Mesures des composantes rotationnelles du champ d’ondes sismique : état de l’art

Mesures des composantes rotationnelles du champ d’ondes sismique : état de l’art 

Mesure de rotation

Avant-propos 

Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et plus précisément le Département d’Analyse Surveillance Environnement (DASE) a parmi ses missions de surveiller le respect des accords du Traité d’Interdiction Complète des Essais nucléaires (TICE) (Tavernier, 1996) ainsi que de surveiller et protéger l’environnement afin d’en déterminer les risques associés pour les populations. Cela  se traduit par des activités dans le domaine de la surveillance et de l’alerte sismique et tsunami, des études de risques ainsi que de la recherche fondamentale et opérationnelle dans divers domaines tels que la sismologie, les tsunamis, les infrasons et l’hydroacoustique.

La surveillance sismique, à partir d’un réseau global de stations sismiques mesurant les trois composantes de translation du sol, permet de détecter les ondes sismiques se propageant sous nos pieds. Ces ondes peuvent être utilisées afin d’évaluer le risque sismique, d’imager le sous-sol, de caractériser la source pour pouvoir discriminer entre sources d’origines naturelles (séismes, volcans) ou anthropiques (tirs de carrières, minages, accidents industriels, explosions). Le milieu de propagation très hétérogène et complexe qui est celui de la structure interne de la Terre réduit l’efficacité de certains outils de discrimination basés sur la physique des ondes tels que les rapports d’énergie des ondes P et S (Bowers et Selby, 2009).

De nouveaux outils ont été développés par la communauté scientifique afin d’ajouter des informations utiles non seulement à la surveillance sismique, mais aussi favorisant une meilleure compréhension du champ d’ondes sismiques. Ces outils peuvent s’avérer être des algorithmes de traitement (Cansi, 1995; Labonne, 2016a; Labonne et al., 2016b), la création de nouveaux instruments plus sensibles (Bernauer et al., 2012) ou l’utilisation de nouvelles mesures (Cochard et al., 2006). L’une des «nouvelles» mesures est celle des trois composantes rotationnelles du champ d’ondes sismiques.

Historique

Dès 1742, Pasqual Pedini émet l’hypothèse de l’existence de «vortical motions» ou « mouvements qui tournent » sur la base d’observations de terrain telles que la rotation de monuments, d’ornements d’église ou de tombes à la suite du séisme de Livorno (Ferrari, 2006). M. Sarconi (1784) renforce cette hypothèse avec un croquis d’obélisques ayant subi une rotation après la série de séismes de 1783 secouant la Calabre. Il faut attendre Hoffmann (1838) d’après Lawson et al. (1908) ou Mallet (1849) d’après J.T. Kozàk (2009) pour que le phénomène sous-jacent à ces observations de terrain soit étudié. Mallet (1862) explique que l’émergence consécutive des phases d’une séquence sismique sous différents angles impacte ces structures les faisant tourner. Jusque dans les années 1970, les scientifiques ont étudié ce phénomène suivant deux approches : d’une part l’observation sur le terrain de marqueurs de rotation (Oldham, 1899; Reid, 1910), d’autre part le développement d’instruments pour mesurer physiquement le rotationnel (Forbes, 1844; Cecchi, 1875; Galitzin, 1912).

Pour autant, la communauté scientifique s’interroge quant à la contribution du rotationnel en sismologie. L’opinion majoritaire au sujet des mouvements de rotation suppose qu’ils sont insignifiants. Richter (1958) exprime son avis sur la question : « Theory indicates, and observation confirms, that such rotations are negligible ».

De plus, les instruments disponibles (Figure 1.1) à cette époque ne sont pas assez sensibles pour mesurer des mouvements de rotation de l’ordre du microradian par seconde (µrad/s). En sismologie les mouvements de rotation varient entre 10⁻¹ rad/s pour des sources sismiques en champ proche (Nigbor, 1994) et 10⁻¹¹ rad/s pour des évènements télésismiques en champ lointain (Igel et al., 2005). Cela correspond à une bande s’étendant sur 10 ordres de magnitude. Un instrument couvrant cette bande, tout en étant capable de mesurer les trois composantes de rotation, d’être stable, portable sur le terrain et économique en énergie est un défi technologique d’envergure. D’ailleurs, Aki et Richards (2002) s’expriment sur la question : «… seismology still awaits a suitable instrument for making such measurements».

