L’ARNtf méthionine bactérien
Chez les bactéries, il peut exister jusqu’à deux types d’ARNt initiateur. Chez Escherichia coli K12 par exemple, il en existe deux, différents seulement d’un nucléotide en position 46, qui peut être soit une 7-methyl-guanosine (ARNtf1 Met majoritaire) soit une adénine (ARNtf2 Met minoritaire). L’aminoacylation des ARNtMet par une méthionyl-ARNt synthétase nécessite la formation d’un complexe enzyme-ARNt, gouvernée par l’anticodon CAU de l’ARNtMet. Des déterminants nucléotidiques existant dans la tige acceptrice, une adénosine en position 73 ainsi qu’une paire de base G2-C71 et une paire C3-G70 ont également un rôle dans l’efficacité catalytique de l’enzyme. Tout comme dans les chloroplastes et les mitochondries, chez les bactéries, la méthionine estérifiée en 3’ des ARNt initiateurs est systématiquement N-formylée grâce à l’action d’une methionylARNtf Met formyltransférase (MTF). La formylation permet de favoriser la sélection de cet ARNtf Met lors de la phase de démarrage et son exclusion lors de la phase d’allongement de la traduction. (Guillon et al. 1993; Guillon et al. 1992; Guillon et al. 1996). En effet, le groupe formyl de l’ARNt initiateur joue un rôle important dans la liaison de l’ARNtf Met au facteur IF2 et participe au rejet de cet ARNt par le facteur d’allongement EF-Tu. La détermination de la structure cristallographique de la formylase d’E. coli en complexe avec l’ARNt initiateur (Schmitt et al. 1998) a permis de comprendre comment cet ARNt était sélectionné par la MTF (voir figure 1.2).
Les ARNti méthionine eucaryote et archée
Les ARNt initiateurs eucaryotes et archées (ARNti Met) ne sont pas formylés. De manière intéressante, ils possèdent de façon quasi systématique une paire de base appariée A1U72 et non plus un couple de base non appariées C1A72 rencontré chez les ARNt initiateurs bactériens. Cette paire de base faible, remplacée par une paire de bases à l’interaction forte G1C72 chez les ARNt élongateurs, est aussi un déterminant très important pour la liaison au facteur de démarrage de la traduction archée et eucaryote a/eIF2 et la liaison du complexe e/aIF2:ARNti Met ainsi formé à la petite sous-unité du ribosome (Kapp, Kolitz, et Lorsch 2006). Le bras anticodon de l’ARNt initiateur est quant à lui très conservé dans le monde du vivant et contient toujours un anticodon CAU ainsi que les trois paires de bases consécutives GC dans la tige anticodon (figure 1.5). Les mêmes caractéristiques structurales de la tige anticodon bactérienne se retrouvent alors aussi bien chez les ARNt initiateurs archée qu’eucaryote. Cette fois encore les trois paires de bases GC existant dans la tige anticodon des ARNti Met ne se retrouvent pas chez les ARNt élongateurs archée et eucaryotes, laissant ainsi apparaitre leur rôle sans doute déterminant dans la sélection de l’ARNt initiateur, ce dont nous discuterons ultérieurement.
Le démarrage bactérien
Le démarrage de la traduction d’un ARNm bactérien requiert 3 facteurs de démarrage de la traduction (IF) : IF1, IF2 et IF3, un ARNt initiateur chargé avec une formyl-methionine (ARNtf Met initiateur)(Guillon et al. 1993) et la petite sous-unité du ribosome. Ces 3 facteurs sont essentiels au contrôle des différentes étapes du démarrage, et les liaisons de ces 3 facteurs à la sous-unité 30S sont indépendantes les unes des autres (Milón et al. 2012)
Le facteur IF2
Le facteur IF2 (97kDa chez E. coli) est une protéine G capable de lier un GTP et de l’hydrolyser en GDP et Pi via sa région centrale « G ». Malgré cela, la sélection du fMet-ARNtf Met par IF2 est réalisée probablement directement sur le ribosome de façon indépendant de la présence de GTP (Sundari et al. 1976; Pon et al. 1985). La zone d’interaction entre IF2 et le fMet-ARNtf Met se ferait principalement via le groupe formyl du résidu méthionine et le domaine C-terminal de la protéine (Sundari et al. 1976; Li et al. 1996; Mayer et al. 2003) (voir figure 9 ci-dessous). La tige acceptrice peut aussi être un élément de reconnaissance par IF2 (Mayer et al. 2003) (voir figure 1.8).
Identification du rôle d’eIF2 dans la sélection du codon de démarrage
A l’origine de la découverte des acteurs protéiques impliqués dans le démarrage de la traduction eucaryote, 2 facteurs ont été caractérisés comme jouant un rôle dans cette étape de façon indépendante de la présence d’un ARNm et permettant la liaison d’un ARNti Met sur la petite sousunité du ribosome (Schreier et Staehelin 1973). Le premier acteur est le facteur multimérique eIF3, spécifique du démarrage de la traduction eucaryote et ne bénéficiant pas d’homologues chez les archées. Le second acteur protéique est le facteur eIF2, déjà caractérisé comme pouvant former un complexe ternaire avec une molécule de GTP et un ARNti Met (Levin, Kyner, et Acs 1971; Dettman et Stanley 1972; Levin, Kyner, et Acs 1973) Par la suite, le rôle des facteurs protéiques dans la spécificité du démarrage de la traduction a été mis en évidence grâce à la caractérisation de mutants de levures devenues capables de démarrer la traduction d’un ARNm portant un codon de démarrage muté. Le crible génétique utilisé consistait à sélectionner des mutants suppresseurs d’une mutation du codon de démarrage du gène codant pour la protéine His4, présentant un codon AUU à la place d’un codon AUG. Ces mutations « suppresseurs » se retrouvent dans 5 gènes (sui1 à sui5), dont 3 s’avèrent coder pour les sous-unités du facteur eIF2. Les gènes sui2, sui3 et sui4 (ou gcd11) codent respectivement pour les sous-unités α, β et γ du facteur eIF2 (Cigan et al. 1989; Donahue et al. 1988; Huang et al. 1997). Ainsi, en plus de leur rôle dans la liaison de l’ARNt initiateur, les trois sous-unités d’eIF2 ont également une fonction dans la sélection du codon de démarrage correct. En effet, des mutations introduites volontairement cette fois dans une des trois sous-unités de ce facteur peuvent permettre le démarrage de la traduction sur un mauvais codon de démarrage (Williams, Hinnebusch, et Donahue 1989; Castilho-Valavicius, Yoon, et Donahue 1990; Dorris, Erickson, et Hannig 1995). Chez les eucaryotes, l’hydrolyse du GTP en GDP par eIF2 est assistée par la protéine GAP activatrice, eIF5. Chez les archées cependant, aucune protéine homologue à eIF5 n’a pu être identifiée, laissant supposer que l’activité GTPase d’aIF2 ne nécessiterait aucune assistance. De même, l’échange GDP/GTP assisté par eIF2B chez les eucaryotes semble être spontané chez les Archées. De manière intéressante, des mutants Sui- ont été obtenus dans le gène codant pour eIF5 (sui5). Ainsi, l’activité d’hydrolyse du GTP sur eIF2 parait également couplée à la reconnaissance du codon de démarrage.
Le facteur eucayote eIF1A
Le facteur eIF1A fait partie des premiers facteurs eucaryotes reconnus comme participant au démarrage de la traduction. Historiquement, différents test d’assemblage de complexes ribosomaux contenant un ARNm, un Met-ARNti Met, les 7 facteurs de démarrage purifiés ainsi que de l’ATP et du GTP avaient été entrepris. L’omission d’un des composants à chaque essai avait permis de mettre en avant le rôle de chacun de ces facteurs. Ainsi, l’importance du facteur eIF1A (anciennement appelée eIF4C) dans la liaison de l’ARNm à la 40S a été mise en lumière (Trachsel et al. 1977). Les résultats suggèreraient une interaction possible entre le facteur eIF1A et la petite sous-unité du ribosome. Par la suite, des purifications de complexes ribosomaux sur colonne Sépharose 6B (colonne de chromatographie par tamis moléculaire) puis sur gradient de sucrose,avaient permis de révéler que le facteur eIF1A était capable de se lier à la petite sous-unité 40S du ribosome, de façon quasi stoechiométrique, lorsque les facteurs eIF1, eIF2, eIF3 ainsi qu’un ARNti Met et un ARNm étaient présents dans le milieu (Thomas et al. 1980). Finalement, l’identification d’eIF1A comme étant un facteur essentiel du démarrage de la traduction est tout à fait cohérente avec le fait qu’il soit retrouvé comme l’un des facteurs eucaryotes les plus conservés (>65%) (Dever et al. 1994) et nécessaire à la viabilité de la cellule (Wei, MacMillan, et Hershey 1995).
Le facteur eucaryote eIF1
Tout comme le facteur eIF1A, le facteur eIF1 a pu être purifié et caractérisé comme étant un facteur de démarrage de la traduction dès 1977 grâce à des purifications de fractions ribosomales capables de démarrer la traduction d’un ARNm codant pour la globine de lapin (Schreier, Erni, et Staehelin 1977). Son implication dans la sélection du bon codon de démarrage de la traduction a été mise en évidence, tout comme pour le facteur eIF2, par la découverte des mutants de levure capables de restaurer l’expression du gène codant pour HIS4 possédant un codon de démarrage muté (Yoon et Donahue 1992). En effet, parmi les 5 gènes dans lesquels se retrouvent les mutations (vu précédemment), le gène SUI1 s’avère coder pour une protéine essentielle du démarrage de la traduction fonctionnant de concert avec le facteur eIF2. Il a ensuite été montré que le gène SUI1 codait pour le facteur eIF1 (Kasperaitis, Voorma, et Thomas 1995; Thomas et al. 1980). eIF1 est une protéine de 113 résidus chez l’humain très conservée dans le domaine eucaryote. On constate 59% d’identité entre la séquence d’eIF1 humain et celle d’eIF1 de levure (Kyrpides et Woese 1998). La résolution de la structure d’eIF1 par RMN a montré un facteur monomérique globulaire composé de deux hélices α d’un côté et de 5 brins β de l’autre (Fletcher et al. 1999)(voir figure 1.21).
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Les différents acteurs du démarrage de la traduction
1.1.1 Les ARNts initiateurs
1.1.1.1 L’ARNtf méthionine bactérien
1.1.1.2 Les ARNti méthionine eucaryote et archée
1.1.2 Le ribosome
1.1.2.1 Description générale
1.1.2.2 Structure générale du ribosome et sites de liaison à l’ARNt
1.1.2.3 Fixation de l’ARNt initiateur au site P du ribosome
1.1.3 Les facteurs de démarrage de la traduction
1.2 Le démarrage de la traduction dans les différents domaines du vivant
1.2.1 Le démarrage bactérien
1.2.2 Le démarrage eucaryote
1.2.3 Le démarrage archée
1.3 Le complexe cœur du démarrage de la traduction
1.3.1 Le facteur hétérotrimérique e/aIF2
1.3.1.1 Identification du rôle d’eIF2 dans la sélection du codon de démarrage
1.3.1.2 Le complexe ternaire (CT) e/aIF2-GTP-ARNtiMet
1.3.2 Les facteurs IF1 et a/eIF1A
1.3.2.1 Le facteur IF1
1.3.2.2 Structures des facteurs a/eIF1A
1.3.2.2.1 Le facteur eucayote eIF1A
1.3.2.2.2 Le facteur archée aIF1A
1.3.3 Structure des facteurs IF3 et a/eIF1
1.3.3.1 Le facteur bactérien IF3
1.3.3.2 Structure des facteurs eucaryotes et archées e/aIF1
1.3.3.2.1 Le facteur eucaryote eIF1
1.3.3.2.2 Le facteur archée aIF1
1.3.4 Fonction des facteurs eucaryotes eIF1 et eIF1A
1.3.4.1 Rôle des facteurs eIF1 et eIF1A dans le balayage de l’ARNm par le complexe de démarrage de la traduction
1.3.4.2 Les différentes régions d’eIF1A nécessaires à la reconnaissance du bon codon de démarrage de la traduction
1.3.4.3 Le départ d’eIF1 suite à l’appariement codon/anticodon
1.4 Travail de thèse
1.4.1 Construction d’une souche d’E. coli permettant la production d’ARNt initiateur d’intérêt
1.4.2 Etude structurale du complexe de démarrage archée
1.4.3 Etude du rôle du facteur aIF1 lors du démarrage de la traduction
2 Etude structurale de l’ARNtfMetA1-U72
2.1 Introduction
2.2 Discussion de l’étude de l’ARNtfMetA1-U72
3 Etude du rôle d’aIF1 dans le complexe de démarrage de la traduction
3.1 Etude de la liaison du facteur aIF1 sur la sous-unité du ribosome par anisotropie de fluorescence
3.1.1 Obtention des acteurs du complexe de démarrage et principe de l’anisotropie de fluorescence
3.1.1.1 Obtention de petites sous-unités ribosomales 30S
3.1.1.2 Purification du facteur de démarrage aIF1 et de ses variants
3.1.2 L’anisotropie de fluorescence : principe général
3.1.2.1 Marquage des protéines
3.1.3 Mise au point du titrage d’aIF1 par la petite sous-unité 30S du ribosome
3.1.3.1 Titrage de l’ARNm modèle avec la sous-unité 30S du ribosome
3.1.3.2 Titrage du facteur aIF1 de P. abyssi marqué sur la cystéine avec la petite sous-unité 30S du ribosome et l’ARNm
3.1.3.3 Titrage du facteur aIF1* marqué sur la cystéine 46 et mise au point de la mesure de la constante de dissociation du complexe 30S:ARNm:aIF1 par anisotropie de fluorescence
3.1.3.4 Etude de la liaison d’aIF1* à la sous-unité 30S seule
3.1.4 Caractérisation des résidus d’aIF1 impliqués dans la liaison au complexe 30S:ARNm
3.1.4.1 Rôle de la boucle 30-35 dans la liaison d’aIF1 au complexe 30S:ARNm
3.1.4.1.1 Caractérisation du mutant aIF1*-polyAla
3.1.4.1.2 Caractérisation du mutant aIF1*-YA33
3.1.4.1.3 Caractérisation du mutant aIF1*-KA35
3.1.4.1.4 Caractérisation du mutant aIF1*-RA32
3.1.4.2 Rôle de l’extrémité N-terminale dans la liaison au complexe 30S:ARNm : caractérisation du mutant aIF1*-ΔN7
3.2 Etude de la formation et de la stabilité du complexe de démarrage sur l’ARNm
3.2.1 Principe du « toeprint »
3.2.2 Conditions de stabilisation de la sous-unité 30S du ribosome sur l’ARNm
3.2.2.1 Stabilisation du ribosome sur l’ARNm
3.2.2.2 Caractérisation de la saturation du ribosome en facteur aIF1
3.2.2.3 Influence de la séquence de l’ARNm dans la formation du complexe aIF1:30S sur l’ARNm
3.2.2.3.1 Influence de la position du codon de démarrage sur l’ARNm
3.2.2.3.2 Influence de la séquence SD
3.2.2.4 Liaison de l’ARNt initiateur au complexe 30S: ARNm
3.2.3 Etude de différent complexes de démarrage sur la stabilité du complexe 30S:ARNm
3.2.3.1 Le complexe CT:30S:ARNm
3.2.3.2 Variation de la concentration en ARNt
3.2.3.3 Le complexe Met-ARNtA1U72:aIF2:aIF1:30S:ARNm (CI sans aIF1A)
3.2.3.4 Signal de toeprint du complexe de démarrage complet : MetARNtA1U72:aIF2:aIF1:aIF1A:30S:ARNm (CI)
3.2.4 Etude du rôle des résidus de la boucle basique d’aIF1
3.2.4.1 Etude du rôle de l’arginine 32
3.2.4.1.1 Le complexe aIF1-RA32:30S sur l’ARNm WT
3.2.4.1.2 Le CI avec aIF1-RA32
3.2.4.2 Etude du rôle de la tyrosine 33
3.2.4.2.1 Le complexe aIF1-YA33:30S sur l’ARNm WT : rôle dans la stabilisation de la 30S sur l’ARNm
3.2.4.2.2 Le CI avec aIF1-YA33
3.2.4.3 Etude du rôle de la lysine 35
3.2.4.4 Etude du double-mutant aIF1-RA32-YA33
3.2.4.4.1 Le complexe aIF1-RA32-YA33:30S sur l’ARNm WT : rôle dans la stabilisation de la 30S sur l’ARNm
3.2.4.4.2 Etude du variant aIF1-RA32-YA33 dans le CI
3.2.4.5 Etude du double-mutant aIF1-RA32-KA35
3.2.4.5.1 Le complexe aIF1-RA32-KA35:30S sur l’ARNm WT : rôle dans la stabilisation de la 30S sur l’ARNm
3.2.4.5.2 Etude du variant aIF1-RA32-KA35 dans le CI
3.2.5 Etude du rôle du domaine N-terminal d’aIF1 dans la formation du complexe de démarrage de la traduction
3.2.5.1 Etude du complexe aIF1-ΔN:30S:ARNm
3.2.5.2 Etude de l’extrémité N-terminale dans le CI
3.2.6 Rôle d’aIF1 dans le rejet d’un mauvais complexe de démarrage
3.2.6.1 Utilisation d’un ARNt élongateur dans la formation du complexe de démarrage de la traduction
3.2.6.2 Etude de l’influence des 3 paires de bases GC de l’ARNti dans la formation du complexe de démarrage de la traduction sur l’ARNm
4 Etude structurale du complexe de démarrage de la traduction archée
5 Discussion et perspectives
5.1 Discussion
5.2 Perspectives
6 Matériels et méthodes
6.1 Inactivation de gènes chez E.coli par la technique lambda red
6.1.1 Souches bactériennes et plasmides
6.1.2 Préparation des produits de PCR possédant le gène KanR, 2 séquences FRT et 2 régions homologues au(x) gène(s) à inactiver
6.1.3 Inactivation du gène metY (inactivation primaire)
6.1.4 Elimination du marqueur Kan puis élimination du plasmide pLH29
6.1.5 Test de complémentation fonctionnel
6.1.6 Inactivation du gène metY (inactivation secondaire)
6.2 Purification des sous-unités 30S
6.3 Expression et purification des différents mutants d’aIF1
6.4 Marquage des différents mutants d’aIF1 avec la coumarine
6.5 L’anisotropie de fluorescence
6.6 L’expérience de toeprint
6.7 Isolation de petits ARNts
7 Bibliographie
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