MEDITERRANEE ET PEUPLEMENT : DES SUJETS A PRECISER
La mer Méditerranée, ici présentée comme une discontinuité entre l’eau et les terres qui l’entourent, est un vaste espace non borné. Lorsqu’on souhaite aborder l’abondante littérature touchant au peuplement méditerranéen, il est cependant nécessaire de définir cette Méditerranée, physiquement et théoriquement, afin de pouvoir réunir un corpus bibliographique suffisant pour structurer cette recherche. Or, la définition de la Méditerranée a considérablement évolué en fonction des lieux et des époques. La question des limites de cet espace est ancienne et toujours d’actualité. Dans une récente thèse en géographie, présentée par Yoann DOIGNON (2016) cette question est posée, et les limites conventionnelles « du climat et de l’olivier » semblent insuffisantes. Certains auteurs, comme Gérard CHASTAGNARET et Robert ILBERT (1991), diront qu’il n’existe pas de limite à la Méditerranée. Faut-il donc essayer de borner cet espace pour l’étudier ? D’autant que si on l’observe sur une longue période, il a parfois été fractionné et parfois unifié. Sa structure interne a donc elle-même changé au cours du temps. Une idée semble néanmoins aujourd’hui faire consensus : pour étudier le bassin méditerranéen, l’échelle adoptée doit être globale, mais aussi variable, car cet espace doit être pensé dans son ensemble. C’est à cette condition qu’une étude sur le peuplement méditerranéen pourra être pertinente. Il sera alors possible de questionner différents objets géographiques, comme les villes, les découpages territoriaux, les métropoles…, afin de traiter des caractéristiques de l’établissement humain.
Le problème de la délimitation du terrain d’étude pose à son tour d’autres problèmes théoriques. C’est le cas, en particulier, de l’étude des systèmes de villes, celles-ci étant unanimement considérées comme fondatrice du concept de civilisation méditerranéenne. France GUERIN-PACE (1993) rappelle qu’il n’existe que peu de travaux empiriques sur la croissance d’un grand nombre de villes d’un système urbain prises individuellement sur une longue période. Les limites d’un « système urbain » sont assez efficacement définies par l’ensemble des interactions à l’intérieur des frontières nationales d’un pays, mais comment procéder lorsque les limites du système sont incertaines ? Pour cela, un regard sera posé sur les différents outils dont dispose le géographe, pour étudier ces phénomènes. Si ces outils semblent, au moins en partie, adaptés pour travailler sur des espaces urbains et souvent «locaux», le sont-ils pour le peuplement, à la fois dans son ensemble, sur une longue étendue temporelle et sur l’ensemble du bassin méditerranéen ?
Les fondements d’un questionnement
Quand l’on souhaite travailler sur un espace tel que la Mer Méditerranée et les terres qui l’entourent, un problème émerge rapidement. Quelle que soit la problématique abordée, elle se heurte à un corpus bibliographie non seulement immense, mais construit sur une période de plus de deux mille ans. Ainsi, nombre de chercheurs, romanciers, poètes…, ont su synthétiser, au moins en grande partie, l’ensemble des informations concernant cet espace.
Un champ bibliographique vaste et ancien
Aborder l’ensemble de la Méditerranée sur plus de deux cents ans d’histoire nécessite une grande quantité d’information. Quand bien même la recherche est orientée autour d’une thématique ciblée sur le peuplement, le socle de connaissances nécessaire reste gigantesque. Sur cet espace, reflet de la complexité du monde, cultures, sociétés et religions se mélangent, se confondent dans le temps. Ainsi, des écrits de Platon aux plus récentes études, les recherches semblent ne pouvoir suivre un cheminement linéaire. Rapidement un questionnement émerge alors, se révélant plus large et central par la suite, à savoir : comment borner la recherche d’informations ?
Il semble difficile de définir des bornes fixes. Chaque idée renvoie à un temps et un espace fluctuants. Les limites doivent donc être mobiles et s’entrecroiser au fil de la réflexion. Le chercheur doit adopter une démarche personnelle. Il doit naviguer au grès des flots d’informations, randonner le long des sentiers manuscrits et lire le paysage comme le plus instinctif des poèmes. Ainsi, c’est en croisant ces approches, qu’il sera possible de rassembler suffisamment de connaissances pour développer toutes recherches sur la Méditerranée. La bibliographie et l’état de l’art de cette étude, auront donc été constitués afin de répondre « au moins » aux problématiques avancées, tout en apportant un cadre théorique solide et représentatif de l’ensemble des thématiques sous-jacentes.
L’art de la synthèse des grands auteurs
Si de nombreuses idées paraissent tout autant intemporelles qu’insaisissables, au fil du temps, il a émergé quelques grands noms qui ont su, et non sans talent, s’en emparer. Ainsi, on peut citer entre autres érudits, Paul VIDAL DE LA BLACHE, Maximilien SORRE, Paul VALERY, Jules SION, Fernand BRAUDEL… Leurs écrits, véritables mines de connaissances, forgent un corpus d’enseignements primordial pour quiconque souhaite travailler sur cet espace. Plus que d’apporter « de simples pierres à l’édifice », ils ont contribué à définir l’objet Méditerranée.
