Etat de l’art
Le couplage magnétoélectrique dans les matériaux multiferroïques associe des phénomènes d’aimantation et de polarisation. Suite de la découverte d’un effet ME important dans des matériaux composites multiferroïques, tel le Terfenol-D/PZT en 2000, un regain d’intérêt a été porté pour ces développements [15]. Afin de réaliser des dispositifs performants, les matériaux composites MEs doivent être optimisés. Cependant, cette démarche implique une analyse complexe au regard de la multiplicité des paramètres et de leurs interactions [16-30] (couplage, phase magnétostrictive, phase piézoélectrique, géométrie, électrode, etc…).
Depuis le début du 19ème siècle, les équations de Maxwell traduisent sous forme locale les différents théorèmes qui régissent l’électromagnétisme. Ces équations lient, notamment, les phénomènes magnétiques et le mouvement des charges dans les matériaux intrinsèques. Généralement, les ordres magnétiques et électriques dans les solides étaient traités indépendamment. En effet, il était admis que les ordres magnétiques étaient induits par des moments magnétiques, alors que les ordres électriques étaient déterminés par le déplacement des charges [31]. Plus tard, la coexistence de ces phénomènes dans un même matériau a pu être montrée [31-35]. En 1888, W. Röntgen observe pour la première fois cet effet [36]. Un objet diélectrique se magnétise lorsqu’il se déplace dans un champ électrique. Par la suite, un effet réciproque est observé : un élément diélectrique en mouvement dans un champ magnétique développe une polarisation électrique [36]. En 1894, P. Curie prédit l’existence de l’effet MEs dans des cristaux non symétriques [37]. En 1972, J. van Suchtelen présente des effets MEs dans des matériaux composites par la combinaison de phases magnétostrictives et piézoélectriques [38]. Il est à noter que ces propriétés sont renforcées lors de déformations mécaniques dites intermédiaires (eg. conception d’échantillons comportant deux phases aux propriétés différentes). En 1972, J. van Suchtelen et ses collègues du laboratoire Philips fabriquent des échantillons comportant deux phases et développant des effets MEs [39]. Cependant, le processus de fabrication est complexe. Les effets MEs obtenus sont trop faibles et ne répondent pas aux attentes. Dans les années 1990, le groupe Newnham et une équipe russe obtiennent des échantillons MEs à l’aide d’un processus classique de frittage [40]. Malheureusement, les réponses MEs sont toujours aussi faibles. Jusqu’alors, tous ces matériaux composites étaient fabriqués à l’aide de poudre comportant des grains de taille micrométrique. En 1993, G. Harshe [40] présente une première approximation théorique de l’effet ME dans des matériaux composites lamellaires. Parallèlement, des calculs développés à l’aide des fonctions de Green pour les matériaux composites sont proposés. Ils permettent de prédire l’existence d’un effet ME géant dans les matériaux composites de type Terfenol-D et poly-cristallin [41-42]. Dans les années 2000, J. Ryu [15] présente des matériaux composites ME réalisés à l’aide de macro-lamelles de Terfenol-D et de PZT assemblés à l’aide d’une colle à base d’époxy chargé d’argent. Cette nouvelle technique a permis de surmonter les difficultés inhérentes aux matériaux composites à base de poudre (réactions chimiques lors du frittage, fuites électriques, etc…). À l’échelle macroscopique, ces problèmes sont occultés par une séparation franche des deux phases des matériaux mis en œuvre. En 2002, des échantillons MEs fabriqués par la technique de ‘tape-casting’ sont réalisés et étudiés par le groupe de G. Grinivasan [43].
