Métabolisme cérébral et changements hémodynamiques
Base physiologique de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle
Principes fondamentaux
De façon générale, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) exploite la différence de magnétisme des molécules constituant les tissus corporels, dans un champ magnétique extérieur. Ces molécules sont constituées de protons, d’électrons et de neutrons. Chaque proton possède un spin, c’est-à-dire un mouvement rotatoire telle une toupie. Dans les molécules présentant un nombre impair de protons (ex: IH, 13C), la présence du spin des protons permet l’émergence d’un moment magnétique dipolaire.
Chaque dipôle magnétique est orienté de façon aléatoire à un moment donné. Lorsqu’exposés à un champ magnétique extérieur, les dipôles magnétiques s’alignent dans la direction du champ, créant un magnétisme macroscopique quantifiable. En plus de donner de précieuses informations sur la densité des tissus, l’IRM peut être utilisée pour mesurer l’activité de différentes régions cérébrales en se basant sur la relation entre l’activité neuronale, le métabolisme cellulaire et les changements vasculaires associés (Malonek & Grinvald, 1996; Logothetis, Pauls, Augath, Trinath & Oeltermann, 2001; Logothetis, 2002; Logothetis, 2002; Viswanathan & Freeman, 2007; Ogawa et al., 1990). On appelle imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMt) cette technique permettant d’étudier le fonctionnement du cerveau.
Signal BOLD
En IRMf, différentes techniques peuvent nous renseigner sur les composantes de la réponse vasculaire induite par l’activité neuronale. La mesure acquise le plus fréquemment se nomme le signal BOLD, de l’anglais « blood oxygene level dependant ». Comme son nom l’indique, il reflète les changements d’oxygénation de la circulation vasculaire locale (Raichle & Mintun, 2006; Malonek & Grinvald, 1996). Plus précisément, le signal BOLD s’appuie sur les propriétés paramagnétiques d’une molécule contrainte au compartiment vasculaire, la déoxyhémoglobine (Ogawa et al., 1990). Contrairement à l’oxyhémoglobine, la déoxyhémoglobine possède des électrons libres non liés au dioxygène sur sa molécule de fer, lui conférant ainsi un moment
magnétique et, par conséquent, la propriété de perturber un champ magnétique extérieur (Ruettel, Song & McCarthy, 2004). Ogawa et al. (1990) ont été les premiers à montrer comment ces propriétés paramagnétiques pennettent d’utiliser la dé oxyhémoglobine comme agent de contraste endogène en IRMf. Une augmentation de concentration de cette molécule, au moment de l’augmentation de la consommation d’oxygène par les cellules, perturbe le champ magnétique et diminue l’intensité du signal BOLD, alors qu’une diminution de déoxyhémoglobine lors de l’arrivée du sang riche en oxygène amène une augmentation de l’intensité du signal BOLD (Ruettel et al., 2004).
Origine neurophysiologique du signal BOLD
L’intérêt de mesurer ces changements vasculaires en IRMf est d’inférer l’activité neuronale induite par une stimulation dans un paradigme expérimental donné. Bien que de nombreuses études aient été réalisées sur le sujet, il est important de souligner que la relation directe entre l’activité neuronale et le signal BOLD est encore inconnue. Dû aux difficultés techniques liées à l’enregistrement électrophysiologique dans un champ magnétique puissant, il a fallu attendre jusqu’en 2001 pour voir la première étude d’enregistrement simultané d’activité neuronale et du signal BOLD (Logothetis et al., 2001). Depuis, f>lusieurs études se sont ajoutées afm de décrire le plus justement possible l’activité neuronale responsable des changements vasculaires et de leur impact sur le signal BOLD (Ruttunen, Grôhn & Penttonen, 2008; Colonnese, Phillips, Constantine-Paton, Kaila & Jasanoff, 2008; Harris, Jones, Zheng & Berwick, 2010; Viswanathan & Freeman, 2007; Zheng et al., 2002; Boonnan et al., 2010; Goense & Logothetis, 2008; Kida & Yamamoto, 2010; Lippert, Steudel, Ohl, Logothetis, & Kayser, 2010; Magri, Logothetis & Panzeri, 2011). Dans l’étude de Logothetis (2001), le signal BOLD a été comparé à l’activité multiunitaire et au potentiel de champ du cortex visuel du macaque lors de stimulation visuelle afm de détenniner quelle composante de la réponse neuronale est principalement responsable du signal BOLD. D’une part,
l’activité multiunitaire reflète les potentiels d’action d’une population de neurones enregistrée par une électrode située dans le compartiment extracellulaire (Go Id, Henze, Koch & Buzsâki, 2006; Mitzdorf, 1987). D’autre part, le potentiel de champ représente la somme des potentiels postsynaptiques excitateurs et inhibiteurs d’un groupe de neurones situé à une distance d’environ 250 ~m de l’électrode (Katzner et al., 2009).
