Médicaments potentiellement inappropriés chez le sujet âgé
Les médicaments potentiellement inappropriés (MPI) ou prescriptions potentiellement inappropriées désignent des médicaments ayant une balance bénéfice/risque défavorable et/ou une efficacité discutable par rapport à des alternatives thérapeutiques plus sûres (2–4,6–10,18– 20). Ils sont classiquement rangés en trois catégories : « Underuse », « Overuse » et « Misuse » (4,10,13,19). Pour autant, les MPI ne constituent pas une contre-indication absolue et, dans certains cas, restent le meilleur choix possible chez les sujets âgés (1,4,7,13). De nombreux psychotropes sont classifiés MPI car pourvoyeurs de chutes, de dépendances et de morbimortalité .
En France, des études révèlent que les évènements indésirables graves sont responsables de 4,5% des hospitalisations par an et correspondent à 10% des motifs d’hospitalisation des plus de 65 ans (contre 1,3 à 1,6% en population générale) (3,4,13,16,18,21). Avec une meilleure prise en compte des facteurs de risque, on estime que la moitié des hospitalisations pourrait être évitable, ainsi mieux prescrire est devenu un enjeu majeur de santé publique (13,16,20). Bien que certains facteurs ne puissent être évalués précisément en amont (ex. perturbations pharmacologiques et métaboliques), d’autres en revanche comme l’évaluation de la fonction rénale, les maladies chroniques et aiguës associées, les interactions médicamenteuses potentielles, le respect des posologies et l’évaluation du niveau d’observance pourraient être anticipés .
L’ANSM, la HAS, les OMEDITs (Observatoires des Médicaments, Dispositifs Médicaux et Innovations Thérapeutiques) et de nombreux travaux de recherche concourent à mettre à disposition des professionnels de santé des listes d’aide à la prescription et/ou dé-prescription chez le sujet âgé (ex. Beers, Laroche, STOPP/START , STOPPFall ) (7,9,10,19,20,22–24), des outils de formation et des recommandations afin de favoriser l’amélioration des pratiques professionnelles.
La dépression du sujet âgé
Définition
La dépression est une maladie multifactorielle dont les symptômes sont une perte de motivation, d’espoir, d’envie et d’estime de soi (4). D’après l’organisation mondiale de la Santé (OMS), « la dépression constitue un trouble mental courant, caractérisé par la tristesse, la perte d’intérêt ou de plaisir, des sentiments de culpabilité ou de faible estime de soi, des troubles du sommeil ou de l’appétit, d’une sensation de fatigue et d’un manque de concentration (…) de longue durée ou récurrente, et porte essentiellement atteinte à la capacité des personnes à fonctionner au travail ou à l’école, ou à gérer les situations de la vie quotidienne. (…) légère, la dépression peut être traitée sans médicaments (…) modérée ou grave, les patients peuvent avoir besoin de médicaments et d’une thérapie par le dialogue » .
La dépression du sujet âgé est associée aux facteurs de stress courants ainsi qu’aux particularités liées à l’âge, comme l’expression de la tristesse moins marquée, des plaintes somatiques plus fréquentes, des plaintes mnésiques subjectives, de l’anxiété, une modification du caractère plus marquée et une apathie associée (4,6,10,14,25,26). Le taux de dépressions est plus élevé chez les patients ayant des comorbidités (ex : cancers, maladies cardiovasculaires et syndromes gériatriques) et/ou polymédiqués. Les maladies mentales sont souvent stigmatisées, ainsi un grand nombre de sujets âgés n’expriment pas leurs besoins et de nombreuses études s’accordent à dire que la dépression est souvent sous diagnostiquée et insuffisamment traitée (6,14,25,26). Des échelles de dépistage existent comme aide au diagnostic, les signes de l’épisode dépressif caractérisé (EDC) étant essentiellement cliniques (ex. BDI, PHQ-2 et 9, GDS et mini-GDS, HDRS, MADRS) .
Données épidémiologiques
Selon l’OMS, la dépression est devenue la première cause d’incapacité dans le monde et touche près de 322 millions d’individus (5,25–27). En France, la prévalence est estimée à 7 %, elle se situe entre 8 et 16% pour les plus de 65 ans et varie entre 12 et 15% chez les plus de 85 ans (4–6,26). Des études révèlent que 15 à 30% des sujets âgés consultant en ville présentent des symptômes dépressifs pour seulement 10% d’entre eux véritablement diagnostiqués (5,10,26,28,29). La prévalence de l’EDC en institution est nettement plus élevée et concerne plus d’un tiers des résidents (4,14,30). Aussi, la France détient l’un des taux les plus important de prescription d’antidépresseurs en Europe (31). En 2011, 4.4 millions d’habitants étaient sous antidépresseurs dont 1 million initié en cours d’année avec une croissance progressive du taux à partir de 60 ans (32). Selon Roblin et al., seul 15 % des sujets âgés dépressifs seraient correctement traités .
Prise en charge
Toute personne souffrant d’EDC doit être prise en charge. l’arbre décisionnel issu des recommandations françaises actuelles chez l’adulte (source : Vidal Reco®) (33). La psychothérapie est préconisée en première intention. En cas d’EDC modéré à sévère, une thérapeutique antidépressive doit lui être associée (6,31). Les antidépresseurs sont répartis en 5 classes selon leurs mécanismes pharmacologiques : les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNa), les imipraminiques ou antidépresseurs tricycliques (ATC), les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) et les « autres antidépresseurs » .
