Généralités sur les réacteurs à eau pressurisée
Dans le cœur des Réacteurs à Eau Pressurisée (REP), le crayon combustible est le siège de la réaction de fission nucléaire. Cette réaction génère des neutrons et des produits de fissions qui, en décélérant dans la matière vont générer de l’énergie thermique. Un REP possède trois circuits fluidiques (Figure 1.1). L’eau du circuit primaire a pour rôle de refroidir le cœur, de ralentir les neutrons (modérateur), de transporter l’énergie thermique vers un générateur de vapeur (caloporteur) et de la transférer à l’eau du circuit secondaire. Cette dernière est alors vaporisée dans cet échangeur, la vapeur produite se détend vers les parties plus froides du circuit secondaire et fait ainsi tourner une série de turbines générant par la suite de l’électricité. Un dernier circuit, relié à un aéroréfrigérant ou une rivière, a pour fonction de condenser la vapeur du circuit secondaire. Dans une centrale de 1300 MW, un cœur comporte 193 assemblages de 264 crayons combustibles. A ce jour, un crayon combustible est composé d’une gaine en alliage de zirconium d’une épaisseur de 600 µm environ, entourant des pastilles d’oxyde d’uranium (UO2) ou d’un mélange oxyde d’uranium/oxyde de plutonium (MOx) (Figure 1.2). Chaque crayon à une hauteur de 4 m et un diamètre de 9,5 mm. Ces assemblages sont immergés dans une cuve contenant de l’eau liquide pressurisée à 155 bars et à une température de 300-330°C (circuit primaire). Cette eau contient entre 2 et 1000 ppm massique de bore sous forme d’acide borique (H3BO4), un absorbant neutronique qui permet de contrôler la réaction de fission nucléaire. Pour compenser les effets de l’acide borique sur le pH de l’eau, 2 ppm de lithium sont ajoutés sous forme de lithine (LiOH) pour le neutraliser. Le pH final est de l’ordre de 7,2 à 300-330 °C (légèrement basique). De plus, l’irradiation provoque la radiolyse de l’eau et notamment la formation d’espèces radiolytiques corrosives comme les radicaux •OH et l’eau oxygénée H2O2. Une façon de réduire la décomposition de l’eau et ses inconvénients est d’introduire entre 25 et 50 cm3 /kg d’hydrogène moléculaire H2 dans le milieu. La face externe des tubes de gainage est donc exposée au milieu primaire, un environnement oxydant ainsi que des conditions élevées de température et de pression. Les gaines et le milieu sont également soumis à une irradiation neutronique et des rayonnements ionisants permanents. Le matériau s’oxyde dans ces conditions et de surcroit, une partie de l’hydrogène impliquée dans cette réaction d’oxydation pénètre dans le matériau et précipite dans le métal sous forme d’hydrures fragilisants (Figure 1.3). Ces deux processus de corrosion induisent une dégradation des propriétés mécaniques de la gaine. La gaine étant la première barrière de confinement, l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN) fixe comme critère de sureté une épaisseur d’oxyde maximale de 100 µm environ et une concentration d’hydrogène limitée à 600 ppm massique.
L’alliage Zr-1Nb (M5®)
La particularité de cet alliage est sa composition à 1% massique de niobium. Cet élément est βgène, c’est-à-dire qu’il stabilise la phase β-Zr du zirconium. Dans les conditions de température en REP, l’alliage se situe dans un domaine biphasé α-Zr + β-Nb (précipités riches en niobium). La limite de solubilité du niobium dans le zirconium pur étant de 0.6% massique, les 0.4% restant précipitent majoritairement sous forme de précipités de β-Nb (85% massique de Nb) [Abriata, 1982]. L’alliage contient également une partie non négligeable de fer sous forme de phases de Laves de type Zr(Fex,Nb1-x)2. En revanche, en présence de ce fer, la limite de solubilité du niobium diminue et devient de l’ordre de 0,4%. Enfin, l’oxygène est également présent en solution solide et joue le même rôle dans l’alliage M5® que dans l’alliage Zircaloy-4, il renforce les propriétés mécaniques de l’alliage. [Barberis, 2004][Dali, 2007] Les précipités β-Nb (Figure 1.7) cristallisent dans la structure cubique centrée de paramètre de maille a = 0.3307 nm et ont en moyenne, dans la matrice, un diamètre de 50 nm. Ils sont enfin répartis de façon homogène dans le métal [Mardon, 2000]. Quant aux précipités Zr(Fe,Nb)2, peu nombreux, d’un diamètre de 120 nm environ, ils cristallisent sous la forme hexagonale compacte avec comme paramètre de maille a = 0.5366 nm et c = 0.8792 nm.
