La digitalisation des banques
(Warf, 2016) souligne l’émergence de l’argent électronique qui a impacté les marchés financiers du fait de la réduction des coûts de transmission des fonds en même temps que la déréglementation du secteur. Et que pour accélérer le phénomène, les banques se sont jointes aux acteurs télécoms pour construire un réseau de fibre optique reliant les principaux centres financiers mondiaux (par exemple ligne TAT-8 en 1989, lignes transatlantiques qui ont joué un rôle moteur dans la croissance du réseau Internet et systèmes de transfert électronique de fonds (EFTS)). Dans la transformation digitale des banques de détail (Béziade, Assayag, 2014) soulignent 4 facteurs : l’optimisation de l’expérience client, la transformation des processus opérationnels, l’évolution des modes de fonctionnement et des business models. Ils distinguent le digital externe (présence de l’entreprise et visibilité sur les réseaux sociaux avec les interactions), le digital central (impact du digital sur l’écosystème de l’entreprise), le digital interne (impact du digital sur le personnel, l’organisation et les processus opérationnels). Déjà le rapport Nora-Minc (Nora, Minc, 1977) affirmait que « la banque serait la sidérurgie de demain ». Michel Godet et Jean-Pierre Plas ont repris cette formule choc dans un article du journal Le Monde daté du 22 février 1979. Ils estimaient que la banque serait affectée, car « celle-ci est au tertiaire ce que la sidérurgie est à l’industrie : une branche malade de sa croissance passée » en dressant des similitudes :
1. marché saturé et contraint ;
2. excédent de capacité de production (la saturation du marché a eu pour corollaire une course à l’ouverture d’agences et de guichets) ;
3. insuffisance de fonds propres (à l’image de l’endettement de la sidérurgie) ;
4. accroissement du coût des matières premières (diminution de la part des dépôts à vue côté bancaire et protection des dépôts rémunérés, encadrés par la loi) ;
5. des dizaines de milliers d’emplois peu qualifiés et menacés (en 1977, 50 % d’employés et 10 % de cadres).
Par rapport à cette vision, une analyse peut être faite aujourd’hui par rapport à la transformation à venir. Pour 1, un relai de croissance peut être à l’international notamment dans les pays en développement et auprès des personnes débancarisées d’autant que les grandes banques françaises se sont internationalisées. Les taux bas et leur corollaire la renégociation des prêts notamment immobiliers ainsi que les remboursements de prêts par anticipation érodent le produit net bancaire, ce qui complexifie la tâche. Pour 2, des agences2 seront à fermer ou mieux à réinventer pour abriter des usages nouveaux en développant des relais de croissance et en faisant des agences des lieux de vie qui apporteront une valeur ajoutée et seront différenciantes par rapport aux banques en ligne, fintech et acteurs déshumanisés. Pour 3, le problème est structurel et les marges de manœuvre sont réduites.
Réflexion sur le rôle social de la banque, sécurité et évolution
Selon (Durieux, Lorenzi, 2016), la logique d’une banque de détail traditionnelle s’inspire de la culture du coffre-fort et repose sur la relation singulière entre le gestionnaire de compte et son client au sein d’une agence sécurisée. La banque est fermée, secrète et globalement impénétrable. Ce n’est pas un hasard si une majorité des logos des banques sont en format carré, lesquelles symbolisent le coffre-fort et par conséquent la sécurité et la confiance avec la conservation des biens précieux. A contrario, la banque digitale fait sortir la banque du monde des chambres fortes pour la faire rentrer dans le monde des écosystèmes. Les peurs liées au risque de désintermédiation constituent davantage de formidables opportunités venant de ces écosystèmes en formation que la banque pourra intégrer et contrôler. Intégrer et contrôler un écosystème n’est pas se défendre ou se protéger, mais s’ouvrir et s’interfacer. En devenant une plateforme et en fédérant des API autour, le marketing et la stratégie prévalent alors que les firewalls et l’informatique traditionnelle passent au second plan. C’est ce changement de paradigme que les grandes banques doivent affronter aujourd’hui. Il existe également un côté peu enthousiasmant de la relation avec la banque : ouvrir un compte, négocier un prêt, gérer une succession. Ces moments sont plus vécus comme des tracas administratifs. Ce n’est pas une coïncidence si Fortuneo a lancé le slogan « J’aime ma banque » en 2012 en prenant le contre-pied des codes habituels de la communication bancaire. Cette déclaration d’amour était là pour matérialiser la différenciation de la banque en ligne des banques traditionnelles. Les piliers de la nouvelle offre étaient un nouveau parcours client avec une accessibilité des services, une simplicité de l’offre et une transparence avec des tarifs compétitifs.
