Mesurer l’univers : les Céphéides
Bref historique
Elles tiennent leur nom de l’étoile δ Cephei, l’archétype des étoiles variables Céphéides découvert en 1784 par John Goodricke (Goodricke & Bayer 1786). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas le prototype de cette classe d’étoile car la première à être découverte fut η Aql quelques mois plus tôt par l’astronome amateur Edward Piggot. Ces étoiles très brillantes aux variations périodiques de luminosité apparente intriguent de plus en plus les astronomes, entraînant des observations intensives au fil des années. Environ un siècle après la découverte de E. Piggot, l’astronome russe Aristarkh Belopol’skii (Belopolsky 1896) découvrit le décalage des raies spectrales de δ Cep en fonction de la période (la période étant définie comme l’intervalle de temps entre deux phases de même luminosité) et plus particulièrement que le maximum de la courbe de vitesse radiale correspondait au minimum de luminosité. Les astronomes de l’époque expliquèrent ce phénomène observé comme étant lié à des variations orbitales de l’étoile causées par un compagnon proche et suggérèrent que les étoiles de type Céphéide pourraient simplement être des binaires spectroscopiques.
Alors que les astronomes cherchaient désespérément des effets de binarité, la collecte des données sur les étoiles variables augmentait, jusqu’à en découvrir dans d’autres galaxies. Ce furent notamment les travaux de Henrietta Leavitt, qui catalogua des étoiles variables situées dans les Nuages de Magellan (Leavitt 1908). Son échantillon comprenait 1777 étoiles variables mais seulement 17 disposaient d’une mesure de période. En ordonnant ces étoiles par période croissante, elle fit la découverte que les étoiles variables les plus brillantes avaient les plus longues périodes. En 1912 elle détermina la période et la magnitude de 8 variables supplémentaires et confirma sa découverte précédente (Leavitt & Pickering 1912). Elle fait également l’hypothèse que toutes ces étoiles sont à la même distance de la Terre reliant ainsi les magnitudes apparentes aux magnitudes intrinsèques : c’est la naissance de la relation période–luminosité (P–L). La première courbe P–L fut obtenue en 1912 avec 25 étoiles variables .
Cependant le point zéro b de cette relation ne fut pas déterminé à l’époque car la distance du Petit Nuage de Magellan (SMC) n’était pas connue. Cette relation non étalonnée n’était donc pas directement utilisable.
En 1913, Ejnar Hertzsprung identifia certaines étoiles observées par H. Leavitt comme étant des Céphéides et mesura leur distance par la méthode de la parallaxe statistique,pour estimer le point zéro. Bien qu’imprécise, il combina son estimation de b et la pente a déterminée à partir des données de H. Leavitt pour obtenir une relation P–L étalonnée. L’équation qu’il obtint lui permis d’estimer la distance du SMC. Nous savons maintenant que l’estimation était fausse mais ce résultat était pour l’époque extraordinaire. En 1918 Harlow Shapley améliora l’étalonnage de la relation précédente basée sur des Céphéides du SMC. Il remarqua également que la pente de la relation P–L pour les étoiles variables des amas globulaires était identique à celle des étoiles variables du SMC et décida donc de regrouper toutes les Céphéides dans une relation P–L unique. Sans le savoir il venait de rajouter un type de Céphéides différent de celui utilisé par H. Leavitt en 1912. De nos jours ces deux types sont connus sous le nom de Céphéides classiques (type I) et Céphéides de type II, j’en parlerai plus en détail en Section 1.2. C’est seulement en 1956 que Walter Baade proposa d’utiliser deux relations P–L distinctes (Baade 1956). Malgré cette erreur, H. Shapley basa la plupart de ses travaux sur cette relation unique et l’utilisa, entre autres, pour étudier la structure de notre Galaxie et mesurer les distances d’amas globulaires. En 1924, l’impact de cette relation sur la communauté scientifique fut énorme quand ils réalisèrent, notamment grâce à Edwin Hubble et ses mesures de distances extragalactiques, tout le potentiel de cette relation linéaire.
