LES REACTIONS COMPORTEMENTALES
L’animal exprime sa peur à travers deux attitudes principales : la défense active (attaque, menace ou fuite) et l’inhibition. Deux types d’inhibition sont observées : le « freezing » dont la durée est courte et qui s’accompagne souvent de signes d’activation du système neurovégétatif (augmentation du rythme cardiaque) et l’immobilité tonique qui dure longtemps et qui ne s’accompagne pas d’activation neurovégétative (Boissy, 1998). D’autres réponses peuvent également être des indicateurs de peur : les vocalisations, les éliminations (miction, défécation), les mouvements de certaines parties du corps (expressions faciales, postures, piloérection). Cependant, il ne faut pas nous limiter à ces réponses classiques de peur.
En effet, les stimuli provoquant des réactions de peur peuvent également affecter d’autres aspects du comportement. Ainsi, deux réponses sont observées chez les oiseaux en fonction de l’intensité de la peur. On peut assister à une exacerbation du comportement en cours ou les animaux peuvent cesser leur activité et commencer une autre activité ordinaire comme manger, dormir ou fouiller la litière (Murphy, 1978). Cela s’observe également chez les Mammifères domestiques comme les chevaux : face à l’approche d’un homme dans un environnement clos, les poulains peuvent se mettre à téter ou à manger de la litière (Mc Call et al., 1985).
Ces activités réalisées hors contexte sont des activités de substitution. Elles naissent d’un conflit entre deux motivations. Si la peur est trop intense, on peut assister à des comportements anormaux : face à un stimulus effrayant, les poussins restent immobiles avec les ailes tombantes (Murphy, 1978).
LES REACTIONS PHYSIOLOGIQUES
Les variations environnementales entraînent des changements neuroendocriniens et orthosympathiques spécifiques chez l’animal. Le système nerveux sympathique et l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) sont les principaux systèmes mis en jeu. Les réactions de peur entraînent la sécrétion d’adrénaline et de noradrénaline ce qui modifie l’équilibre interne de l’animal. Des réactions physiologiques sont alors observées pour rétablir cet équilibre : redistribution du sang et des composés énergétiques vers les muscles et le cerveau.
Ces réponses permettent de préparer l’organisme au réactions comportementales de type « combat ou fuite » (« fight or flight » ; pour revue : Kuchel, 1991). Les catécholamines étant difficilement mesurables, l’activation du système nerveux autonome est évaluée indirectement à travers les effets sur certaines fonctions végétatives : fréquence de défécation, pression artérielle et rythme cardiaque. Chez le rat, Denimal (1969) montre qu’une augmentation de la fréquence cardiaque est reliée à une grande fréquence de défécation en open-field. Jansen et al. (1995) montrent que les neurones de l’hypothalamus et du tronc cérébral se projettent à la fois vers le c oeur et la médullosurrénale ce qui démontre l’existence d’un lien direct entre le contrôle de la fonction cardiaque et les réponses de « combat ou fuite ». Cela valide l’utilisation de la fréquence cardiaque comme mesure des réactions de peur et en particulier du stress à court terme (Lay et al., 1992 ; Hopster et Blokhuis, 1994).
Contrairement aux mesures hormonales nécessitant des prises de sang, la pose des capteurs n’est pas une manipulation invasive et stressante et les changements de rythme sont rapides. Ils permettent donc non seulement l’identification des situations engendrant de la peur mais également les aspects de ces situations qui sont les plus stressants (Lefcourt et al., 1999). La sécrétion de glucocorticoï des par les glandes surrénales est un indicateur de l’activation de l’axe HHS. Elle se réalise plus lentement que la sécrétion de catécholamines mais dure plus longtemps. Elle agit en combinaison avec cette dernière pour augmenter l’énergie disponible et préparer l’organisme aux réactions comportementales : inhibition du stockage d’acide gras, de glucose et des synthèses protéiques et stimulation du relargage de substrats comme le glucose, les acides aminés et les acides gras libres (revue : Mormède, 1991).