Au fil des ans, des capteurs basés sur divers principes physiques (cf. 1.4.) mesurant directement les mouvements de rotation ont été développés et utilisés. Nigbor (1994) enregistre les mouvements de rotation générés par une explosion chimique dans le cadre d’une expérience de source contrôlée. Ce seront les mouvements de rotation générés par un essaim de séismes en champ proche qu’enregistrera Takeo (1998) tandis qu’il s’agira d’un évènement télésismique de magnitude 8,5 dans le cas d’Igel et al. (2005).

Entretemps, l’aspect théorique sous-jacent à l’estimation des 3C de rotation a été étudié. Bouchon and Aki (1982) estiment théoriquement les composantes des mouvements de rotation à partir de modèles de source cinématiques alors que Lee et Trifunac (1987) exploitent les principes physiques liés à la propagation des ondes élastiques. Des méthodes indirectes permettant de mesurer les composantes rotationnelles par l’intermédiaire des mouvements de translation du sol ont été développées. Castellani et Boffi (1986) calculent les rotations de manière indirecte en utilisant une seule station. Cependant cela implique de nombreuses suppositions. C’est pourquoi la majorité des études utilise des réseaux de capteurs. Ceux-ci peuvent être 1D (Niazi, 1986) ou 2D (Oliveira and Bolt, 1989 ; Spudich et al., 1995 ; Langston et al., 2007). Suryanto et al. (2006) est le premier à comparer les méthodes directe et indirecte. Le résultat en est une bonne corrélation (>0,9) entre les deux méthodes pour des signaux filtrés entre 0,03 Hz et 0,3 Hz. Les notions fondamentales, applications et différentes méthodes associées aux mouvements de rotation seront approfondies dans la suite de ce chapitre, dans les sections 2), 3), et 4) respectivement.

Fondamentaux

D’après la théorie classique d’élasticité (Bath, 1979; Aki and Richards, 2002), étudier les mouvements du sol revient à étudier 12 observables. Trois observables décrivent les mouvements de pure translation suivant les axes x, y et z (Figure 1.3.a). Trois autres décrivent les mouvements de rotation autour des axes x, y et z (Figure 1.3.b). Les six dernières décrivent les déformations (Figure 1.3.c).

Lorsqu’une onde se propage à travers un milieu élastique, une particule de ce milieu située en un point ? = (?1, ?2, ?3 ) = (?, ?, ?), au temps initial t0 se déplacera suivant le mouvement ? = (?1, ?2, ?3 ) = (??, ??, ??) vers le point de coordonnées ? au temps t. La relation ?(?) = ? + ?(?,?) décrit alors le champ de déplacements. Le mouvement du point ? relativement au point de coordonnées ? + ?? permet de décrire la déformation subie par le milieu situé à proximité du point x (Aki and Richards, 2002). Le point ? + ?? devient le point ? + δ? après avoir subi le déplacement linéaire ?(? + δ?) .

Le segment δ? peut être décrit comme la déformation du segment ?? qui relie les points ? et ? + ?? (Équation 1.1).

δ? = (? + δ?) − ? = (? + δ? + ?(? + δ?)) − (? + ?(?)) = δ? + δ? (Équation 1.1)

En considérant δ? comme très petit, ?(? + δ?) de l’Equation 1.1 peut s’écrire

?(? + δ?) = ?(?) + ∇?(?) ∙ δ? + ?(|??|²) (Équation 1.2)

en utilisant le développement limité de Taylor à l’ordre 1 (Aki and Richards, 2002). Dominé par le terme d’ordre 1, ??(?) ∙ δ?, le terme d’ordre 2, ?(|??|2 ) est considéré comme négligeable. Le premier terme, ?(?) représente le champ de déplacements, ou mouvements de translation, généré par le passage de l’onde sismique. Ce sont ces mouvements de translation qui sont enregistrés sur les sismomètres lors de séismes.

