Berlin
La ville évoque de nombreuses images, arbore différents visages. Le siècle dernier y a trouvé l’une des scènes pour sa représentation. Résidence royale, Berlin devient capitale de l’Empire Prussien en 1871. Au XIXème siècle, l’âge d’or de l’industrialisation place la ville dans la modernité. On parle alors de l’avantgardisme berlinois. Jusque dans les années 30, sa vie culturelle de renommée bat son plein dans les cabarets de la Friedrichstraβe et dans les musées de la Museumsinsel (île aux Musées). Cependant, son histoire politique ne la laissera pas longtemps dans le peloton de têtes des villes européennes. Stigmatisée par la mégalomanie nazie, par sa division entre les grands vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale, puis par le clivage entre les deux blocs, la ville reflète l’histoire et l’évolution du monde sur plus d’un siècle. Le paysage berlinois est indéniablement marqué des idéologies politiques successives qui ont dessiné une ville faite de ruptures et de strates. Différentes périodes de destruction « politiquement motivées » ont fait de Berlin une ville « volontariste, hétérogène et récente ». Elle s’est continuellement reconstruite sur elle-même, laissant des interstices, témoins des époques passées. L’espace urbain, marqué par l’alternance des vides et des pleins, se présente plus comme lacunaire que saturé. Il faut savoir qu’aujourd’hui Berlin représente plus de huit fois Paris pour 3,5millions d’habitants. Démographiquement, Berlin est la plus grande ville d’Allemagne, loin devant Munich et Hambourg.
En 1961, pour empêcher les berlinois de l’Est d’émigrer à l’Ouest (plus de trois millions de personnes sont déjà parties), le gouvernement de la RDA décide de construire un mur. La ville est coupée en deux. Pendant près de quarante ans, les deux Berlin se tourneront le dos, feignant l’inexistence de l’autre. Berlin-Ouest devient alors une île en plein cœur de la RDA. Son économie hiberne, les sièges sociaux de nombreuses entreprises s’installent dans les autres villes d’Allemagne de l’Ouest qui assoient leurs positions futures dans le pays réunifié. La ville survit grâce aux allègements fiscaux et aux lourdes subventions de l’Etat fédéral. Quant à Berlin-Est, il se calque sur le modèle communiste encadré par le système soviétique. À la chute du Mur, un nouveau pouvoir politique, l’ouverture à un système économique capitaliste et les projections symboliques de l’histoire nationale créent une période de transition profonde.
Mauerpark, le visage d’un parc
Le vide, expression des strates du passé
Le vide urbain fascine. Architectes, artistes, philosophes, bons nombres perçoivent dans cet élément jalonnant nos villes la possible liberté qui semble nous échapper partout ailleurs. Ainsi, dans le film Au soleil même la nuit (scènes d’accouchement) d’Éric Darmon et Catherine Vilpoux, qui suit la répétition du Tartuffe de Molière par le Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine évoque une photographie de Robert Doisneau. Sur cette image, des enfants jouent dans une carcasse de voiture, au cœur d’une friche urbaine. Elle suggère l’existence de ce champ du possible, lieu permissible qui ne connaît pas, ou pas encore, les diktats de la ville.
Le No man’s land parcourant Berlin, questionna l’avenir du vide au cœur de la ville réunifiée. Comment transformer ce trou béant, interdit d’accès aux Berlinois, sans appropriation, qui équivalait autrefois à une frontière, et non à un espace urbain, partie intégrante dorénavant de Berlin ?
Mauerpark offre un incessant dialogue avec l’histoire et son environnement. L’expérience du paysage est le récit d’un vide urbain qui s’est confronté aux strates du passé. Le parc a connu diverses formes, divers usages, en conservant toujours la particularité du creux.
En 1979, La ville de Berlin-Ouest (RFA) établit le Programme d’aménagement du paysage (« Landschaftsprogramm – LaPro ») correspondant à un instrument urbanistique stratégique pour adopter des mesures visant à une préservation intégrée de l’environnement. A la chute du mur ce programme s’étend à Berlin-Est, et s’applique alors sur l’ensemble de la ville. Son objectif est d’incorporer les enjeux écologiques dans le développement urbain au niveau de la ville entière, afin de garantir un développement durable. La réflexion sur l’aménagement mène vers la planification importante d’espaces verts et ouverts, pour améliorer l’environnement urbain et offrir des espaces de détente et de loisirs.
En 1994, la ville réunifiée adopte ce plan directeur en matière de paysage. Améliorer pour correspondre à la nouvelle situation de la ville unique, il définit de nouvelles lignes deconduite pour remédier au déséquilibre de la trame verte berlinoise. Il s’agit de penser un développement plus harmonieux et d’offrir à l’intérieur du réseau périphérique du S-Bahn, où la densité de population est la plus importante, de nouveaux espaces paysagers.
Certains parcs récents sont planifiés sur la friche urbaine laissée par le mur. Mauerpark est né de cette initiative, il offre un lieu de récréation pour les quartiers de Prenzlauerberg et Wedding, jusqu’alors séparés.
Ce site a longtemps été un espace de réserve, ceci sous diverses formes. De 1961 à 1989, c’est un territoire témoin et acteur du drame qui bouleverse l’Allemagne lors de la période du rideau de fer. « Le ruban de la mort », Todesstreifen, parcourt la ville sur plus de 43 kilomètres, stigmate alors physique d’une Europe divisée.
Contrairement à d’autres espaces fonciers situés sur le tracé de l’ex-frontière et restitués, privatisés ou vendus au lendemain de la chute du mur, la « métamorphose d’un espace frontalier en un espace de liberté » (Gustav Lange) fut possible ici, car les parcelles n’étaient pas bâties avant la construction du mur. Les différents usages attribués à Mauerpark existent par le vide. Ce vide n’a pas toujours eu les mêmes formes, il a évolué, s’est transformé.
Après 1820, le site abrite un champ de tir militaire, puis le terrain appelé « peuplier solitaire » devient l’un des principaux théâtres de la révolution de mars 1848, où le premier projet de droit de vote est formulé par un rassemblement populaire. À partir de 1914, l’ancien terrain d’entraînement militaire est acheté par la ville et pourvu d’installations sportives, dont le stade Jahnsportplatz. Le stade devient un haut lieu des rencontres sportives de la RDA. Le club de football Dynamo Berlin y attire régulièrement un nombre important de spectateurs dans les tribunes situées à proximité de la frontière. Nordbahnhof, la gare de marchandises de Stettin, occupait la partie ouest .
Resté libre de tout bâtiment pendant des décennies, cet important réservoir foncier a suscité la curiosité et les projets au lendemain de la chute du mur. Initialement, la reconversion prévoyait le passage de l’Autobahn, réseau autoroutier répandu à Berlin-Ouest, que les autorités souhaitaient étendre pour constituer un réseau à l’échelle de la ville. Les premières protestations de citoyens autour de Mauerpark se sont alors manifestées. Les habitants souhaitaient l’aménagement d’un parc. Mauerpark commença alors sa carrière d’espace à controverses dont le futur est au cœur des grands débats contemporains du quartier. «About 1993, this was in the area of the Mauer, the Wall, in the area. A few years after the wall came down, there was the idea to build an Autobahn, it should belong to the A100, it should be a ‘Zubringer’ to the autobahn, and people start fighting this idea, and it was all a mess, it looked a little bit like Marrakesh. You could drive with a car, you could not drive with a car, and it was so bizarre. People start fight the idea of the autobahn and the way they started fighting the idea was having a picnic all the time, they used this crumbled situation already as a park, you probably walked on the side there, there is no park, it is a kind of park because the vegetation is doing the job, without an architect, that’s how it started in the early 90’s, the people used it as a park, the grass grows and the trees grow, it was all messy and anarchy, there still stood the ‘Wachturm’ from the Wall, and people came and had their blankets and had a picnic so starting using the park and fighting for the idea of the park, and then came in the mid 90’s the idea that Berlin should be Olympia city, for this Olympia idea you need sport arenas, and there is the old sport arena Jahnsportpark, from the Nazi’s, and they said “ok there’s the old one, let’s have a new one right next to it”, The new MaxSchmeling-Halle. People start fighting the idea of Olympia, starting the idea of Max-Schmeling-Halle and then the association of the citizens “Bürger intiativen” start dealing with the Olympic committee and the mayor, except Max-SchmelingHalle, but they want a park, and that was the deal. » ( Heiner Funken ).
|
Table des matières
Introduction
I. Mauerpark, le visage d’un parc
1. Le vide, expression des strates du passé
2. Un parc séquencé dans l’espace et le temps
Développement du parc le long d’une ligne Nord-sud
La sortie dominicale et ses évènements attractifs
Lieu d’improvisations et de rencontres
3. Processus d’appropriations, de la trace à la marque
4. un espace public tourné vers Prenzlauerberg, auquel Wedding peine à se raccrocher
5. Un lieu médiatisé, prisé par la jeunesse étrangère
6. Des activités illégales à l’intervention de la police, l’image du parc en dégradation
II. Mauerpark, un avenir en réflexion
1. Un parc inachevé, construire au lieu de planter
2. Scénario controversé, quels acteurs impliqués ?
Interventions du secteur privé
Les institutions publiques
La parole citoyenne prolongation du débat dans la sphère publique
3. Construire la partie Ouest
enjeux et problèmes posés
Vers une normalisation de la ville ?
Conséquences sur le contexte urbain
4. Initiatives citoyennes : quels moyens d’action et quels pouvoirs pour les associations ?
III. Berlin, la participation citoyenne comme alternative à la politique urbaine
1. Participation citoyenne dans le projet urbain : une tradition berlinoise ? Genèse et diffusions
2. Histoire et patrimonialisation au cœur des débats
Image politique de la nouvelle capitale
3. Encourager les initiatives des Baugruppen, groupes d’auto-promoteurs
Conclusion
Médiagraphie
Liste des Entretiens
Annexes