Média scolaire et engagement citoyen

« Il n’est pas de meilleur apprentissage de la citoyenneté pour les élèves que d’en faire l’expérience personnelle (…) Et c’est pourquoi, j’ai décidé qu’au-delà du nouvel enseignement moral et civique qui sera délivré dès la rentrée prochaine, c’est un véritable parcours éducatif citoyen que suivront désormais tous les élèves (…) Un parcours qui se matérialisera par l’opportunité offerte dans chaque collège/lycée aux élèves de participer à un média (blog, radio, journal, plateforme collaborative en ligne) tant le meilleur apprentissage des enjeux, de la fiabilité et de l’interprétation  des infos est d’apprendre à produire soi-même. » Susciter l’engagement citoyen par la mise en œuvre d’un média scolaire, tel est l’un des axes présentés par Najat Vallaud-Belkacem alors Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, dans un discours pour la « grande mobilisation de l’École pour faire vivre les valeurs de la République ». Au-delà des événements tragiques de l’année 2015, l’École doit faire face à un nouvel enjeu : celui de la responsabilité citoyenne dans un monde d’information et de communication. Avec la démultiplication des supports numériques – téléphones, tablettes tactiles, ordinateurs portables, objets connectés – l’information n’a jamais été aussi accessible pour les jeunes générations. Cette accessibilité se retrouve dans les pratiques : l’internaute d’aujourd’hui se veut « prosommateur » (Mattelard, 1992) qui lit, publie et republie, commente, analyse et interagit avec ses pairs dans cette nouvelle sphère informationnelle. C’est donc l’affirmation des individualités dans l’agora informationnelle du Web (Flichy, 2001) que l’École doit désormais prendre en compte.

La génération de collégiens d’aujourd’hui, surnommée « digital natives » (Prensky, 2010) est au cœur de ces nouveaux enjeux informationnels. Pour répondre au défi de la citoyenneté et celui de la cyber-citoyenneté, le ministère de l’Éducation nationale a ainsi pensé la mise en place d’un Parcours citoyen renforcé par l’Éducation aux médias et à l’information (E.M.I.). La mise en œuvre d’un média scolaire, du latin medium qui signifie le moyen, le milieu, le lien, concerne directement le professeur-documentaliste de par ses missions pédagogiques, d’accueil et d’ouverture culturelle. « Maître d’oeuvre » de l’E.M.I., il transmet une culture médiatique, informationnelle et informatique aux élèves et peut organiser des activités extra-pédagogiques au sein de l’établissement. Le projet d’un média scolaire a suscité de nombreuses questions : quel support mettre en œuvre et avec quels moyens ? Le format du club scolaire est-il adapté pour la réalisation d’un média ? Les élèves vont-ils s’approprier ce moyen de diffusion de l’information pour exprimer leur opinion et développer le jugement critique dans le respect de tous ? Ce média scolaire peut-il être un élément fédérateur dans une communauté éducative ? Ces questions ont précédé la mise en œuvre du média scolaire. Certaines réponses se sont précisées, notamment sur le contexte de sa mise en œuvre. En effet, l’espace municipal des jeunes (E.M.J) de la ville souhaitait intervenir sur le temps de la pause méridienne pour réaliser des productions audiovisuelles avec des élèves volontaires. Et concernant le support, le premier engagement des élèves volontaires n’était-il pas de le déterminer ? Pour de nombreuses interrogations, il a semblé pertinent que ce soit les élèves qui y répondent, dans un climat d’échanges, de bienveillance et de respect.

Pourquoi avoir choisi le média scolaire pour l’exercice d’un engagement citoyen ?

E.M.I et E.M.C : un engagement du M.E.N

E.M.C et Parcours citoyen : le « renouveau » de l’enseignement moral et civique 

L’enseignement moral et civique, victime d’un double paradoxe ? C’est en tout cas la question que pose Géraldine Bozec, Maitre de conférences en sciences de l’éducation, dans un rapport scientifique paru en 2016. Paradoxe d’une part d’un enseignement actuellement en proie aux pratiques scolaires fragiles alors que sa place était absolue dans l’école de Jules Ferry et bien plus tard dans les années 1980. Paradoxe d’autre part, puisque les travaux scientifiques relevant de cette question demeurent rares. Malgré ces paradoxes, les nouveaux programmes offrent une ligne de démarcation claire : l’exéducation civique, rebaptisée enseignement moral et civique (E.M.C) depuis 2016 a été élargie audelà de l’apprentissage du fonctionnement institutionnel et constitutionnel du pays. Durant toute sa scolarité, de la primaire au lycée, l’élève inscrit dans son « Parcours citoyen » une réflexion sur des sujets transversaux mêlant le politique au social en passant par l’économie. Des sujets comme la laïcité, la lutte contre les discriminations, le climat, la transition numérique, les réseaux sociaux et bien d’autres sont étudiés dans ce cadre. La transversalité et l’engagement des acteurs de la communauté éducative à travailler en coopération, sont au cœur de la loi pour la Refondation de l’École de la République. Depuis la rentrée 2015, la mise en place de quatre parcours éducatifs témoigne aussi de l’engagement pris par le Ministère de l’Éducation Nationale vis à vis de l’élève. Parmi ces quatre parcours, le Parcours citoyen, étudié par Didier Jourdan, professeur et chercheur en sciences de l’éducation à l’Université Clermont Auvergne France, « est une manière de répondre à la question des modalités de mise en cohérence des diverses expériences éducatives tout au long de la vie ». Mettre en cohérence, donner du sens aux initiatives prises par l’élève dans un cadre extra-scolaire et scolaire, autant de moyens qui visent à valoriser la place de l’engagement à l’école.

La création du Parcours citoyen et la refonte de l’E.M.C témoignent également d’une volonté, celle de former l’élève non plus seulement en citoyen mais en personne dotée d’une sensibilité morale et d’un jugement critique. L’engagement de l’élève, quelles que soient ses formes, y est alors valorisé. Constituant le quatrième axe de l’E.M.C, l’engagement assure « la mise en pratique (…) en insistant sur l’esprit d’autonomie, de coopération et de responsabilité vis-à-vis d’autrui » (Eduscol). Au collège, l’engagement de l’élève peut se déployer dans des enseignements transversaux comme les Enseignements Pratiques interdisciplinaires (E.P.I) mais aussi au sein d’instances tels que le Conseil de la vie collégienne (C.V.C), le conseil des délégués ou encore les associations sportives.

Le rôle des clubs, mis en place à l’initiative des personnels de la communauté éducative est aussi un lieu où les élèves peuvent dans un contexte extra-disciplinaire, exercer leur citoyenneté.

L’E.M.I au service de l’E.M.C : une éducation qui intègre les nouveaux modes d’expression

En amont de l’E.M.C et du parcours citoyen, le M.E.N a instauré l’Éducation aux médias et à l’information (E.M.I). Le contenu des programmes de l’E.M.I peut être lu à la lumière du Parcours citoyen et de l’E.M.C. Le préambule de présentation de l’E.M.I sur le site internet Eduscol est sans équivoque sur la place accordée à la citoyenneté : « L’objectif d’une éducation aux médias et à l’information est de permettre aux élèves d’exercer leur citoyenneté dans une société de l’information et de la communication, former des « cybercitoyens » actifs, éclairés et responsables de demain » (Eduscol). L’engagement citoyen ne peut faire abstraction d’une nouvelle réalité qui est celle de la société de l’information et de la communication. La sensibilité morale de l’élève se façonne désormais au gré de ses pratiques numériques et des informations qui peuvent circuler sans qu’il y ait forcément d’accompagnement. L’Éducation aux médias et à l’information vise à pallier cette autonomisation subie par l’élève afin de le guider et de l’accompagner dans la formation de son jugement critique. La création d’une éducation aux médias pour pallier les écueils de la société de l’information et de la communication n’est pas une invention française. Le concept de « translittératie » (de l’anglais transliteracy) a été le fruit d’une réflexion foisonnante dans les pays anglo-saxons depuis les années 1980. L’E.M.I fait encore l’objet de nombreux travaux scientifiques, comme ceux d’Alton Grizzle et de Jagar Singh, parus en 2016 et intitulés « Les 5 lois de l’E.M.I selon l’Unesco ». Ces cinq lois peuvent se résumer en cette formule lapidaire : «l’information, la communication, les bibliothèques, les médias, les technologies, l’Internet sont au service du citoyen ».

La cinquième loi de Grizzle et Singh retient davantage l’attention des enseignants puisque l’E.M.I y est définie et théorisée : il s’agit d’une expérience « dynamique [qui] s’achève une fois que l’ensemble des connaissances, compétences et attitudes ont été assimilées, de même que l’accès, l’évaluation, l’utilisation, la production et la communication de contenus informatifs, médiatiques et technologiques. » La réussite d’un tel cheminement est d’autant plus cruciale que le premier axe de l’E.M.I tel qu’il est conçu en France met l’accent sur la capacité de l’élève à devenir « producteur » – au sens strict du terme – de son propre engagement citoyen. Alors que les nouveaux modes d’expression se font désormais en ligne, un engagement citoyen réussi, comme le conçoit l’Institution scolaire, ne peut alors que s’accomplir dans le statut du « prosommateur » modèle :

l’élève consomme et analyse des contenus informationnels qui l’influencent dans la création de ses propres contenus. L’acquisition d’un tel statut renvoie dès lors à l’accomplissement des trois axes constituant l’E.M.I, qui, rappelons-le, se rattache au socle commun de connaissances, de compétences et de culture : d’une part, comprendre et analyser les médias et les réseaux dans toutes leurs dimensions, d’autre part, rechercher l’information pertinente en évaluant les sources, et enfin, opérer une pratique citoyenne des médias. Parmi les pratiques scolaires prises en exemple, il en est une qui revient comme un leitmotiv à la fois sur les sites institutionnels tels qu’Eduscol ou le site du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) mais aussi sur ceux des professionnels de l’information. La mise en oeuvre d’un média scolaire est communément citée et encouragée puisqu’il permet à la fois de travailler d’une part sur la consommation de l’information et donc du jugement critique ; et d’autre part sur la production de l’information ; ce qui revient à travailler sur l’expression d’un engagement citoyen.

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Table des matières

Introduction
1. Pourquoi avoir choisi le média scolaire pour l’exercice d’un engagement citoyen?
1.1. E.M.I et E.M.C : un engagement du M.E.N
1.1.1 E.M.C et Parcours citoyen : le renouveau de l’enseignement moral et civique
1.1.2 L’E.M.I au service de l’E.M.C : une éducation qui intègre les nouveaux modes d’expression
1.1.3 Le rôle du professeur-documentaliste dans cette démarche citoyenne : retour sur le référentiel et sur la circulaire
1.2. Le média scolaire, en connivence avec les pratiques des adolescents ?
1.2.1 Définition du concept de « pratique informationnelle »
1.2.2 Regard sur les pratiques informationnelles des jeunes
1.2.3 Regard sur les pratiques numériques de loisirs des jeunes
1.3. Le format du « club », cadre informel qui n’existe que par l’engagement des élèves
1.3.1 Mise en place d’un club scolaire : volonté des acteurs et engagement des élèves
1.3.2 L’importance des clubs dans l’acquisition des compétences psycho-sociales
1.3.3 Détourner les objectifs et les compétences : un équilibre nécessaire à la survie du projet
2. Comment permettre aux élèves de faire preuve d’engagement citoyen
2.1. Proposer, ne pas imposer
2.1.1 Cerner les attentes des élèves
2.1.2 Laisser aux élèves le choix de leur média
2.1.3 Laisser libre cours aux sujets des élèves
2.2 La pratique, au centre de l’engagement
2.2.1 L’apprentissage par la pratique
2.2.2 Mise en retrait de la figure de l’enseignant
2.2.3 Le droit primordial à l’erreur : accompagnement et médiation
2.3. Des sujets d’articles, révélateurs des pratiques informationnelles des adolescents et d’une pensée critique
2.3.1 Une pensée réflexive sur les pratiques informationnelles
2.3.2 Des sujets en prise avec l’actualité
2.3.3 Un média scolaire, représentatif de la parole collégienne ?
3. L’heure des bilans
3.1. Une méthodologie à réviser ?
3.1.1 Des idées foisonnantes, une production peu abondante
3.1.2 Un parti pris méthodologique à interroger
3.1.3 Les représentations du média scolaire chez l’adolescent
3.2 Un développement des compétences
3.2.1 Une priorité aux apprentissages au détriment des échéances
3.2.2 Des automatismes en termes d’éducation aux médias et à l’information
3.2.3 Une autonomisation des élèves
3.3 Bilan d’un engagement en termes de participation
3.3.1 Un renouvellement des inscrits et une augmentation des inscriptions
3.3.2 Un intérêt néanmoins sélectif
3.3.3 Engagement des acteurs de la communauté éducative
Conclusion
Bibliographie

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