Bien que le nombre de potentiels d’action d’un neurone soit étroitement lié aux potentiels postsynaptiques sur ses dentrites, les deux signaux électrophysiologiques peuvent différer et même se dissocier (Kida & Yamamoto, 2010; Ekstrom, 2010; Huettel et al., 2004). L’étude de Logothetis, qui a été corroborée par plusieurs études, a montré que le signal BOLD est mieux corrélé aux potentiels de champ, et donc à l’activité synaptique, plutôt qu’au taux de décharge des neurones (Logothetis et al., 2001; Logothetis, 2002; Viswanathan & Freeman, 2007; Goense & Logothetis, 2008). En d’autres mots, le signal BOLD reflète mieux l’activité des afférences neuronales à un
endroit donné que l’activité efférente.
Métabolisme cérébral et changements hémodynamiques
Comme expliqué précédemment, le signal BOLD reflète les changements locaux de concentration en déoxyhémoglobine. Puisque celui-ci est tributaire du métabolisme et de la réponse vasculaire associée, il est impératif de comprendre le rapport existant entre le métabolisme cérébral et les changements vasculaires, dit hémodynamiques. Angelo Mosso (1881) a été le premier à démontrer la relation entre la demande énergétique et le débit sanguin cérébral. Il a remarqué, chez un patient ayant une malformation crânienne au niveau du lobe frontal, une augmentation des pulsations due
à l’augmentation du débit sanguin lorsque le patient réalisait des tâches arithmétiques sollicitant son lobe frontal. Cette démonstration illustrait à la fois que (1) l’activité neuronale est associée à une hausse du métabolisme cérébral, et que (2) l’élévation du métabolisme est accompagnée d’une augmentation du débit sanguin cérébral. Roy et Sherrington (1890), lors d’études chez les animaux, ont conclu que certains produits du métabolisme cérébral stimulaient l’activité vasomotrice, apportant des changements hémodynamiques en réponse aux variations de l’activité cérébrale. Par la suite, Sokoloff et al. (1977) ont’ démontré que la variation locale du métabolisme du glucose est couplée à une augmentation du débit sanguin dans là même région cérébrale permettant ainsi de répondre aux besoins en oxygène et métabolites des neurones. Par contre, comme le démontrèrent par la suite les travaux de Malonek et Grinvald, les changements
hémodynamiques associés à une hausse du métabolisme sont d’une amplitude démesurée. Ceci implique que plus de sang oxygéné est amené à la région activée qu’il n’en faut pour répondre à la demande métabolique, et cela sur une région plus étendue que l’activité neuronale. Les auteurs ont comparé ce phénomène à: « [ … ] arroser un jardin entier pour les besoins d’une seule fleur» (Malonek & Grinvald, 1996). Suite à la stimulation et à l’activation des neurones, l’augmentation du métabolisme de l’oxygène précède l’augmentation du débit sanguin cérébral, menant à une augmentation de la concentration de déoxyhémoglobine locale. Cela induit donc une diminution initiale « 3s) du signal BOLD suivant l’activation neuronale nommée «initial dip» ou diminution post-stimulus précoce (Rother et al., 2002). Suivant l’élévation du débit, les compartiments artériolaire et veineux se dilatent, menant à une augmentation nette du volume sanguin cérébral local et de la concentration d’oxyhémoglobine (Mandeville et al., 1998; Drew, Shih & Kleinfeld, 2011; Zong, Kim & Kim, 2012). Toutefois, l’augmentation d’oxyhémoglobine ne s’ajustent que grossièrement à l’activité neuronale, comme le démontre les différences spatiotemporelles observées entre la réponse neuronale et les changements de concentration d’oxyhémoglobine locale lors d’une
stimulation (Malonek & Grinvald, 1996). Cette seconde phase se traduit par une augmentation prolongée du signal BOLD (Malonek et al., 1997). Enfin, puisque le volume revient moins rapidement au niveau de base que le débit sanguin, on observe tardivement une augmentation de la concentration de déoxyhémoglobine, et donc, une diminution du signal BOLD sans activité neuronale impliquée (Buxton, Uludag, Dubowitz & Liu, 2004). Cette diminution de signal est nommée en anglais «poststimulus undershoot» ou diminution post-stimulus tardive. La diminution précoce est plus circonscrite que l’augmentation du signal BOLD, cette seconde phase pouvant