En utilisant le second terme de l’Équation 1.2 dans Équation 1.1, on arrive à :

δ? = ??(?) ∙ δ? = ∂j??δ?? (Équation 1.3)

∂j?? est le tenseur du mouvement formé des dérivées spatiales partielles, ∂j?? = ∂?? / ∂?? , des trois directions (?1, ?2, ?3 ) = (?, ?, ?) du mouvement de translation, ?? .

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Mesures des composantes rotationnelles du champ d’ondes sismique : état de l’art
1.1. Mesure de rotation
1.1.1. Avant-propos
1.1.2. Historique
1.2. Fondamentaux
1.3. Applications des mesures de rotation
1.3.1. Apport de la mesure de rotation
1.3.2. Inversion de source
1.3.3. Décomposition/Analyse du champ d’ondes sismiques
1.3.3.1. Séparation des ondes de volume
1.3.3.2. Suppression du ground-roll
1.3.3.3. Correction du tilt
1.3.3.4. Vitesse de phase/Azimut
1.3.4. Estimation de la structure géologique
1.4. Méthodes de mesures
1.4.1. Mesures directes
1.4.1.1. Capteurs à principe mécanique
1.4.1.2. Capteurs à fluide conducteur
1.4.1.3. Capteurs à fibre optique
1.4.1.3.1. Gyromètre à fibre optique – FOG
1.4.1.3.2. Gyroscope laser – RLG
1.4.2. Mesures indirectes
2. Quantification de l’incertitude associée à la mesure de rotation
Ce chapitre a été rédigé en anglais dans le but d’une future publication
2.1. Introduction
2.2. Theoretical method – Array-derived rotational measurements
2.2.1. Definition of the rotation
2.2.2. Fundamental modes of body wave propagation
2.2.2.1. Case #1 : Incident SH-wave reflected at the free surface
2.2.2.2. Case#2: Incident SV-wave reflected at the free surface
2.2.2.3. Case#3: Incident P-wave reflected at the free surface
2.2.3. Validation of modeling
2.3. Spudich method
2.4. Estimation of difference between theoretical and seismogeodetic methods
2.4.1. Error computation
2.4.2. Wavelength range vs spatial extension
2.4.2.1. Effect on short periods
2.4.2.2. Incoherent noise
2.4.3. Required precision for error analysis
2.4.3.1. Azimuth variation
2.4.3.2. Incident angle variation
2.5. Parametric study
2.5.1. Variations in sensors’ misalignment
2.5.2. Variations in sensors’ coordinates
2.5.3. Variations in the instrumental response
2.6. Total error
2.7. Conclusions
3. Représentation graphique de l’incertitude associée à la mesure de rotation : un cas d’application
3.1. LSBB
3.1.1. Généralités
3.1.2. Antenne sismique
3.1.2.1. Description
3.1.2.2. Mise en place des capteurs et erreur associée
3.2. Extension du calcul de l’incertitude du chapitre 2 à un réseau en profondeur
3.2.1. Champ d’ondes de rotation pour des ondes SH dans un demi-espace
3.2.2. Cas des ondes de Love
3.3. Amatrice
3.3.1. Calcul de Rz pour le séisme d’Amatrice à partir de l’antenne du LSBB
3.3.1.1. Métadonnées
3.3.1.2. Traitement des données
3.3.1.3. Analyse des signaux de translation
3.3.1.4. Calcul et analyse de la composante verticale de rotation
3.3.2. Raccordement entre l’accélération transverse (AccT) et Rz
3.3.3. Estimations et comparaison des incertitudes
3.3.3.1. Estimation statistique de l’incertitude
3.3.3.2. Estimation théorique de l’incertitude de mesure
3.3.4. Représentation de l’incertitude
3.3.5. Comparaison de la mesure indirecte avec la mesure directe de rotation
3.4. Conclusion
4. Conclusions

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