Circulation extra corporelle et chirurgie cardiaque
La circulation extra corporelle
La circulation extra-corporelle (CEC) est un dispositif qui permet les manipulations chirurgicales à cœur arrêté en shuntant le cœur et les poumons par dérivation de la circulation sanguine en dehors du corps. Au cours de la CEC, le cœur est arrêté grâce à la perfusion d’une solution de cardioplégie au sang, contenant du potassium et des bêtabloquants, ou au Custodiol© (solution commerciale). Le circuit de CEC contient classiquement cinq éléments : un réservoir veineux, un oxygénateur, un échangeur de chaleur, des canules (veineuse et artérielle) et une pompe (cf. annexe 1). Leur but est triple : maintenir la perfusion systémique, assurer les échanges gazeux pour l’oxygène et le dioxyde de carbone, et régler la température.
Dans le circuit, le sang du patient est en contact direct avec l’air et avec les surfaces synthétiques. Bien qu’assurant la circulation sanguine et les échanges gazeux, la CEC n’est pas un système physiologique. La biocompatibilité des matériaux utilisés est imparfaite, la température corporelle et les conditions de flux artériel (flux dépulsé) sont modifiées et elle implique des phénomènes d’ischémie-reperfusion (clampage aortique). Ces facteurs réunis vont induire un syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS). Ce SRIS implique à la fois des interactions cellulaires et humorales [31]. Les éléments humoraux de ce SRIS sont le systèmedu complément et les cytokines inflammatoires : ils activent les cellules endothéliales et les polynucléaires neutrophiles, ces derniers étant à l’origine de la libération d’enzymes lytiques et de dérivés réactifs de l’oxygène, acteurs de lésions tissulaires. La sécrétions de cytokines inflammatoires est amplifiée via l’activation des neutrophiles, menant à une véritable boucle inflammatoire auto-entretenue. On observe en parallèle une activation des cascades de la coagulation et de la fibrinolyse [32]. Cet état inflammatoire grave à l’origine de lésions endothéliales étendues et d’un syndrome de fuite capillaire a donc pour conséquence une atteinte viscérale ubiquitaire menant potentiellement à des défaillances d’organe post opératoires : myocardique, pulmonaire, rénale, neurologique, hépatique ; ou encore à une coagulopathie et un syndrome vasoplégique [33-35].
Conséquences viscérales
· La dysfonction myocardique: la CEC diminue l’activité des récepteurs β1 myocardiques de 30-50%, et augmente proportionnellement celle des récepteurs α dans la réponse sympathique aux catécholamines [36]. La fonction systolique et la fonction diastolique baissent progressivement pour atteindre leur nadir vers 5-6 heures après la CEC ; la récupération prend 8 à 24 heures [37]. Cette dysfonction est d’autant plus sévère que l’atteinte ventriculaire était préexistante et que l’opération était longue et complexe. La mortalité atteint 9,7% en cas de dysfonction ventriculaire gauche isolée, et jusqu’à 40% lorsqu’elle est associée à une dysfonction ventriculaire droite [38].
· L’atteinte pulmonaire: les conséquences respiratoires vont d’une augmentation modérée de l’eau pulmonaire extravasculaire au syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) [39]. Ce dernier est décrit jusque dans 20% des cas et est associé à une franche augmentation de la mortalité, jusqu’à 80%, dans ce contexte [40]. L’atteinte pulmonaire est multifactorielle, non seulement liée à la réaction inflammatoire post-CEC avec activation du complément et séquestration de polynucléaires pulmonaires qui produisent des substances oxygénées activées et libèrent des enzymes lysosomiales, mais aussi à une élévation des pressions capillaires pulmonaires pouvant être observées dans le cadre d’une dysfonction myocardique gauche.
· L’atteinte rénale: en soins intensifs, la chirurgie cardiaque sous CEC est la seconde cause de dysfonction rénale après la septicémie. Son incidence varie de 5 à 43% selon les séries et elle est associée de manière indépendante à une morbi-mortalité accrue [41,42]. Plusieurs mécanismes physiopathologiques ont été décrit, faisant de la dysfonction rénale post chirurgie cardiaque une pathologie elle aussi multifactorielle.
