lui sont extérieures. Le terme fut formalisé par Walter Bradford Cannon qui parlait de l’homéostasie comme «la sagesse du corps». Il la définissait comme la stabilisation des états qui permettent les processus biologiques de la vie, telle qu’elle ressort de cette phrase extraite de son ouvrage «The Wisdom of the Body» : «Les êtres vivants supérieurs constituent un système ouvert présentant de nombreuses relations avec l’environnement. Les modifications de l’environnement déclenchent des réactions dans le système ou l’affectent directement (…) [24]». Les interactions avec l’environnement (exposition à des médicaments, produits chimiques…) ou l’apparition d’une maladie sont susceptibles de perturber cette homéostasie à différents niveaux de l’organisation biologique, y compris celui du métabolome. Les concentrations de métabolites endogènes peuvent être modifiées et des xénometabolites peuvent apparaître. Alors que ces derniers sont évidemment des marqueurs de l’exposition (biomarqueurs d’exposition), des signatures spécifiques de la maladie ou de l’exposition (souvent appelé profil métabolomique) ont pu être mises en évidence par l’analyse détaillée des métabolites endogènes.
La métabolomique en tant qu’approche globale peut alors permettre une meilleure compréhension des changements liés à une maladie ou à un effet pharmacologique [25], en mettant en évidence des interrelations métaboliques qui n’auraient pas pu être détectées avec des approches biochimiques ciblées traditionnelles. La notion de profil métabolique a été introduite par Williams en 1949 [26;27] qui a utilisé la chromatographie sur papier pour comparer les urines de 200000 sujets, parmi lesquels figuraient des alcooliques, des schizophrènes et des patients des hôpitaux psychiatriques. Il a démontré que certaines caractéristiques du profil métabolique pouvaient être associées à chacun de ces groupes. Griffiths et Wang [28] ont rapporté que les origines de la métabolomique remontent aux années 60 et 70 avec les travaux des Horning. Ils ont publié plusieurs articles sur la détermination de profils métaboliques dans l’urine par chromatographie en phase gazeuse couplée entre autre à la spectrométrie de masse [29;30]. Dans le même temps, Robinson et Pauling ont effectué une analyse quantitative de la vapeur d’urine et d’haleine par chromatographie en phase gazeuse pour le suivi de l’état de santé et le diagnostic de pathologies [31].
Les marqueurs biologiques ou biomarqueurs sont des indicateurs internes mesurables à la suite de modifications ou d’altérations cellulaires ou moléculaires qui peuvent apparaître dans un organisme pendant ou après une maladie ou suite à l’exposition à un toxique [32;33]. Cette définition, qui est utilisée en toxicologie environnementale et professionnelle, est plus large que celle de l’Institut national de la santé américain (NIH) qui définit un biomarqueur comme «une caractéristique biochimique ou non (comme par exemple la mesure de la tensions artérielle) qui est objectivement mesurée et évaluée comme un indicateur de processus biologiques normaux, processus pathogènes, ou de procédés pharmacologiques pour une intervention thérapeutique» [34]. On considère comme biomarqueurs des composés ou un ensemble de composés (profil métabolomique) spécifiques, facilement mesurables et obtenus de manière, si possible, non invasive .
|
Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1 GENERALITES
1.1. METABOLITES ET METABOLOME
1.2. BIOMARQUEURS ET METABOLOME
2. L’APPROCHE METABOLOMIQUE
2.1. LES DIFFERENTS TYPE D’APPROCHES
2.2. DEROULEMENT D’UNE ANALYSE METABOLOMIQUE
3. PREPARATION DES ECHANTILLONS
4. METHODES D’ANALYSE
4.1. LA RESONANCE MAGNETIQUE NUCLEAIRE
4.2. LES METHODES BASEES SUR L’UTILISATION DE LA SPECTROMETRIE DE MASSE
4.2.1. Méthodes de spectrométrie de masse par introduction directe
4.2.2. Méthodes de spectrométrie de masse couplées à des méthodes séparatives
4.3. APPROCHES ANALYTIQUES MULTIDIMENSIONNELLES
5. TRAITEMENT DES DONNEES
5.1. RESONANCE MAGNETIQUE NUCLEAIRE
5.2. CHROMATOGRAPHIE EN PHASE LIQUIDE COUPLEE A LA SPECTROMETRIE DE MASSE
6. ANALYSE STATISTIQUE
6.1. ANALYSE STATISTIQUE DESCRIPTIVE : ANALYSE EN COMPOSANTES PRINCIPALES (ACP)
6.2. ANALYSE STATISTIQUE EXPLICATIVE : REGRESSION PLS
6.2.1. L’analyse discriminante PLS
6.2.2. OPLS (Orthogonal Partial Least Square)
7. IDENTIFICATION DES VARIABLES D’INTERET
7.1. GESTION DE LA REDONDANCE DU SIGNAL EN ESI
7.2. L’IDENTIFICATION EN SPECTROMETRIE DE MASSE
7.3. BASES DE DONNEES
8. APPLICATIONS
8.1. COMPREHENSION DES SYSTEMES VIVANTS
8.2. APPLICATIONS EN BIOLOGIE CLINIQUE
8.3. APPLICATIONS EN TOXICOLOGIE
CONCLUSION GÉNÉRALE