Mécanismes généraux de la mise en place du SNC

Mécanismes généraux de la mise en place du SNC

Le phénomène de neurulation et l’induction neurale

La neurulation fait suite chez l’embryon à la gastrulation, qui aboutit à l’agencement des trois feuillets cellulaires primitifs, avec un feuillet interne nommé endoderme, un feuillet intermédiaire, le mésoderme, et un feuillet externe, l’ectoderme. Contrairement aux cellules ectodermiques adjacentes, qui se sont aplaties durant cette phase, les cellules ectodermiques dorsales se sont allongées et forment ainsi une structure épithéliale monocouche nommée plaque neurale (figure 1). Durant la neurulation, cette structure va être affectée par des mouvements morphogénétiques, la plaque se creusant en gouttière, puis ses bords s’épaississant et se soulevant pour former les bourrelets neuraux. L’enroulement progressif des bourrelets courbe la plaque jusqu’à ce qu’ils puissent se toucher et fusionnent dorsalement, formant un tube neural parallèle à l’axe antéro-postérieur de l’embryon. Ce tube neural s’individualise de l’épiderme présomptif sous-jacent grâce à des modifications d’adhérence des cellules. Si la neurulation se produit simultanément sur toute la plaque neurale chez les Amphibiens, elle débute dans la région céphalique chez le poulet et en plusieurs points de l’axe chez les Mammifères, pour s’étendre ensuite antérieurement et postérieurement dans les deux cas.

La formation de la plaque neurale nécessite une phase d’induction, au cours de laquelle les cellules du feuillet ectodermique de l’embryon reçoivent des signaux provenant des tissus adjacents, en particulier du mésoderme relocalisé à proximité de l’ectoderme par les mouvements morphogénétiques lors de la gastrulation, et sont ainsi spécifiées en précurseurs neuraux. Les premières données relatives à l’induction neurale sont dues à l’expérience de Spemann et Mangold en 1924, qui ont réalisé des greffes de lèvre dorsale du blastopore de jeune gastrula de triton au niveau de l’ectoderme ventral d’embryons receveurs (figure 2). La greffe de ce groupe de cellules mésodermiques aboutit à la formation d’un second axe embryonnaire complet au niveau ventral de l‘embryon hôte, organisé suivant son axe antéropostérieur. Le région greffée, capable d’induire la différenciation de l’épiderme en tissu neural, est appelé organisateur de Spemann. Des équivalents fonctionnels à cet organisateur décrit chez les Amphibiens ont ensuite été caractérisés dans d’autres modèles de vertébrés : le bouclier chez les Téléostéens et le nœud de Hensen chez les Sauropsidés et les Mammifères (Beddington, 1994; Sherbet and Lakshmi, 1967; Shih and Fraser, 1996). Chacune de ces structures est apte à induire du tissu neural en allogreffe comme en xénogreffe, montrant qu’elles émettent des signaux neuralisants et suggérant que la nature de ces signaux est de plus conservée phylogénétiquement. Par la suite, des expériences in vitro ont permis de montrer que des explants ectodermiques issus du pôle animal de blastula ou jeune gastrula de Xénope se différenciaient en épiderme s’ils étaient cultivés intacts, mais qu’en cas de dissociation préalable des explants, les cellules adoptaient une identité neurale (figure 3, Godsave and Slack, 1989; Grunz and Tacke, 1989). Ces résultats suggéraient que l’identité par défaut des cellules ectodermiques étaient une identité neurale et qu’il existait des signaux diffusibles réprimant l’identité neurale de façon non autonome. Un argument en faveur du modèle par défaut était que le blocage de la voie des TGFß induit la différenciation d’explants ectodermiques en tissu neural in vitro (Hemmati-Brivanlou and Melton, 1992; Hemmati-Brivanlou and Melton, 1994) et qu’inversement BMP4, membre de la famille des TGFß, bloque la différenciation neurale des cellules ectodermiques dissociées et leur confère un devenir épidermique (Wilson and Hemmati-Brivanlou, 1995). De plus, il a été montré que divers facteurs inhibant l’activité des BMP par interaction directe avec ces facteurs ou avec leurs récepteurs, sont sécretés par l’organisateur de Spemann et possèdent une activité neuralisante (Piccolo, 96 ; Hansen et al, 97 ; Iemura, 98). Enfin, in vivo,BMP4 et BMP7 sont initialement exprimés dans tout l’ectoderme, puis, lors de l’apparition de l’organisateur de Spemann, l’expression s’éteint dans le neuroderme présomptif (Fainsod et al., 1994), probablement sous l’action de leurs inhibiteurs sécrétés par l’organisateur.