Alors que des travaux observationnels étaient en cours pour un meilleur étalonnage de cette loi, les travaux théoriques de Sir Arthur Eddington en 1927 furent le point de départ d’une théorie expliquant la pulsation des variables céphéides (Eddington 1927). Les Céphéides sont des étoiles subissant des oscillations radiales causées par la force de gravitation agissant vers l’intérieur et la force de pression du gaz agissant vers l’extérieur. Des théories plus élaborées et une meilleure compréhension des processus physiques liés au mécanisme de pulsation suivirent quelques années plus tard avec les travaux notamment de Sergei Zhevakin en 1953, John Cox en 1963 (Cox & Olsen 1963) et Robert Christy (Christy 1966) .
À la même époque des astronomes se penchèrent sur le problème de la dispersion de la relation P–L. Certains évoquèrent une mauvaise correction de l’extinction interstellaire et d’autres préférèrent l’utilisation d’une relation du type période–luminosité–couleur (P–L–C). Fernie (1967) expliqua qu’une relation P–L–C n’est pas utile si les magnitudes sont bien corrigées de l’extinction. De plus, Stothers (1988) montra également, que cette relation est dépendante de la métallicité de l’étoile.
La relation P–L est donc loin d’être parfaite et nécessite d’être peaufinée pour atteindre des mesures de distances avec une bonne précision. Ce bref historique n’est bien sûr pas exhaustif et je renvoie le lecteur aux articles publiés sur ce sujet pour une revue plus complète et détaillée (par exemple Fernie 1969; Feast 1999).
De nos jours …
Les travaux sur les Céphéides sont toujours d’actualité, tant sur le plan observationnel que théorique. Cette relation P–L (encore appelée loi de Leavitt) est un outil puissant pour la détermination des distances cosmologiques et l’estimation de la constante de Hubble H0 via la loi du même nom. Dans le milieu des années 80, l’observation de Céphéides pour déterminer H0 avec une précision de ±10 % est désignée comme l’un des trois projets clés du télescope spatial Hubble (voir par exemple Freedman & Madore 2010). L’étalonnage précis de la relation P–L est nécessaire et divers travaux sont effectués dans ce but via l’utilisation de diverses techniques, comme par exemple Gieren et al. (1998) qui utilisèrent la brillance de surface ou encore Kervella et al. (2004a) grâce aux mesures de diamètres par interférométrie.
Les Céphéides sont également un bon laboratoire d’étude dans le cadre de l’évolution et de la pulsation stellaire, fournissant des informations fondamentales sur les étoiles de masses intermédiaires. Les données récoltées sont utilisées pour contraindre et améliorer les modèles d’évolution stellaire.
Notre connaissance sur ce type d’étoile variable s’est améliorée au fil des années grâce aux avancées technologiques. Par l’utilisation de diverses techniques (Section 1.6) nous pouvons par exemple pour les plus proches, estimer leur distance et leur diamètre avec une bonne précision, mesurer leur variation de diamètre, ou encore évaluer leur profil d’intensité. Il a même été détecté récemment une enveloppe circumstellaire autour de certaines Céphéides (Kervella et al. 2006; Mérand et al. 2006a, 2007). L’environnement autour des Céphéides, et principalement des Céphéides classiques, constitue le sujet de cette thèse et je parlerai tout au long de ce manuscrit des diverses techniques que j’ai utilisées pour leur détection et caractérisation. Avant cela il est nécessaire d’avoir une certaine compréhension des Céphéides elles-mêmes ainsi que leur utilisation.
Les différents types de Céphéides
Les Céphéides sont des étoiles supergéantes très brillantes et sont donc observables à de grandes distances (par exemple le rayon de δ Cep fait environ 40 fois celui du Soleil). Elles ont une période de pulsation comprise entre 1 et 150 jours, une amplitude allant de 10 à 20 % en diamètre et peuvent atteindre une variation photométrique de l’ordre de 2 magnitudes. Le type spectral varie également avec la pulsation entre les types F et K.