Une économie parallèle coûteuse pour la société
L’évasion fiscale, la fraude fiscale, le blanchiment et toute l’économie souterraine ont un coût pour la société qui doit supporter une pression fiscale plus forte en conséquence. L’affaire Panama Papers a mis en lumière le côté obscur de la finance offshore et de l’évasion qui est a résulté. Des mouvements citoyens se créent pour dénoncer les méfaits. Par exemple la BNP a annoncé son retrait des îles Caïmans15 à la suite d’actions militantes citoyennes. Des réglementations pour les banques aident à la lutte contre le financement du terrorisme lesquelles ont un coût pour elles. C’est notamment le cas de KYC* (Know Your Customer). Ces processus permettent d’effectuer des vérifications des clients par rapport à la lutte contre la corruption, l’usurpation d’identité, la fraude financière, le blanchiment d’argent et même le terrorisme mais nécessitent outre l’analyse des transactions de mobiliser des moyens (en termes de personnes) et a un impact sur l’expérience client (par exemple client d’une banque rappelé sur son portable alors qu’il est en déplacement à l’autre bout du monde afin de vérifier que c’est bien lui qui a effectué des achats avec sa carte de crédit et sans tenir compte du décalage horaire).
Les GAFAM, BATX et autres géants d’Internet
Les GAFAM ont trois caractéristiques fondamentales : une expertise considérable dans la connaissance des données, des outils agiles, une très grande profitabilité à 2 chiffres (exception faite d’Amazon qui est tournée vers l’avenir et place le client comme une préoccupation prioritaire) qui leur confèrent des excédents de trésorerie réinvestissables dans des rachats tous azimuts. Leurs modalités diffèrent : Google utilise les données pour anticiper les besoins et proposer des services sur mesure, Facebook incite à rester sur ses plateformes, Amazon alimente son modèle e-commerce. Les GAFA ont développé des portefeuilles (Google Wallet, Apple Pay, Alipay, etc.). Apple Pay a ainsi été lancé le 9 septembre 2014 avec la sortie de l’iPhone 6. Amazon Coin a été introduit en 2013. Le rapport (Accenture, 2016) souligne comment une transformation des services bancaires « à la GAFA » permet d’augmenter les revenus, l’engagement des clients et de réduire les coûts. Le constat est que les banques doivent devenir C2B en s’appuyant sur ce qui a fait les forces des GAFA (exploitation des données comme les like de Facebook, les commentaires de produits sur Amazon, les AdWords de Google avec un modèle de partage des revenus). Les banques sont devenues vulnérables par rapport aux GAFA qui détiennent des données (achats, divertissements, voyages, produits et services de santé, d’habitation, argent) et les exploitent. Aussi il convient d’apprendre des GAFA : ne pas simplement vendre son offre mais aussi recommander celles de partenaires avec un système de commissionnement à l’image des AdWords de Google ou du système de rétribution d’Amazon avec son programme d’affiliation17, BaaP pour un écosystème de partenaires, investir (y compris dans des incubateurs (c’est le cas de Crédit Agricole avec Village by CA), des accélérateurs et des fonds de capital-risque), être garant de la sécurité personnelle, cette dernière recommandation étant sujette à discussion. Ceci permettrait de rester au centre de la vie des consommateurs tout en développant de nouvelles sources de revenus. Il est nécessaire de concevoir de nouveaux business models. Des partenariats avec des fintech et une analyse en temps réel des données avec une expérience client cohérente et enrichissante avec les mondes numérique et physique.
Des enseignements des banques traditionnelles qui réussissent leur transformation digitale
Les différentes études (Capgemini, 2013), (CSC, PAC, 2015), (KPMG, 2015) mentionnent que l’accès omnicanal à la banque pour les clients est une exigence forte, qui, lorsqu’il est réussi, est de nature à satisfaire les clients et à permettre une meilleure relation entre banque et clients. L’omnicanalité côté matériel, outre les DAB/GAB et l’Internet des objets en devenir, concerne essentiellement les accès via smartphone, PC et tablette avec des atouts respectifs et des situations au cours desquels le client va alternativement privilégier l’un ou l’autre. Les agences et les commerciaux peuvent être dotés de tablettes, ce qui est pratique pour faire des démonstrations pour le client. Est également soulignée l’importance d’une relation humaine plus poussée avec une évolution vers plus de valeur ajoutée apportée de la part du conseiller financier (ce qui n’est pas antinomique avec des outils d’interaction virtuelle comme le smartphone, le PC ou la tablette). En outre, la considération de l’action à faire à un instant donné et de la meilleure option possible est un souhait majoritaire de la part des clients. On constate également des stratégies de diversification afin d’aller au-delà du domaine d’activité stratégique en s’implantant dans des domaines connexes. On le constate par exemple avec le CIC dans sa communication montrant qu’il s’attache à développer des services nouveaux. Déjà cette banque attirait de nouveaux clients, les bacheliers avec mention très bien en leur proposant l’ouverture d’un compte avec une prime à la clé.