On identifie premièrement une vasoconstriction locale induite par l’hypoperfusion, l’hémolyse, l’inflammation et le stress oxydant provoquant une réduction du débit de perfusion rénal. En parallèle, on observe des lésions cellulaires parenchymateuses rénales dues aux phénomènes d’ischémie-reperfusion. Enfin, des facteurs mécaniques tels que la survenue d’emboles cruoriques ou de cholestérol, ainsi que les prédispositions individuelles comme la présence d’une réserve fonctionnelle rénale préalablement altérée peuvent participer à l’agression [43]. La sévérité de l’atteinte rénale est établie selon les critères du Kidney Disease : Improving Global Outcomes(KDIGO) [44]. Dans 1 à 5% des cas, le recours à l’épuration rénale s’avère nécessaire grevant alors le pronostic rénal et individuel à court comme à long terme [45,46].
· L’atteinte neurologique: les conséquences neurologiques de la CEC sont difficiles à appréhender en raison de la difficulté à réaliser des tests psychométriques en postopératoire immédiat et de la participation vasculaire aux accidents ischémiques postCEC chez des sujets souvent poly-athéromateux. Leur prévalence varie beaucoup en fonction de la manière dont on les identifie (jusqu’à 22,5% de troubles cognitifs décrits deux mois après pontage coronaire) [47]. Ce risque neurologique, longtemps attribué à la CEC seule est en fait d’origine multifactorielle: des études récentes tendent à montrer que les facteurs de risque liés au patient (athéromatose, anamnèse d’AVC, troubles cognitifs préopératoires) sont plus importants que ceux liés à l’intervention(durée de CEC, microemboles…) [48]. Les troubles neurologiques postopératoires sont classés en deux catégories : le type I comprend les lésions focales (AVC, AIT) et l’encéphalopathie anoxique (coma) ; le type II consiste en séquelles neuropsychologiques diffuses(détérioration des fonctions intellectuelles, troubles de la mémoire, délire, convulsions)sans signe de focalisation [49,50].
· L’atteinte splanchnique: les conséquences splanchniques (hépatiques et mésentériques) de la CEC ont été très étudiées en raison de la libération possible d’endotoxine à travers la muqueuse intestinale ischémique. Une étude récente a montré qu’une durée prolongée de CEC était associée à l’augmentation d’un marqueur d’ischémie-reperfusion intestinal (Intestinal Fatty Acid Binding Protein) et à la circulation d’endotoxines [51]. Au niveau hépatique, la dysfonction transitoire post CEC concerne jusqu’à 47% des patients et augmente considérablement la mortalité [52].
Elle a aussi été associée à la durée de la CEC et aux phénomènes d’ischémiereperfusion, responsables d’une congestion veineuse au sevrage de la CEC [53]. Ces lésions sont principalement observées lors des CEC réalisées en hypothermie, car liées en grande partie à l’augmentation du métabolisme et de l’extraction splanchnique d’oxygène durant le réchauffement [54].
La chirurgie cardiaque
La chirurgie cardiaque est à elle seule source d’une réponse inflammatoire systémique majeure. L’atteinte myocardique et vasculaire est directe tout comme l’atteinte pulmonaire, induite par la sternotomie et les atélectasies faisant suite au décubitus prolongé lors de l’intervention. A la suite du traumatisme chirurgical, le système nerveux active la réponse au stress via l’envoi de signaux vers l’hypothalamus depuis les sites lésés. L’hypothalamus supprime son tonus inhibiteur sur l’hypophyse, stimulant ainsi la sécrétion d’hormones hypophysaires venant à leur tour stimuler la sécrétion d’hormonestelles que le cortisol, les catécholamines ou la vasopressine par les organes cibles. L’activation de ces voies de réponse au stress chirurgical mène à la production d’une multitude de cytokines inflammatoires venantexacerber la réponse inflammatoire [55].