Cependant, ce modèle a depuis lors été remis en cause et l’on sait actuellement que la répression des BMP n’est ni nécessaire ni suffisante à l’induction neurale, et qu’il existe donc probablement également des signaux promouvant la différenciation neurale. Le premier élément contredisant le modèle par défaut est l’existence d’une activation de marqueurs neuraux avant le début de la gastrulation, tels que Sox3, Cyp26 ou ERNI (Kudoh et al., 2004; Penzel et al., 1997; Streit et al., 2000; Wilson et al., 2000), suggérant une spécification plus précoce du tissu neural. De plus, des expériences d’ablation chirurgicale de l’organisateur chez le poisson-zèbre, le Xénope et les amniotes (Shih and Fraser, 1996; Wilson and Edlund, 2001) ont montré que le système nerveux pouvait se former en son absence et des résultats similaires ont été obtenus après ablation génétique, dans le cas d’un mutant de la voie Nodal chez le poisson-zèbre ou du mutant HNF3ß chez la souris (Ang and Rossant, 1994; Gritsman et al., 1999; Klingensmith et al., 1999; Shimizu et al., 2000). Il peut exister des structures capables de relayer l’organisateur en son absence, mais le fait que le tissu neural semble spécifié avant la sécrétion des signaux inhibiteurs des BMP laisse penser qu’en réalité ils agissent en aval, puis éventuellement en parallèle d’autres facteurs de spécification. Chez les Anamniotes, la voie Wnt canonique, active avant et durant la gastrulation dans l’ectoderme dorsal, est nécessaire et suffisante à la répression de BMP4, et pourrait donc assurer le rôle de répression des BMPs avant la gastrulation (Baker et al., 1999). Au contraire, chez le poulet, la voie Wnt active les BMPs et favorise un destin épidermique en diminuant la capacité des cellules épiblastique à répondre au FGF, qui joue un rôle neuralisant précoce. Ce rôle des FGF repose sur une répression des BMP, mais également sur un phénomène d’induction indépendant de ces facteurs (Wilson et al., 2001). On peut également ajouter à ce modèle l’action parallèle des IGF, également capables d’induire un destin neural au sein de l’ectoderme (Pera et al., 2001). Par ailleurs, d’autres structures semblent nécessaires à la formation du système nerveux antérieur (prosencéphale) chez les Amniotes, tel l’endoderme viscéral antérieur (AVE) chez la souris ou l’hypoblaste chez le poulet (Eyal-Giladi, 1970; Thomas and Beddington, 1996). Cependant, ces structures à elles-seules ne peuvent induire du tissu neural et ne sont donc pas des organisateurs à part entière (Tam and Steiner, 1999).

Régionalisation du primordium neural 

Formation et dérivés des territoires céphaliques 

La première manifestation visible de la régionalisation du système nerveux central est la formation le long de l’axe antéro-postérieur de constrictions successives alternant avec des renflements, correspondant aux vésicules céphaliques (figure 4). Les trois premières vésicules se forment rostralement, dès la fermeture du tube neural à ce niveau. Elles définissent déjà les principales subdivisions du futur SNC : le prosencéphale (ou cerveau antérieur), le mésencéphale (ou cerveau moyen), le rhombencéphale (ou cerveau postérieur) et la moelle épinière. Parallèlement à la fermeture caudale du tube, une nouvelle constriction apparaît au niveau du prosencéphale. La vésicule la plus antérieure est dite télencéphalique et donnera naissance aux hémisphères cérébraux, aux bulbes olfactifs et aux ganglions de la base, la seconde, dite diencéphalique, formera chez l’adulte le thalamus, l’hypothalamus, la rétine et le nerf optique, ainsi que la partie neurale de la glande hypophysaire. Le mésencéphale participe à la formation du tectum optique, du tegmentum et du cervelet. Enfin, le rhombencéphale donne naissance au métencéphale, qui forme chez l’adulte une partie du cervelet et le pont, et au myélencéphale, primordium du bulbe rachidien et des nerfs craniens IV à XII. Il n’y a pas d’individualisation morphologique marquée entre le rhombencéphale postérieur et la moelle épinière, qui participe chez l’adulte au contrôle moteur et sensoriel du tronc et des membres via les nerfs spinaux.

Mécanismes moléculaires de la régionalisation antéro-postérieure

Bien avant l’apparition de la subdivision morphologique du tube neural, une régionalisation de la plaque neurale se met en place, chacune des cellules recevant une information de position, lui indiquant sa localisation selon les axes antéro postérieur et dorsoventral.