s’étendre jusqu’à une distance de 3 à 5 mm du foyer d’activité neuronale (Malonek & Grinvald, 1996). Certains auteurs ont d’ailleurs avancé que la diminution précoce pourrait mieux représenter l’activité neuronale sous-jacente (Frostig, Lieke, Ts’o & Grinvald, 1990; Ances, 2004; Thompson, Peterson & Freeman, 2003; Malonek & Grinvald, 1996; Kim, Duong & Kim, 2000), mais cette théorie est fortement contestée dans la littérature (Buxton, 2001; Ances, Buerk, Greenberg & Detre, 2002; Vanzetta & Grinvald, 2001; Mayhew et al., 2001; Lindauer et al., 2001; Jones, Berwick, Johnston & Mayhew, 2001; Buerk, Ances, Greenberg & Detre, 2003). Un modèle récent de Friston
et al. (2000) lie les changements BOLD à l’activité neuronale et hémodynamique en 5 phases en couplant:
(1) l’activité neuronale aux changements de débit sanguin; (2) leschangements de débit sanguin à l’oxygénation des tissus; (3) les changements de débitsanguin au volume sanguin; (4) les changements de débit, de volume et d’extraction del’oxygène aux changements de concentration de déoxyhémoglobine, et [malement(5) les changements de volume et de concentration de déoxyhémoglobine à la réponseBOLD (Zheng et al., 2002; Friston, Mechelli, Turner & Price, 2000).
Mécanismes cellulaires
Comme expliqué précédemment, une stimulation activant une région du cerveauamène une augmentation du métabolisme cérébral de l’oxygène significativement moinsélevée que l’amplitude de la réponse hémodynamique ou que le métabolisme du glucose(Fox, Raichle, Mintun & Dence, 1988; Madsen, Cruz, Sokoloff & Dienel, 1999;Malonek & Grinvald, 1996; Raichle, 1998; Vanzetta & Grinvald, 2008). Bien que lesmécanismes exacts impliqués dans cette divergence ne soient pas bien connus, certainséléments nous permettent de comprendre comment les changements hémodynamiquess’ajustent au métabolisme cellulaire cérébral. Premièrement, la diffusion de l’oxygène dans le tissu cérébral est lente alors qu’un ajustement rapide des substrats énergétiques
est requis (Buxton & Frank, 1997; Raichle & Mintun, 2006). Lors d’augmentation rapide d’activité neuronale, la glycolyse anaérobique, donc sans consommation d’oxygène, permet une production d’énergie plus rapide. Bien que la contribution de la glycolyse soit minime comparativement au métabolisme oxydatif, il semble qu’elle soit stratégiquement essentielle (Zonta et al., 2003). En effet, lors de l’activation rapide des neurones, une quantité importante de glutamate, le neurotransmetteur excitateur principal du système nerveux central, s’accumule dans la fente synaptique. Puisque celui-ci mène à une excitotoxicité neuronale, le glutamate doit être capté rapidement par les astrocytes, une cellule de soutien du système nerveux central. Celle-ci permet la transformation du glutamate en glutamine et le transfert de nouveau au neurone pré-synaptique pour être retransformé en neurotransmetteur actif. Ce processus actif mène à l’accumulation de lactate, le produit de lâ combustion anaérobique du pyruvate.
Les vaisseaux sanguins, sensibles à l’altération du ratio lactate-pyruvate dans le milieu extracellulaire, se dilatent lors d’une augmentation du ratio et se contractent lors d’une diminution (Ruettel et al., 2004; Raichle & Mintun, 2006). Parallèlement, l’activation des récepteurs glutamatergiques de l’astrocyte produit une augmentation de calcium intracellulaire menant à la synthèse d’acide arachidonique, laquelle est métabolisée en prostaglandines E2, une molécule vasodilatatrice (Rudzinski, Swiat, Tomaszewski & Krejza, 2007; Zonta et al., 2003). L’accumulation du lactate et la relâche d’acide arachidonique causées par la participation de l’astrocyte engendrent un changement de tonus des vaisseaux sanguins menant à la réponse hémodynamique locale lors d’une activation des neurones.