C’est en s’appuyant sur leurs bases, définissant cet espace, que se dégagent les premiers chemins de réflexion amenant à construire les fondations de cet écrit. L’information, majoritairement spatiale, puis historique, tirée des conclusions de cette étude, prendra donc place au sein d’un cadre théorique solide, fruit d’une littérature consensuelle et fournie sur un temps long.
Une représentation poétique
La Méditerranée a aussi inspiré de nombreux artistes. Ainsi par exemple, dans la seconde moitié du XIXe siècle, Paul Cézanne peindra mer et montagne, notamment dans deux de ses toiles intitulées « La Montagne Sainte-Victoire » et « Le Golfe de Marseille vu de L’Estaque » . Marcel Pagnol réussit le tour de force de faire monter la mer Méditerranée jusqu’à Paris. En effet, entre 1929 et 1936, trois de ses plus grandes œuvres – Marius (1929), Fanny (1931) et César (1936) Ŕ seront jouées dans un théâtre avant d’être adaptées plus tard au cinéma. De même, à travers ses voyages, Henri Beyle dit « Stendhal », parcourra l’Italie de Milan à Naples. Dans deux ouvrages , il mettra en avant les auteurs, la musique, les peintures, et gravira le Vésuve d’où il pourra admirer la mer. C’est ainsi que Pagnol, Cézanne et Stendhal, entre autres, ont participé à façonner l’esthétique de ce lieu, allant jusqu’à en créer un idéal. Or, ces représentations ont par la suite servi de modèles à la fabrication de l’espace et de la société méditerranéenne. Ainsi, que ce soit un peintre ou un poète, à travers leurs toiles et écrits, ils ont exporté l’image de la Méditerranée à travers le monde.
La bibliographie sera donc constituée afin de regrouper suffisamment d’informations pour pouvoir couvrir l’ensemble des thématiques abordées. Pour cela, de grands auteurs qui ont déjà apporté le cadre théorique nécessaire à toute étude sur la Méditerranée aideront à cadrer cette recherche. Ils seront suppléés par d’autres, artistes, qui à leur façon, sont tous explorateurs du monde méditerranéen. Mais, cette multitude de visions engendre aussi parfois un « flou » autour de la définition de cet espace.
La Méditerranée et ses multiples définitions
Si Roger BRUNET (1995, p200) définit la Méditerranée comme « un ensemble quasi fermé, formé par un rivage relativement continu, entourant une masse d’eau de dimension suffisante pour que le rivage soit lui-même différencié des terres d’arrière-pays, et que les liaisons ne soient pas immédiates, mais assez limitées pour que la navigation soit aisée et les trajets d’assez courte durée », la question de sa définition et de ces limites, a toujours, et fait toujours débat aujourd’hui. En effet, il en existe plusieurs. Que ce soit une mer au milieu des terres, un vide ou un plein, il s’agit ici de présenter ces principales définitions.
Mer et père Méditerranée
En 1995, R.BRUNET pense aussi la Méditerranée comme un ensemble d’objets géographiques différents. Du lac attractif, au chott qui voit l’arrêt des relations en son sein, cet espace hétérogène adopte de multiples visages, tant en fonction des dynamiques qu’il renferme que des qualités qu’il expose. Parfois, la mer Méditerranée est vue comme unificatrice, tout comme le stipule A.SIEGFRIED (1943), la définissant comme le foyer, similaire en tout point de l’espace et générant un lien fort entre les continents. Cette idée est renforcée par d’autres auteurs, puisque par exemple, Paul MORAND (1996) viendra la qualifier « d’anti-désert ». C’est en citant Elisée RECLUS que Florence DEPREST (2002) parle de la mer Méditerranée comme un plein, qui porte les gens et favorise les échanges. Néanmoins, cette idée d’ensemble est questionnée dans d’autres écrits. Ainsi, Gabriel WACKERMANN (2001) par les dires de Gérard-François DUMONT rappelle que la « Mare Nostrum », éclate politiquement avec la chute de l’Empire romain. Si l’éclatement d’une telle entité peut être présenté comme événement majeur et particulièrement représentatif des nuances à établir lorsque l’on disserte sur l’unité méditerranéenne, d’autres événements plus locaux, plus éphémères, sont constamment venus remettre en cause cette dernière.
La mer Méditerranée a donc alterné des états, à différentes époques, en différents lieux. Elle pouvait être fermée comme ouverte. Elle est à la fois mère qui couve ces terres et civilisations, tout comme père qui vient féconder les terres qui l’entourent. Cette distinction se retrouve notamment dans les différents langages bordant la Méditerranée. En effet, Méditerranée est une entité féminine en français, désignée par son article défini « la », tout comme en grec, alors qu’elle sera masculine en arabe, en italien et en espagnol par exemple. Plus qu’une simple différence linguistique, il est possible qu’elle reflète les rapports de chaque peuple à cet espace. Ainsi, certains en eurent tiré ressources, à travers le commerce et divers échanges, tandis que d’autres la prirent d’abord comme un obstacle, à la fois protecteur et geôlier.
