Campylobacter jejuni et Campylobacter coli sont une cause majeure de gastro-entérite chez l’homme dans les pays développés (Blaser, 1997). Dans les pays en voie de développement, l’incidence des diarrhées à Campylobacter se situe entre 40.000 et 60.000 /100.000 chez les enfants âgés de moins de 5 ans, et 90/100.000 dans la population générale (Butzler, 2004 ; Coker et al., 2002 ; Rao et al., 2001). Plusieurs études ont montré, grâce au phénotypage et au génotypage, que la volaille est la principale source d’infection à Campylobacter chez l’homme (Hanninen et al., 2000 ; Moore et al., 2003). L’homme se contamine par ingestion d’aliments souillés comme la viande de volaille et les produits à base de viande insuffisamment cuits.
L’entérite à Campylobacter est généralement une maladie bénigne, spontanément résolutive, qui n’exige habituellement pas de thérapie antimicrobienne. Toutefois, le recours aux antibiotiques est indiqué dans les cas d’infections sévères chez les personnes à risques comme les enfants ou les patients immunodéprimés, spécialement en Afrique où le SIDA a atteint des proportions épidémiques. Dans le passé, l’érythromycine a été l’antibiotique de choix pour les infections à Campylobacter, mais depuis quelques années, on utilise de plus en plus les fluoroquinolones pour traiter les gastro-entérites dues aux Campylobacter spp. Les fluoroquinolones ont été largement utilisées pendant les années 90 pour traiter les infections bactériennes en médecine vétérinaire. Chez les Campylobacter spp., la résistance aux fluoroquinolones est en augmention partout dans le monde, et elle serait liée à l’introduction de ces molécules en médecine vétérinaire (Engberg et al., 2001). Au Sénégal, les fluoroquinolones (enrofloxacine et norfloxacine) ont été introduites dans la filière aviaire en 1996 (Cardinale et al., 2003). L’incidence des Campylobacter résistants à ces antibiotiques chez le poulet atteint 40% des souches isolées (Cardinale et al., 2003).
Chez les Campylobacter spp., la résistance aux quinolones est liée à la présence de mutations dans une région du gène gyrA appelée « quinolone-resistance determining region (QRDR) » entre les codons 70 et 109 (Wang et al., 1993 ; Piddock et al., 2003). Ce gène code pour une enzyme, la gyrase, impliquée dans la réplication de l’ADN. Le mécanisme de résistance prédominant aux quinolones est donc lié à la mutation cytosine→thymine au codon 86 dans le QRDR du gène gyrA, entraînant la substitution de la thréonine par l’isoleucine (thréonine-86-isoleucine) dans la sous-unité A de l’enzyme ADN gyrase (GyrA) (Wang et al., 1993 ; Bachoual et al., 2001). D’autres mutations ont été décrites aux codons 70, 90 et 104 chez les souches cliniques et/ou chez les mutants de laboratoire (Wang et al., 1993 ; Piddock et al., 2003 ; Bachoual et al., 2001). Cependant, ces mutations ont été rarement décrites ensemble dans le QRDR de la protéine GyrA. Aussi, la mutation thréonine-86 isoleucine confère différents niveaux de résistance aux quinolones c’est-à-dire que chez les souches ayant cette mutation les concentrations minimales inhibitrices (CMI) varient grandement (Piddock et al., 2003 ; Griggs et al., 2005), ce qui laisse penser que d’autres facteurs agiraient sur la CMI finale. D’un autre coté, des souches résistantes aux quinolones mais sans mutation dans le QRDR de GyrA avaient été déjà décrites (Piddock et al., 2003). Pour expliquer la variabilité des CMI des quinolones pour une même mutation, et l’existence des souches résistantes aux quinolones mais sans mutation dans le QRDR de GyrA, il a été suggéré que d’autres mutations situées hors du QRDR de GyrA et/ou dans d’autres topoisomérases agiraient sur la CMI finale. En effet, chez Escherichia coli et d’autres bactéries Gram négatif, la présence d’une seule mutation dans le QRDR de la protéine GyrA n’entraîne qu’une résistance à l’acide nalidixique. Pour atteindre des CMI très élevées et une résistance aux fluoroquinolones, d’autres mutations sont indispensables dans le QRDR de GyrA, dans celui de GyrB et dans la topoisomérase IV (gènes parC, parE) (Friedman et al., 2001 ; Hopper et al., 1999 ; Ruiz, 2003). Mais à ce jour, aucune mutation du gène gyrB n’a été associée à la résistance aux fluoroquinolones chez les Campylobacter spp (Piddock et al., 2003 ; Griggs et al., 2005), et le rôle des mutations du gène parC décrites antérieurement par Gibreel et al.(1998) n’a pas été confirmé par d’autres études (Bachoual et al., 2001 ; Payot et al., 2002 ; Griggs et al., 2005).
