Le fonctionnement des mémoires sémantique et épisodique
Le mot mémoire vient du grec « mnémosyne », qui signifie « le pouvoir de remémoration » (Nicolas, 2002, p.7). Selon la mythologie grecque, Mnémosyne était une déesse qui avait la faculté de tout savoir et de chanter ses connaissances. En s’unissant à Zeus pendant neuf nuits, elle donna naissance aux neuf muses de l’Antiquité, auxquelles elle transmit à chacune un domaine de connaissances précis. Ses neuf filles représentaient ainsi le savoir de la poésie épique, l’histoire, la musique, la tragédie, la danse, la poésie lyrique, le chant sacré, l’astronomie et la comédie. La mémoire a fasciné les Grecs et a perduré comme étant la faculté la plus précieuse jusqu’à la Renaissance, ou celle-ci était vue « comme une mission mystique pour trouver des clés magiques » (Lieury, 2005, p.16). Des systèmes de codages étaient établis par des chercheurs comme pour le domaine de l’astronomie, faisant de la solution à ces codages la clé de la mémoire. Cependant, l’avancée des domaines scientifique et psychologique a tout de même remis en question la place de la mémoire. La philosophie a aussi été un domaine important pour la mémoire, notamment avec l’associationnisme anglais et Descartes. Les études sur l’entendement et le raisonnement ont entrainé pendant un temps une certaine dévalorisation de la mémoire. Descartes a même dit qu’il «n’est nul besoin de la mémoire pour toutes les sciences » (Lieury, 2005, cité dans Cogitationes Privatae, Descartes, 1619-1621, p.19). Il a établi une théorie selon laquelle il serait plus efficace d’apprendre par catégories et sous catégories. Cette théorie s’est avérée commune ou proche de celles des idées philosophiques empiristes de l’époque. Nous citons rapidement John Locke et son « association d’idées » tirées d’Essais concernant la compréhension humaine en 1700. Cette idée de catégorisation nous sera utile pour notre développement de la mémoire sémantique.
Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que des travaux et expérimentations ont été menés sur le sujet de la mémoire, afin de découvrir son fonctionnement et d’établir des théories, notamment avec Hermann Ebbinghaus qui a publié un travail expérimental dans lequel il affirmait que « nos expériences personnelles enregistrées en mémoire ne s’évanouissent pas dès qu’elles ne sont plus présentes dans notre conscience » (Nicolas, 2002, p.14). Ebbinghaus cherchait avant tout à mesurer la vitesse d’apprentissage et de réapprentissage, c’est-à-dire lorsqu’un élément a déjà été appris.
Une fois encore, les expérimentations du XIXème siècle ont été remises en cause et un nouveau mouvement, le béhaviorisme, est apparu dans la première moitié du XXème siècle. Le terme de mémoire fut alors rejeté car il était considéré « trop mentaliste » (Lieury, 2006, p.25) et a été remplacé par le terme d’apprentissage. Le conditionnement est devenu le modèle d’apprentissage. Le russe Ivan Pavlov a d’ailleurs expérimenté le conditionnement et en a conclu que cela créait des automatismes et permettait une bonne mémorisation. Pour les béhavioristes, la mémoire « est assimilée à l’habitude » (Nicolas, 2002, p.19). Elle n’a été étudiée que pour l’apprentissage et le conditionnement à cette époque. Vers les années 1960, pendant la période appelée cognitiviste, l’on a découvert la complexité de la mémoire. Les études béhavioristes ont été remises en cause et les travaux en psychologie ainsi que la révolution en informatique ont amené de nouveaux questionnements sur la mémoire et ont montré que celle-ci était composée d’une Mémoire à Court Terme et d’une Mémoire à Long Terme, dans lesquelles il y avait encore des mémoires différentes.
Nous avons décidé de nous focaliser sur les mémoires sémantique et épisodique pour notre sujet d’études. Tout d’abord, ces deux mémoires font partie de la Mémoire à Long Terme, et l’une de nos interrogations est de savoir comment les élèves peuvent retenir sur le long terme l’enseignement de l’anglais. Pour définir rapidement la mémoire à long terme, elle correspond à « l’acquisition, la conservation et la récupération de l’information sur le moyen et le long terme » (Meunier, 2009, p.38). Nous pouvons donc en déduire que la mémoire à court terme correspond à une mémorisation courte, « la mémoire à court terme serait caractérisée par une capacité limitée, une labilité importante de l’information et des mécanismes de récupération spécifique » (Meunier, 2009, p.23). Il est important de savoir que la mémoire à long terme n’a pas de limite de mémorisation.
La mémoire sémantique : mémoire de sens
Le mot sémantique vient du grec « sêmantikos », qui veut dire qui signifie, c’est-à-dire que le sémantisme est « relatif au sens, à la signification des unités linguistiques » (le petit Larousse illustré, 2004, p.930). Il est important de savoir que la mémoire sémantique est la mémoire qui stocke le sens des mots, des concepts et des notions. C’est elle qui permet de comprendre. Les mots en eux-mêmes, leur structure, sont stockés dans une autre mémoire appelée mémoire lexicale. Nous comprenons ainsi le phénomène « d’avoir un mot sur le bout de la langue », nous connaissons le sens mais nous avons oublié le mot qui se rattache au sens. La distinction de ces deux mémoires nous parait importante car notre travail se focalise sur les mémoires sémantique et épisodique. Nous en déduisons donc que ce sera sur la façon dont les élèves comprennent le sens des mots, des notions et des concepts qui nous intéressera.
Ce n’est qu’en 1969 que le principe de la mémoire sémantique est découvert. Un informaticien et chercheur en Intelligence Artificielle , Ross Quillian, travaillait sur l’élaboration d’un programme informatique appelé Teachable Language Comprehender qui permettrait la traduction de mots en langues étrangères. Or, il s’est rendu rapidement compte de la complexité du travail dans le sens qu’un même mot peut avoir une ou plusieurs significations, et que « pour comprendre du langage, il faut savoir ce que chaque mot, chaque concept recouvre » (Lemaire, 2006, p.153). L’exemple souvent associé à cette idée est celui de la traduction du mot « pêche ». En effet, il n’aura pas la même traduction lorsque l’on parlera du fruit ou de l’activité et ce même mot recouvre donc naturellement plusieurs concepts. Cela a donc conduit Quillian à s’interroger sur la conceptualisation des mots en mémoire, et à s’associer au psychologue Alan Collins pour comprendre le sens de cette mémorisation et de cette mémoire, la mémoire sémantique.
Ils ont défini la mémoire sémantique et son fonctionnement en basant leur théorie sur trois grands principes, les deux derniers étant les plus importants pour comprendre la mémoire sémantique.
Premièrement, et nous l’avons déjà rapidement mentionné, la mémoire sémantique est différente de la mémoire lexicale. Elle ne stocke que le sens et les concepts, alors que la mémoire lexicale stocke la morphologie des mots. Le deuxième principe sur lequel repose la mémoire sémantique, selon Collins et Quillian, est « le principe de hiérarchie catégorielle » (Lieury et al., 1996, p34). Les concepts de la mémoire sémantique se classent hiérarchiquement, de façon à ce que « les catégories s’emboitent les unes dans les autres » (Lieury et al., 1996, p.34). Cela revient à dire que le sémantisme des mots s’organise comme une arborescence et que chaque concept est comme un nœud de cette arborescence, qui s’élargit du plus simple au plus complexe ou détaillé. Celle-ci s’accroit au fur et à mesure que l’individu intègre de nouveaux concepts. L’exemple souvent donné par Quillian et Collins est celui du canari ; le canari est un oiseau ; l’oiseau est un animal ; l’animal est un être vivant. Cela nous explique bien que les catégories s’emboitent les unes dans les autres et créent un champ sémantique plus ou moins complexe dans la mémoire sémantique.
la mémoire épisodique : mémoire des souvenirs
Le concept de mémoire épisodique a été proposé par un chercheur canadien de l’Université de Toronto, Endel Tulving, en 1972. Avant cette date, il n’existait pas de distinction entre la mémoire sémantique et la mémoire épisodique. Rappelons tout d’abord que la mémoire épisodique concerne « nos connaissances relatives à des évènements personnels » (Meunier, p.39). C’est à partir des expériences et des épisodes que chacun vit que de nouvelles connaissances se construisent et s’ancrent dans la mémoire épisodique. Tulving a établi plusieurs arguments qui lui ont permis de justifier la distinction qu’il faisait entre les deux mémoires. Cette idée de distinguer deux mémoires avait déjà été introduite par le philosophe Bergson. Dans son ouvrage Matière et Mémoire, il appelait la mémoire habitude celle qui opérait sur les représentations, et la mémoire vraie celle qui reposait sur l’action. J’étudie une leçon, et pour l’apprendre par cœur, je la lis d’abord en scandant chaque vers ; je la répète ensuite un certain nombre de fois. A chaque lecture nouvelle, un progrès s’accomplit ; les mots se lient de mieux en mieux ; ils finissent par s’organiser ensemble. A ce moment précis, je sais ma leçon par cœur ; on dit qu’elle est devenue souvenir, qu’elle s’est imprimée dans ma mémoire. Je cherche maintenant comment ma leçon a été apprise, et je me représente les phases par lesquelles j’ai passé tour à tour. Chacune des lectures successives me revient alors à l’esprit avec son individualité propre ; je la revois avec les circonstances qui l’accompagnaient et qui l’encadrent encore ; elle se distingue de celles qui précèdent et de celles qui suivent par la place même qu’elle a occupé dans le temps ; bref, chacune de ces lectures repasse devant moi comme un évènement déterminé dans mon histoire. (Bergson, 1917, cité par Lieury, 2005, p.184) .
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Table des matières
Introduction
1. le fonctionnement des mémoires sémantique et épisodique
1.1. la mémoire sémantique : mémoire de sens
1.2. la mémoire épisodique : mémoire des souvenirs
1.3. l’association de la mémoire sémantique et de la mémoire épisodique
2. mémoires sémantique et épisodique, un outil essentiel pour l’apprentissage en classe d’anglais
2.1. la multiplication des épisodes en classe d’anglais
2.2. en quoi les épisodes ont-ils permis d’enrichir la mémoire sémantique ?
2.3. évaluation des acquisitions des prépositions de lieu
3. mémoires sémantique et épisodique en classe d’anglais
3.1. mémoire épisodique et mise en action des élèves en cours de langue
3.2. mémoires sémantique et épisodique et approche par compétences
Conclusion
Bibliographie
Annexes