Dans le domaine de l’aéronautique, la sécurité est une des préoccupations les plus importantes qui pousse à l’innovation, en mettant l’accent sur la robustesse. Les composants électriques et plus particulièrement les capteurs se doivent d’être fiables et précis dans le temps, la durée de vie d’un avion pouvant atteindre plusieurs dizaines d’années. Cette volonté d’amélioration permanente des systèmes électriques pour l’aéronautique pousse à une meilleure compréhension de tous les phénomènes rencontrés dans chaque composant.
Les problématiques abordées dans ces travaux de thèse traitent de composants électriques, de types rhéostat et potentiomètre, destinés à une application aéronautique dans l’environnement du cockpit. Ils permettent d’acheminer les commandes de vol par signaux électriques, données par les manettes de poussée (contrôlant la puissance des moteurs) et les manches (contrôlant l’altitude et la direction de l’avion). Ces capteurs de position font intervenir des contacts glissants entre corps conducteurs, entre lesquels passent des courants de l’ordre du milliampère sous des tensions de quelques dizaines de volts. De par l’application, les composants électriques se doivent d’avoir une qualité de signal fiable et stable pendant toute la durée de vie du produit, souhaitée de 30 ans pour ne pas avoir à effectuer de changement pendant toute la durée de vie de l’avion lui-même. Cela implique que les systèmes devront résister à tout type de défaillance, et plus particulièrement aux défaillances de contact électrique. Le sujet de thèse a été proposé suite à un manque de performances des capteurs durant les phases de développement ou sous des conditions sévérisées de tests ; cela se traduit entre autres par :
– Une dérive de résistance totale, qui se traduit par une perturbation de la relation entre l’état du contact glissant et le signal électrique transmis. Cette dérive a pu être observée dans les deux capteurs étudiés ;
– Une dérive de résistance de contact, qui provoque globalement les mêmes effets, et qui n’ont été observés que dans le cas du potentiomètre ;
– Du bruit spécifique, qui risque de perturber l’interprétation des signaux faite par les ordinateurs de bord, et qui est rencontré dans les deux capteurs.
La compréhension du fonctionnement du contact et des phénomènes tribologiques qui s’y produisent a été déterminée comme indispensable pour améliorer la fiabilité électrique des capteurs.
La tribologie (étymologiquement « étude des frottements ») est une science axée sur l’étude d’un contact entre deux solides, comprenant notamment l’étude des frottements, de l’usure ou de la lubrification. Bien que considérée comme une science relativement nouvelle, c’est en 1493 avec le premier tribologue reconnu Leonard de Vinci qu’elle voit le jour, lorsque celui-ci évoque pour la première fois les lois de la friction. Aujourd’hui, c’est un concept pluridisciplinaire du domaine des sciences des matériaux, qui allie la mécanique des solides, la mécanique des fluides, la chimie ou encore la thermique. Au milieu du XXème siècle, la tribologie a d’abord été étudiée comme un problème global aux volumes (le frottement d’un matériau sur un autre, provoquant une perte de matière), puis comme un problème de surfaces par l’introduction des paramètres de rugosité et d’énergie de surfaces. Les théories autour de l’usure des surfaces s’appuyaient pour la plupart sur la loi d’Archard qui permet d’estimer la perte de matière en supposant l’évacuation immédiate des particules d’usure hors du contact. Or, il s’avère que ces théories trouvent leurs limites lorsque les particules d’usure restent dans le contact et impactent le fonctionnement du système ; se limiter aux volumes ou aux surfaces ne suffit ainsi plus à la décrire correctement. Il est devenu nécessaire de s’intéresser aux interfaces, de par lesquelles est née la notion de troisième corps (épaisseur présente entre les deux surfaces en contact).
Mécanismes d’usure habituellement observés dans les contacts électriques
Généralités sur les contacts statiques ou glissants
L’étude du frottement et de l’usure entre deux corps n’est possible qu’en admettant certaines suppositions :
– De par leurs rugosités respectives, les surfaces des matériaux en contact sur une aire géométrique nominale A0 ne sont en réalité en contact que sur quelques spots, appelés microcontacts ;
– La somme de ces microcontacts mène à l’aire réelle de contact Ar, sur laquelle est appliquée la force normale FN. Ar dépend de FN et non de l’aire de contact apparente (sauf dans le cas de contacts très haute pression) ;
– Les microcontacts sont soumis à deux types d’interaction ; les forces longue portée intervenant pour tout type de matériaux séparés de plus de 1 nm, et les forces courte portée qui dépendent de la nature des matériaux séparés de moins de 1 nm (liaisons chimiques de type métallique, ionique ou covalente).
Dans des contacts glissants, représentant une majorité des cas pour l’application électrique, il est possible de se représenter les interactions microscopiques qui surviennent dans les spots de contact. Ces interactions dépendent notamment de la rugosité et de la composition chimique des surfaces. Il est à noter que dans les conditions standards de contact glissant, les surfaces sont couvertes d’une couche de contaminants d’environ 10 nm [3] : dans le cas des métaux, la couche est composée d’oxyde recouverte de gaz absorbés et d’hydrocarbures (provenant des lubrifiants notamment) . Dans le cas des polymères, la couche peut être composée d’eau absorbée, d’agents polluants issus de la fabrication du polymère, de gaz absorbés et d’hydrocarbures.
Les efforts normaux et tangentiels peuvent provoquer différentes transformations physicochimiques dans les contacts glissants, qui peuvent avoir des conséquences positives et/ou négatives :
– La déformation plastique, qui peut conduire à un durcissement protecteur (transformations de microstructure) ou à une diminution de la rugosité (rodage) de la surface. Mais par accumulation, elle peut conduire à une usure par abrasion ou par fatigue (avec l’apparition de fissures) ;
– L’échauffement, qui peut faire baisser la résistance mécanique des corps. Il peut mener à des phénomènes d’adhésion, et peut dans certains cas engendrer des dégradations chimiques. Au contraire, si les réactions chimiques qu’il provoque sont maîtrisées (par l’action des additifs par exemple), il peut être bénéfique au contact ;
– L’adhésion, qui a tendance à être rarement bénéfique et entraîne des phénomènes de transfert, abrasion, grippage, etc. (sauf dans les procédés de soudure).
Un contact entre deux corps solides peut engendrer des modifications de leurs propriétés physiques (structure, géométrie …) et chimiques (diffusion, corrosion …). La perte de matière qui y est associée est appelée usure. Deux lois principales d’approximation régissent ces phénomènes (( 1.1 ) et ( 1.2 )) :
– La loi de Coulomb, qui régit l’effort tangentiel :
?? = ??? ( 1.1 )
Avec µ le coefficient de frottement, FT la force tangentielle et FN la force normale ;
– La loi d’Archard, qui permet d’exprimer le volume d’usure (au moins pour l’abrasion) :
?? = ???? ( 1.2 )
Avec ?? le volume perdu, k la vitesse d’usure, FN la force normale et d la distance de glissement.
Généralement, les paramètres qui gouvernent le frottement et l’usure sont identiques : la nature des matériaux, leurs états de surfaces et la présence de film lubrifiant avec ou sans additifs influencent l’évolution des contacts tribologiques. Le frottement et l’usure ne sont néanmoins pas toujours proportionnels.
Dans le domaine des composants électriques, la qualité des signaux électriques ainsi que la durée de vie des surfaces sont régies par l’usure des surfaces [6], [7]. La contribution de l’usure et son impact dans le système tribologique va dépendre essentiellement du mécanisme d’usure, qui dépend, lui, des types de sollicitation mécanique, du passage du courant et de facteurs environnementaux. Il est donc important de l’identifier et de cerner son ou ses origines, pour mieux comprendre les phénomènes mis en jeu dans les systèmes.
|
Table des matières
Introduction générale
1 État de l’Art
1.1 Introduction
1.2 Mécanismes d’usure habituellement observés dans les contacts électriques
1.2.1 Généralités sur les contacts statiques ou glissants
1.2.2 L’usure dans les contacts électriques
1.2.3 Impact du type de sollicitations mécaniques sur les contacts électriques
1.2.3.1 Impact des grands glissements
1.2.3.2 Impact des vibrations de type fretting
1.2.3.3 Impact combiné de grands glissements et de vibrations
1.2.4 Impact de l’environnement sur les contacts électriques
1.2.5 Impact du courant électrique sur les contacts électriques
1.2.5.1 Cas de l’électromigration
1.2.5.2 Cas des arcs électriques
1.2.6 Origines du bruit électrique
1.3 Mécanismes d’usure usuels
1.3.1 Abrasion
1.3.2 Adhésion
1.3.3 Effets combinés abrasion – adhésion
1.3.4 Cas des usures de couples métal – polymère
1.3.4.1 Comportements tribologiques spécifiques dus à la réponse mécanique de polymères
1.3.4.2 Effets des conditions de sollicitation sur les réponses mécaniques de polymères
1.3.4.3 Phénomènes de transfert sous l’effet de charges électriques
1.4 Transformation de surface sous l’effet du frottement et de l’usure
1.4.1 Transformations microstructurales et déformations plastiques
1.4.2 Procédés de déformations plastiques sévères
1.4.3 Traitements de transformations tribologiques superficielles
1.5 Rôle du troisième corps dans un contact tribologique
1.5.1 Le triplet tribologique
1.5.2 Le troisième corps
1.5.2.1 Formation d’un troisième corps favorisant l’usure
1.5.2.2 Formation d’un troisième corps à caractère protecteur
1.6 Rôle de la lubrification
1.6.1 Régimes de lubrification
1.6.2 Formation d’un film de lubrifiant dans un contact plan-plan
1.6.2.1 Lubrification de contact plan-plan sans déformation significative des surfaces
1.6.2.2 Lubrification de contact plan-plan avec déformation significative des surfaces
1.6.3 Un régime de lubrification adapté à l’application électrique
1.6.3.1 Régime de lubrification limite
1.6.3.2 Impact de la formation d’un film de lubrifiant sur les propriétés électriques d’un contact
1.6.3.3 Apport d’une surface texturée dans le comportement tribologique du contact
1.6.4 Types de lubrifiant et caractéristiques
1.6.5 Caractéristiques des graisses
1.6.5.1 Composition typique d’une graisse
1.6.5.2 Comportement tribologique typique d’une graisse
1.6.6 Graisses épaissies avec des organiques
1.6.6.1 Huiles silicone
1.6.6.2 Huiles PFPE
1.6.6.3 Comportement de l’épaississant PTFE dans la graisse
1.6.7 Graisses épaissies aux savons
1.6.7.1 Huiles PAO
1.6.7.2 Épaississant savon complexe de lithium
1.6.8 Vieillissement des graisses
1.7 Conclusion
2 Matériaux & Démarche expérimentale
2.1 Introduction
2.2 Configuration et principe des capteurs
2.2.1 Configuration du rhéostat
2.2.1.1 Schéma électrique du rhéostat
2.2.1.2 Matériaux dans le rhéostat
2.2.1.2.1 Piste NiCr
2.2.1.2.2 L’alliage de NiCr
2.2.1.2.3 Curseur AgPdCu
2.2.1.2.4 Graisse utilisée dans le rhéostat
2.2.2 Configuration du potentiomètre
2.2.2.1 Schéma électrique du potentiomètre
2.2.2.2 Matériaux dans le potentiomètre
2.2.2.2.1 Piste polymère chargée carbone
2.2.2.2.2 Le polymère chargé carbone
2.2.2.2.3 Curseur AgPdCu
2.2.2.2.4 Graisse utilisée dans le potentiomètre
2.2.3 Autres lubrifiants utilisés durant les travaux de thèse
2.2.3.1 Description de tous les lubrifiants
2.2.3.2 Vieillissement des lubrifiants
2.3 Démarche expérimentale
2.3.1 Moyens expérimentaux spécifiques
2.3.1.1 Simulation de contacts réels
2.3.1.1.1 Cas du rhéostat
2.3.1.1.2 Cas du potentiomètre
2.3.1.2 Simulation du frottement à l’échelle laboratoire
2.3.1.3 Simulation en température
2.3.1.3.1 Variation de température combinée avec les essais d’endurance sur les capteurs
2.3.1.3.2 Tests de vieillissement sur les lubrifiants
2.3.2 Analyse des surfaces frottées
2.3.2.1 Mesures électriques
2.3.2.1.1 Résistance de contact
2.3.2.1.2 Résiscope® couplé à la Microscopie à Force Atomique
2.3.2.2 Analyses topographiques
2.3.2.2.1 Rugosimétrie optique
2.3.2.2.2 Microscopie optique
2.3.2.2.3 Microscopie Électronique à Balayage (MEB)
2.3.2.2.4 Microscopie Électronique à Transmission (MET)
2.3.2.3 Analyses chimiques
2.3.2.3.1 Analyse Dispersive des Rayons X (EDX)
2.3.2.3.2 Spectroscopie Photoélectronique de Rayons X (XPS)
2.3.2.3.3 Spectroscopie Infra-Rouge (IR)
2.3.2.4 Caractérisation mécanique et structurale des matériaux
2.3.2.4.1 Essais d’adhérence
2.3.2.4.2 Essais mécaniques de dureté (indentation)
2.3.2.4.3 Microstructure
2.3.2.4.4 Diffraction de Rayons X (DRX)
2.3.2.4.5 Mesures de viscosité
2.4 Conclusion
3 Troisième corps abrasif dans le capteur de type rhéostat
3.1 Introduction
3.2 Problématique rencontrée dans le capteur
3.3 Mécanisme d’usure des surfaces en contact
3.3.1 Usure abrasive des pistes NiCr
3.3.2 Hypothèses sur l’abrasion du matériau dur par le matériau mou
3.3.2.1 Duretés des deux surfaces en contact
3.3.2.2 Essais d’adhérence sur les surfaces NiCr
3.3.3 Formation d’un troisième corps par adhésion
3.3.3.1 Caractéristiques du troisième corps
3.3.3.2 Lien troisième corps-abrasion
3.3.4 Hypothèses sur la disparition du Cr
3.3.4.1 Éléments bibliographiques
3.3.4.2 Comportement tribologique d’un contact NiCr-Acier
3.3.5 Rôle du lubrifiant dans le contact NiCr – AgPdCu
3.3.5.1 Affinité chimique des surfaces métalliques avec le lubrifiant
3.3.5.2 Agglomération des particules de PTFE dans le contact
3.3.6 Proposition d’un mécanisme d’usure
3.4 Amélioration de la résistance à l’usure du contact
3.4.1 Exploration de différentes pistes d’amélioration
3.4.2 Introduction du traitement de tribofinition appliqué aux pistes NiCr
3.4.2.1 Effets de la tribofinition sur les surfaces des pistes NiCr
3.4.2.2 Effets de la tribofinition sur les propriétés électriques du contact NiCr – AgPdCu
3.4.2.3 Effets de la tribofinition sur l’évolution des surfaces du rhéostat pendant les essais d’endurance
3.4.2.4 Effets de la tribofinition sur les microstructures des surfaces du contact NiCr – AgPdCu
3.4.3 Paramètres du traitement de tribofinition
3.4.3.1 Effets du temps de tonnelage sur les surfaces NiCr
3.4.3.2 Effets du temps de tonnelage sur les propriétés électriques
3.4.4 Proposition d’un mécanisme d’usure avec la tribofinition
3.5 Conclusion
4 Troisième corps protecteur dans le capteur de type potentiomètre
4.1 Introduction
4.2 Problématique du capteur
4.3 Mécanismes de frottement et d’usure dans le contact métal – polymère
4.3.1.1 Morphologie du troisième corps
4.3.1.2 Adhésion du troisième corps à la piste
4.3.1.3 Composition chimique du troisième corps
4.3.1.4 Impacts du troisième corps sur les propriétés électriques
4.3.2 Hypothèses sur le mécanisme de formation du tribofilm
4.3.2.1 Mécanisme de tribopolymérisation
4.3.2.2 Effets de la température dans le contact
4.3.2.3 Effets des conditions de contact
4.3.2.4 Effets catalytiques du curseur AgPdCu
4.3.2.5 Proposition du mécanisme de tribopolymérisation dans le potentiomètre
4.3.3 Un cas de défaillance en conditions réelles de fonctionnement
4.4 Contrôle du mécanisme de lubrification
4.4.1 Configuration de contact à sec
4.4.2 Effets de la quantité de graisse dans le contact
4.4.3 Diminution de la quantité de PTFE avec la graisse A-3
4.4.4 Effets de la nature des graisses sur le mécanisme de lubrification
4.4.4.1 Utilisation d’une graisse PAO + savon complexe de Li
4.4.4.2 Utilisation d’une graisse PFPE-PTFE
4.4.5 Effets de la température
4.5 Conclusion
Conclusion générale
Annexes
Bibliographie