Autorégulation cérébrale et pression artérielle systémique
Le cerveau a des besoins élevés en glucose et oxygène. En effet, bien qu’il ne représente que 2 % de la masse corporelle, il consomme environ 20 % de l’énergie produite au repos (Attwell et al., 2010). Il est donc primordial de conserver un apport constant en sang oxygéné. L’autorégulation cérébrale désigne l’ensemble des mécanismes spécifiques au tissu cérébral qui interviennent afin d’éviter que l’apport sanguin ne soit modulé à la hausse ou à la baisse par la pression artérielle ou par une diminution importante de volume sanguin. Cette intervention permet d’éviter la syncope
dans le cas d’un apport sanguin insuffisant ou la rupture d’un vaisseau lors d’un apport sanguin excessif dû à l’augmentation de la pression de perfusion, elle-même régie par la pression artérielle et la pression intracrânienne. La pression de perfusion cérébrale est régulée en partie par l ‘habileté intrinsèque de l’endothélium des vaisseaux sanguins de libérer des facteurs induisant une contraction ou relaxation des muscles lisses de la paroi vasculaire (Rudzinski et al., 2007). De plus, le diamètre des vaisseaux sanguins est régulé par l’activité des terminaisons nerveuses périvasculaires (régulation neurogène) (Iadecola & Nedergaard, 2007; Petersen, 2011; Hamel, 2006; Cauli, 2010). À l’extérieur du parenchyme cérébral, les afférences sympathiques provenant du ganglion cervical supérieur régissent le débit sangum cérébral (Lee, 2002). L’effet principal est de produire un décalage de la courbe d’autorégulation vers la droite lors d’augmentation de
la pression artérielle moyenne (MAP) induite par l’activation du système nerveux sympathique (Figure 1.1). À l’intérieur du parenchyme, la régulation neurogène est exercée par les voies vasoactives sous-corticales provenant du noyau basal de Meynert (NBM), du locus coeruleus et des noyaux du raphé, ainsi que par les intemeurones. Ces afférences produisent leur effet en libérant principalement de l’acétylcholine (ACh), de la noradrénaline (NA) et de la sérotonine (5-HT) sur leur récepteur respectif situé sur les cellules endothéliales et les intemeurones. Ceux-ci produisent finalement la relâche d’oxyde nitrique (NO) menant à une vasodilatation locale (Toda, Ayajiki & Okamura, 2009).
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Table des matières
REMERCIEMENTS
AVANT-PROPOS RESUME
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
1.1 Base physiologique de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle
1.1.1 Principes fondamentaux
1.1.2 Signal BOLD
1.1.3 Origine neurophysiologique du signal BOLD
1.1.4 Métabolisme cérébral et changements hémodynamiques
1.1.4.1 Mécanismes cellulaires
1.1.4.2 Autorégulation cérébrale et pression artérielle systémique
1.2 Couplage neurovasculaire
1.2.1 Généralités
1.2.2 Couplage neurovasculaire et somesthésie
1.3 Couplage et nociception
1.3.1 Physiologique de la douleur et de la nociception
1.3.2 Modulation endogène de la nociception et de la douleur
1.3.3 Couplage neurovasculaire et stimulations nociceptives
1.4 Objectifs et hypothèses
CHAPITRE II NEUROV ASCULAR COUPLING DURING NOCICEPTIVE PROCESSING IN THE PRIMARY SOMATOSENSORY CORTEX OF THE RAT
Résumé
Abstract
Introduction
Materials and Methods
AnimaIs and surgi cal procedures
Local field potential recordings
Cortical blood flow recordings
Somatosensory stimuli
Experimental protocol
Data analysis and statistics
Results
Neurovascular changes in SI during hindpaw stimulation
MAP changes induced by hindpaw stimulation
Pattern and temporal characteristics of CBF and MAP changes
Neurovascular changes in SI during counter-stimulation
Discussion
Alteration of neurovascular coupling during nociceptive processing
Effect of counter-stimulation on neurovascular coupling
Limitations and future directions
Conclusion
Acknowledgements
Figure legends
Reference list
CHAPITRE III DISCUSSION
3.1 Altération du couplage neurovasculaire lors de stimulations nociceptives
3.1.1 Effet de la pression artérielle sur l’activité neuronale
3.1.2 Inhibition neuronale et changements hémodynamiques
3.1.3 Effet de l’activation sympathique sur les changements hémodynamiques
3.1.4 Caractéristiques spatiales de l’activité neuronale dans SI et influence sur le couplage neurovasculaire
3.2 Effet de la contre-stimulation sur le couplage neurovasculaire dans SI
3.2.1 Inhibition sélective des neurones à large gamme dynamique
3.2.2 «Vascular steal effect» et contre-stimulation
3.3 Retombées et directions futures
3.4 Conclusion
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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