Terre Méditerranée
F.BRAUDEL (2002) rappelle que le mot « Méditerranée » désigne la mer, tout comme une partie des terres qui l’entourent. Il désigne aussi un grand nombre de qualités propres à cet espace et indissociables de celui-ci. Il introduit donc l’idée que toutes les études sur la Méditerranée seront complexes, emplies de sens et de représentations. On retrouve cette idée dans les écrits de l’ouvrage dirigé par Xavier GIZARD (1993), qui exposent celle-ci comme étant la combinaison d’un espace et d’un lieu. Ainsi, elle serait donc une réalité concrète, matérielle, sur laquelle planerait un voile abstrait, celui des représentations. Lorsque l’on s’intéresse à l’analyse de la toponymie, Anne RUEL (1991) rappelle que le mot « Méditerranée » n’a pas toujours été un nom propre. En effet, ce dernier provient de l’adjectif méditerrané, qui désigne la mer au milieu des terres. Dans un premier temps donc, le mot était qualificatif d’un couple « mer-terre ». C’est ensuite que le terme « méditerranéen » émerge, afin d’englober tout ce qui est « Méditerranée ». Certaines thèses viennent aussi souligner une construction de l’objet Méditerranée. C’est le cas de celle avancée par Thierry FABRE (2000), qui tente d’apporter une forme de subjectivité à cet espace. En effet, la Méditerranée serait une « invention » très tardive, apparue dans le courant du XVIIIe siècle. Cet ensemble construit n’aurait donc pas toujours existé. Il est cependant nécessaire de rappeler que les géographes ont depuis longtemps contribué à faire de cette mer un espace complexe, dépassant le cadre de la simple étendue d’eau, en y intégrant les caractéristiques climatiques par exemple, ou l’économie à l’image d’E.RECLUS (1975). Ainsi, ils ont peu à peu globalisé l’objet. Néanmoins, il semble important de relativiser cette idée de construction récente. Ainsi, il est possible de penser que cet espace « neutre » puis « méditerranéen » existait et fonctionnait, sans même avoir ce qualificatif. Cet espace est en lui-même la propre justification à son nom. En effet, c’est parce qu’il avait un «fonctionnement», une identité physique et intemporelle, qu’il a généré dans les pensées cette idée d’unité. La thèse d’un espace inventé ne sera donc pas soutenue dans cet écrit. Il y sera préféré une vision plus nuancée, celle de la définition d’une Méditerranée, mouvante au fil du temps, parfois effacée, parfois au premier plan, mais toujours présente. Elle aura été incubatrice de fond, tout comme des mécaniques invisibles en surface sont pourtant responsables de l’explosion du plus magnifique des geysers.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I. MEDITERRANEE ET PEUPLEMENT : DES SUJETS A PRECISER
PARTIE I. Les fondements d’un questionnement
PARTIE II. La Méditerranée et ses multiples définitions
PARTIE III. Quelles bornes pour la Méditerranée ?
PARTIE IV. Des identités, des frontières ?
PARTIE V. Un espace fragmenté ?
PARTIE VI. La succession de cas ne permet pas la généralisation
PARTIE VII. Le peuplement : une information complexe
PARTIE VIII. Quels outils pour étudier le peuplement/la population ?
Conclusion : de la population au peuplement
CHAPITRE II. LES DONNEES SUR LE PEUPLEMENT
PARTIE I. Les bases de données existantes
PARTIE II. Les données pour travailler sur le peuplement
PARTIE III. Découpages et qualité des données
PARTIE IV. Les conséquences de l’hétérogénéité du découpage
Conclusion : étudier l’ensemble du peuplement
CHAPITRE III. DES CHOIX METHODOLOGIQUES
PARTIE I. Le Positionnement scientifique
PARTIE II. Eclairer le chemin
Conclusion : apports et limites des données
CHAPITRE IV. LA CONSTITUTION DE LA BASE DE DONNEES POUR ETUDIER LE PEUPLEMENT MEDITERRANEEN
PARTIE I. Travailler sur les données et les rendre exploitables
PARTIE II. De Geokhoris à la base de données méditerranéenne des LAUs
PARTIE III. Présentation des données finales
Conclusion : une avancée inédite dans la documentation géographique
CHAPITRE V. LA PREPARATION DES ANALYSES : L’INDICE MEDITERRANEEN
PARTIE I. Les premières étapes du travail d’analyse cartographique
PARTIE II. L’indice « méditerranéen »
PARTIE III. De l’indice brut à l’indice méditerranéen
Conclusion : cinq variables pour un indice de « méditerranéité »
CHAPITRE VI. LE PEUPLEMENT MEDITERRANEEN
PARTIE I. Extraction des localités méditerranéennes
PARTIE II. Evolution du peuplement méditerranéen et dépendance aux données
PARTIE III. Le nombre d’habitants des localités entre 1800 et 2010
PARTIE IV. Visualisation de phénomènes géographiques
PARTIE V. Quand les données racontent l’Histoire
PARTIE VI. Synthèse du peuplement méditerranéen de 1800 à 2010
Conclusion : formes et temporalités dans le peuplement
CONCLUSION GENERALE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES