Enseigner, c’est transmettre ou faire découvrir un savoir afin qu’il soit ultérieurement transmis ou utilisé. Il y a donc, dans l’enseignement, un paramètre temporel qui doit être pris en compte par l’enseignant. Quelles stratégies doit-il mettre en œuvre pour que les apprenants d’une langue étrangère acquièrent petit à petit les procédés qui leur permettront de mémoriser plus facilement ce qu’ils auront appris et de le réemployer efficacement à court et à long terme ? Comment un apprenant peut-il exercer sa mémoire ?
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE
LA MÉMOIRE DE TRAVAIL
Une mémoire à court terme
La mémoire de travail est une forme de mémoire à court terme. Elle coordonne momentanément des informations étalées dans le temps (Cordier & Gaonac’h, 2010, 119). Pour tenir une simple conversation ou argumenter, par exemple, on garde en mémoire ses propos et ceux de son interlocuteur pendant la durée de la discussion. Le nombre d’éléments qu’on retient immédiatement, sans faire d’effort particulier, s’appelle l’empan de mémoire.
L’oubli
Sans exercice de mémorisation, un sujet oublie rapidement une grande partie de ce qu’il vient d’apprendre mais il en garde dans sa mémoire une trace quasiment ineffaçable. Cela expliquerait que le réapprentissage de ces informations oubliées soit plus rapide que l’apprentissage initial (Cordier & Gaonac’h, 2010, 78).
Une mémoire à long terme
La mémoire de travail est aussi l’activation à un moment donné de la mémoire à long terme en vue de la réalisation d’une tâche (Anderson, 1983, Cowan 1988 cités dans Cordier & Gaonac’h, 2010, 118) et, pour être mémorisées durablement, les informations doivent être traitées. Cette forme de mémoire est un élément crucial de réussite dans les activités de lecture et de compréhension (Gaonac’h & Fradet, 2003 cité dans Cordier & Gaonac’h, 2010, 120). Les opérations engagées dans les activités de langage sont très variées (phonologique, graphémique, lexicale, sémantique, syntaxique, pragmatique) et elles demandent d’intégrer un ensemble d’informations qui peuvent être relativement éloignées dans le cours du texte. En un va-et-vient constant, il faut maintenir son attention sur ce qui vient d’être lu, sur ce qui est en train d’être lu, et mobiliser d’autres informations accessibles en mémoire à long terme mais pas encore activées, qui peuvent être utiles à la compréhension du texte (Cordier & Gaonac’h, 2010, 120). Pour la bonne interprétation d’un texte, il est nécessaire que le lecteur se rappelle sans hésitation à quels antécédents renvoient les pronoms relatifs, à qui ou à quoi renvoient les pronoms personnels, les adjectifs et les pronoms possessifs et démonstratifs, par exemple.
Un vocabulaire de base
Combien de mots un apprenant en langue étrangère devrait-il connaître ? Les chercheurs Nation et Laufer ont montré que, « dans la majorité des textes, les 5000 mots les plus fréquents d’une langue couvrent 89.4% du texte » et qu’ « il fallait connaître 90% des mots d’un texte pour être en mesure de le comprendre dans ses grandes lignes ». Il faut préciser que Laufer « définit les mots comme des entrées dans le dictionnaire » et que « les différentes formes morphologiques (singulier / pluriel, masculin / féminin, formes conjuguées du verbe, etc.) sont donc considérées comme un seul mot » (Nation, 1990, Laufer, 1992 cités dans Linden, 2006/1, 33-44, § 18). On considère aussi que les apprenants connaissent « les mots polysémiques qui constituent environ un tiers des 5000 mots les plus fréquents » bien qu’ils aient besoin de « plus de temps pour produire l’équivalent de la signification la moins fréquente » et que « souvent, [ils] ne connaissent que la traduction du sens le plus fréquent dans l’autre langue » (Linden, Bogaards & Nienhuis, 1997, cité dans Linden, 2006/1, § 21).
Des vocabulaires spécialisés
A ce vocabulaire de base, il faut ajouter des « headwords », des maîtres-mots, tels que 570 mots académiques ou 1000 mots techniques en anglais, qui sont des vocabulaires particuliers nécessaires à la compréhension de textes spécialisés en économie, en géographie ou en électronique par exemple, car « the text contains some words that are very closely related to the topic and subject area of the text » (Nation, 2001, 12).