En dehors des catécholamines et glucocorticoï des appelées « hormones du stress », d’autres hormones sont impliquées dans les réactions de peur : les stéroï des sexuels, des neuropeptides hypothalamo-hypophysaires (prolactine, ACTH, vasopressine…) et des peptides cérébraux et hypophysaires (endorphines, enképhalines) (revue : Boissy, 1998). Ainsi, la concentration en prolactine est positivement corrélée à la concentration en corticostérone chez des rats placés dans un open-field ou manipulés cinq secondes (Seggie et Brown, 1975). Le système analgésique endogène est activé parallèlement à la présentation de réactions comportementales de défenses lorsque des rats sont soumis à des chocs électriques (Fanselow, 1984).
Les réactions comportementales et physiologiques sont des indicateurs de la peur mais elles ne peuvent pas être considérées comme des mesures directes de l’état de peur. Il faut analyser les résultats dans leur contexte car une mesure marquant la peur dans une situation peut être différente de la peur dans une autre situation. Ainsi, le rythme cardiaque ou le taux de glucocorticoï des augmentent en cas de peur mais également lors de l’accouplement, de la prise alimentaire ou de la tétée. Les réactions émotionnelles étant le résultat de l’interaction entre les propriétés du stimulus effrayant, les possibilités offertes par l’environnement à l’animal de contrôler le danger et l’état endocrinien de l’individu, il est donc plus prudent de se baser sur plusieurs variables pour apprécier les réactions de peur (Boissy, 1998).
OPEN-FIELD
Le test en open-field a été développé dès les années trente (Hall, 1934) pour mesurer les réactions de peur des rongeurs (Archer, 1973 ; Gray, 1987). Il consiste à placer un animal dans un environnement nouveau et clos, brillamment éclairé et à mesurer la fréquence de défécation. L’animal est devant un conflit entre sa peur d’un espace ouvert et l’activité exploratoire. D’autres mesures comportementales se sont peu à peu ajoutées : mesure de l’activité locomotrice, localisation, … (Archer, 1975 ; Stephens, 1988). Un animal émotif est alors décrit comme déféquant fréquemment et restant le plus souvent immobile.
Cependant, les réponses sont parfois plus complexes avec un mélange de peur, d’exploration et de réponse à l’isolement social. Des études plus récentes montrent que la défécation et la locomotion sont des activités indépendantes et représentent respectivement l’émotivité et l’activité (Ramos et al., 1997). De plus, de nombreux facteurs peuvent influencer les résultats obtenus. Ainsi, les rats mâles défèquent plus que les femelles ; les résultats sont variables chez les souris. Les rats, souris et hamsters femelles ont une activité locomotrice supérieure à celle des mâles ; c’est l’inverse chez les gerbilles (Archer, 1975).
Cela peut s’interpréter comme une différence de niveau de peur mais aussi comme des réponses différentes à un même niveau de peur. De même, l’odeur influence le comportement des animaux et un mauvais nettoyage entre chaque animal entraîne une attraction ou un rejet de la zone souillée. L’habituation joue également un rôle ; lors de la deuxième mise en situation de test, les animaux sont moins mobiles. Ce test a également été utilisé pour mesurer les réponses de peur des animaux domestiques (poules : Jones, 1977 ; bovins : Kilgour, 1975, Boissy et Bouissou, 1988 ; ovins : Romeyer et Bouissou, 1992 ; porcs : Andersen et al., 2000b). Il a été adapté aux caractéristiques des animaux : taille plus importante et mesures comportementales plus nombreuses (vocalisation, …).
Par exemple, Jones (1977) l’a utilisé pour distinguer l’effet du sexe et de la souche sur la réactivité émotionnelle de poules âgées de sept jours. Chez les bovins, Kilgour (1975) cherche à établir une relation entre le « tempérament » noté par 28 l’exploitant et le comportement relevé en open-field. De Passillé et al. (1995) utilisent également ce test pour mesurer les effets de la nouveauté (la moitié des animaux connaissent le dispositif), de l’exercice préalable (les animaux sont sortis au pré pendant trente minutes avant le test) et de la présence d’un homme connu ou inconnu. Seule l’habitude modifie le comportement des vaches durant le test : la durée de marche, le nombre de vocalisation et de défécations diminuent.
Ces variables apparaissent donc comme des marqueurs de la réponse de peur face à la nouveauté et à l’isolement social. Chez le porc, Andersen et al. (2000b) comparent les relations entre les réponses de peur des animaux soumis à quatre tests de nouveauté différents dont l’open-field. Ils observent une relation négative entre l’activité et la peur de la nouveauté, facteurs tous deux mesurés par ce test. La fréquence de défécation n’apparaît pas comme un indicateur de peur dans cette espèce contrairement aux ovins ou aux chevaux (Romeyer et Bouissou, 1992 ; Viérin et al., 1998).
LABYRINTHE EN CROIX SURELEVE
Le test de la croix surélevé est depuis une quinzaine d’années un des tests le plus utilisé pour mesurer la peur chez les rongeurs. Il est basé sur l’étude du comportement spontané de l’animal ce qui lui confère une grande validité éthologique (Lister, 1987 ; Darwish et al., 2001). Il consiste en deux branches ouvertes et deux branches fermées disposées à une hauteur de un mètre. Un carré de dix centimètres de côté situé à l’intersection des branches constitue le point d’entrée de l’animal.
Sont relevés le temps passé dans les branches ouvertes, la latence d’entrée, le nombre d’entrées et le pourcentage de temps passé dans ces branches et le nombre d’entrées dans les branches fermées. Des analyses factorielles permettent l’interprétation des données en terme d’anxiété, d’exploration et de locomotion (Lister, 1987), facteurs qui ne sont pas corrélés entre eux (Pellow et al., 1985). Pour interpréter les comportements en terme de peur ou d’absence de peur, plusieurs auteurs utilisent des substances anxiolytiques et anxiogènes. Ils observent, dans le premier cas, une augmentation du pourcentage de temps passé dans les branches ouvertes ainsi que du nombre d’entrée dans ces branches et, dans le second cas, l’effet inverse (Lister, 1987 ; Rodgers et Dalvi, 1997).
De plus, Pellow et al. (1985) rapportent que le confinement d’un rongeur dans les parties ouvertes du dispositif est associé à des comportements reliés à la peur et le taux de corticostérone plasmatique est supérieur à celui d’animaux confinés dans les parties fermées. Ni la nouveauté du test ni l’éclairement ne semblent modifier le comportement des animaux dans ce test (Becker et Grecksch, 1996). Des travaux récents suggèrent que ce test puisse être utilisé pour mesurer l’anxiété d’autres animaux comme le porc. Andersen et al. (2000a) examinent l’effet du diazépam (anxiolytique) sur le comportement des porcs dans un dispositif en croix surélevé modifié. Ils observent que les animaux traités entrent plus souvent dans les branches ouvertes et y restent plus longtemps que des animaux non traités. Ces variables peuvent donc être interprétées comme des mesures d’anxiété chez les porcs.
De plus, Andersen et al. (2000b) montrent que l’évitement des branches ouvertes représente une mesure exclusive de la peur de la nouveauté et que le nombre d’entrée dans les branches fermées est une mesure exclusive de l’activité.