Problématique
L’inhibition du SRE au cours des états inflammatoires graves semble être une voie de recherche prometteuse afin de diminuer l’intensité et la durée des défaillances d’organes induites par l’inflammation. Il n’existe cependant à ce jour aucune description du SRE chez le patient en situation d’inflammation systémique aseptique aiguë, ni aucune notion de la cinétique d’évolution du SRE chez l’Homme au cours de l’inflammation aiguë. Dans le cadre d’une CEC, le début de l’agression pourvoyeuse de SRIS est connu avec précision, permettant une description précise de la cinétique de l’activation du SRE en comparaison d’une situation d’inflammation secondaire (sepsis, traumatisme…). De plus, ce « modèle » offre la possibilité pour chaque patient d’être son propre témoin.
Notre hypothèse était que les voies du SRE étaient activées au cours d’une chirurgie cardiaque sous CEC. Nos objectifs étaient de décrire l’activation du SRE et sa cinétique d’expression, ainsi que de rechercher une corrélation entre l’intensité de l’expression du SRE et l’inflammation systémique ou la morbi-mortalité.
MATÉRIELS ET MÉTHODES
Population
Nous avons mené une étude pilote, prospective et monocentrique au CHU de Rouen. Le protocole a reçu l’accord favorable du Comité de Protection des Personnes Sud-méditerranée.
II en avril 2018 (numéro ID RCB : 2017 A03375 48). Le consentement écrit éclairé de chaque patient était recueilli au plus tard la veille de l’intervention.
Les critères d’inclusionétaient :
× patients adultes (âge ≥18ans) ;
× chirurgie cardiaque sous CEC programmée avec sternotomie ;
× durée de CEC prévisible supérieure à une heure.
Les inclusions se sont déroulées sur la période du 10 juillet 2018 au 6 mars 2019.
Les critères de non inclusion étaient : une chirurgie cardiaque réalisée en urgence ou sans CEC, un temps de CEC prévisible inférieur à une heure (remplacement valvulaire aortique simple, mono- ou double pontage coronarien), un antécédent de cardiopathie sous-jacente avec fonction systolique du ventricule gauche altérée (FEVG < 30%), de maladie inflammatoire auto-immune chronique ou de néoplasie évolutive. Les femmes enceintes ou allaitantes ainsi que les patients sous protection juridique n’étaient pas inclus.
Objectifs
L’objectif principal était l’étude de la variation d’expression de la GRP78 entre le prélèvement réalisé avant la CEC (pré-CEC) et le prélèvement réalisé à deux heures de la fin de CEC (H2-CEC) par Polymerase Chain Reaction (PCR) quantitative sur sang total et technique immuno-enzymatique ELISA.
Les objectifs secondaires étaient :
– étudier les variations d’expression de la GRP78 entre le prélèvement pré-CEC et celui réalisé à 24 heures de la fin de CEC (H24-CEC) par techniques ELISA et PCR quantitative sur sang total ;
– étudier la corrélation entre la concentration plasmatique de GRP78 et l’intensité de son expression génique au sein des cellules circulantes ;
– étudier l’impact de la procédure de CEC (cardioplégie au sang ou au Custodiol) sur les taux post-opératoires de GRP78 ;
– étudier la corrélation entre la GRP78 plasmatique et la morbidité post-opératoire :
× défaillance d’organe persistante 24h après la fin de CEC: ventilation mécanique et/ou insuffisance rénale aiguë (définie par un score Kidney Disease Improving Global Outcomes (KDIGO) ≥ 1 [44] (cf. annexe 2)) et/ou défaillance hémodynamique nécessitant des catécholamines ;
× le score de gravité Indice de Gravité Simplifié II (IGS II) [56] (cf. annexe 3) ;
× troponinémie post-opératoire (reflet de l’efficacité de la cardioplégie et de la souffrance myocardique per-opératoire et post-opératoire) ;
× le rapport PaO2/FiO2 des patients sous ventilation mécanique (reflet de l’hypoxémie et donc du degré d’atteinte pulmonaire post-opératoire) [57].
