Les micro-organismes marins témoignent de modes de vie très contrastés ; on distingue, par exemple, des organismes planctoniques qui se déplacent librement dans la colonne d’eau et d’autres organismes sessiles vivant en associations complexes. Ces associations appelées biofilms correspondent à la colonisation de surfaces immergées inertes ou vivantes, et sont caractérisées par la production d’une matrice exopolymérique. Les biofilms sont reconnus depuis de nombreuses années comme le mode de développement prépondérant des bactéries dans les environnements aquatiques. Lorsqu’à ce phénomène se superpose la colonisation par des macro-organismes (spores de macro-algues, larves d’invertébrés,…etc), on parle alors d’un processus global naturel appelé biofouling.
Le biofouling constitue un véritable problème par rapport aux activités humaines car générant des surcoûts économiques importants et présentant un impact environnemental non négligeable. Il engendre, par exemple, de nombreux dommages aux structures artificielles immergées, parmi lesquels la dégradation des matériaux liée à un risque de corrosion accru, l’augmentation de la consommation en carburant des bateaux, la diminution des échanges thermiques dans les circuits de refroidissement,…etc. L’effet global de ce phénomène conduit à une baisse des performances industrielles et à une diminution du temps de vie des matériaux. Ainsi des procédures de nettoyage et de prévention vis-à-vis dela formation du biofouling sont mises en place mais elles nécessitent des coûts d’exploitation élevés (Yebra et al., 2004). Les procédés de lutte antifouling développés par le passé, s’ils ont témoigné d’une certaine efficacité, se sont avérés nocifs pour des organismes non ciblés de l’environnement marin. Les dommages écologiques en résultant ont ainsi conduit les autorités compétentes à interdire définitivement l’utilisation des produits toxiques les plus efficaces en antifouling, notamment les dérivés organométalliques tels que l’oxyde de tributylétain (TBTO). La recherche et le développement de solutions alternatives « éco-respectueuses » permettant de remédier à cette problématique constituent donc un enjeu majeur aussi bien d’un point de vue scientifique que sur les plans écologique et économique.
Biofouling et applications antifouling
Description du phénomène de biofouling : Notion de biofilm
Le phénomène de biofouling correspond à la colonisation de toute surface immergée dans un environnement aquatique (eaux douces ou salées) par des communautés vivantes structurées allant des micro- aux macro-organismes (Wahl, 1989 ; Watnick & Kolter, 2000 ; Kolter & Greenberg, 2006). Les ensembles de micro-organismes incluent des procaryotes (archées et bactéries marines) et des eucaryotes unicellulaires (protozoaires, champignons, micro-algues,…etc). Ces communautés complexes sont insérées dans une matrice polymérique extracellulaire protectrice, produite par les bactéries et les diatomées (Ballard et al., 2008), et composée majoritairement d’exopolysaccharides et de protéines. Les macro-colonisateurs les plus communément observés sont des végétaux, tels que des macro-algues et des phanérogames marines, et des animaux, tels que des éponges, des bryozoaires, des petits crustacés, des vers marins, des mollusques, des arthropodes et des cnidaires.
Biofilm : Définition et historique
La découverte des biofilms a été attribuée à Van Leeuwenhoek (1632-1723), qui a observé vers 1683 avec son microscope primitif des communautés de micro organismes à la surface des dents (Donlan, 2002). Dans les années 30, des observations réelles de biofilms ont été réalisées par Zobell, dont les travaux ont abouti à l’élaboration du concept d’adhésion bactérienne (Zobell & Allen, 1933 ; Zobell & Allen, 1935). Plus tard, Zobell a également remarqué que le nombre de bactéries sur les surfaces immergées était nettement plus élevé que dans l’eau de mer environnante (Zobell, 1943). La notion de biofilm a été proposée pour la première fois par Costerton et al. (1978). Depuis, il est devenu clairement établi que la majeure partie des micro-organismes existait sous forme d’agrégation sessile dans de nombreux écosystèmes (Costerton et al., 1995 ; Costerton, 2007 ; Ballard et al., 2008). Avec le temps et avec l’évolution des moyens de recherche, la définition d’un biofilm n’a cessé d’évoluer et de varier d’un auteur à un autre. Characklis & Cooksey (1983) l’ont défini comme une collection de cellules et de leurs produits adhérés sur une surface. Puis, Van der Wende et al. (1989) l’ont décrit comme des associations de micro-organismes enrobées dans une matrice d’exopolymères. Bourion et al. (1996) le définissent comme une communauté microbienne inclue dans une matrice fibreuse de polymères extracellulaires et immobilisée sur une surface.
La définition de Flemming (1998) décrit les biofilms comme des agglomérats complexes de micro-organismes. Selon Donlan & Costerton (2002), un biofilm est une communauté microbienne sessile qui existe sous forme de cellules attachées de manière irréversible à un substrat ou à une interface et conditionnées dans une matrice de substances polymériques extracellulaires. D’après Ghannoum & O’Toole (2004), les biofilms sont des accumulations multi-espèces sur des surfaces et sont habituellement enfermés dans une matrice extracellulaire. Ils évoluent d’une structure de monocouches de cellules dispersées à une structure sous forme de mucus épais. Les biofilms aujourd’hui sont vus comme un ensemble de micro colonies entourées d’une matrice hautement hydratée, anionique et constituée d’exopolymères (EPS, ExoPolymeric Substances) (Lahaye, 2006).
Formation et écologie du biofilm primaire
Pour les bactéries, le processus de passage d’un mode de vie planctonique libre à un mode sessile est complexe. La description de ce phénomène nécessite l’intervention conjointe de plusieurs disciplines notamment la microbiologie, la biologie cellulaire, la génétique, l’écologie chimique et la physico-chimie.
Lors de ce processus global, les bactéries passent par cinq étapes essentielles : la formation du film conditionnant, l’adhésion dite réversible, l’adhésion irréversible, la maturation et le détachement (Wahl, 1989 ; Abarzua & Jakubowski, 1995 ; Filloux & Vallet, 2003) .
Le film conditionnant, dit aussi film primaire, constitue l’étape initiale de la formation d’un biofilm mature. Il consiste en l’adsorption spontanée, quelques secondes après l’immersion du support, de molécules organiques et d’ions, favorisant ainsi l’attachement bactérien. Les propriétés physico-chimiques de surface jouent un rôle déterminant dans cette première étape en termes de sélection des bactéries pionnières et de leur cinétique d’adhésion. L’étape suivante concerne l’adhésion bactérienne proprement dite. Une fois le support conditionné, les bactéries peuvent s’en approcher de deux façons. La première, dite passive, correspond à la rencontre aléatoire des bactéries planctoniques avec le support. Le deuxième processus, dit actif, est basé sur des stratégies développées par les bactéries elles-mêmes pour s’approcher de la surface, telles que le chimiotactisme et l’utilisation d’appendices de locomotion tels que les flagelles et les pili (O’Toole & Kolter, 1998 ; Harshey, 2003 ; Klausen et al., 2003 ; Verstraeten et al., 2008). Suite au recrutement des bactéries sur le support, une première adhésion bactérienne appelée adhésion réversible est mise en place. Ce phénomène est dû à des interactions de faible énergie (forces de Van der Waals, forces acide-base de Lewis, interactions hydrophobes et forces électrostatiques) et fait intervenir des macromolécules de surface, regroupées sous le terme d’adhésines (flagelles, pili, fimbriae, protéines, polysaccharides, lipopolysaccharides) (O’Toole & Kolter, 1998). De nombreux facteurs environnementaux (pH, osmolarité du milieu, température, disponibilité en nutriments, viscosité, charges ioniques, courant d’eau, sédimentation, …) vont également influer sur cette étape. Cette phase initiale d’adhésion réversible est suivie d’une seconde dite irréversible qui met en jeu des interactions de plus forte énergie (liaisons hydrogènes, liaisons covalentes ou interactions hydrophobes fortes). L’adhésion est rapidement suivie par une phase de croissance bactérienne accompagnée d’une production d’EPS. Ces substances vont renforcer l’adhésion des bactéries, les protéger de l’action d’agents antimicrobiens ou du broutage de prédateurs et faciliter le piégeage des éléments nutritifs indispensables pour leur croissance. Ainsi, des micro-colonies vont se former (Costerton et al., 1999) et seront suivies par l’élaboration d’un biofilm plus ou moins complexe selon les conditions hydrodynamiques, chimiques et la composition en micro-organismes du milieu (Romeo et al., 2008 ; Dobretsov, 2010 ; Wahl et al., 2012). Dans un premier temps, le phénotype des organismes adhérents subit de grands changements dus aux importantes régulations de gènes (Stewart & Franklin, 2008). Dans un second temps, des synthèses protéiques massives vont avoir lieu et le biofilm va entrer en phase de maturation. Cette étape est caractérisée par la formation de grosses colonies appelées agrégats, le biofilm atteignant ainsi son maximum d’épaisseur. Le cycle de vie d’un biofilm finit par un retour des cellules à la phase planctonique et à leur dispersion dans le milieu pour coloniser de nouvelles niches (Stoodley et al., 1999 ; Hall-Stoodley & Stoodley, 2005 ; Kaplan, 2010). L’intervention d’agents chimiques, tels que des molécules tensio-actives, des enzymes, des dérivés chlorés, des chélateurs ou encore des modificateurs du pH, peut participer au détachement des bactéries ou même à leur mort cellulaire (Haras, 2005).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Etude bibliographique