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Table des matières
Introduction
Première partie : REACTIVITE EMOTIONNELLE
A.DEFINITION
B.MESURE DES REACTIONS DE PEUR
1.LES STIMULI EFFRAYANTS
2.LES REACTIONS DE PEUR
a. LES REACTIONS COMPORTEMENTALES
b. LES REACTIONS PHYSIOLOGIQUES
3.LES TESTS UTILISES
a. OPEN-FIELD
b. LABYRINTHE EN CROIX SURELEVE
c. IMMOBILITE TONIQUE
d. AUTRES TESTS
C.FACTEURS DE VARIATION
1.GENETIQUE
A. RACE / SOUCHE
B. SEXE
2.ENVIRONNEMENT
A. ENVIRONNEMENT PRENATAL
B. ENVIRONNEMENT POSTNATAL
a.Social
b.Non social
C. PERIODES OPTIMALES DE REALISATION
a.Naissance
b.Sevrage
c.Parturition
D.EFFETS DU NIVEAU DE PEUR SUR LA PHYSIOLOGIE
1.FREQUENCE CARDIAQUE
2.CORTISOL / CORTICOSTERONE
E.EFFETS DU NIVEAU DE PEUR SUR LA PRODUCTIVITE
1.PERFORMANCES DE REPRODUCTION
2.NIVEAUX DE PRODUCTION
3.QUALITE DES PRODUITS
Deuxième partie : ETUDE DES EFFETS A COURT ET LONG TERME DE MANIPULATIONS EFFECTUEES AU COURS DE LA PERIODE NEONATALE
A.INTRODUCTION
B.ANIMAUX, MATERIEL ET METHODES
1.NIMAUX ET CONDITIONS D’ELEVAGE
2.DEROULEMENT DES MANIPULATIONS
3.EPREUVES COMPORTEMENTALES POSTERIEURES AUX MANIPULATIONS
A. EVALUATION DE LA MANIABILITE DU POULAIN
a.Dispositif expérimental
b.Procédure expérimentale
B. EVALUATION DES REACTIONS DE PEUR
a.Test en open-field
a. Dispositif expérimental
b. Procédure expérimentale
b.Tests de surprise
a. Dispositif expérimental
b. Procédure expérimentale
C. TEST D’APPROCHE AU PRE
a.Dispositif expérimental
b.Procédure expérimentale
4.EVALUATION DU COMPORTEMENT DE LA MERE
5.ANALYSE STATISTIQUE
C.RESULTATS
1.COMPORTEMENT PENDANT LES MANIPULATIONS
2.EPREUVES COMPORTEMENTALES POSTERIEURES AUX MANIPULATIONS
A. EVALUATION DE LA MANIABILITE DU POULAIN
B. EVALUATION DES REACTIONS DE PEUR
a.Test en open-field
b.Tests de surprise
C. TEST D’APPROCHE AU PRE
3.EVALUATION DU COMPORTEMENT DE LA MERE
D.DISCUSSION
Troisième partie : MISE EN EVIDENCE D’UNE PERIODE FAVORABLE AUX MANIPULATIONS AU MOMENT DU SEVRAGE – ETUDE DES EFFETS A COURT ET LONG TERME DE CES MANIPULATIONS
A.INTRODUCTION
B.ANIMAUX, MATERIEL ET METHODES
1.ANIMAUX ET CONDITIONS D’ELEVAGE
2.DEROULEMENT DES MANIPULATIONS
3.EPREUVES COMPORTEMENTALES POSTERIEURES AUX MANIPULATIONS
A. EVALUATION DE LA MANIABILITE DU POULAIN
B. EVALUATION DES REACTIONS DE PEUR
a.Test en open-field
b.Tests de surprise
4.ANALYSE STATISTIQUE
C.RESULTATS
1.COMPORTEMENT PENDANT LES MANIPULATIONS
2.EPREUVES COMPORTEMENTALES POST MANIPULATIONS
A. EVALUATION DE LA MANIABILITE DU POULAIN
B. EVALUATION DES REACTIONS DE PEUR
a.Test en open-field
b.Tests de surprise
DISCUSSION
Conclusions et perspectives
CONCLUSIONS
PERSPECTIVES
Bibliographie
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