Les molécules
Le nom «molécule» provient du latin molecula, diminutif du nom latin moles, se traduisant par «masse». Le concept de molécule a été présenté la première fois en 1811 par Amedeo Avogadro. Jusqu’à cette époque, les termes atome et molécule étaient utilisés de manière indistinctes. Dans son célèbre article «Essay on Determining the Relative Masses of the Elementary Molecules of Bodies», il déclare pour la première fois que : « la plus petite particule constitutive d’un gaz n’est pas nécessairement un atome unique, mais une combinaison d’un certain nombre de ces atomes unis par des forces attractives pour former une molécule unique ». Mais ce n’est qu’un siècle plus tard que l’existence des molécules est confirmée par le travail de Jean Perrin qui a alors confirmé expérimentalement l’explication théorique du mouvement brownien en termes d’atomes proposée par Albert Einstein en 1905. Actuellement, on peut définir une molécule comme un assemblage d’au moins deux atomes, qui peut exister à l’état libre. Les molécules constituent des systèmes atomiques liés par des liaisons covalentes qui sont formées par le recouvrement d’au moins deux orbitales des électrons de valence entre deux atomes et qui forment alors une orbitale commune décentralisée sur la liaison interatomique. De nos jours, les recherches sur les molécules couvrent de nombreux domaines de recherche. En particulier, depuis les années 2000, le contrôle de plus en plus précis des impulsions laser à une échelle de temps approchant la femtoseconde, de l’ordre même de la dynamique électronique, a ouvert un nouveau domaine de recherche sur la spectroscopie femtoseconde permettant de sonder directement les degrés de liberté électroniques ou vibrationnels des systèmes étudiés (Zewail 2000).
Brève revue des modèles pour les systèmes libres
Les agrégats et les molécules sont des systèmes à N corps finis pour lesquels la taille peut varier assez arbitrairement. La dynamique de ces objets ajoute une part de complexité qui requiert quelques efforts supplémentaires. À l’heure actuelle, il n’existe pas de théorie complète permettant de traiter un nombre de degrés de liberté le plus grand possible dans des événements fortement dynamiques tout en conservant un niveau de précision microscopique excellent. Afin de décrire de tels scénarios, il faut donc faire des compromis. Pour cela, il existe un éventail assez large de méthodes utilisables, notamment pour le traitement des électrons qui est le calcul le plus complexe, les ions étant habituellement traités comme des particules classiques. Des approches simplifiées remplacent les ions par un modèle de jellium, en particulier pour les agrégats métalliques, voir par exemple, Kreibig & Vollmer (1993) et Ekardt (1984). Dans les modèles tous électrons, le couplage ion–électron est simplement une interaction de Coulomb. Mais dans le cas de molécules ou d’agrégats, un nombre d’électrons important peut rapidement rendre le calcul extrêmement complexe. On traite alors souvent uniquement les électrons de valence de chaque ion et le couplage est décrit par des pseudopotentiels pour lesquels de nombreux modèles sont développés, voir par exemple Szasz (1985), Bachelet et al. (1982) et Goedecker et al. (1998). La figure 1.1 indique les théories électroniques couramment utilisées en physique moléculaire et en physique des agrégats. Elles sont classées à la fois en termes de taille des systèmes étudiés (axe vertical) et d’énergie d’excitation déposée par électron (axe horizontal). Cette dernière représente une échelle de la dynamique mise en jeu qui est aussi soulignée par les deux flèches situées au-dessus qui représentent l’énergie d’excitation convertie en intensité laser typique dans le domaine optique pour des fréquences résonantes ou non-résonantes. Les limites esquissées dans ce schéma sont principalement qualitatives afin de donner un ordre de grandeur. Bien entendu, il existe de nombreuses zones de recouvrement entre les modèles. La diagonale de Se reporter au texte pour plus de détails. D’après Dinh et al. (2008). cette figure définit plus ou moins le niveau de précision microscopique, les théories détaillant le plus le niveau microscopique correspondant aux tailles les plus petites tailles et/ou à l’énergie d’excitation la plus faible. Les modèles de structure et de dynamique des systèmes libres couvrent toutes les méthodes utilisées en chimie quantique et/ou en physique atomique, depuis l’interaction de configuration (CI) (Bonačić–Koutecký et al. 1989) jusqu’au modèle diélectrique (Kreibig & Vollmer 1993) ; pour une synthèse complète, se reporter à Brack (1993) et Reinhard & Suraud (2003). Néanmoins, les calculs de vrais processus dynamiques sont plus exigeants. Il existe des extensions pour les méthodes précises comme par exemple la solution exacte de l’équation de Schrödinger dépendante du temps (Parker et al. 2003; Fennel et al. 2010) ou bien l’approche multiconfigurationnelle dépendante du temps (Krause et al. 2007; Schlegel et al. 2007). Mais ces méthodes sont utilisées pour des petits systèmes dans la mesure où pour étudier des systèmes à grand nombre de degrés de liberté, on ne peut pas utiliser des simulations entièrement quantiques. Par exemple, pour une propagation d’un paquet d’onde Ψ(q1, q2, …, qn, t) sur une grille de points, en comptant 10 points par coordonnée, on arrive à une grille de 10n points. Si on compte 8 octets de mémoire par point (en double précision), l’espace mémoire nécessaire pour stocker tous les points de la grille à un instant t est de 8 × 10n octets, soit 8 Mo si n = 6, 8 Go si n = 9,. . . En pratique, les simulations «exactes» quantiques dépassent rarement 4 atomes. Au-delà, on doit geler certains degrés de liberté ou utiliser d’autres approximations (Halberstadt 2008). D’autre part, les méthodes basées sur les méthodes de Born-Oppenheimer, comme l’interaction de configurations et ses dérivées, ne peuvent décrire que des processus d’excitation proches de l’état fondamental. En effet, l’approximation de Born & Oppenheimer (1927) stipule que l’on peut découpler le mouvement des électrons de celui des noyaux, en estimant que leur mouvement est beaucoup plus lent que celui des électrons. Le mouvement des électrons est calculé pour une configuration nucléaire donnée, les distances internucléaires étant considérées comme des paramètres. On suppose donc que les électrons, très mobiles par rapport aux noyaux, ajustent instantanément leur état aux variations de l’état du système des noyaux (approximation adiabatique). Cette approximation est valable quand la fonction d’onde électronique ne subit pas de variations brusques lorsque les noyaux se déplacent et atteint donc ses limites lorsqu’on traite la dynamique d’un système fortement perturbé. Pour des systèmes plus complexes, on utilise généralement la théorie de la fonctionnelle densité dépendante du temps (TD-DFT) dans l’approximation de la densité locale dépendante du temps (TD-LDA) pour les électrons de valence et la dynamique moléculaire (MD) pour le mouvement des ions (Calvayrac et al. 2000; Dinh et al. 2010). Les approches semi-classiques de la TD-LDA, comme Vlasov-LDA (Giglio et al. 2000; Calvayrac et al. 2000) qui prennent en compte les corrélations électroniques à l’aide d’un terme de collision de Boltzmann, deviennent valides pour de grandes énergies d’excitation. Les processus extrêmement violents ne sont pas descriptibles par les méthodes DFT et sont habituellement traitées de manière purement classique, en général avec la dynamique moléculaire (MD) (Rose-Petruck et al. 1997; Saalmann et al. 2006) ou avec les équations des taux (Ditmire et al. 1996). Les limites supérieures de l’énergie et/ou de l’intensité du laser sont finalement données par l’apparition du régime relativiste, où les effets de retard dans le couplage commencent à influencer profondément la dynamique du système.
Les lasers à électrons libres (FEL)
Les photons ont depuis longtemps été un outil majeur pour étudier la structure électronique des molécules (Weissbluth 1978) et des agrégats (Kreibig & Vollmer (1993) et Haberland (1994)). Au début, on ne mesurait que le spectre d’excitation grâce à la spectroscopie de photo absorption. Mais les énormes progrès réalisés sur les sources de lumière cohérente et sur les détecteurs ont permis la diversification et l’amélioration des expériences portant sur l’interaction entre les photons et les molécules ou les agrégats. On peut brièvement citer la dynamique violente des agrégats irradiés par des faisceaux laser infrarouge à haute intensité aboutissant à une émission d’électrons énergétiques, d’ions, de rayons X et même à des réactions nucléaires, voir par exemple, McPherson et al. (1994); Springate et al. (2003); Zweiback et al. (2002); Saalmann et al. (2006). De plus, l’utilisation des impulsions laser de quelques femtosecondes a ouvert un nouveau champ de recherche sur la spectroscopie femtoseconde permettant de tracer la dynamique ionique et électronique des molécules et des agrégats, voir par exemple, Zewail (2000); Posthumus (2004); Carley et al. (2005); Hertel & Radloff (2006). Du côté des observables, de nombreuses informations peuvent être révélées par l’analyse de la spectroscopie de photoélectrons et la distribution angulaire des électrons émis par le système excité (Berkowitz 1979). Les outils expérimentaux pour de telles analyses ont aussi été développés et grandement utilisés depuis (pour le domaine de la physique des agrégats, voir Reinhard & Suraud (2003)). Un récent progrès est la possibilité d’utiliser des sources de lumière cohérente depuis le proche infrarouge jusqu’à l’ultraviolet, voire même jusqu’aux rayons X. En particulier, une source extrêmement intéressante est le FEL (Brau 1990) qui délivre des impulsions laser femtosecondes dans les hautes fréquences (1 eV . ~ωlas . 50 eV) et pour grandes intensités, jusqu’à 1018−20 W/cm2 . À titre de comparaison, dans le domaine du visible, les fréquences varient de 1 eV à 4 eV et les intensités vont jusqu’à 1013−14 W/cm2. La figure 4.1 compare les différentes sources en fonction des énergies qu’elles peuvent atteindre et de la durée des impulsions laser. Du fait de l’absence de miroirs adaptés, le phénomène de pompage laser utilisé dans les lasers classiques ne peut être employé pour produire de la lumière dans une large partie du spectre électromagnétique. Un principe de fonctionnement complètement différent doit alors être employé. Les lasers FEL ont un principe d’émission faisant intervenir des électrons non liés à un atome particulier. Ces électrons sont d’abord accélérés au sein d’accélérateurs de particules jusqu’à une énergie parfois supérieure à 15 GeV pour les lasers les plus puissants, puis passent au travers d’une série d’aimants dont les pôles sont inversés, appelée «onduleur». Il s’ensuit une trajectoire en zigzag des électrons et l’émission d’un rayonnement synchrotron. Les onduleurs peuvent faire jusqu’à plusieurs centaines de mètres permettant la production d’impulsions de lumière de longueur d’onde très courtes et très intenses. Ces nouvelles technologies ont été depuis largement exploitées ; se reporter àPfeifer et al. (2006) pour une revue particulièrement détaillée. À titre d’exemple, on peut citer l’expérience pionnière de Wabnitz et al. (2002) portant sur l’irradiation d’agrégats de gaz rares avec de courtes impulsions laser de rayons X.
Na8
Commençons par l’étude de Na8. Cet agrégat possède trois niveaux d’énergie distincts pour les électrons de valence, voir le tableau 4.1. L’agrégat est irradié par une impulsion laser de 80 fs au total et à plusieurs fréquences, allant de 8.16 eV à 19.04 eV. Toutes les fréquences sont supérieures au potentiel d’ionisation et suffisamment grandes pour ioniser tous les niveaux de valence dans un processus à un photon. On peut supposer que la perturbation par un champ laser externe peut détériorer les niveaux que l’on souhaite examiner. Cet effet a été étudié par Pohl et al. (2000) et il a été montré que la perturbation dépend de la force du champ externe. Or l’effet peut être quantifié grâce au nombre d’électrons émis, de fortes perturbations étant associées à un ou plusieurs électrons émis, tandis qu’une émission de quelques pour cent seulement ne perturbe que peu les niveaux électroniques, comme le montre la figure 4.3 où l’on a représenté l’évolution temporelle de l’énergie des niveaux électroniques de Na8 au cours d’une irradiation. En particulier, l’énergie des niveaux électroniques reste quasiment inchangée. L’intensité laser a donc été choisie proprement afin de garantir que l’on reste toujours dans le régime de faible perturbation. Pour cela, nous avons vérifié que l’énergie des niveaux électroniques restait toujours bien définie et quasiment constante dans le temps. Dans la figure 4.4, nous avons représenté le spectre de photoélectrons (PES) pour Na8 irradié par un laser dont les fréquences sont dans le domaine de l’ultraviolet. Le PES met en évidence des couples typiques de pics correspondant à l’état 1s et 1p de Na8. Comme mentionné dans le chapitre précédent (sections 3.4.4), les pics se trouvent exactement à l’énergie cinétique de l’électron donnée par l’équation 3.18. Pour les deux fréquences, 9.52 eV et 19.04 eV, nous observons des processus à 1 et à 2 photons. De plus, quelles que soient les fréquences étudiées, les pics restent extrêmement étroits. Cela indique clairement que, pendant tout le processus dynamique, le niveau électronique n’a pas été modifié (Pohl et al. 2000).
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Systèmes libres
1.1.1 Les molécules
1.1.2 Les agrégats
1.2 Brève revue des modèles pour les systèmes libres
1.3 Objectif
2 Modèle théorique
2.1 Les électrons de valence
2.1.1 Théorème de Hohenberg & Kohn
2.1.2 Théorème de Kohn & Sham
2.1.3 Approximation de la densité locale
2.1.4 Correction d’auto-interaction
2.1.5 Le cas dépendant du temps : TD-DFT / TD-LDA
2.2 Les ions
2.2.1 Électrons de cœur et noyau atomique
2.2.2 Pseudopotentiels
Pseudopotentiel pour le sodium
Pseudopotentiel pour l’hydrogène, le carbone, l’azote et l’oxygène
2.3 Le champ créé par un laser
2.4 Champ d’un projectile classique chargé
2.5 Dynamique non Born-Oppenheimer
3 Méthode et performances numériques
3.1 Représentation numérique
3.1.1 Fonctions d’onde
3.1.2 Opérateur de l’énergie cinétique
3.1.3 Opérateur de Coulomb
3.2 État fondamental
3.2.1 Système électronique
3.2.2 Structure ionique
3.3 Dynamique du système libre
3.4 Observables électroniques
3.4.1 Réponse optique
3.4.2 Émission électronique
3.4.3 Déplétion d’un niveau électronique
3.4.4 Spectre de photoélectrons
3.5 Validation et précision du modèle
3.5.1 Agrégats métalliques
3.5.2 Molécules organiques
Résultats sur l’état fondamental
Analyse des calculs de dynamique
4 Déplétion d’agrégats de sodium
4.1 Les lasers à électrons libres (FEL)
4.2 Cadre théorique
4.3 Étude de la déplétion des niveaux électroniques
4.3.1 Na8
4.3.2 Na+9
4.3.3 Na10
4.3.4 Na+
11 et Na2+22
4.4 Étude de la distribution de l’énergie cinétique des électrons émis
5 Molécules d’intérêt biologique
5.1 Généralités sur les systèmes biologiques
5.2 Domaine d’étude
5.3 État fondamental de la pyridine et de l’uracile
5.4 Dynamique des systèmes organiques
5.4.1 Pyridine
5.4.2 Uracile
5.4.3 Synthèse
6 Conclusion
6.1 Résumé
6.2 Perspectives
A Unités atomiques
B Propriétés statiques de quelques molécules
C Paramètres du laser utilisés
Liste des publications
Bibliographie
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