En 2003, S. Dong et D. Viehland [18, 44, 45] étudient différentes protocoles de fabrications d’échantillons MEs pour des matériaux de type Terfenol-D et PZT. Ils effectuent également une analyse théorique des sensibilités attendues en utilisant le modèle de Mason (ou modèle électrique équivalent) unidimensionnel [45]. En 2004, le groupe de R. Ramesh [46] présente d’autres types de matériaux (BiFeO3) développant des effets MEs. Ces travaux sur les matériaux composites nanostructurés attirent l’attention de la communauté et sont publiés dans diverses revues reconnues telles que ‘Nature’ [47] et ‘Science’ [48]. Il est à noter que les effets magnétoélectriques des matériaux massifs multiferroïques de type BiFeO3 sont relativement faibles. Cependant, sous la forme de couches minces, ces effets s’accroissent considérablement. Toutefois, des problèmes technologiques subsistent. En 2005, le développement de fibres piézoélectriques engendre de nouvelles perspectives de recherche dans le développement de dispositifs MEs [11, 49]. Elles sont rapidement utilisées dans la fabrication de capteurs MEs dès 2006. Les groupes de S. Dong et D. Viehland développent alors des capteurs MEs de type ‘multi-push-pull’ à l’aide de couches minces en Metglas, de fibres piézoélectriques et d’électrodes interdigitées. À l’heure actuelle, ces dispositifs possèdent les meilleures performances MEs en termes de bruit magnétique équivalent en champ par l’emploi notamment de très forts coefficients piézoélectriques. À titre d’exemple, l’association de structures ‘multi-couches-multi pushpull’ de matériau monocristallin piézoélectrique PMN-PT et d’un alliage ferromagnétique Metglas dans le cadre du développement de capteur magnétique, objet de mes travaux de thèse, permet d’atteindre, actuellement, un niveau de bruit magnétique équivalent en champ d’environ 5 pT/√Hz à 1 Hz pour un dispositif de forme lamellaire (8 × 1 × 0,02 cm3), avec une sensibilité en champ d’environ 25,8 µC/T, 78 000 V/T, 5,16 nC/(Oe cm2) ou 52 V/(Oe cm). Cette performance en bruit est la meilleure publiée à ce jour pour des matériaux composites MEs.
Matériaux multiferroïques et effets magnétoélectriques
Le terme ‘multiferroïque’ est utilisé pour définir une classe de matériaux qui possèdent simultanément plusieurs propriétés dites ferroïques (ferromagnétisme, ferroélectricité et/ou ferroélasticité) et dont le couplage dépend de la mise en forme, de la structure cristallographique et de l’arrangement des spins magnétiques [31]. Il n’existe que de très rares matériaux comportant spontanément les propriétés de ferromagnétisme et de ferroélectricité. Cette rareté est liée aux différentes origines d’apparition des mécanismes induisant la ferroélectricité et l’aimantation à l’échelle microscopique [31, 47, 50]. En terme d’applications, les matériaux composites réalisés à l’aide des phases magnétiques et électriques sont préférés [8, 12, 41, 51-59]. Généralement, ces deux phases (ferromagnétique et ferroélectrique) sont combinées par diverses techniques (e.g. frittage, collage, ‘hotpressing’, etc…) [12, 24, 55, 62-64]. Ainsi, le couplage magnétique/électrique est engendré par des contraintes induites dans les matériaux et correspond à une déformation moyenne des phases constitutives.
Le ferromagnétisme
Le magnétisme est une des propriétés fondamentales des matériaux. En appliquant un champ magnétique extérieur, tous les matériaux portent un effet magnétique. Parmi ces effets, le ‘ferromagnétisme’ ou ‘ferrimagnétisme’ caractérise la propriété qu’ont certains corps de s’aimanter très fortement sous l’effet d’un champ magnétique extérieur. Les matériaux ferromagnétiques ont donc intrinsèquement une forte perméabilité. Il est à noter qu’il est possible de saturer le matériau par l’application d’un champ magnétique de faible amplitude. La signature d’un matériau ferromagnétique est donnée par son cycle d’hystérésis magnétique. Il traduit la variation de son aimantation en fonction du champ magnétique appliqué.
La ferroélectricité
La ferroélectricité est la propriété qu’ont certains matériaux de posséder une polarisation électrique à l’état spontané, polarisation qui peut être renversée par l’application d’un champ électrique extérieur. La signature d’un matériau ferroélectrique est donnée par son cycle d’hystérésis. Il traduit la variation de sa polarisation en fonction du champ électrique appliqué. Le déplacement des éléments qui portent les charges électriques dans les matériaux diélectriques induit cette polarisation [65, 66]. Il est à noter que certains cristaux diélectriques se polarisent via des effets mécaniques [67, 68]. Ainsi, des charges électriques apparaissent à la surface du matériau. La densité de charges induite est proportionnelle à la contrainte extérieure. Ce phénomène classique est appelé l’effet piézoélectrique [69]. Il n’existe qu’une dizaine de cristaux possédant un effet piézoélectricité important [16, 57, 60, 62-64, 67, 70, 71], tels le BTO, PZT, PMN, etc… Les semi-conducteurs présentent également des effets piézoélectriques, tel le ZnO. Parmi ces matériaux, les cristaux possèdent non seulement des polarisations propres mais l’orientation des polarisations peuvent s’inverser en fonction de l’orientation du champ électrique extérieur.
La magnétoélectricité
Au sens large, le terme ‘magnétoélectricité’ est défini par la coexistence des effets ferromagnétique et ferroélectrique dans un matériau [6], les ordres magnétiques et électriques dépendant alors du champ électrique ou magnétique externe. Pour les matériaux multiferroïques [3, 6], une définition plus simple peut être donnée : une polarisation électrique est induite dans le matériau par l’application d’un champ magnétique (effet ME direct) ou inversement une aimantation est induite par un champ électrique externe (effet ME opposé). Elle rappelle pour ces matériaux qu’un couplage existe entre l’aimantation et la polarisation. Il existe une polarisation électrique pour un champ magnétique extérieur appliqué ou une valeur d’aimantation pour un champ électrique extérieur appliqué. Malheureusement, cet effet dans les matériaux monophasé est généralement trop faible et ne permet pas d’envisager le développement de dispositif ou capteur.
Les matériaux multiferroïques monophasés
La découverte de l’effet ME dans l’oxyde de chrome Cr2O3 a constitué un pas important dans le développement de nouveaux matériaux multiferroïques. Cependant, cet effet est relativement faible [72]. La rareté des matériaux ferromagnétiques et ferroélectriques intrinsèques est liée à leurs propriétés magnétiques et électriques [33, 35, 73]. En effet, la présence de l’effet ferroélectrique requiert le manque d’orbital d induisant un décentrage mécanique des cations. Cependant, l’orbital d partiellement rempli engendre un effet ferromagnétique. Ainsi, pour les matériaux multiferroïques ayant une seule phase, les atomes créant des dipôles électriques excentrés devraient être différents de ceux portant les moments magnétiques. À titre d’exemple, pour les matériaux de type pérovskite (ABO3), telle la ferrite de bismuth BiFeO3, la ferroélectricité est induite par les couples d’électrons solitaires sur la position du cation A, les cations de la position B portant l’aimantation .
Un effet ME peut également être engendré par les variations de la géométrie structurelle et spatiale des matériaux lorsque la polarisation électrique est compatible avec une aimantation du matériau. Les matériaux ferroélectriques et antiferromagnétiques YMnO3 et BaNiF4 appartiennent à cette catégorie de matériau [33]. Par exemple, pour le matériau TbMnO3, la ferroélectricité est induite par la formation de spins spiraux magnétiques qui n’a pas la symétrie d’opposition spatiale (cette asymétrie induit la piézoélectricité) . Bien que la polarisation induite soit relativement faible, de forts effets MEs sont attendus. En effet, la polarisation est ici directement induite par les ordres magnétiques. Il est à noter que ces matériaux doivent être isolants afin qu’ils puissent conserver en surface les charges générées.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 L’effet magnétoélectrique
1.1) Introduction
1.2) Etat de l’art
1.3) Matériaux multiferroïques et effets magnétoélectriques
1.4) Modélisations des effets magnétoélectriques
1.5) Conclusion
Références du Chapitre 1
Chapitre 2 Modélisation de l’effet ME, en sensibilité, bruit et BME
2.1) Introduction
2.2) Modélisation de l’effet Magnéto(élasto)Electrique
2.3) Modèle bidimensionnel (2D) de l’effet ME
2.4) Modèle unidimensionnel (1D) de l’effet ME
2.5) Modèle de bruit intrinsèque d’un capteur ME-1D
2.6) Conclusion du chapitre 2
Références du Chapitre 2
Chapitre 3 Caractérisation des dispositifs
3.1) Environnement et dispositifs de mesure
3.2) Caractérisations des dispositifs ME
3.3) Optimisation de la performance
3.4) Magnéto(Elasto)électricité à base de technique de modulation non-linéaire
3.5) Conclusion du chapitre 3
Références du Chapitre 3
Conclusion générale