Les recommandations françaises chez l’adulte préconisent une monothérapie par ISRS en première intention du fait d’une meilleure tolérance, les IRSNa ou un « autre antidépresseur » (Mirtazapine et Miansérine). Les imipraminiques sont utilisés en seconde intention et les IMAO peuvent être envisagés en dernier recours (4,32). L’antidépresseur doit être maintenu au minimum 4 semaines avant de conclure à une efficacité ou non. Il doit se poursuivre 6 mois à 1 an une fois la réponse complète obtenue puis être arrêté progressivement (4,6,32). En cas d’échec, un changement de molécule ou de classe est à envisager (32,33). Tous les antidépresseurs ont prouvé leur efficacité dans l’EDC, sans qu’il n’ait été démontré d’efficacité supérieure de l’un par rapport aux autres (5,33). Les résultats obtenus dans une méta-analyse en réseau publiée en 2018, vont dans ce sens (comparaison de 21 antidépresseurs versus placebo) .
En l’absence de recommandations spécifiques liées aux sujets âgés (5,14,26,29,33), il est conseillé de suivre les mêmes recommandations que pour l’adulte en procédant à quelques adaptations : l’initiation de l’antidépresseur doit se faire à des doses plus faibles et un changement de molécule ne doit pas être entrepris avant 6 à 8 semaines du fait d’une réponse thérapeutique plus tardive (1,6,13,26,29,33). Le choix de l’antidépresseur repose sur le profil de tolérance, les comorbidités, les traitements associés, le risque suicidaire, le respect des contre-indications et des interactions médicamenteuses. Certains auteurs recommandent d’exploiter les indications associées ou effets annexes de certains médicaments afin de les mettre à profit (ex. Mirtazapine et troubles du sommeil, Duloxétine et douleurs neuropathiques) . En effet, certains antidépresseurs ont des indications plus larges comme les troubles anxieux, les migraines, les douleurs chroniques ou encore la maladie de Parkinson .
Les co-prescriptions antidépresseur / anxiolytique ou hypnotique sont fréquentes à l’instauration (6,32). Plusieurs organismes médicaux et psychiatriques, comme l’American Geriatrics Society, recommandent de ne pas utiliser de benzodiazépines chez les sujets âgés ou du moins sur une durée limitée mais le constat est qu’elles restent encore bien trop souvent mal prescrites. D’autres psychotropes sont parfois retrouvés dans les EDC sévères (ex. neuroleptiques, thymorégulateurs) ainsi que le recours aux séances d’électro-convulsivothérapie pour les formes sévères à résistantes (30). La prise en charge globale implique une collaboration étroite des différents professionnels de santé médicaux et paramédicaux ainsi qu’avec l’entourage du patient.
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Table des matières
PARTIE I : INTRODUCTION
1. LA PERSONNE AGEE
1.1 Généralités
1.2 Médicaments potentiellement inappropriés chez le sujet âgé
2. LA DEPRESSION DU SUJET AGE
2.1 Définition
2.2 Données épidémiologiques
2.3 Prise en charge
3. CONTEXTE ET ETUDES PRELIMINAIRES
3.1 Spécificité de la dépression du sujet âgé en cabinet de médecine générale
3.2 Origine du projet
3.3 La liste APADE
3.3.1 Création de la liste APADE par méthode Delphi
3.3.2 Les points forts de la liste
3.3.3 Les points faibles de la liste
4. ACTUALISATION DES DONNEES DE LITTERATURE CHEZ LES PERSONNES AGEES
4.1 Les antidépresseurs
4.2 Effets indésirables
5. PHARMACOVIGILANCE
5.1 Les effets indésirables médicamenteux
5.2 Les centres de pharmacovigilance
5.3 La base de données mondiale de pharmacovigilance
5.3.1 Généralités
5.3.2 Classification des données
5.4 Les études de disproportionnalité
5.4.1 Principe
5.4.2 Les limites des études de disproportionnalité
5.4.3 Les avantages des études de disproportionnalité
PARTIE II : ARTICLE
1. INTRODUCTION
2. METHODE
2.1 Base de données mondiale : VigiBase®
2.2 Revues de littérature
2.2.1 Les antidépresseurs sélectionnés pour l’étude
2.2.2 Effets indésirables retenus pour l’étude
2.3 Méthodologie et extractions sur VigiLyzeTM
2.4 Analyse des données : cas / non-cas
3. RESULTATS
3.1 Données globales
3.2 PREMIERE ETAPE : Comparaison du nombre de signalements par antidépresseur chez le sujet âgé versus chez l’adulte à l’échelle mondiale et française
3.3 DEUXIEME ETAPE : Comparaison des PT signalés sous antidépresseurs chez le sujet âgé versus chez l’adulte à l’échelle mondiale et française
3.4 TROIXIEME ETAPE : Étude d’association antidépresseurs-PT dans le groupe des sujets âgés à l’échelle mondiale
4. DISCUSSION
4.1 Problématique de la prise en charge thérapeutique de la dépression du sujet âgé en médecine de ville
4.2 Choix méthodologiques
4.3 Nos résultats comparés à la littérature
4.4 Limites et avantages des études de disproportionnalité
5. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
PARTIE III : DISCUSSION
1. COMPARAISON DE LA LISTE APADE A L’ETUDE DE DISPROPORTIONNALITE
2. COMPARAISON DE L’ETUDE DE DISPROPORTIONNALITE AUX DONNEES DE LITTERATURE
3. PERSPECTIVES
3.1 Les extractions de la BDM-PV encore à exploiter
3.2 L’étude de faisabilité et projet d’ECR
PARTIE IV : CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE