Généralités
Encore appelée extraction par solvant ou distribution liquide-liquide selon l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée (IUPAC), l’extraction liquide-liquide est l’un des procédés hydrométallurgiques qui a connu un réel essor industriel pendant la deuxième guerre mondiale où, dans la recherche de l’énergie atomique, elle fut employée en 1942 [1] pour la production de l’uranium et le recyclage du combustible usé dans le cadre du projet Manhattan (Programme d’armes nucléaires des Etats-Unis d’Amérique). Fort de ce premier succès industriel, d’autres applications ont émergé notamment la séparation des métaux aux propriétés similaires tels que les éléments de terres rares ou le tantale et le niobium, en pétrochimie pour la récupération des composés aromatiques tels que le toluène, le benzène etc…
C’est un procédé de récupération d’un soluté d’intérêt (organique ou inorganique) en utilisant son partage par solubilité inégale entre deux phases liquides non miscibles en contact, à savoir : une phase aqueuse qui contient initialement le soluté d’intérêt avec des impuretés et une phase réceptrice organique c’est-à-dire le solvant.
L’opération consiste en deux étapes :
– Un mélange intime des deux phases par la création d’une émulsion afin d’avoir une aire interfaciale d’échange suffisamment importante pour le transfert du métal d’intérêt M de la phase aqueuse vers le solvant ;
– Après un temps nécessaire pour atteindre l’équilibre thermodynamique, les deux phases sont séparées l’une de l’autre par gravité.
Mécanismes d’extraction liquide-liquide
En général, le solvant utilisé dans les procédés d’extraction liquide-liquide est composé d’un diluant inerte chimiquement qui contient une molécule organique souvent appelée « extractant ou molécule extractante » capable de former de façon réversible des complexes stables avec le métal d’intérêt M . Le mécanisme de formation de ces complexes est gouverné par la nature chimique de la molécule employée qui peut être acide, basique ou neutre.
Purification d’un métal d’intérêt : choix du solvant adapté
Le choix d’un solvant, précisément de la molécule extractante qu’il contient est une des variables clés dans la démarche de développement d’un procédé d’extraction liquide-liquide pour la production d’un métal d’intérêt M de haute pureté.
A priori, les essais en laboratoire permettent d’identifier une molécule extractante synthétique ou commerciale qui a une bonne affinité pour le métal d’intérêt M par rapport à une ou plusieurs impuretés (I ) en présence à travers les paramètres thermodynamiques tels que le coefficient de partage et le facteur de séparation (critères : kD(M ) >1 et FS (M / I )≫1). A titre d’exemple le mélange synergique de HDEHP et de TOPO (oxyde de trioctylphosphine) développé dans le cadre du procédé URPHOS (URanium extraction from PHOSphoric) permet d’avoir un coefficient de partage de l’uranium compris entre 4 et 10 et un facteur de séparation par rapport au fer compris entre 25 et 65 selon la concentration en acide phosphorique dans la phase aqueuse qui varie de 2 à 8 mol.L⁻¹ .
Dans une procédure globale visant l’isolement du métal d’intérêt M et la réutilisation de la molécule extractante dans le procédé, les interactions entre la molécule extractante et les métaux en présence doivent être aisément clivables dans les opérations de lavage sélectif et de désextraction du métal M . Par exemple, dans le procédé de production des terres rares de la société américaine Molycorp, l’europium (Eu ) est désextrait du HDEHP en utilisant une phase aqueuse concentrée en acide chlorhydrique (5 mol.L⁻¹ ). A contrario, la désextraction de l’uranium dans le procédé PUREX (Plutonium and Uranium Refining by EXtraction) s’effectue par contact du TBP chargé avec une solution d’acide nitrique très diluée (HNO3 à 0,01 mol.L⁻¹ ) à température élevée (50 °C) .
Le transfert de matière de la phase aqueuse vers le solvant implique également mais dans une moindre mesure une perte par solubilité de la molécule extractante dans la phase aqueuse. Elle varie d’une molécule à une autre (suivant la taille et la structure de la chaine hydrophobe) et dépend du pH de la phase aqueuse. Une forte perte par solubilité est indésirable et influence le choix d’une molécule extractante. Elle est estimée à titre d’exemple à 0,08 % massique pour le 2-Octanol qui est utilisé industriellement dans la purification du tantale et du niobium [7]. Toutefois, aussi peu qu’elle soit pour la plupart des molécules industrielles, une procédure appelée « lavage par diluant » est souvent mis en œuvre pour récupérer les traces de la molécule extractante à partir des raffinats aqueux par leur mise en contact avec un diluant [6]. Cette démarche permet non seulement de faire une économie en molécule extractante mais aussi de garder le procédé d’extraction liquide-liquide compétitif (en termes de nuisances environnementales) par la diminution de la concentration des composés organiques dans les rejets.
A la perte par solubilité thermodynamique de la molécule extractante, s’ajoute également une perte du solvant par entrainement. Toutefois, celle –ci est extrinsèque à la nature chimique de la molécule extractante et de la phase aqueuse. Elle est plutôt déterminée par les conditions de mise en œuvre de l’appareil utilisé précisément pendant le mélange et la séparation des phases. La cinétique de transfert de matière notamment le temps d’atteinte de l’équilibre dans les étapes d’extraction, de lavage et de désextraction est également à prendre en considération dans le choix d’une molécule extractante. Il est généralement de l’ordre de quelques minutes .
A ces aspects thermodynamique et cinétique, s’ajoutent également les propriétés hydrodynamiques de la molécule extractante telles que sa viscosité, sa masse volumique et la tension interfaciale avec la phase aqueuse en contact. La valeur de la tension interfaciale est importante dans la conception des appareils et la mise en œuvre des opérations d’extraction liquide-liquide. Une valeur trop importante affecte la dispersion d’une phase dans l’autre tandis qu’une valeur trop basse entraine une cinétique lente de séparation des phases par la formation d’une émulsion stable difficile à coalescer. Cependant plusieurs paramètres influencent la valeur de la tension interfaciale telle que la concentration de la molécule extractante et des métaux dans le solvant, la nature du diluant utilisé, la présence d’impuretés ou d’éventuels produits de dégradation de la molécule extractante à l’interphase [9]. Une valeur optimale de la tension interfaciale doit être trouvée entre le solvant et la phase aqueuse pour avoir une cinétique rapide de séparation des phases dans les appareils d’extraction liquide-liquide. Par exemple dans les conditions du procédé PUREX la valeur optimale de la tension interfaciale pour le TBP dilué à 1,1 mol.L⁻¹ dans du dodecane varie entre 12 et 15 mN.m⁻¹ .
La masse volumique du solvant influence également la séparation des phases. La différence de masse volumique entre la phase aqueuse et le solvant doit être suffisante pour une bonne séparation des phases. Elle se situe généralement entre 0,2 et 0,3 g.cm-3 et nécessite le plus souvent l’ajout d’un diluant dans la composition du solvant .
La viscosité du solvant gouverne également la cinétique de séparation des phases. Une faible viscosité du solvant requiert le plus souvent l’usage d’un diluant avec la molécule extractante. Une faible viscosité du solvant améliore également la cinétique de transfert de matière, réduit les pertes de charges et la pression utilisée pour faire circuler le solvant dans les installations [11, 12]. Par exemple la viscosité du TBP à 1,1 mol.L⁻¹ dans du dodécane est de 1,5 mPa.s environ et reste modérée avec la charge en uranium précisément à environ 2,5 mPa.s pour 75 g.L⁻¹ .
Les procédés d’extraction liquide-liquide mis en œuvre à l’échelle 1 sont recherchés et développés avec le souci d’opérer sans la formation de 3ième phase ni de crasse. La troisième phase se caractérise par la séparation du solvant en deux phases immiscibles dont la plus lourde est riche en soluté ainsi qu’en molécule extractante et la plus légère est riche en diluant. Elle entraine une inhomogénéité de densité et de viscosité du solvant ingérable dans les technologies classiques d’extraction liquide-liquide. Elle se définit notamment par la concentration limite de solubilité (LOC) du complexe soluté-molécule extractante dans le diluant. En d’autres termes, la LOC est la capacité de charge d’un solvant en soluté d’intérêt c’est-à-dire qu’au-delà de la LOC, l’insolubilité de la charge supplémentaire du soluté dans le solvant entraine la 3ième phase. A titre d’exemple, la capacité de charge de l’acide versatique 911 dans la production industrielle de l’yttrium est de 40 g.L⁻¹ après quoi des problèmes de solubilité sont constatés [13]. La capacité de charge d’un solvant est influencée par plusieurs paramètres dont la température, l’acidité de la phase aqueuse, la structure de la molécule extractante et la nature du diluant. Précisément, dans le cadre des études de Jammu et col.[14] sur l’extraction du néodyme (Nd) par le DEHDODGA (diéthylhexyl-dioctyl-diglycolamide), la capacité de charge (LOCNd ) augmente avec la concentration du DEHDODGA dans le solvant et avec la température mais elle diminue avec l’augmentation de l’acidité de la phase aqueuse et de la longueur de la chaine alkyle du diluant [15]. Dans le cadre du développement d’un solvant, les essais en laboratoire permettent de définir les conditions pour avoir la capacité de charge du solvant la plus élevée sans le phénomène de 3ième phase en usant notamment de l’influence de la température, du diluant, de l’acidité de la phase aqueuse. Toutefois, la méthode la plus utilisée pour augmenter la capacité de charge d’un solvant est l’utilisation d’un troisième composé organique à savoir un « modificateur » qui, par formation de liaisons hydrogène avec les complexes métalmolécule extractante, augmente leur solubilité dans le diluant. Dans ce cadre, les monoamides tels que le DHOA (N, N dihexyloctanamide) sont très utilisés. Jammu et col.[14] ont décrit une méthode de determination de la capacité de charge d’un solvant par la recherche de la LOC. dans leur procédure, la 3ième phase formée est constatée visuellement et dissoute par ajout goutte-goutte du solvant jusqu’à la disparition de la turbidité et s’en suit le dosage de la concentration du soluté dans le solvant pour avoir la LOC. Dans les études de Shoichi et col.[16], la LOC correspond au point au-delà de laquelle la concentration du soluté diminue nettement à une acidité de la phase aqueuse ainsi qu’à une température ambiante constantes. Cette méthode est intéressante surtout pour les systèmes où la distinction de la turbidité du solvant est difficile à l’œil.
Un autre problème du même ordre et récurrent dans les procédés d’extraction liquide-liquide, est la formation de crasse ou de précipité à l’interface solvant-phase aqueuse. Contrairement au phénomène de 3ième phase, celui-ci est indépendant du solvant ou plus précisément de la molécule extractante mise en œuvre. Il peut être causé notamment par l’insolubilité des composés inorganiques tels que la silice dans la phase aqueuse. L’une des conséquences de ce phénomène est le ralentissement de la coalescence par une diminution de la tension interfaciale. La prévention est difficile mais l’une des voies de traitement peut être l’élimination périodique des précipités de l’interface par aspiration et passage dans une centrifugeuse pour séparer et recycler le solvant entrainé.
La sureté de la mise en œuvre d’un procédé d’extraction liquide-liquide, nécessite une attention particulière sur certaines informations sur le solvant notamment son inflammabilité. Toutefois, la démarche est d’autant complexe que le solvant contient le plus souvent un diluant, une molécule extractante et un modificateur éventuellement. Une solution serait de se baser sur les propriétés de chaque constituant données par les fournisseurs. L’inflammabilité d’un solvant est renseignée par son point éclair qui est la température minimale à partir de laquelle, la vapeur du solvant crée avec l’air ambiant un mélange gazeux qui s’enflamme pendant un temps court sous l’effet d’une source d’énergie. Cette dernière peut être des étincelles d’origine électrique ou des décharges électrostatiques. Le point éclair varie d’un solvant à un autre et contraint la température de mise en œuvre d’un procédé d’extraction liquide-liquide pour éviter les risques d’incendie. Par ailleurs, l’augmentation de la température diminue le temps de séparation des phases, augmente la vitesse de transfert de matière et la capacité de charge des solvants par une augmentation de la solubilité des complexes métalmolécule extractante dans le diluant. Pour éviter un compromis qui diminuerait la performance du procédé, le choix d’un solvant ayant un point éclair très élevé doit être fait, d’autant plus que la directive européenne 1999/92/CE entrée en vigueur le 01/07/2003 oblige de prendre des mesure technique et organisationnelle pour contenir les ATEX (ATmosphère EXplosive) ce qui peut engendrer des coûts supplémentaires dans la mise en œuvre du procédé.
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Table des matières
I. Introduction générale
II. Extraction liquide-liquide
II.1 Généralités
II.1.1 Mécanismes d’extraction liquide-liquide
II.1.2 Purification d’un métal d’intérêt : choix du solvant adapté
II.2 Pertraction
II.2.1 Généralités
II.2.2 Pertraction en fibre creuse sans émulsion
II.2.2.1 Membrane
II.2.2.2 Stabilisation de l’interphase solvant – phase aqueuse
II.2.2.3 Les appareils commerciaux de pertraction sans émulsion
II.2.2.4 Extraction d’un métal M par pertraction sans émulsion
II.2.2.5 Applications industrielles de la pertraction sans émulsion
II.2.2.6 Avantages et limites de la pertraction sans émulsion
III. Choix des solvants selectifs des terres rares et du tantale
III.1 Les terres rares
III.1.1 Propriétés des terres rares
III.1.1.1 Structure électronique
III.1.1.2 Degrés d’oxydation
III.1.1.3 Contraction lanthanidique et rayon ionique
III.1.1.4 Comportement en solution
III.1.2 Terres rares : Sources et applications
III.1.2.1 Réserves
III.1.2.2 Production et Application
III.1.3 Procédés de séparation et de purification des terres rares
III.1.3.1 Procédé Molycorp
III.1.3.2 Procédé Rhône-Poulenc
III.1.3.3 Procédé MCI-Megon A.S
III.1.3.4 Procédé-Mintek
III.1.3.5 Procédés industriels en Chine
III.1.3.6 Les terres rares et le domaine du nucléaire
III.1.3.7 Bilan de l’état de l’art
III.1.3.8 Opportunité
III.1.4 Recyclage des terres rares
III.1.4.1 Potentiel
III.1.4.2 Recyclage des aimants NdFeB
III.1.5 Description et validation du procédé proposé
III.1.5.1 Procédure expérimentale
III.1.5.2 Bilan
III.2 Le Tantale
III.2.1 Procédés de séparation et de purification du Ta et du Nb : état de la technique antérieure
III.2.2 Recyclage du tantale : enjeux
III.2.3 Description et validation du procédé proposé
III.2.3.1 Procédure expérimentale
III.2.3.2 Bilan
IV. Analyse de la dispersion de taylor : determination de coefficient de diffusion
IV.1 Analyse de la Dispersion de Taylor : Aspect théorique
IV.2 Analyse de la Dispersion de Taylor : Procédure expérimentale
IV.3 Analyse de la Dispersion de Taylor : Résultats et discussions
IV.4 Bilan
V. Pertraction sans emulsion en fibre creuse
V.1 Dispositif expérimental et procédure de conduite des essais
V.1.1 Description du dispositif experimental
V.1.1.1 Module
V.1.1.2 Observation de la fibre creuse par microscopie electronique à balayage (MEB)
V.1.1.3 Les pompes
V.1.2 Procédure expérimentale et de traitement des résultats
V.2 Modélisation du transfert de matière
V.2.1 Généralités
V.2.2 Conditions aux interfaces et limites
V.2.3 Résolution de l’équation de continuité
V.2.4 Utilisation du modèle
V.3 Pertraction du Nd par le N, N-Dibutylacétamide (DBAc)
V.3.1 Partie expérimentale
V.3.1.1 Procédure expérimentale
V.3.1.2 Résultats et discussions
V.3.2 Simulation numérique du transfert du Nd dans le DBAc
V.4 Pertraction du Nd par le HDEHP avec 1 g.L-1 de Nd dans la phase aqueuse
V.4.1 Partie expérimentale
V.4.1.1 Procédure expérimentale
V.4.1.2 Résultats et discussions
V.4.2 Simulation numérique du transfert du Nd dans le HDEHP
V.5 Pertraction du Nd par le HDEHP avec 5 g.L-1 de Nd dans la phase aqueuse
V.5.1 Partie expérimentale
V.5.1.1 Procédure expérimentale
V.5.1.2 Résultats et discussions
V.5.2 Simulation du transfert de matière
V.6 Bilan
Conclusion