Mécanismes moléculaires liés à l’induction neurale
Deux modèles principaux sont proposés pour rendre compte de la régionalisation antéropostérieure de la plaque neurale. Le premier, proposé dans les années 1930 suite aux expériences d’Otto Mangold (figure 5A), repose sur le fait que chez la gastrula de triton, un greffon prélevé à différents niveaux AP de l’organisateur va induire des structures distinctes de type antérieur ou postérieur. Ce modèle propose donc l’existence de plusieurs organisateurs induisant les différentes parties du système nerveux (pour revue Stern, 2001). Parallèlement, Spemann montre que les capacités inductrices de l’organisateur évoluent avec le temps, un organisateur précoce induisant plutôt des structures antérieures et un organisateur tardif des structures postérieures (figure 5B). Il est alors proposé que l’organisateur a des propriétés inductives distinctes dans l’espace et dans le temps, d’où découle la diversité des identités antéro-postérieures du neurectoderme. Dans les années 1950, Nieuwkoop propose le modèle « d’activation/transformation », une première étape conduisant à l’acquisition d’une identité neurale purement antérieure, suivie d’une seconde étape de postériorisation, une partie du tissu induit étant exposé à une seconde vague de signaux de l’organisateur, conférant aux cellules une identité de plus en plus caudale. Le nouveau modèle proposé par Claudio Stern permet de réactualiser le modèle de Nieuwkoop en intégrant les nouvelles données obtenues chez la souris et le poulet (figure 6), en proposant qu’un premier signal d’activation est émis avant la gastrulation par l’AVE (ou son équivalent chez les Amniotes autres que la souris) ou le(s) précurseur(s) de l’organisateur. Cette première étape conduit à l’induction dans la future plaque neurale d’une identité antérieure qui nécessite pour son maintien un deuxième signal émis par l’organisateur ou du mésoderme axial. L’organisateur tardif, en association avec divers tissus postérieurs, postériorise par la suite la plaque neurale. La partie la plus antérieure de la plaque neurale est protégée de ces signaux caudalisants par les mouvements morphogénétiques liés à la gastrulation, qui l’éloigne de l’organisateur, et la sécrétion d’antagonistes des facteurs Wnt par l’AVE (pour revue, Perea-Gomez et al., 2001). Chez les Amphibiens, il n’existe pas de tissu équivalent à l’AVE, mais les antagonistes des Wnt dickkopf et cerberus, secrétés par le mésendoderme précordal, pourraient jouer un rôle similaire (Glinka et al., 1998; Piccolo et al., 1999).

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Mécanismes généraux de la mise en place du SNC
1.1. Le phénomène de neurulation et l’induction neurale
1.2. Régionalisation du primordium neural
1.2.1.Formation et dérivés des territoires céphaliques
1.2.2.Mécanismes moléculaires de la régionalisation antéro-postérieure
1.2.2.1. Mécanismes moléculaires liés à l’induction neurale
1.2.2.2. Signaux postériorisant le tube neural
1.2.2.3. Organisateurs locaux
1.2.3.Mécanismes moléculaires de la régionalisation dorso-ventrale
1.3. Détermination neuronale
2. Organisation segmentée du rhombencéphale
2.1. Notion de métamérie et description d’un primordium segmenté, le
rhombencéphale
2.2. Les rhombomères, unités de lignage cellulaire et leurs structures associées
2.2.1.Les populations neuronales et les nerfs crâniens efférents
2.2.2.Les cellules de crête neurale et leur devenir
2.3. Les rhombomères, unités d’expression génétique
3. Mécanismes de segmentation du rhombencéphale
3.1. Processus de compartimentation et de tri cellulaire
3.2. Mécanismes moléculaires impliqués dans la formation des rhombomères
3.2.1.Régionalisation précoce et gradients de morphogènes
3.2.1.1. Rôle du gradient d’acide rétinoïque dans la mise en place du
rhombencéphale postérieur
3.2.1.2. Rôle des FGF dans le développement du rhombencéphale antérieur
3.2.1.3. Le rôle potentiel de la voie Wnt
3.2.2.Affinement de l’organisation rhombomérique
3.2.2.1. Divers gènes intègrent les différents gradients morphogènes et
participent à la spécification des territoires rhombomériques
3.2.2.2. Les gènes Hox et leurs cofacteurs
3.2.2.3. Les facteurs jouant un rôle permissif
3.3. Krox20, un gène maître du développement du rhombencéphale
3.3.1.Caractéristiques du gène Krox20 et du facteur qu’il code
3.3.2.L’expression de Krox20 dans le rhombencéphale et sa régulation
3.3.3.Rôle de Krox20 dans la segmentation
3.3.4.Modulation de l’activité de Krox20 par ses cofacteurs
CONCLUSION

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