Définir la chute
Mécaniquement, une chute correspond à une accélération descendante et souvent transversale du Centre de Gravité (CG), ou Centre de Masse (CM), du système qui ne peut pas être stoppée. L’aspect descendant est directement lié à la contrainte gravitationnelle qui agit sur tout corps évoluant à la surface de la Terre, l’attirant vers son centre. L’aspect transversal est souvent présent car lorsque l’individu se déplace, le mouvement de son CM se fait principalement dans le plan transversal. Cependant, lorsqu’on rapporte ce phénomène à l’Homme, il n’est pas aisé de correctement décrire ce qu’il implique. De nombreuses définitions ont été proposées (revue écrite par Hauer et al. 2006), mais cette multitude conduit les personnes âgées, les professionnels de santé en gériatrie et les chercheurs à donner un sens différent au mot « chute » (Zecevic et al., 2006). Notamment, les sujets âgés et leurs médecins accordent plus d’importance aux antécédents et aux conséquences de cette chute, alors que les chercheurs se focalisent plutôt sur la survenue de l’évènement en luimême. Parler de la chute dans une étude de recherche nécessite donc d’utiliser une définition appropriée. Sinon, les participants, qu’ils soient sujets ou expérimentateurs, risquent d’interpréter différemment sa signification, ce qui réduit la validité des résultats de l’étude. La définition la plus généralement admise est celle fournie par l’OMS qui stipule que la chute est « un évènement, à l’issue duquel une personne se retrouve involontairement au sol, ou sur toute autre surface située à un niveau inférieur à celui auquel elle se trouvait précédemment » (World Health Organisation, 2008). Cependant, le contexte qui caractérise cette chute est très important (Horak, 2006). Une personne à risque de chute est en réalité une personne qui peut chuter lorsque l’un des facteurs de risque identifiés par l’OMS (voir § 1.3) affecte une activité de la vie de tous les jours. En effet, une personne qui tombe à la patinoire est-elle pour autant une personne « chuteuse » ? Pour étudier une population spécifique, e.g. les personnes âgées autonomes, il convient de préciser les circonstances associées à l’évènement. Une proposition intéressante est celle de Tinetti et al. (1988) où « la chute est un évènement qui implique qu’une personne se retrouve par inadvertance au sol ou tout autre niveau inférieur, sans considérer si une blessure a été contractée, et qui n’est pas la conséquence d’un coup violent, d’une perte de conscience, d’un soudain début de paralysie ou d’une crise d’épilepsie ». Ce qu’il faut en retenir est qu’une chute telle que l’on peut l’analyser chez une population âgée autonome n’est pas une chute inévitable, survenue dans un contexte où même une personne jeune et en pleine possession de ses moyens aurait été incapable de se rattraper. D’autres définitions précisent le phénomène, comme celle de Hauer et al. (2006) reprise par la Haute Autorité de Santé française (HAS, 2009) qui rajoute qu’une « chute entraîne un impact avec le niveau inférieur » ou celle de l’étude de Segev Jacubovski et al. (2011) qui implique « une défaillance dans les actions de rattrapage ».