Microstructure de la zircone en cours de croissance
A.T. Motta, à partir d’analyses de micro-DRX par rayonnement synchrotron et d’observations MET, a décrit l’évolution microstructurale et cristallographique de la zircone en cours de croissance selon le schéma et les étapes suivantes : (Figure 1.10)
Etape a : En début d’oxydation, les premiers grains qui se forment sont petits et équiaxes. Leur faible dimension et la présence de fortes contraintes stabilisent la zircone quadratique (β-Zr).
Etape b-c : Parmi ces grains de q-ZrO2 (phase quadratique), ceux qui présentent une orientation favorable vont croître et devenir colonnaires. Au-delà d’une longueur critique, ils se transforment en zircone monoclinique. Localement, les désaccords cristallins entre les grains et l’expansion volumique due à la transformation de phase quadratique monoclinique génèrent des contraintes supplémentaires qui s’ajoutent à celles de croissance. Au-delà d’un certain niveau de contrainte, les colonnes de zircone ne peuvent plus croitre, provoquant ainsi la croissance de nouveaux petits grains q-ZrO2 au niveau du front d’oxydation (interface interne).
Etape d : A ce stade, les contraintes au niveau de l’interface métal/oxyde sont telles que des fissures apparaissent au niveau du front d’oxydation, et produisent in fine une forte dégradation de la couche ainsi que l’enclenchement de la transition cinétique. J. Godlewski a montré par spectrométrie Raman qu’une grande partie de la zircone sous forme quadratique se transforme en zircone monoclinique au cœur de l’oxyde par relâchement des contraintes lors de cette transition cinétique. [Godlewski, 1991]
Etape e-f : Par la suite, l’oxyde continue de croître refaisant apparaitre de petits grains de zircone quadratique jusqu’à la transition cinétique suivante et ainsi de suite. [Motta, 2005]
L’influence de l’irradiation de la couche d’oxyde sur la vitesse de corrosion
A l’inverse des défauts et modifications générés dans le métal, les défauts d’irradiation dans l’oxyde sont principalement des défauts ponctuels méconnus. Peu de techniques d’analyse permettent de détecter et d’identifier ces défauts à l’échelle atomique. Nous savons néanmoins au travers de la revue bibliographique qu’il existe deux types de défauts, F et T, dans les zircones stabilisées irradiées et qu’il apparait d’autres modes de vibration après irradiation ionique d’une zircone monoclinique polycristalline. Par conséquent, les études présentées dans cette partie auront plusieurs objectifs :
Confirmer la détection des défauts par spectroscopie Raman et déterminer quel type de défauts est à l’origine de ces nouveaux modes de vibration ;
Déterminer, en faisant varier le rapport Se /Sn avec différents types d’ions, l’effet cinétique de chaque type de défaut sachant que les défauts de type F sont générés principalement par cascades de déplacements et ceux de type T par interactions électroniques.
Troisièmement, en réacteur, il existe une compétition entre le processus de production des défauts et celui d’annihilation. Pour étudier cet aspect, la stabilité des défauts induits par l’irradiation de la couche d’oxyde en conditions proches de celles des REP sera investiguée lors d’essais de réoxydation à long terme. Le lien entre l’évolution des défauts présents dans la couche d’oxyde et la vitesse d’oxydation pour l’alliage Zircaloy4 sera également mis en évidence. De manière complémentaire, des irradiations à 320°C et à température ambiante seront comparées.
Quatrièmement, il est observé, en réacteur, une forte désorientation des grains d’oxyde dans les couches irradiées comparativement aux couches d’oxyde références. Des analyses par micro-DRX synchrotron seront réalisées sur des coupes transverses d’échantillons irradiés et références pour étudier l’influence de l’irradiation sur la cristallographie des couches d’oxyde.
Enfin, l’hydruration a un effet non négligeable sur la corrosion de l’alliage Zircaloy-4 en réacteur, notamment à haut taux de combustion. Pour apporter des éléments de réponse quantitatifs sur l’accélération « phase III » du Zircaloy-4, l’effet synergique de l’hydruration et de l’irradiation de la couche sur la vitesse d’oxydation du Zy4 sera étudié.
Un mécanisme d’oxydation avec une couche d’oxyde endommagée sera élaboré pour chaque alliage et l’influence de l’irradiation de l’oxyde en réacteur sera discutée.
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Table des matières
Introduction
1 Chapitre 1 : Revue bibliographique
1.1 Contexte industriel
1.1.1 Généralités sur les réacteurs à eau pressurisée
1.1.2 Choix des matériaux de gainage
1.1.3 Problématique industrielle
1.2 Matériaux de l’étude
1.2.1 Cristallographie du zirconium
1.2.2 Le Zircaloy-4
1.2.3 L’alliage Zr-1Nb (M5®)
1.3 Oxydation des alliages de zirconium hors réacteur
1.3.1 Phases cristallographiques de la zircone
1.3.2 Sens de croissance de l’oxyde
1.3.3 Cinétique générale d’oxydation
1.3.4 Microstructure de la zircone en cours de croissance
1.3.5 Mécanisme d’oxydation en pré-transition
1.3.6 Lois cinétiques
1.3.7 Effet des éléments d’addition
1.3.8 Diffusion de l’oxygène dans la zircone
1.4 L’hydruration
1.4.1 Rappel sur la solubilité de l’hydrogène et des hydrures dans les alliages
1.4.2 Prise d’hydrogène dans le zircaloy-4 et le M5® hors réacteur
1.4.3 L’hydruration en réacteur
1.4.4 Effet des hydrures sur la vitesse d’oxydation de l’alliage Zircaloy-4
1.5 Effet de l’irradiation
1.5.1 Impact de l’irradiation sur la vitesse d’oxydation du Zircaloy-4
1.5.2 Généralités sur l’irradiation
1.5.3 Intérêt des ions et des rayonnements faiblement activants
1.5.4 Grandeurs physiques de l’endommagement
1.5.5 Effets de l’irradiation de la matrice métallique
1.5.6 Effet de l’irradiation de la matrice métallique sur la vitesse d’oxydation
1.5.7 Effet de l’irradiation de l’oxyde
1.5.8 Effet de l’irradiation avec des ions de la couche d’oxyde formée sur les alliages de zirconium sur la vitesse d’oxydation
1.6 La radiolyse de l’eau
1.6.1 Phénomène de radiolyse de l’eau
1.6.2 L’effet de la température
1.6.3 La radiolyse dans les REPs
1.6.4 Recombinaison des espèces radiolytiques
1.6.5 Effet de la radiolyse sur la corrosion
1.7 Bilan et objectifs
2 Chapitre 2 : Matériaux, essais de corrosion et expériences d’irradiation
2.1 Matériaux
2.2 Moyens et essais de corrosion
2.2.1 Essais en autoclave statique
2.2.2 Essais et principe des expositions isotopiques
2.2.3 Cellule de radiolyse
2.3 Simulations et moyens d’irradiation
2.3.1 Calcul des dommages ioniques – Code TRIM (Logiciel SRIM)
2.3.2 Calcul des dommages électroniques – Code Penelope (irradiations électroniques)
2.3.3 Plateformes JANNUS
2.3.4 Irradiations aux électrons (SIRIUS)
2.3.5 Accélérateur ALIENOR pour la radiolyse
2.4 Effet de l’irradiation de la matrice métallique sur la vitesse de corrosion des alliages de zirconium
2.4.1 Démarche expérimentale
2.4.2 Plan des expériences
2.5 Effet de l’irradiation de l’oxyde sur la vitesse de corrosion des alliages de zirconium
2.5.1 Démarche expérimentale
2.5.2 Plan des expériences
2.6 Effet de la radiolyse de l’eau sur la vitesse de corrosion des alliages de zirconium
2.6.1 Démarche expérimentale
2.6.2 Plan des expériences
2.7 Moyens d’analyses
2.7.1 SIMS (Secondary Ion Mass Spectroscopy)
2.7.2 Micro-spectroscopie Raman
2.7.3 MET (Microscopie Electronique en Transmission)
2.7.4 DRX (Diffractométrie des Rayons X)
2.7.5 XPS (X-Ray Photoelectron Spectroscopy)
2.7.6 Mesures électrochimiques
2.7.7 Mesures ICP-AES (Inductively coupled plasma – atomic emission spectroscopy)
2.8 Bilan
3 Chapitre 3 : Influence de l’irradiation de la matrice métallique sur la vitesse de corrosion des alliages de zirconium
3.1 Alliage Zircaloy-4
3.1.1 Effet des boucles de dislocation sur la vitesse
3.1.2 Effet de l’amorphisation des précipités intermétalliques
3.1.3 Accroissement de la concentration en fer dans la matrice métallique
3.1.4 Bilan sur l’alliage Zy4 avec la matrice métallique irradiée
3.2 Alliage M5®
3.2.1 Effet du dommage et de la précipitation d’aiguilles de β-Nb
3.2.2 Effet du dommage balistique et de l’amorphisation des phases de Laves
3.2.3 Bilan
3.3 Micro-diffraction synchrotron des rayons X
3.3.1 Couche d’oxyde formée sur l’alliage Zircaloy-4
3.3.2 Couche d’oxyde formée sur l’alliage M5®
3.3.3 Bilan
3.4 Discussion
3.4.1 Effet de l’amorphisation des phases de Laves
3.4.2 Effet de l’accroissement de la concentration en fer de la matrice métallique
3.4.3 Effet du dommage balistique
3.5 Conclusion
4 Chapitre 4 : Influence de l’irradiation de la couche d’oxyde sur la vitesse et les mécanismes de corrosion des alliages de zirconium
4.1 Analyse des couches d’oxyde irradiées par spectroscopie Raman
4.1.1 Analyse générale
4.1.2 Suivi in situ des effets d’irradiation par spectroscopie Raman
4.1.3 Bilan
4.2 Influence de l’irradiation de l’oxyde sur la corrosion de l’alliage Zircaloy-4
4.2.1 Influence du type d’endommagement sur l’oxydation
4.2.2 Influence de la localisation de l’endommagement sur l’oxydation
4.2.3 Mécanisme d’oxydation de l’alliage Zy4 avec la couche d’oxyde irradiée
4.2.4 Recombinaison des défauts lors de l’irradiation
4.2.5 Effet à long terme des défauts d’irradiation dans la couche d’oxyde
4.2.6 Caractérisations fines des couches d’oxyde
4.2.7 Effet de l’irradiation de l’oxyde sur la vitesse d’hydruration
4.2.8 Couplage de l’effet de l’hydruration et de l’irradiation de la couche d’oxyde sur la vitesse d’oxydation de l’alliage Zircaloy-4
4.2.9 Bilan et modélisation
4.3 Alliage M5®
4.3.1 Influence du type d’endommagement sur l’oxydation de l’alliage M5®
4.3.2 Influence du niveau d’endommagement de la couche sur l’oxydation de l’alliage M5®
4.3.3 Mécanisme d’oxydation de l’alliage M5® avec la couche d’oxyde irradiée
4.3.4 Recombinaison des défauts lors de l’irradiation
4.3.5 Effet à long terme des défauts d’irradiation dans la couche d’oxyde sur l’oxydation de l’alliage M5®
4.3.6 Caractérisations fines des couches d’oxyde
4.3.7 Effet de l’irradiation de l’oxyde sur la vitesse d’hydruration de l’alliage M5®
4.3.8 Bilan et discussion
4.4 Conclusion
5 Chapitre 5 : Influence de la radiolyse sur la vitesse et les mécanismes de corrosion des alliages de zirconium
5.1 Influence de la radiolyse sur la corrosion de l’alliage Zircaloy-4
5.1.1 Mesures électrochimiques in-situ
5.1.2 Analyses SIMS
5.2 Influence de la radiolyse sur la corrosion de l’alliage M5®
5.2.1 Mesures électrochimiques in-situ
5.2.2 Analyses SIMS
5.2.3 Bilan
5.3 Analyses par ICP optiques
5.4 Bilan et analyse qualitative des phénomènes
5.4.1 Mesures électrochimiques
5.4.2 Vitesse d’oxydation
5.4.3 Hydruration de l’alliage Zy4
5.4.4 Dissolution de la couche d’oxyde
5.5 Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie
Annexes
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