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Table des matières
Introduction
1. Cadre et objet de la thèse
1.1. Enjeux de recherche
1.2 Quels enjeux d’un modèle de mesure ?
1.3 Similitudes d’approche et différences pour la transformation numérique entre la banque de détail et la banque de marché
2. Définition de la transformation digitale et enjeux pour les acteurs bancaires
2.1 De la transformation digitale
2.2 La digitalisation des banques
3. Problématique, démarche de recherche et plan de la thèse
1. Cadre conceptuel et design de recherche
1.1 Mise en perspective du secteur bancaire et de sa transformation digitale
1.1.1 La banque, acteur d’intermédiation centrale des sociétés
1.1.2 L’apparition de nouveaux acteurs disruptifs dans le monde bancaire
1.1.3 Des évolutions inéluctables du rôle des services bancaires
1.1.4 De la banque en ligne à la banque mobile puis la banque connectée et avantages : efficacité, coût, dépôts
1.1.5 Des facteurs d’adoption de la banque en ligne différenciés selon les richesses des pays et d’autres âges (structure de la population, appétence au numérique, etc.)
1.1.6 Cas de banques à l’international (États-Unis, Chine et dans d’autres nations) et avantages respectifs
1.1.7 Des enseignements des banques traditionnelles qui réussissent leur transformation digitale
1.1.8 Les possibles disruptions au niveau du front office et du back office
1.2 Cadres conceptuels et analytiques mobilisés dans l’appréhension du modèle et sa construction
1.2.1 Apport du cadre conceptuel de la performativité
1.2.2 Le champ lexical et les cadres d’analyse de la « transformation digitale » : migration digitale, sublimation digitale et transformation digitale transitoire et stationnaire
1.2.3 Une catégorisation des banques et des acteurs face au digital
1.3 Design de recherche
2. Construction et présentation du modèle
2.1 Le modèle initial
2.1.1 Principe de construction de la grille d’analyse
2.1.2 L’apport des modèles existants pour l’enrichissement du modèle initial
2.1.3 De DIMM vers la construction du modèle BIMM
2.2 Corpus empiriques développés pour l’enrichissement du modèle
2.2.1 Enquête qualitative à dire d’experts et apports pour les évolutions prévisibles de la banque et la construction du modèle
2.2.2 Enquête massive quantitative sur les attentes des générations X, Y, Z quant à la banque du futur et l’étude des variables indépendantes qui influent sur les usages
2.2.3 Retour d’expérience du PoC paiement sans contact sur le smartphone des facteurs à La Poste
2.3 Le modèle développé
2.3.1 Axe Personnel
2.3.2 Axe Organisation
2.3.3 Axe Stratégie
2.3.4 Axe Technologie et innovation
2.3.5 Axe Offre
2.3.6 Axe Environnement
3. Discussion du modèle
3.1 Analyse critique du modèle
3.1.1 La collecte et l’analyse des informations, préalable nécessaire à la mesure des indicateurs
3.1.2 Des résultats indicatifs à creuser avec des audits de terrain
3.2 Robustesse du modèle
3.2.1 Personnel : de la valeur de l’argent à celle de l’intelligence et du lien à l’autre
3.2.2 Organisation : apport de l’holacratie et des courants de management que d’aucuns disent appliqués par les GAFA notamment et des travaux en organizing
3.2.3 Offre : nouveau rôle sociétal de la banque pour des usages différents
3.2.4 Technologie et Innovation : les révolutions blockchain, IA, big data, etc
3.2.5 Environnement : l’importance des lobbyings américain, communautaires
3.2.6 Stratégie : de nouveaux courants inspirés des GAFA ?
3.2.7 Comment évoluer vers l’excellence (niveaux 4 et 5) et points de rupture du modèle
3.2.8 Quels types de banques demain (banques collaboratives, orientées données, banque comme partage de bonnes pratiques) : tentative de typologie
3.3 Recommandations managériales
Conclusion
1. Apports analytiques
2. Limites du modèle
3. Perspectives de recherche
Références
Sources d’information
Glossaire
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