Déroulement du protocole
Le consentement était signé au plus tard la veille de l’intervention. L’induction anesthésique comprenait un hypnotique intra-veineux (IV) (propofol ou étomidate), un opioïde IV (sufentanil ou rémifentanil) et un curare IV (cisatracrium) permettant l’intubation orotrachéale. L’administration de kétamine et de corticostéroïdes était laissée à l’appréciation du médecin anesthésiste-réanimateur (MAR). Le premier prélèvement « pré-CEC » était réalisé juste après la mise en place du cathéter artériel, puis l’anesthésie était entretenue par propofol et opioïdes en perfusion continue. La CEC était initiée avec une solution héparinée, après sternotomie, péricardotomie et drainage de l’oreillette droite par une ou deux canules. Le sang oxygéné était réinjecté dans la circulation artérielle par une canule insérée dans l’aorte en aval du clampage aortique. Le cœur était arrêté par perfusion d’une solution de cardioplégie froide et riche en potassium (cardioplégie au sang ou cardioplégie au Custodiol©) administrée par voie antérograde par les ostia coronaires ou par voie rétrograde par le sinus coronaire. Le circuit de CEC, comportait classiquement des filtres, un dispositif thermique pour maintenir la température sanguine au niveau souhaité (36 à 37 °C) et un oxygénateur. Durant la CEC, la Pression Artérielle Moyenne était habituellement maintenue entre 55 et 70 mmHg. La ventilation per CEC n’était pas systématique (selon l’appréciation du MAR et du chirurgien).
Á la fin de l’intervention, les cavités cardiaques étaient purgées, l’aorte déclampée et le cœur reperfusé. Une fois obtention d’un rythme cardiaque spontané efficace ou électro-entrainé par électrodes épicardiques externes, la CEC était arrêtée et les canules retirées. L’héparine circulante était neutralisée dose pour dose par de la protamine. Les patients étaient transférés en réanimation cardiaque en post opératoire où tous bénéficiaient d’une surveillance horaire les 24 premières heures, puis d’une surveillance toutes les 3h durant le reste du séjour en réanimation. Le deuxième prélèvement était réalisé à 2h de l’arrêt de la CEC en même temps que le début du recueil des paramètres clinico-biologiques en réanimation. Le troisième prélèvement était réalisé à 24h de l’arrêt de la CEC.
Modalités de prélèvements
Les prélèvements étaient réalisés viale cathéter artériel posé de façon systématique dans le cadre d’une chirurgie cardiaque : le premier (H0, pré-CEC) juste après la pose du cathéter etl’induction anesthésique, le deuxième 2 heures après la fin de CEC (H2-CEC) et le troisième 24h après la fin de CEC (H24-CEC). Pour chaque prélèvement, un tube PAXgene® (2,5 ml de sang, stocké directement au congélateur) et 1 tube EDTA (4 ml de sang) étaient prélevés. Le tube EDTA était centrifugé immédiatement sur la centrifugeuse du bloc de chirurgie cardiaque (3000g durant 15 min) avec récupération du plasma aliquoté dans des micro-tubes (100 à 300 µl/tube). Après stockage temporaire (< 7 jours) au congélateur -20°C du bloc opératoire de chirurgie cardiaque, les tubes étaient entreposés au congélateur à -80°C du Centre d’Investigation Clinique avant transfert et analyse au laboratoire INSERM U1096. Au total six tubes ont été prélevés pour chaque patient (3 tubes PAXGene® + 3 tubes EDTA) (cf. figure 2 ci-dessous).
Analyse statistique
Calcul du nombre de sujets nécessaires
L’effectif a été déterminé à partir d’un test de comparaison de moyennes des valeurs du SRE estimées à partir d’études précédentes menées dans des conditions d’inflammation septique. Les distributions des mesures du SRE ont été comparées entre les bilans avant et après la CEC, au moyen du test non paramétrique de Wilcoxon pour séries appariées. La puissance statistique de ce test non paramétrique ne pouvant pas être évaluée directement avec les logiciels de référence, une évaluation approximative a été effectuée pour le test paramétrique correspondant, c’est-à-dire le test de Student pour séries appariées. Aucune donnée n’étant référencée chez l’Homme, l’effet attendu n’a donc pas pu être défini, ni la variance intraindividuelle ou inter-individuelle du SRE.
Un effectif de 50 patients a été retenu. Cet effectif permettrait de mettre en évidence une taille d’effet (différence des moyennes rapportées à l’écart-type) de 0,468 pour une puissance de 90 % au risque de première espèce de 2,5 % en formulation unilatérale. Cette faible taille d’effet permettrait de mettre en évidence une différence modérée de la diminution de la mesure du SRE entre les deux bilans avant et après la CEC à condition que la dispersion de la mesure du SRE ne soit pas trop importante. On pouvait s’attendre à une valeur légèrement plus faible de la puissance statistique pour le test non paramétrique de Wilcoxon pour séries appariées mais parfaitement acceptable et supérieure à 80 %.
Analyses statistiques
Les analyses statistiques ont été effectuées grâce au logiciel Prism8 (GraphPad Software, San Diego, California, États-Unis). La normalité de la distribution de nos échantillons a été testée à l’aide du test de Shapiro-Wilk. Les variables quantitatives ont été comparées à l’aide des tests de Friedman ou de Wilcoxon (variables appariées) ou de Mann-Whitney (variables non appariées). Le test de corrélation de Spearman a été utilisé pour évaluer l’association entre deux variables.
Tous les résultats sont présentés sous forme de médiane et intervalle interquartile [Q1 ; Q3] ou de valeur absolue (%). Une valeur de p < 0,05 était considérée comme statistiquement significative.
Description de l’activation du SRE au cours de la CEC chez l’Homme
Analyse de l’expression génique de la GRP78par PCR quantitative
L’étude de l’expression du gène HSPA5chez nos patients a montré une augmentation significative de l’expression génique à 2h (H2) et à 24h (H24) de la fin de CEC (p<0,0001) comparativement à l’expression génique avant CEC (pré-CEC), sans différence significative entre les niveaux d’expression à H2 et H24 (Fig. 3).
Comparaison de l’expression génique et protéique de la GRP78
Nous n’avons pas trouvé de corrélation entre l’expression génique de la GRP78 dans les cellules circulantes à H2 et son taux plasmatique à H2 (r=0,058 IC95%[-0,28; 0,39] ; p=0,74) ; ni entre l’expression génique à H2 et son taux plasmatique à H24 (r=0,24; IC95%[-0,11; 0,53] p=0,16). Nous n’avons pas non plus trouvé de corrélation entre l’expression génique de la GRP78 dans les cellules circulantes à H24 et son taux plasmatique à H24 (r=0,24 IC95%[-0,08; 0,52] ; p=0,74).
DISCUSSION
Notre étude est la première à décrire l’activation des voies de SRE au cours de l’inflammation systémique aiguë aseptique chez l’Homme. Nous avons mis en évidence une augmentation significative de l’expression génique de la GRP78 au sein des cellules circulantes ainsi qu’une diminution significative de son taux circulant à deux heures de la fin de CEC. De plus, nos résultats mettent en évidence une association entre la variation de l’expression protéique de GRP78 (delta pré-CEC et H24-CEC) après CEC et la défaillance d’organe post opératoire.
Cinétique de l’expression de la GRP78 au cours de la CEC chez l’Homme
Nous avons mis en évidence une augmentation significative de l’expression génique de la GRP78 à 2h d’une agression inflammatoire systémique, ainsi qu’à 24hau sein des cellules sanguines circulantes. Nos résultats montrent une activation précoce et persistante de la transcription du gène codant pour la GRP78. Cette donnée est en accord avec de précédents travaux montrant une augmentation des niveaux tissulaires de GRP78 au cours de l’inflammation aiguë dans un modèle animal de choc hémorragique [59]. Néanmoins, elle contraste avec la diminution des concentrations plasmatiques en GRP78 à H2 qui pourrait sembler paradoxale. Ces deux résultats sont en fait cohérents : le rôle commun des protéines dites chaperonnes est de prévenir les dommages potentiellement causés par une perte de fonction protéique due à un mauvais repliement tridimensionnel, leur action est intra-cellulaire.
La GRP78 est donc une protéine tissulaire effectrice au niveau intra-cellulaire en situation de SRE. L’augmentation de la transcription observée dans notre travail est un argument supplémentaire pour une augmentation intra-cellulaire de cette protéine. Ainsi, au cours d’une situation de stress aigu, une majoration de l’expression et de l’utilisation cellulaire et donc tissulaire de la GRP78 irait de pair avec la baisse de son excrétion plasmatique. Le ratio entre GRP78 tissulaire et GRP78 circulante n’est cependant pas connu et un futur travail sur le volontaire sain pourrait permettre de mieux comprendre le lien entre ces deux localisations de la GRP78. Ainsi, nos résultats pourraient refléter une utilisation rapide et précoce de la GRP78 dans les tissus pour la résolution du SRE après le stress chirurgical (d’où la baisse des taux plasmatiques à H2). Ce stress chirurgical déclenche très probablement en parallèle une activation de l’expression génique des gènes de l’UPR dans le but de restaurer les taux tissulaires et circulants de GRP78 pour faire face à l’état de stress. Dans une étude portant sur l’analyse immunohistochimique de cellules cérébrales humaines après ischémie reperfusion, les auteurs ont mis évidence l’augmentation du marquage de GRP78 qu’à partir de la 5 ème heure [60]. Ce résultat va dans le sens de notre analyse, en montrant que la ré-augmentation des taux plasmatique de GRP78 après agression aiguë est un phénomène retardé. Grâce à l’analyse génique cependant, nous pouvons penser que la réponse adaptative de l’UPR débute précocement, puisque nous observons une augmentation de l’expression du gène HSPA5codant pour la GRP78 dès H2. A 24 heures du début du stress, nous avons observé la persistance de l’élévation de l’expression génique avec une réascension des taux protéiques de GRP78. Ces résultats s’accordent avec l’hypothèse d’une compensation progressive du déficit initial relatif en GRP78 après agression aigue inflammatoire par activation soutenue de la transcription du gène HSPA5, permettant la restauration des stocks en GRP78. Cela n’est cependant qu’une hypothèse puisque nous ne sommes pas en mesure d’affirmer qu’il s’agit bien là d’une « réquisition » intra-cellulaire pour la résolution du SRE et non pas d’une élimination intraplasmatique de la GRP78, son métabolisme n’étant pas connu actuellement. De futurs travaux devront étudier les liens entre GRP78 tissulaire et circulante.
Par ailleurs, nous n’avons pas retrouvé de corrélation entre l’expression génique de la GRP78 dans les cellules circulantes et les niveaux de GRP78 circulants. L’origine de la GRP78 plasmatique et donc circulante est inconnue. Cette protéine étant tissulaire et ubiquitaire, il est probable que plusieurs tissus participent à son excrétion et déterminent ainsi son niveau plasmatique. Dans notre étude, l’analyse de l’expression génique de la GRP78 a été réalisée à partir de sang total et correspond en fait à l’expression génique leucocytaire. En effet, les variations des expressions d’ARN évaluées par la technique PAXgene® sont très fortement corrélées aux variations d’expression d’ARN des leucocytes [61]. Ainsi, il est admis que les variations détectées par cette technique sont des reflets de l’expression génique leucocytaire. Il est possible que les leucocytes participent peu à la synthèse de GRP78 circulante ce qui pourrait expliquer l’absence de corrélation entre nos résultats de qPCR et d’ELISA. D’autres travaux sont donc nécessaires afin d’identifier les différentes origines de la GRP78 plasmatique. Mais aussi afin d’identifier dans quelle proportion les différents organes participent à son excrétion en contexte aigu inflammatoire aseptique. Ces analyses restant difficilement réalisables chez l’Homme, une première étape serait une analyse de l’expression géniqueet des concentrationsprotéiques à partir de cellules, tissus ou organes dans les modèles animaux de stressinflammatoire.
Expression de la GRP78 après CEC et morbi-mortalité en réanimation
Nous avons montré une association entre la variation de l’expression protéique de GRP78 par rapport à son niveau de base (delta pré-CEC et H24-CEC), et la défaillance d’organe post-opératoire. Ainsi, les taux de GRP78 à H24 reviennent à leur niveau de base chez les patients sans défaillance d’organe. A l’inverse, les taux de GRP78 à H24 des patients présentant une défaillance d’organe persistante restent nettement inférieurs à leur niveau de base pré-CEC.
Les patients présentant une défaillance d’organe semblent donc rester en déficit relatif par rapport à leur niveau de GRP78 pré-opératoire. Ces concentrations restant relativement basses pourraient être expliquées par le maintien d’une consommation tissulaire de GRP78 lors d’un stress intense et prolongé. Chez l’animal, d’autres études portant sur le SRE après agression inflammatoire aiguë ont montré une association entre l’activation du SRE et la dysfonction d’organe [13,59]. Ces études ont retrouvé des taux tissulaires en GRP78 plus élevéscomparativement aux conditions contrôles. Cependant ces travaux ne s’étaient pas intéressés aux variations de GRP78 chez un même individu.
Deux autres résultats de notre étude vont dans ce sens. En effet, la corrélation négative entre les niveaux plasmatiques de GRP78 et la troponinémie post-opératoire suggèrent une utilisation intratissulaire de la GRP78 plus importante chez les patients ayant eu une souffrance myocardique péri-opératoire : plus la troponine augmente (témoin d’une souffrance myocardique per-opératoire), plus les taux circulants de GRP78 sont faibles. De même, la corrélation entre le rapport PaO2/FiO2 (témoin du degré d’hypoxémie et de l’atteinte pulmonaire post opératoire) et le taux de GRP78 circulante suggère que plus l’atteinte pulmonaire est sévère (rapport PaO2/FiO2 bas) plus les taux circulants de GRP78 sont faibles.
Cela suggère ici un possible trappingtissulaire de GRP78 plus important chez les patients ayant les atteintes tissulaires les plus sévères.
Pour finir, la corrélation négative retrouvée entre la durée de CEC et les taux circulants de GRP78 à H24 renforce nos hypothèses quant à une utilisation intra tissulaire plus importante de la GRP78 pour la résolution du stress lors d’un stress prolongé. Les patients ayant eu une CEC plus courte et donc ayant été soumis à un moindre stress inflammatoire étant ceux présentant les taux de GRP78 circulants les plus élevés.
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Table des matières
INTRODUCTION
A –Mécanismes moléculaires du stress du réticulum endoplasmique
B –Stress du réticulum endoplasmique et pathologies
C –Circulation extra corporelle et chirurgie cardiaque
C1 –La circulation extra corporelle
C2 –La chirurgie cardiaque
D –Problématique
MATÉRIELS ET MÉTHODES
A –Population
B –Objectifs
C –Déroulement du protocole
D –Modalités de prélèvements
E – Extraction d’ARN, transcription inverse et réaction en chaîne par polymérase quantitative
F –Méthode immuno-enzymatique (Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay, ELISA)
G –Analyse statistique
G.1 –Calcul du nombre de sujets nécessaires
G.2 –Analyses statistiques
RÉSULTATS
A –Données épidémiologiques de la population étudiée
B – Description de l’activation du SRE au cours de la CEC chez l’Homme
B.1 – Analyse de l’expression génique de la GRP78par PCR quantitative
B.2 – Analyse de l’expression protéiquede la GRP78 par technique ELISA
B.3 – Comparaison de l’expression génique et protéique de la GRP78
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Annexe 1 : Circuit de CEC
Annexe 2 : score KDIGO
Annexe 3 : score IGS II
RÉSUMÉ