Des mots inconnus
Les mots restants peuvent être appris « de façon accidentelle » à condition qu’ils « apparaissent plusieurs fois dans le texte ; que leur sens puisse se déduire du contexte et que leur compréhension soit importante pour l’ensemble du texte » (Linden, 2006/1, 33-44, § 22). Cet apprentissage « est possible seulement pour des apprenants qui possèdent déjà des connaissances sur un assez grand nombre de mots » (Linden, 2006/1, 33-44, § 22). Il est donc réservé à des sujets qui ont accumulé un savoir important dans un domaine spécifique. Ils peuvent manipuler mentalement des informations nombreuses et complexes concernant leur domaine mais ils ne sont guère en mesure de manipuler efficacement des informations portant sur des domaines qu’ils connaissent mal (Cordier & Gaonac’h, 2010, 121).
Un enseignement diversifié
L’enseignement du vocabulaire doit tenir compte de tous ces paramètres. Les apprenants ont besoin de connaitre un vocabulaire de base qui permet en somme de comprendre un énoncé généraliste et de produire des phrases simples. Cela n’est pas suffisant car, dès qu’ils abordent des thèmes plus précis, ils ont besoin d’un vocabulaire spécialisé. Les élèves qui apprennent l’espagnol peuvent déjà connaître, par exemple, les adjectifs de couleur negro, blanco, gris, naranja, marrón et amarillo. Mais s’ils veulent parler de la couleur des cheveux d’un personnage pour faire son portrait, ces mots ne sont plus appropriés. En effet, pour les cheveux, les adjectifs de couleur spécifiques qui correspondent à ces couleurs sont en espagnol moreno, cano, canoso, rojo, castaño et rubio, et, si besoin est, ils doivent être introduits. Si les apprenants connaissent le mot canas et qu’ils lisent ou entendent les mots cano ou canoso appliqués à une personne âgée, le contexte leur permettra peut-être de deviner le sens de ces adjectifs qui appartiennent au même champ sémantique. Cependant, la connaissance de ces adjectifs de couleur à elle seule serait stérile si elle n’était pas mémorisée avec le substantif singulier el pelo et le verbe ser car, pour les apprenants français, le nom pluriel les cheveux et la traduction du verbe être sont de fréquentes sources d’erreur. L’enseignant doit donc avoir une bonne connaissance du vocabulaire dont ses élèves disposent pour leur fournir les mots qui leur manquent absolument, pour les laisser trouver ceux qu’ils peuvent déduire du contexte et pour les laisser retrouver ceux qui sont encore accessibles dans leur mémoire à long terme.
Les mots transparents
On peut penser que les mots « transparents », ceux qui se ressemblent beaucoup en L1 et en L2, seront aisément devinés par les apprenants. C’est le cas à l’écrit, pour le mot transparente, justement. Encore faut-il que l’apprenant remarque et retienne les petites différences entre les mots apparentés : entre occasion et ocasión, entre photographie et fotografía, par exemple. A l’oral, les mots ne sont plus aussi transparents. Si la phrase suivante se lit et se comprend assez facilement, elle est plus hermétique quand on l’entend : Javier Valdez era un magnífico autor mexicano . Bien que le mot hélice s’écrive exactement de la même façon en espagnol et en français, sa prononciation, son accentuation tonique et la fonction de l’accent aigu sont très différentes dans les deux langues, et il ne sera sans doute pas reconnu à l’oreille.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. PREMIÈRE PARTIE : MÉMOIRE ET MÉMORISATION
1.1 LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE
1.1.1. La mémoire de travail
1.1.1.1. La mémoire à court terme
1.1.1.2. L’oubli
1.1.1.3. La mémoire à long terme
1.1.1.4. Un vocabulaire de base
1.1.1.5. Des vocabulaires spécialisés
1.1.1.6. Des mots inconnus
1.1.1.7. Un enseignement diversifié
1.1.1.8. Les mots transparents
1.1.1.9. Les acceptions et les usages
1.1.1.10. Les faux-amis
1.1.1.11. Mémoriser un mot
1.1.1.12. Mémoriser des mots
1.1.1.13. Mémoriser des phrases
1.1.1.14. Vocabulaire et grammaire
1.1.1.15. Dictionnaire
1.1.2. La mémorisation
1.1.2.1. La boucle phonologique
1.1.2.2. La boucle articulatoire
1.1.2.3. Le passage par l’écrit
1.1.2.4. Le rappel immédiat et l’empan
1.1.2.5. Primauté et récence
1.1.2.6. Organisation sémantique
1.1.2.7. Un traitement approfondi
1.1.2.8. La carte heuristique
1.2. LA RÉCUPÉRATION DES TRACES EN MÉMOIRE
1.2.1. Les mémoires déclaratives
1.2.1.1. Disponibilité et accessibilité
1.2.1.2. Le rappel libre et le rappel indicé
1.2.1.3 L’indice
1.2.1.4. La reconnaissance
1.2. 2.La mémoire procédurale
1.2.2.1. Les automatismes
1.2.2.2. La prise de notes
1.2.2.3. L’art d’écrire
1.2.2.4. Donner du temps au temps
1.2.2.5. De l’oral à l’écrit
1.2.2.6. Genre et nombre
1.2.2.7. Conjugaisons
1.2.3. La mémoire sémantique
1.2.3.1. Le classement hiérarchique
1.2.3.2. Les mots concrets
1.2.3.3. Les mots abstraits
1.2.4. La mémoire visuelle
1.2.4.1. Le plan
1.2.4.2. Les idées
1.2.4.3. L’accent tonique
1.2.4.4. Les cartes-mémoires
1.2.4.5. Image et traduction
1.1.4.6. Niveau des apprenants
1.2.5. La mémoire auditive
1.2.5.1. Traduction, image et son
1.2.5.2. La mémoire des sons
1.2.6. La mémoire implicite / explicite
1.2.6.1. L’amorçage
1.2.6.2. La répétition
1.2.6.3. L’apprentissage distribué
1.2.6.4. Le rythme d’apprentissage
1.2.6.5. Les rythmes scolaires
1.2.6.6. En classe
1.2.6.7. En fin et en début de cours
1.2.6.8. Durant la semaine
1.2.6.9. De lointains souvenirs
1.2.6.10. Révision trimestrielle
1.3. LE TRAVAIL DE LA MÉMOIRE
1.3.1. La mémoire en pratique
1.3.1.1. Le réemploi
1.3.1.2. Mémoire et objectif
1.3.1.3. Faire et refaire
1.3.1.4. Point de vue
1.3.1.5. Invention
1.3.2. La mémoire et les émotions
1.3.2.1. Le stress
1.3.2.2. Les émotions
1.3.2.3. L’ambiance
1.3.2.4. La théâtralisation
1.3.2.5. Le bon ton
1.3.3. La mémoire épisodique / biographique
1.3.3.1. Le vécu
1.3.3.2. Une expérience limitée
1.3.3.3. Une petite expérience
1.3.3.4. Une expérience vécue
1.3.3.5. Le monde hispanique à domicile
1.4. Conclusion partielle : MÉMOIRE, INTELLIGENCE ET CRÉATION
DEUXIÈME PARTIE : EXERCICES DE LA MÉMOIRE
2.1. INTRODUCTION
2.2. LA SÉQUENCE EXPÉRIMENTALE
2.1.1. Le public
2.1.2. La tâche finale
2.1.3. Le niveau
2.1.4. Les compétences
2.3. LES DOCUMENTS
2.3.1. Authenticité
2.3.2. Variété
2.3.3. Vocabulaire contextualisé
2.3.4. Impact émotionnel
2.3.5. Identification
2.3.6. Partager
2.4. LES GRILLES ET LES CARTES-MÉMOIRES DE VOCABULAIRE
2.4.1. Des phrases simples
2.4.2. Des grilles, des cartes-mémoires
2.4.3. Le bon usage
2.4.4. Correctifs
2.4.5. Modèle de grille
2.4.6. Mise en pratique
2.4.7. Classement des mots
2.4.8. Une lecture fine
2.4.9. Compréhension et traduction
2.4.10. Polysémie
2.4.11. Le contexte
2.4.12. Des phrases enrichies
2.5. DES CARTES-MEMOIRES INTERACTIVES : LES QUIZLETS
2.5.1. Les quizlets
2.5.2. Lire, écrire, écouter, regarder
2.5.3. Rythme de présentation
2.5.4. En salle d’informatique
2.5.5. Onglets Apprendre et Associer
2.5.6. Onglet Écrire
2.5.7. Onglet Dictée
2.5.8. Bilan
2.6. TEST INTERMÉDIAIRE
2.6.1. Le test
2.6.2. Premier enseignement
2.6.3. Deuxième enseignement
2.7. LA CARTE HEURISTIQUE
2.7.1. Élaboration
2.7.2. Transcription de deux cartes heuristiques
Cartes de Lola et de Clémence
2.7.3. Une toile d’araignée
2.7.4. Des phrases complexes
2.7.5. Une pensée complexe
2.7.6. Des notions culturelles
2.8. LA TÀCHE FINALE
2.8.1. Le sujet
2.8.2. Transcription du texte de Mathéo
2.8.3. Transcription du texte de Romane
2.8.4. Graphique
2.8.5. Interprétation de l’article de Romane
2.8.6. Interprétation de l’article de Mathéo
2.8.7. Bilan de la tâche finale
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
SITOGRAPHIE