Les Ajustements Posturaux Anticipés (APA)
Paradoxalement, la réalisation d’un mouvement volontaire produit généralement des forces de réaction qui affectent l’ensemble des segments – reliés – du corps et peut conduire à une perte d’équilibre (Horak and Macpherson, 1996; Massion, 1992). Les APA constituent alors un mécanisme postural qui participe au maintien de l’équilibre et qui permet de pallier ces pertes d’équilibre en créant des conditions mécaniques favorables au mouvement (Aruin and Latash, 1995; Massion, 1992; McIlroy and Maki, 1996). Il est utilisé lorsque le mouvement est désiré et donc que la perturbation du système est prévisible et/ou connue de l’individu. En effet, l’avantage majeur d’un mouvement volontaire réside dans le fait qu’il est décidé et initié par le sujet après une intégration complète de l’environnement. Ainsi, le SNC est en mesure d’anticiper les effets mécaniques des actions et donc les caractéristiques de l’état de déséquilibre à venir (i.e. la modification de la taille de la BS, mise en mouvement du CM). En activant et/ou inhibant de manière précoce certains muscles, le SNC ajuste l’amplitude et la durée des forces internes en fonction de la prédiction. Ces APA apparaissent généralement avant le début de la perturbation, qui est toujours le mouvement focal d’un membre (Bouisset and Do, 2008). Du fait de la prédictibilité de la perturbation, ils sont référencés comme étant pré-planifiés et pré-programmés à l’aide d’un mode de contrôle en feedforward (Aruin and Latash, 1995; Breniere et al., 1987; Crenna and Frigo, 1991; Massion, 1992). Cependant, leur organisation fonctionnelle dans ce mode ne fait pas consensus. Un premier point de vue propose un fonctionnement avec deux contrôleurs séparés, un pour la commande posturale et un second pour la commande focale (Massion, 1992). Un second point de vue suggère un contrôleur unique, où les APA font partie intégrante de la commande motrice (Aruin and Latash, 1995; Burleigh et al., 1994). Ce second point de vue est intéressant, dans la mesure où des études montrent que les APA peuvent aussi être modifiés par les contraintes de la tâche, et re-programmés après l’intégration des premiers feedbacks (Burleigh and Horak, 1996). Ainsi, les APA peuvent être augmentés, réduits, inhibés ou échelonnés selon les conséquences estimées de l’action à venir (Aruin and Latash, 1995; Jacobs and Horak, 2007; McIlroy and Maki, 1999; Santos et al., 2010a). A l’aide de ces activations musculaires précoces, les mouvements du CP et du CM peuvent être considérablement réduits (Santos et al., 2010b). Ainsi, le SNC utilise les APA de deux manières : 1) pour conserver l’équilibre de l’individu et 2) pour créer les conditions mécaniques « suffisantes » qui permettent d’accomplir le mouvement focal.
Quelles évaluations pour la prévention de la chute ?
La chute et son augmentation avec l’âge sont référencées comme ayant une origine multifactorielle (Fried et al., 2001; Horak, 2006; Rubenstein, 2006), voir Figure 13. Ainsi, si de nombreux facteurs favorisent son apparition (voir § 1.3), la plupart des études qui tentent de déterminer les risques s’intéressent à une analyse de la posture et de l’équilibre, pour évaluer les possibles causes de la chute. Un ou plusieurs test(s) d’équilibre est (sont) alors proposé(s) à des patients ou des personnes saines pour tenter d’établir un niveau de risque, améliorer l’équilibre ou réduire la fréquence des chutes (Horak, 2006). De nombreuses études ont été menées, soit en clinique soit en laboratoire. L’objectif d’un test clinique sur les (éventuels) troubles de l’équilibre « doit à la fois permettre de déterminer la ou les causes (mécaniques, physiologiques, pathologiques, …) de la chute, la sévérité ou gravité (classiquement représentée par le risque de chute) et quelle en est l’évolution naturelle » (Yelnik, 2008). Il y a donc un besoin d’établir un diagnostic assez rapidement et simplement, dans le but de décider d’une stratégie de prévention et/ou de réadaptation adaptée à la personne. Autrement dit, il y a un fort besoin à établir des diagnostics fiables et personnalisés. En observant la littérature relative aux différents tests d’équilibre, nous constatons que la plupart des tests n’évaluent que certains aspects de l’équilibre (voir Tableau 3).
Niveau d’activité physique (« Physical Activity Scale for Elderly » ou « PASE »)
Ce questionnaire est destiné à l’évaluation de l’activité physique des personnes âgées (Washburn et al., 1999). Deux types de questions sont posées : des questions sur la fréquence de pratique d’une activité (sportive, culturelle, sédentaire) et des questions sur la durée de chacune de ces activités (moins d’une heure, plusieurs heures, etc). Le score est ensuite calculé selon un rapport entre la fréquence, la durée et le type de chaque activité. Une activité « sédentaire » comme regarder la télévision fait baisser le score alors qu’une activité « sportive » comme jouer au tennis en double fait monter le score. Cette évaluation peut être menée par une personne autre qu’un clinicien et est relativement courte à pratiquer (10 minutes environ). Cette échelle est largement utilisée pour évaluer la capacité physique des personnes âgées (Schuit et al., 1997). Le remplissage de ce questionnaire a été effectué à l’occasion de la visite médicale d’inclusion (fiche de test disponible en Annexes).
Modèle simplifié proposé (Tisserand et al., 2015b)
Le modèle « simplifié » est un modèle où seulement 13 marqueurs constituent le marker set afin de reconstruire 9 segments (voir Figure 30 et Tableau 11). Il est également nécessaire pour utiliser ce modèle de connaître la taille et la masse totale du sujet. Ensuite, le modèle est construit selon plusieurs hypothèses. Les centres des hanches sont calculés par régression à partir des 3 marqueurs posés sur le bassin et considérés comme les points proximaux des segments cuisses (Dumas et al., 2007). Les marqueurs de la chaîne externe (i.e. placés sur les faces latérales des segments) sont considérés à la fois comme les points proximaux et/ou distaux des segments et comme des centres articulaires (épaules, coudes, genoux, chevilles). Ils sont aussi utilisés pour déterminer les longueurs des segments (longueur = distance entre point proximal et point distal). Ceci permet de réduire considérablement le nombre de marqueurs. Ces marqueurs ont aussi été choisis parce qu’ils sont ceux que l’on perd le moins souvent lors de la capture de mouvement. Les CM segmentaires sont considérés comme étant situés sur les axes longitudinaux des segments, à un certain pourcentage de leurs longueurs. Les pourcentages utilisés sont issus d’une table de régression utilisant cette méthode (De Leva, 1996). Enfin, nous avons choisi d’intégrer les segments distaux (mains, pieds et tête) à leurs segments proximaux respectifs (avant-bras, jambes et tronc). Le CM de chacun de ces segments globaux a été calculé selon un ratio dépendant de la longueur du segment proximal correspondant (respectivement avant-bras, tronc et jambes), grâce à trois tables de régression issues de la littérature (De Leva, 1996; Dumas et al., 2007; Winter, 1990).
|
Table des matières
Partie 1 Introduction générale : la chute et l’équilibre
1. La chute : contexte général
2. La chute et l’équilibre
3. Organisation du travail de thèse
Partie 2 Un protocole de mesure, deux populations, trois groupes de sujets
1. Introduction
2. Grandes étapes du protocole
3. Tâches exécutées par les sujets
4. Deux populations évaluées
Partie 3 Apport méthodologique : proposition d’un « marker set » réduit pour l’analyse de l’équilibre
1. Informations pratiques
2. Introduction
3. Matériel et Méthodes
4. Résultats
5. Discussion-conclusion
Partie 4a Résultats : Analyse des tests psycho-cognitifs et d’équilibre classiques
1. Informations pratiques
2. Introduction
3. Présentation des résultats
4. Conclusion du chapitre
Partie 4b Résultats : Analyse des tâches de pas volontaire (CSRT) et de pas protectif
1. Informations pratiques
2. Introduction
3. Principaux résultats
4. Conclusion du chapitre
5. Pour aller plus loin…
Partie 5 Comment estimer le risque de chute d’une personne âgée autonome ?
1. Introduction
2. Informations extraites des variables d’intérêt
3. Discriminer le risque de chute
4. Etablir le profil d’une personne
5. Conclusion du chapitre
Discussion générale
1. Mécanismes impliqués dans les pas de rattrapage
2. Capacités dégradés chez les sujets, qui augmentent leur risque de chute ?
3. Des informations différentes mais complémentaires
4. Test(s) clinique(s) pour détecter le risque et identifier les capacités réduites
Conclusion générale et perspectives
1. Conclusion générale
2. Perspectives
Références bibliographiques
Annexes
Télécharger le rapport complet