Dans le diagramme de Hertzsprung–Russell (H–R) ces étoiles se situent dans ce que l’on appelle la bande d’instabilité . Cette région étroite et presque verticale (en échelle logarithmique) contient plusieurs types d’étoiles variables comme par exemple les étoiles RR Lyrae, RV Tau, … et s’étend de la séquence principale jusqu’à la branche des géantes rouges . Au cours de leur évolution, les étoiles traversent cette bande d’instabilité assez rapidement et peuvent, pour les plus massives, la traverser plusieurs fois en fonction de leur stade d’évolution.
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Table des matières
Introduction
1 Mesurer l’univers : les Céphéides
1.1 Bref historique
1.2 Les différents types de Céphéides
1.2.1 Les types I
1.2.2 Les types II
1.3 Mécanisme de pulsation
1.4 Intérêt et utilisation des Céphéides : mesure de distance
1.4.1 L’échelle des distances
1.4.2 La relation Période–Luminosité
1.4.3 En pratique
1.4.4 L’étalonnage
1.5 La méthode de Baade-Wesselink
1.5.1 La méthode de brillance de surface
1.5.2 La méthode interférométrique
1.6 Environnement des Céphéides : mécanismes de formation
1.6.1 La rotation
1.6.2 Les vents radiatifs
1.6.3 Le magnétisme
1.6.4 La binarité
1.7 Objectifs de la thèse : étude des enveloppes circumstellaires
2 Imagerie à haute résolution spatiale : Optique adaptative et « lucky-imaging »
2.1 Introduction
2.2 Principe de l’optique adaptative
2.2.1 Fonction d’étalement de point idéale
2.2.2 Fonction d’étalement de point réelle
2.2.3 Shack-Hartmann et miroir déformable
2.3 Lucky–imaging
2.4 L’instrument NACO
2.5 Observation de RS Puppis avec NACO
2.5.1 RS Pup
2.5.2 Les observations
2.5.3 Méthode « shift-and-add »
2.5.4 Étude statistique du bruit de speckles
2.5.5 Conclusion de cette étude
3 Étude d’excès infrarouge par photométrie
3.1 Introduction
3.2 Notions de photométrie stellaire
3.2.1 Intensité, flux et luminosité
3.2.2 Magnitude
3.2.3 Extinction interstellaire
3.2.4 Extinction atmosphérique
3.2.5 Bandes photométriques
3.2.6 Photométrie d’ouverture
3.2.7 Étalonnage photométrique
3.3 Étude d’excès infrarouge
3.4 La technique du chopping-nodding
3.5 Imagerie de Céphéides avec l’instrument VISIR
3.5.1 Description de l’instrument
3.5.2 Observations et traitement des données
3.5.3 Photométrie
3.5.4 Étude de l’évolution atmosphérique
3.5.5 Distribution spectrale d’énergie des Céphéides classiques
3.5.5.1 FF Aql
3.5.5.2 AX Cir
3.5.5.3 X Sgr
3.5.5.4 η Aql
3.5.5.5 W Sgr
3.5.5.6 Y Oph
3.5.5.7 U Car
3.5.5.8 SV Vul
3.5.6 Distribution spectrale d’énergie des Céphéides de type II
3.5.6.1 R Sct
3.5.6.2 AC Her
3.5.6.3 κ Pav
3.5.7 Technique d’analyse de Fourier
3.5.8 Discussion
4 La très haute résolution angulaire : interférométrie à longue base
4.1 Introduction
4.2 Bases d’interférométrie stellaire
4.2.1 Point source monochromatique
4.2.2 Point source polychromatique
4.2.3 Source étendue – Théorème de Zernike-Van Cittert
4.3 Interférométrie dans le plan pupille et image
4.4 Les observables
4.5 Plan (u, v)
4.6 Modèle de visibilité
4.6.1 Source ponctuelle
4.6.2 Disque uniforme
4.6.3 Disque assombri
4.6.4 Disque Gaussien
4.6.5 Disque assombri + couronne sphérique
4.6.6 Distinction des différents modèles
4.7 Observations de Céphéides avec FLUOR
Conclusion