Campylobacter
Historique
Les Campylobacter ont pendant longtemps été des bactéries connues dans le domaine vétérinaire principalement dans les diarrhées et les avortements chez les moutons. En médecine humaine, il a fallu attendre le développement des milieux sélectifs notamment pour l’isolement des Campylobacter dans les selles. C’est seulement dans ces 30 dernières années que ces organismes ont été reconnus comme étant une cause majeure de pathologie humaine (Moore et al. 2005). Les Campylobacter auraient été observés pour la première fois dans les prélèvements diarrhéiques des nouveau-nés en Allemagne vers 1880. Mais la première identification reconnue est attribuée à Mc Fadyen et Stockman en 1913 en association avec les avortements des moutons (Moore & Matsuda, 2002). Des tests de confirmation seront réalisés par Smith en 1918 quand des organismes similaires seront isolés des fœtus avortés des bovins (Moore & Matsuda, 2002). Ces organismes étaient à l’origine assignés au genre Vibrio à cause de leur forme spiralée, d’où d’ailleurs leur désignation sous le terme de Vibrio fetus par Smith. Cependant, ce n’est qu’en 1947 que l’infection humaine sera associée pour la première fois aux vibrions microaérophiles, lesquels étaient associés à une infection maternofoetale pouvant entrainer la mort du foetus. En 1957, Elizabeth King proposa deux types de vibrions microaerophiles liés à l’entérite : le premier était V. fetus, et le second, un vibrion thermophile dans sa nature. Ce n’est qu’en 1963 que le genre Campylobacter (signifiant « baguette recourbée ») sera proposé car contrairement aux bacteries du genre Vibrio la bactérie ne pouvait pas utiliser les sucres et avait un pourcentage de G+C différent. Les travaux de King seront corroborés plus tard par ceux de Dekeyser et Butzler en 1972 quand les méthodes d’isolement des Campylobacter thermophiles seront développées (Moore et al., 2005 ; Moore & Matsuda, 2002). En 1977, Skirrow développa une technique de culture simple et directe des selles sur de la gélose au sang contenant de la vancomycine, polymyxine et la trimethoprime (Skirrow & Blaser, 2000). Depuis lors, plusieurs modifications ont été apportées, permettant ainsi l’adoption universelle de ces méthodes et leurs variants, lesquelles permettent maintenant aux laboratoires d’analyses cliniques et de recherche d’isoler les Campylobacter dans les selles.
Taxonomie
Actuellement, le genre Campylobacter constitue avec le genre Arcobacter la famille des Campylobacteraceae placée dans la « superfamille VI » de la classe des Proteobacteria, sous- division epsilon. Dix sept espèces et 6 sous-espèces sont assignées au genre Campylobacter dont les plus fréquemment rapportées en pathologie humaine sont C. jejuni et C. coli (Euzéby, 1998).
Caractères bactériologiques
Morphologie
Le genre Campylobacter est constitué de bacilles à Gram négatif, incurvés ou en forme de S ou de forme spiralée, non sporulés, de 0,2 à 0,5 µm de diamètre sur 0,5 à 5,0 µm de longueur (Figure 1). Ils peuvent donner des formes coccoïdes dans les vieilles cultures et ont une mobilité en « vol de moucherons » grâce à un flagelle nu situé à une extrémité ou aux deux extrémités de la cellule (Vandamme & De Ley, 1991).
Culture
Les Campylobacter spp. ne poussent qu’en atmosphère microaérophile (5%O2, 10% CO2, 85% N2), à une température de 37 jusqu’à 42°C (pour les espèces thermophiles) sur un milieu gélosé enrichi au sang (Ferron, 1989). A l’exception de C. mucosalis et C. hyointestinalis qui produisent un pigment jaunâtre, les colonies de Campylobacter sont non pigmentées.
Caractères biochimiques
Les Campylobacter spp. sont des bactéries chimio-organotrophes, à métabolisme respiratoire, incapables d’utiliser les sucres, oxydase positive, catalase variable, n’hydrolysant ni la gélatine ni l’urée (à l’exception de quelques souches atypiques de C. lari et des souches de C. sputorum biovar paraureolyticus) et dépourvues de lipase.
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Table des matières
Introduction
GENERALITES
I. Campylobacter
1. Historique
2. Taxonomie
3. Caractères bactériologiques
3.1. Morphologie
3.2. Culture
3.3. Caractères biochimiques
3.4. Caractères antigéniques
4. Epidémiologie
4.1. Réservoir de la maladie
4.2. Contamination humaine
4.3. Données épidémiologiques dans le monde et au Sénégal
5. Pathologies associées aux Campylobacter
5.1. Entérites
5.2. Septicémies
5.3. Post-infection
6. Diagnostic bactériologique
6.1. Conditions et milieux de culture
6.2. Morphologie des colonies
6.3. Identification
6.3.1. Examen direct
6.3.2. Tests biochimiques
6.3.3. Tests sérologiques
6.3.4. PCR
7. Résistance aux antibiotiques
7.1. Tests de sensibilité aux antibiotiques chez Campylobacter
7.2. Surveillance de la résistance aux antibiotiques chez Campylobacter
7.3. Mécanismes génétiques associés à la résistance aux antibiotiques
8. Typage moléculaire
. MLST
II. Quinolones, fluoroquinolones et topoisomérases
1. Quinolones et fluoroquinolones
1.1. Structure chimique
1.2. Cible des quinolones
2. Les topoisomérases
2.1. Clivage de l’ADN
2.2. Classification
2.2.1. Topoisomérase de type I
2.2.2. Topoisomérases de type II
2.2.2.1. Gyrase
2.2.2.2. Topoisomérase IV
3. Mécanismes d’action des quinolones
3.1. Pénétration dans la bactérie
3.2. Action intracellulaire
4. Mécanismes de résistance
4.1. Résistance due à une altération dans les enzymes cibles
4.1.1. La gyrase
4.1.2. La Topoisomérase IV
4.1.3. Altération des enzymes cibles et résistance aux quinolones
4.1.4. Interaction des mutations de la résistance
4.2. Résistance par réduction de la perméabilité
4.2.1. Porines
4.2.2. Lipopolysaccharides (LPS)
4.2.3. Efflux
4.3. Intégrons
4.4. Plasmides et « qnr »
PARTIE EXPERIMENTALE
Présentation du travail de thèse
ETUDE 1 : Mécanismes de résistance aux quinolones
1. Matériel et méthodes
1.1. Matériel
1.1.1. Souches bactériennes
1.1.2. Milieux de culture
1.1.3. Réactifs de PCR
1.1.4. Antibiotiques
1.1.5. Kits de purification
1.1.6. Réactifs d’électrophorèse horizontale
1.1.7. Réactifs d’extraction des LPS
1.1.8. Réactifs d’électrophorèse verticale (SDS-PAGE)
1.1.9. Autres matériels et consommables
1.1.10. Appareillage
1.2. Méthode
1.2.1. Récolte des échantillons
1.2.2. Recherche et isolement des Campylobacter
1.2.3. Identification par PCR multiplexe
1.2.3.1. Repiquage des souches
1.2.3.2. Extraction d’ADN
1.2.3.3. PCR multiplexe
1.2.3.4. Analyse des produits PCR
1.2.4. Sensibilité aux antibiotiques
1.2.4.1. Méthode de diffusion des disques
1.2.4.1.1. Préparation de l’inoculum
1.2.4.1.2. Ensemencement et application des disques
1.2.4.2. Détermination des CMI par E-test®
1.2.4.2.1. Préparation de l’inoculum
1.2.4.2.2. Ensemencement et application des bandelettes E-test®
1.2.4.3. Détermination des CMI par la méthode de dilution en milieu gélosé
1.2.4.3.1. Culture des souches sur gélose au sang
1.2.4.3.2. Culture des souches en bouillon Brucella
1.2.4.3.3. Antibiotiques
1.2.4.3.4. Préparation des suspensions bactériennes
1.2.4.3.5. Lecture et critères d’interprétation des CMI
1.2.4.3.6. Contrôle de qualité et validation des résultats
1.2.5. Mécanismes de résistance aux quinolones
1.2.5.1. Recherche des mutations dans les topoisomérases
1.2.5.1.1. Recherche des mutations dans le gène gyrA
1.2.5.1.1.1. Extraction d’ADN
1.2.5.1.1.2. Amplification par PCR du QRDR du gène gyrA
1.2.5.1.1.3. Amplification par PCR de la région C-terminale du gène gyrA
1.2.5.1.2. Recherche de mutations dans le gène gyrB
1.2.5.1.3. Recherche de mutations dans le gène parC
1.2.5.2. Recherche d’intégrons de classe1
1.2.5.3. Analyse des produits PCR
1.2.5.3.1. Purification des produits issus de la PCR
1.2.5.3.2. Séquençage
1.2.5.3.3. Analyse des séquences
1.2.5.4. Analyse des composants membranaires : LPS
1.2.5.4.1. Extraction des LPS
1.2.5.4.2. Electrophorèse des LPS en gel de polyacrylamide en présence du SDS
1.2.5.4.2.1. Montage du système d’électrophorèse
1.2.5.4.2.2. Préparation des gels
1.2.5.4.2.2.1. Gel de résolution à 12,5%
1.2.5.4.2.2.2. Gel de regroupement à 3%
1.2.5.4.2.3. Préparation des échantillons
1.2.5.4.2.4. Dépôt et migration des échantillons
1.2.5.4.2.5. Détection des bandes de LPS par coloration au bleu brillant
1.2.5.4.2.5.1. Coloration au bleu brillant
1.2.5.4.2.5.2. Décoloration
1.2.5.4.2.5.3. Séchage du gel
2. Résultats
2.1. Phénotypes de résistance et CMIs
2.2. Mutations du QRDR de la protéine GyrA
2.3. Mutations des gènes gyrB, parC, et hors QRDR du gène gyrA
2.4. Recherche des intégrons de classe 1
2.5. Composants membranaires
3. Discussion
4. Conclusion
Conclusion