I. Biofouling et applications antifouling
I.1. Définitions du biofouling / biofilm
I.1.1. Biofilm : Définition et historique
I.1.2. Formation et écologie du biofilm primaire
I.2. Problèmes économiques et écologiques liés au biofouling marin
I.2.1. Problèmes économiques
I.2.2. Problèmes écologiques
I.3. Moyens de lutte contre le biofouling marin
I.3.1. Revêtements antifouling
I.3.2. Une possibilité d’alternatives aux biocides antifouling actuels : les substances naturelles marines
I.3.3. Bio-essais antifouling
II. Modèles biologiques de l’étude
II.1. Présentation générale des algues brunes
II.2. Présentation des espèces étudiées
II.2.1. Position systématique
II.2.2. Métabolites secondaires des Dictyotaceae
II.2.3. Présentation des espèces de Dictyota étudiées
II.2.3.1. Description morphologique
II.2.3.2. Eléments biologiques et écologiques
II.2.3.3. Métabolites secondaires des espèces appartenant au genre Dictyota
II.2.4. Présentation de Taonia atomaria
II.2.4.1. Description morphologique
II.2.4.2. Eléments biologiques et écologiques
II.2.4.3. Métabolites secondaires de Taonia atomaria
III. Interactions algues-biofilms
III.1. Biofilms sur surfaces biotiques
III.1.1. Biofilms sur les macro-algues
III.1.1.1. Composition et densité des biofilms
III.1.1.2. Facteurs influençant la formation et le maintien d’un biofilm à la surface des macro-algues
III.1.2. Compositions et densités d’épibiontes sur des surfaces vivantes
III.2. Types d’interactions algues / biofilms
III.2.1. Interactions bénéfiques
III.2.1.1. Relations trophiques
III.2.1.2. Intercations écologiques
III.2.2. Interactions préjudiciables
III.3. Approche métabolomique pour l’analyse des molécules produites à la surface des macro-algues
III.3.1. Intérêt de l’étude des métabolites de surface
III.3.2. Intérêt d’une approche métabolomique de surface
III.3.3. Protocoles d’extraction et de quantification des métabolites à la surface de macroalgues
Chapitre II : Matériels & Méthodes
I. Matériel algal
I.1. Collectes
I.2. Obtention du métabolome total des algues
I.2.1. Extraction
I.2.2. Fractionnement de l’extrait brut
I.2.3. Purification de composés à partir des fractions obtenues
I.2.4. Caractérisation structurale des produits purs
I.3. Développement d’un protocole expérimental pour l’analyse du métabolome de surface de Taonia atomaria
I.3.1. Protocoles d’extraction des métabolites de surface
I.3.1.1. Protocoles d’extraction
I.3.1.2. Vérification de l’intégrité membranaire pour la méthode de trempage dans les solvants organiques
I.3.2. Identification des métabolites de surface
I.3.3. Variation saisonnière des métabolites de surface
II. Matériel bactérien
II.1. Milieux de culture
II.1.1. Väätänen Nine Salt Solution (VNSS) / VNSS Agar
II.1.2. ZoBell-agar
II.2. Souches bactériennes marines de référence
II.3. Souches bactériennes marines isolées de T. atomaria
II.3.1. Isolement et culture des bactéries associées à la surface
II.3.1.1. Observation de la surface de l’algue
II.3.1.2. Isolement des bactéries associées à la surface
II.3.1.3. Conditions de culture
II.3.1.4. Cryoconservation des souches bactériennes
II.3.2. Caractérisation des souches bactériennes associées à la surface de T. atomaria
II.3.2.1. Morphologie
II.3.2.2. Culture et croissance
II.3.2.3. Coloration de Gram
II.3.2.4. Observation au MEB
II.3.3. Etude du métabolome des souches cultivables de T. atomaria
II.3.3.1. Obtention des extraits bruts bactériens
II.4. Activités biologiques
II.4.1. Biocides commerciaux
II.4.2. Fluorochromes
II.4.3. Bio-essais anti-adhésion
II.4.3.1. Description du protocole
II.4.3.2. Choix des souches marines de référence
II.4.3.3. Choix des souches isolées de T. atomaria
II.4.3.4. Optimisation des paramètres d’adhésion des bactéries de T. atomariaen microplaque : Cinétique d’adhésion et densité d’ensemencement
II.4.4. Test d’inhibition de croissance / toxicité
II.4.4.1. Inhibition de croissance
II.4.4.2. Viabilité
II.5. Etude de la variation saisonnière des communautés microbiennes de surface
II.5.1. Extraction de l’ADN bactérien
II.5.2. Analyses par DGGE
II.6. Analyses statistiques
Conclusion générale
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