MELANOME DE L’ENFANT
MATERIEL ET METHODES
Nous avons réalisé une étude rétrospective, multicentrique, descriptive, concernant des patients présentant un mélanome malin et pris en charge dans un centre de cancérologie pédiatrique français.L’ensemble des 32 centres de la SFCE ont été contactés par questionnaire pour participer à l’étude.Pour être inclus dans l’étude, les patients présentant un mélanome malin, devaient être âgés de 0 à 18 ans au diagnostic, celui-ci étant réalisé entre 2000 et 2011.
Les données ont été recueillies par un médecin du centre participant. Il devait remplir un questionnaire de 27 items pour chaque patient . Ce questionnaire interrogeait les données démographiques du patient (mois et année de naissance, sexe, date du diagnostic, caractère congénital de la lésion, existence d’une pathologie sous-jacente); les caractéristiques cliniques de la lésion (critères ABCD du mélanome: Asymétrie, Bordures, Couleur, Diamètre ; aspect plat ou surélevé ; existence ou non d’une ulcération); envahissement ganglionnaire (clinique et histologique) et/ou caractère métastatique à distance au diagnostic. Les données anatomopathologiques étaient renseignées avec l’histotype précis, le niveau de Clark, l’indice de Breslow, le stade TNM et la classification AJCC. La prise en charge thérapeutique était détaillée : exérèse de la lésion primitive, curage ganglionnaire, chimiothérapie ainsi que l’évolution (mise en rémission, rechute, traitement de la rechute). La date des dernières nouvelles du patient était mentionnée ainsi que le statut du patient (vivant, en rechute ou décédé).
Le design de l’étude a été préalablement accepté par le comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé .Les comptes-rendus histologiques de la tumeur ont été communiqués et relus par un dermatologue expert. Il n’a pas été réalisé de relecture histologique systématique.Quatre classes anatomopathologiques ont été retenues : mélanome à extension superficielle (SSM), mélanome nodulaire, mélanome acro-lentigineux et mélanome spitzoïde.Pour chaque tumeur, l’indice de Breslow, l’indice de Clark, la classification TNM et le score AJCC étaient notifiés. L’indice de Breslow étudie l’envahissement en profondeur du tissu cutané mesuré en millimètres tandis que l’indice de Clark atteste du niveau d’envahissement à travers les différentes couches du tissu cutané et sous-cutané. La classification TNM évalue l’envahissement en profondeur de la lésion initiale, exprimée en millimètres, la notion d’ulcération de la lésion (T), l’envahissement lymphatique par le nombre de ganglions envahis (N) et l’existence de métastase(s) (M). Le score AJCC (American Joint Committee on Cancer) intègre la classification TNM, la présence d’une ulcération et le taux de LDH. Les stades 0 et I correspondent à une maladie in situ, le stade II correspond à une maladie localisée, le stade III traduit un envahissement lymphatique et le stade IV l’existence de métastase(s) (5).
Analyse statistique
La survie sans événement (EFS) et la survie globale (OS) ont été estimées selon la méthode de Kaplan Meier. L’événement étudié était la rechute et le décès pour l’EFS et le décès pour l’OS. Les patients ont été suivis de la date du diagnostic jusqu’à la date des dernières nouvelles. Les patients ne présentant pas l’évènement ont été censurés à la date de la dernière nouvelle.Une étude des facteurs de risque associés à l’OS et l’EFS a été réalisée à l’aide d’une analyse univariée suivant le modèle de Cox. Pour chaque facteur étudié, un Hazard Ratio (HR) a été calculé avec son intervalle de confiance à 95% (IC95%). Les facteurs étudiés sont les suivants : l’âge qui a été analysé comme une variable continue, la localisation tumorale (membres versus autres localisations), l’histologie (SSM, spitzoïde ou nodulaire), l’indice de Clark (IV-V versus III-II-I), l’épaisseur selon Breslow, et le stade AJCC codé de 0 à 4 (stade 0=0 ; stades IA et IB = 1, stades IIA et IIB = 2, stades IIIA et IIIB = 3 ; stade IV = 4).
L’analyse statistique a été effectuée à titre exploratoire. Vu le nombre de variables candidates en tant que facteur de risque, il n’a pas été possible de réaliser d’étude multivariée selon le modèle de Cox en raison du petit nombre de patients et d’événements d’intérêts constatés au niveau de cette cohorte. Un p ≤ 0.05 a été considéré comme significatif. L’analyse statistique a été réalisée à l’aide du logiciel Stata 12.1 (Stat Corp, Texas).
RESULTATS
Cinquante-deux patients recrutés au sein de 7 centres de la Société Française de Cancérologie de l’Enfant (SFCE) ont été inclus dans l’étude.Onze patients étaient suivis à l’Institut Curie (Paris), 23 à l’Institut Gustave Roussy (Villejuif), 6 au Centre Hospitalo-Universitaire (CHU) de Grenoble, 4 au CHU de Strasbourg, 4 au CHU d’Angers, 3 au CHU de Besançon, et 1 au CHU de Nantes.Données démographiquesLes données démographiques sont décrites dans le tableau 1. L’âge au diagnostic variait de 5 à 18 ans et la médiane d’âge était de 15 ans. Douze patients étaient âgés de moins de 10 ans et 25 avaient plus de 15 ans. Le sex-ratio était proche de 1 (27 filles et 25 garçons).Les mélanomes s’étaient développés sur des nævus congénitaux dans 9 cas (20%-8 données manquantes), dont 1 sur un nævus congénital géant.Sept patients avaient une pathologie sous-jacente autre que le nævus congénital géant. Il s’agissait d’une hypercholestérolémie familiale, d’une maladie cœliaque, d’un eczéma, de nodules de Spitz multiples, d’un syndrome de Lynch, d’un Xeroderma Pigmentosum et d’un syndrome de Woodhouse Sakati (maladie génétique de transmission autosomique récessive, multi-systémique incluant hypogonadisme, alopécie, diabète, retard intellectuel et syndrome extrapyramidal).
La localisation tumorale intéressait les membres inférieurs (18 cas- 34%), la région tête et cou (15 cas- 28%), les membres supérieurs (9 cas- 17%) ou le tronc (8 cas- 15%) et deux données étaient manquantes.
Données cliniques
Les investigateurs ont renseigné les caractéristiques de la lésion au diagnostic, notamment la couleur, le diamètre et le relief de la lésion. Concernant la couleur, dix-huit patients sur les 33 dont les données étaient disponibles avaient une couleur pigmentée noire ou marron, classiques d’un naevus commun. Les autres cas (15) avaient plus l’aspect d’un granulome pyogénique. La majorité des lésions avait un aspect nodulaire cliniquement (26 cas des 31 données disponibles).Sept patients avaient une adénopathie satellite palpable. Deux ont été diagnostiqués avec un envahissement ganglionnaire et métastatique à distance. L’un avait pour antécédent une exérèse de lésion cutanée d’allure naevique non analysée par un anatomo-pathologiste et l’autre avait eu une exérèse de naevus étiquetté « nodule de Spitz » 4 ans auparavant.
Données histologiques
Il existe 4 histotypes différents de mélanome : le mélanome à extension superficielle (SSM), le mélanome nodulaire, le mélanome acral-lentigineux et le mélanome spitzoïde. Le type histologique majoritaire était le type SSM (16 sur 46 cas- 35%), suivi du type spitzoïde (15 cas- 32%) puis du mélanome nodulaire (13 cas- 28%). Deux patients ont présenté des mélanomes de type acral-lentigineux (4%).Le type histologique n’était pas disponible pour les 2 cas métastatiques sans primitif retrouvé. Trois cas avaient un histotype de mélanome inclassable et un compte-rendu anatomopathologique manquait.L’indice de Breslow était disponible pour 42 cas. Pour 15 lésions, il était supérieur à 4 mm, pour 14, il était compris entre 1,5 et 4 mm et pour 13, il était inférieur à 1,4 mm.L’analyse de l’indice de Clark retrouvait un envahissement du derme réticulaire (stade III)
pour 20 cas des 38 lésions dont la donnée était disponible.
La classification TNM montrait une prédominance de stades avancés (supérieurs à T3)
avec 26 cas sur les 45 données disponibles. Il en était de même pour la classification AJCC
avec 25 lésions classées IIB ou plus sur les 45 dont la donnée était disponible.
Vingt-six patients (50%) ont bénéficié d’une chirurgie ganglionnaire. Dix-neuf ont eu une exploration par la technique du ganglion sentinelle. Six ganglions sentinelles étaient envahis et ont nécessité un curage ganglionnaire secondaire. Cinq patients présentaient un envahissement ganglionnaire clinique traité par adénectomie. Deux patients ont été diagnostiqués sur des métastases ganglionnaires (un sans primitif retrouvé et l’autre sous la forme d’une récidive ganglionnaire d’une lésion cutanée initialement considérée comme bénigne). Ils ont été traités par curage ganglionnaire initial. (Tableau 3)
• Prise en charge médicamenteuse :
Un traitement médicamenteux complémentaire a été réalisé chez trois patients. Pour l’un il s’agissait d’une chimiothérapie adjuvante, pour les deux autres d’une maladie d’emblée métastatique.
Le patient traité par chimiothérapie adjuvante, présentait une lésion de la mandibule droite, d’histotype SSM et de classification pT3 N0 M0. Il a reçu de l’interferon pendant 18 mois (posologie : 3 millions d’unité 3 fois par semaine) en complément de l’exérèse de la lésion cutanée. Il a rechuté sous la forme de métastases pulmonaires 15 jours après l’arrêt de l’interferon. Un traitement par inhibiteur de BRAF a été entrepris pendant 3 mois n’empêchant pas une nouvelle progression tumorale et le décès du patient à 2 ans du diagnostic.
Pour 2 patients, le diagnostic a été porté sur une maladie d’emblée métastatique.
Le premier avait des métastases hépatiques, pleurales et pulmonaires. Il avait présenté 4 mois auparavant une lésion cutanée mélanique traitée chirurgicalement sans analyse histologique. Il a reçu une chimiothérapie par dacarbazine pendant 1 mois puis des cures d’inter-leukine 2 (IL2) à fortes doses pendant 3 mois. Il est décédé 10 mois après le diagnostic.
Le second a présenté un mélanome spitzoïde d’aspect nodulaire du talon gauche avec un envahissement ganglionnaire clinique et histologique au diagnostic. Il a bénéficié d’une chirurgie d’exérèse avec reprise des marges associée à un curage ganglionnaire. Il a présenté une nouvelle évolution ganglionnaire 3 mois plus tard pour lequel il a été traité par chirurgie (curage ganglionnaire) et chimiothérapie (dacarbazine et doxorubicine- 2 cures). Une nouvelle progression tumorale ganglionnaire a fait réaliser un 3ème curage associé à une chimiothérapie comprenant successivement fotémustine-paclitaxel-carboplatine. Il a ensuite été traité par
irradiation du creux inguinal associée à du sorafénib (inhibiteur de plusieurs tyrosines kinases dont BRAF) puis par ipilimumab. Il est décédé à 26 mois du diagnostic initial.
Prise en charge de la rechute
Quinze patients ont présenté une rechute et 2 ont présenté une seconde localisation de mélanome (dont un patient présentant un syndrome de Xeroderma Pigmentosum).
Pour 2 patients, le diagnostic de mélanome a été porté devant l’apparition de métastases alors qu’ils avaient subi l’exérèse d’une lésion cutanée.
Le premier a présenté des métastases multiples (pulmonaires, cérébrales, sous-cutanées, ganglionnaires, duodénales et rectales), 4 ans après l’exérèse de 2 naevi étiquetés naevus de Spitz. Il a bénéficié d’une chimiothérapie par fotémustine et ipilimumab et est décédé 5 mois après le diagnostic.
Le second a présenté une rechute ganglionnaire jugulo-carotidienne et prétragienne. La lésion initiale était située sur la joue gauche. L’exérèse avait eu lieu 18 mois auparavant mais la lésion n’avait pas été analysée. Il a reçu une association de dacarbazine et de fotémustine pendant 6 mois. La progression de la maladie avec l’apparition de métastases hépatiques 4 mois plus tard a conduit à la réalisation de cures de témozolomide et de cisplatine pendant 6 mois. Une nouvelle phase de progression avec des nodules de perméation sous cutanés et la présence de métastases cérébrales occipitales a fait réaliser 5 cures de fotémustine en monothérapie. Le traitement a été interrompu lors de l’apparition de métastases osseuses avant la 6ème cure de fotémustine. Le patient est décédé 3 mois plus tard de progression tumorale, à 3 ans du diagnostic.
Dans les 13 autres cas, le traitement de la rechute a été varié. Un traitement chirurgical initial a été pratiqué dans 11 cas. Il s’agissait de rechute ganglionnaire dans 6 cas (curage ganglionnaire), de métastases uniques à distance dans 2 cas (métastase cérébrale unique, métastase sous cutanée) et de 3 cas de chirurgie de métastases de localisation inconnue (données manquantes).
Un traitement néo-adjuvant par chimiothérapie a été réalisé dans 3 cas (rechute multifocale, rechute mammaire, rechute jugulo-carotidienne et rétro-pharyngée). Le produit cytotoxique utilisé était le fotémustine dans 2 cas et la combinaison doxorubicine et dacarbazine dans le dernier cas. Seul le patient avec une rechute jugulo-carotidienne est en
rémission à 5 ans de la rechute. A noter qu’il a pu bénéficier d’une exérèse complète de la lésion métastatique après chimiothérapie néo adjuvante.
Deux des 11 patients ayant eu une exérèse initiale de leur rechute ont reçu un traitement complémentaire. Il s’agissait soit de l’interferon (doses non connues) soit du fotémustine. Seul le patient ayant reçu de l’interferon a été mis en rémission pendant au moins 15 mois.
Sur les 9 patients ayant eu un traitement chirurgical exclusif de leur première rechute, 4 n’ont pas rechuté. Les secondes rechutes étaient ganglionnaires pour 2 cas, cérébrales dans 2 cas et pulmonaire dans 1 cas.
La durée médiane entre le diagnostic et la première rechute était de 15 mois environ avec des extrêmes de 3,2 et 124 mois. Sur les 15 rechutes, 6 patients ont présenté une deuxième rechute et 7 patients sont en rémission.
Dix patients sont décédés pendant la durée de l’étude (2 de progression et 8 après rechute), tous de cause carcinologique. La médiane de survenue du décès était de 27 mois par rapport au diagnostic.
Analyse statistique
Les patients ont été suivis de la date du diagnostic jusqu’à la date des dernières nouvelles. La durée médiane de suivi était de 4 ans (extrêmes : 0.8 -12.5 ans).Pour la totalité de l’échantillon, la survie globale (OS) à 5 ans était de 75,5% (IC95% : 56,8-87) et la survie sans rechute à 5 ans était 68,1% (IC 95% : 50-80).
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. MATERIEL ET METHODES
III. RESULTATS
IV. DISCUSSION
V. CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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